lundi 27 avril 2009

Note de lecture : Dominique Fernandez (4)

Ramon
de Dominique Fernandez


QUATRIÈME ET DERNIÈRE NOTE

Pour Dominique Fernandez, les dérives politiques de RF resteront inexplicables, du moins dans leurs aspects les plus odieux. Ce qui est une façon d’affirmer qu’elles sont, quoi qu’il soit arrivé, inexcusables. Mais des causes possibles, il n’en manque pas. Et d’abord et avant tout, la séparation d’avec Liliane, laquelle, face à cette fracture « a une ligne à suivre, et elle la suivra. Pour mon père, au contraire ? C’est la rupture des amarres, la perdition en vue. Que lui reste-t-il ? Sa mère, calamité qui ne désarme pas ; Betty, maîtresse agréable, mais qui n’est pas du tout à la hauteur intellectuelle de ma mère, et ne peut en aucun cas l’aider à reconstruire sa personnalité. Je pèse les fautes de mon père ; j’ai déjà insisté sur elles ; j’y insisterai encore ; légèreté, irresponsabilité, abandon de foyer, violences conjugales : plus coupable il n’aurait pu se rendre. Et pourtant… Dans ce drame de la rupture, il me semble que la véritable victime, c’est lui. "Pauvre enfant", en effet, celui qui se met à genoux pour embrasser les pantoufles de la femme qui, en se retirant de sa vie, lui ôte sa raison d’être, lui interdit, "désormais", de croire en lui-même. » (p. 484)
Voilà peut-être pourquoi RF donne l’impression d’analyser correctement les situations, notamment politiques, mais d’en déduire des comportements de fuite injustifiables. « Ne pas s’apercevoir qu’on avait pensé juste, mais tiré une conclusion erronée… » (p. 596)

DF souffre de ne pas avoir pu mieux connaître ce père. « […] il paraît que, le dimanche rue Saint-Benoît, je m’isolais dans le bureau de mon père, au milieu de ses livres, laissant les grandes personnes causer dans le salon. Ainsi suis-je resté en marge des uniques occasions où j’aurais pu l’approcher de plus près. Je ne l’ai pas entendu lire Balzac, pas entendu converser avec Drieu La Rochelle ou Marguerite Duras. Un blanc complet (un noir) recouvre pour moi cette période. Me voilà donc, comme tous les biographes, réduit à ne saisir que l’extérieur d’un être. Ce qu’il a fait, écrit, je le vois. Mais ce qu’il était au-dedans de lui-même ? De l’autre côté de ses actes, son être profond ? Lui-même le connaissait-il ? Dire, comme Sartre, d’un homme qu’il n’est que ce qu’il fait est d’un juge. Le juge n’a pas à se préoccuper si le dehors correspond au dedans. Il voit ce qu’il voit, il tranche d’après ce qu’il a vu, il condamne d’après la gravité du crime. En toute justice, mais non en toute compréhension. Si l’on veut avoir une intelligence moins grossière d’un homme, il faut admettre la part de l’invisible dans sa vie. Ce qui n’apparaît pas au regard, ce qui n’émergera jamais d’aucun document d’archive, ce qui le gouverne à son insu, ce qu’il se cache à soi-même. » (p. 711-712)

Si peu qu’il en dise, il faut également évoquer l’homosexualité de Dominique Fernandez. Pas seulement parce qu’elle expliquerait l’hypothèse d’une homosexualité refoulée chez son père (ce qui est loin d’être invraisemblable), mais surtout parce qu’il suppose un lien entre ce père et la sienne propre. C’est la seule question qui l’incite à annoncer un nouveau livre. Et cela, dès les premières pages de Ramon : « […] dans ma vie privée, je me suis arrangé, plus ou moins consciemment, pour manifester à mon père l’amour qu’on me défendait de lui montrer. Au centre de ma vie, depuis l’enfance : aimer ce qui est interdit, puisqu’on m’interdisait d’aimer l’objet de mon amour. Sortir des voies admises, déraper dans l’illicite, ne pouvant être attiré par ce qui est permis. Je raconterai ailleurs ce choix de vie, qui serait hors sujet dans l’histoire de RF. » (p. 46) (1) Tout à la fin du livre, encore : « De "cacher son deuil" à "aimer ce qui est interdit", le chemin ne serait pas long… Quelques mois à peine… Mais ce n’est pas ici le lieu d’en parler. » (p. 793)

Dominique Fernandez est un grand, un très grand écrivain. L’amour qu’il a porté à son père, quoi que celui-ci ait fait, il nous permet de le pénétrer, sans révélation inutile, sans pathos, sans aucun sentimentalisme. Sa plume narre les choses, suppute les raisons, avoue ses ignorances. Et elle nous conduit ainsi, presque naturellement, à l’émotion, jusqu’à en avoir la gorge serrée. C’est que la réflexion – la recherche même – qu’il mène vis-à-vis de ses parents, de ce qu’ils furent, de ce qu’il firent, de ce qu’il firent de lui, c’est une réflexion que le lecteur se sent porté à mener lui-même à propos de ses propres géniteurs.

Je ne résiste pas à l’envie, pour terminer ces quatre notes, d’extraire quelques petits passages d’un chapitre particulièrement réjouissant du livre, un chapitre qui nous parle du tango, une danse que RF a beaucoup participé à lancer à Paris.
« Qui ne connaît Buenos Aires ignore ce qu’est le tango. Entrons par exemple dans la Confiteria Ideal, un samedi après-midi. Ce n’est ni une confiserie, ni un salon de thé, bien qu’il y ait des tables recouvertes de nappes, des fauteuils autour des tables, un bar au rez-de-chaussée comme au premier étage. Le rez-de-chaussée est vide, lugubre. À l’étage, non moins sombre ni triste, la sono diffuse tantôt un tango, tantôt une milonga (variante plus rapide) pour quelques couples (pas très nombreux) qui évoluent, au centre de la salle, sur la piste faiblement éclairée par des globes. Les murs sont décorés de boiseries et de miroirs, le plafond orné d’une verrière, bombée et ovale. 1912 : le vieux style, la Belle Époque. Toujours digne, ici. Les clients sont plutôt âgés. Certains sont venus en couple, d’autres seuls. On s’invite, au petit bonheur, semble-t-il. On danse, avec sérieux, application. Le jeu de jambes est lent, compliqué, raffiné. Obéissant à un code minutieux, comme tous les arts d’anticipation, et, à ce titre, attirant à nouveau les jeunes, à ce qu’on me dit. Comment l’homme indique-t-il à sa partenaire les pas qu’elle doit exécuter ? Par la pression des doigts sur son épaule. Il joue sur cette épaule comme sur un clavier. De l’épaule, les ordres sont transmis aux hanches, aux jambes, aux pieds. Même principe, même cérémonial à San Telmo, le dimanche, en plein air, en plein soleil, place du marché aux puces, ou dans les cafés de la Boca, l’ancien quartier gênois (galvaudé par le tourisme). On trouve là des professionnels du tango, qui dansent soit avec leur compagne (elle aussi professionnelle), soit avec l’une ou l’autre des passantes ou clientes. Sa compagne invite l’hôte de passage, et c’est alors elle qui lui indique les pas. Le cours est gratuit, il fait partie de l’hospitalité portègne. Ni sourires, ni amabilité folklorique : le sérieux d’un rite. D’où la concentration extrême des danseurs. Aucune liberté n’est permise, aucune faute d’inattention, aucune erreur. Les amateurs, les néophytes sont par force plus attentifs encore, plus appliqués. » (pp. 270-271)
« Le tango n’est pas plus une danse enjouée et de "salon" que Molière n’est un auteur "amusant". Le tango, comédie triste, comme l’École des femmes ou Le Misanthrope. Je m’imagine bien mon père portant en lui cette tristesse, cette mélancolie non dite. Molière serait bientôt son auteur préféré ; et, de même que Molière est la victime du malentendu qui l’enferme dans le cliché réducteur d’une machine à faire rire, l’image du danseur "brillant", étoile des salons, chouchou des comtesses, resterait collée à mon père – sans qu’il en soit plus mécontent que cela. Double jeu, jeu risqué. » (p. 273)

(1) Les mots employés sont sans ambiguïté : DF évoque bien un nouveau livre sur la question et non un ancien, tel L’étoile rose ( Grasset, 1978).

Autres notes sur le même livre :
Première
Deuxième
Troisième
Autres notes sur Fernandez :
Pise 1951
Avec Tolstoï

dimanche 26 avril 2009

Note de lecture : Dominique Fernandez (3)

Ramon
de Dominique Fernandez


TROISIÈME NOTE

Ramon Fernandez fut un écrivain lu et un critique écouté (1). Je n’ai rien lu de lui et – je dois en convenir – le livre de DF ne m’a pas donné grande envie de le lire. Ce n’est pas que le fils n’admire pas l’intelligence de son père, ni qu’il ne sache en illustrer la subtilité. Cela tient plutôt à deux choses qui me sont assez personnelles. D’abord, je n’ai guère de goût pour les critiques littéraires qui échafaudent des hypothèses explicatives hardies, dans lesquelles l’intuition tient davantage de place que la documentation. Et j’ai le sentiment – mais je me trompe peut-être – que Ramon Fernandez est de ceux-là. Et puis, surtout, sa grande idée fut sans doute de toujours rechercher la plus grande conjonction possible entre la pensée et l’action, ce qui m’a toujours paru assez naïf.
« "Je ne puis me résoudre à opposer dans un dilemme la conduite de la vie et l’observation des méandres de la conscience et de l’inconscient : j’y vois plutôt une antinomie qu’on résoudra peut-être un jour. Question d’athlétisme spirituel… Ne croyez-vous pas que le sentiment, c’est précisément ce qui surnage et résiste aux impulsions affectives ? que c’est une construction et une attitude de l’esprit ? que la véritable forme du sentiment, ce n’est pas la conscience qu’on en a, mais l’action qu’on en tire ?" (Première lettre à Rivière de janvier 1923.) » (p. 151)
Paroles fortes, assurément. Mais qui incline vers une conception de la clairvoyance que je ne peux approuver. J’aurais trop beau jeu de tirer argument des dérives politiques auxquelles cette conception le mena (même si DF lui-même la retient comme une des principales déterminations de celles-ci). « …la véritable forme du sentiment, ce n’est pas la conscience qu’on en a, mais l’action qu’on en tire » : oui, très probablement. Mais ce que la conscience doit se faire un devoir de chercher (du moins lorsqu’elle cherche à savoir), c’est d’élucider tout ce que cette forme doit à l’action. Et pour ce faire, il faut suspendre cette dernière. L’« athlétisme spirituel », très peu pour moi !

Peut-être suis-je là en train de laisser croire que RF aborde la question de la conscience et de l’action de façon simpliste. Nullement. Elle puise en fait ses justifications dans la question plus générale de la morale, et de la morale dans ses rapports avec la littérature.
« Moralisme et littérature, publié tardivement […], renferme les conférences contradictoires prononcées avec Jacques Rivière en 1924 à Lausanne. Rivière soutenait que le jugement moral fausse l’expression littéraire. C’est l’indifférence de Racine à la morale qui a permis à celui-ci de saisir l’âme dans sa plus obscure mais plus réelle spontanéité. Rousseau, en introduisant la préoccupation morale, a gauchi la psychologie classique, remise en honneur par Proust, qui, de Charlus par exemple, a fait un personnage totalement vrai. Le jugement moral eût fait de lui un monstre ; la description purement psychologique le rend proche et vivant.
À quoi mon père répliqua qu’un homme qui n’était pas ‘orienté’ moralement n’était pas fidèle à sa mission d’homme, et que tout homme d’ailleurs, qu’il le voulût ou non, était soumis à cette orientation. Il n’est pas vrai que Racine a une vision ‘objective’ de l’humanité. "
Tout comme les autres il a ses préférences et son orientation, seulement il penche, lui, vers une des formes de la faiblesse, de la dissolution. Il la cultive soigneusement, la dénonce avec complaisance." Rousseau a gagné en profondeur ce qu’il a perdu en vérité (plus tard, RF sera aussi sévère sur Rousseau que l’était Rivière). Par ‘moralisme’, mon père n’entend pas jugement moral préconçu. » (pp. 317-318)

Mais, pour RF, la pensée et l’action trouvent aussi leur nécessaire conjonction dans les aspects les plus "physiques" du comportement.
« Voici l’université de Molière : le corps des acteurs, le mouvement de ces corps, leurs déplacements rythmiques dans l’espace de la scène. Mon père insiste sur ce point, où il innove fortement : Molière ne sort pas de la littérature, mais de l’exercice du théâtre. Son langage reflète exactement la physique du jeu. "La force extraordinaire des répliques vient moins de leur éloquence que d’une sorte de détente musculaire qui les lance comme d’une catapulte. Nous verrons que le génie de Molière a consisté à faire coïncider l’effet moral avec l’effet physique, la danse avec la démonstration." Toutes les ‘idées’ de Molière sont déjà des gestes de théâtre. Son art est une ‘imitation critique’, où le jeu de scène n’est que la mise au point de l’acte de pensée. » (p. 337)

Cela ne signifie pas pour autant que Ramon Fernandez n’ait défendu, à bien des occasions, des opinions auxquelles il m’est aisé de me rallier (2).
« En février 1927, Berl a fondé avec Drieu un petit mensuel, Les Derniers Jours, qui ne durerait que six mois et ne compterait que sept cahiers. Mon père consacre dans Europe un article à ce périodique (‘Intellectualisme et politique’, 15 mars 1927), reprochant à Berl de brandir à tort et à travers l’idée de Révolution. "Il est bien facile de passer tout de suite à la limite, de se porter et de porter le monde devant un inconnu catastrophique que de réparer progressivement et petitement les choses qui ne vont pas." Et d’ajouter : "Il serait étrange que les lois de Marx fussent immuables alors que les lois physiques subissent constamment des corrections." Pour finir, il conseille à Berl et à Drieu de mettre un peu d’ordre en eux-mêmes avant de vouloir changer le monde. » (pp. 280-281)

En 1936, RF est en train de réviser ses engagements politiques. Il doute de la pertinence de la distinction entre droite et gauche. Et cela donne cette curieuse théorie politico-littéraire :
« "Don Quichotte était-il de droite ou de gauche ? Ainsi posée, la question découvre son absurdité. Don Quichotte, justement, n’est ni de droite ni de gauche. Il est de gauche, par son idéalisme radical qui le précipite sur les moulins à vent et sur les prisonniers de droit commun ; de droite, par le génie de son créateur qui le juge, sourit et survole. On observe dans les profondeurs du génie espagnol un refus de renoncer à des tendances incompatibles, une passion subtile et têtue de l’insoluble en toute conjoncture… Le sentiment tragique de la vie, c’est précisément le sentiment des incompatibles, le sentiment de l’insoluble." » (pp. 500-501)
Sa nostalgie de la gauche et plus particulièrement de l’AEAR (Association des écrivains et artistes révolutionnaires), il l’exprime quelquefois de plaisante façon, juste pour glorifier l’action une fois encore : « "Dans leurs rangs on respirait l’air vif des formations de combat. Et puis, il est si agréable de faire le communiste dans un monde libéral !" » (p. 604)

DF ne manque pas d’établir, de façon très convaincante, le lien existant entre l’attraction exercée sur RF par les vainqueurs et le dur sentiment d’échec que représentent pour lui sa vie privée, sa relation avec Liliane.
« Le principal péril pour la démocratie, selon mon père, est "la permission que prend le citoyen de s’octroyer en politique toutes les libertés, toutes les tentatives, toutes les poussées de fantaisie, tous les chatouillements de vanité, tous les rêves et toutes les revanches imaginaires qu’il se refuse dans son activité privée et responsable." J’ai souligné les mots qui montrent le mieux, à mon avis, cet étrange dédoublement d’un homme capable de diagnostiquer la maladie tout en étant persuadé qu’elle ne l’atteint pas personnellement. Pourquoi a-t-il adhéré au PPF puis au fascisme, sinon pour assouvir les rêves et les revanches impossibles à satisfaire dans sa vie privée ? » (pp. 605-606)

Dans des écrits privés de 1925, DF a trouvé cette étrange interrogation :
« "Il faut enfin que je règle cette question de la frivolité. Suis-je frivole ? Si je le suis, dans quelle proportion ? Dois-je combattre ma frivolité ou lui réserver une place dans ma vie telle que je l’ordonne, et par suite la cultiver ?" Tout en se félicitant de trouver "bonheur et plaisir" dans les pensées "graves", "difficiles", capables de n’intéresser qu’une "élite", il avoue ne pas être insensible aux plaisirs de la vanité, "pourvu que je les goûte dans des circonstances où la vanité seule entre en jeu". Autrement dit, il se donne pour règle de ne pas mélanger les catégories, il s’interdit de mettre sur le même plan ce qui ne le distingue pas du grand nombre et ce qui le classe dans "l’élite" – un mot qui ne revêtait pas, alors, le sens péjoratif qu’il a pris aujourd’hui. " Un succès littéraire obtenu dans les conditions d’un succès mondain, avec artifices, etc. (Cocteau) me ferait horreur, mais un succès mondain qui n’aurait pu être obtenu que par les efforts et le degré de concentration nécessaires au parachèvement d’une œuvre de l’esprit ne me donnerait que lassitude et dégoût." » (pp. 712-713)

Ramon Fernandez : un homme complexe, soucieux de comprendre, mais apte aussi à accepter les limites de notre faculté de comprendre, comme dans ce passage d’une profession de foi qu’il fit en 1926 : « "Je ne crois pas à un monde spirituel distinct de la société des esprits humains. L’absolu est l’illusion tenace de notre sens intime. Dans la réalité, tout est relatif et tout est relation ; seulement, à ces relations correspondent en nous des sentiments, des manières d’être que nous prenons pour les images de l’absolu." » (p. 715)

(1) Dans la dernière décade, on a republié plusieurs de ses livres. Son Molière ou l’essence du génie comique, dans la collection "Les cahiers rouges" chez Grasset en 2000, son Proust, même collection, même éditeur, en 2009, et ses Messages, même éditeur, même année.
(2) Je m’y rallie aujourd’hui, alors qu’elles furent exprimées – dans le cas de l’exemple qui suit – il y a plus de quatre-vingts ans, ce qui n’a guère de sens, bien sûr. À l’époque, les propos se ressentent du récent Congrès de Tours ; aujourd’hui, mon accord doit peut-être beaucoup à une certaine anti-militance que charrie l’air du temps.

Autres notes sur le même livre :
Première
Deuxième
Quatrième
Autres notes sur Fernandez :
Pise 1951
Avec Tolstoï

samedi 25 avril 2009

Note de lecture : Dominique Fernandez (2)

Ramon
de Dominique Fernandez


DEUXIÈME NOTE

Un des principaux défis auxquels Dominique Fernandez a dû répondre, ce sont les portraits de famille qu’il fallait dresser, alors même que l’approche historique à laquelle l’œuvre voulait se plier en rendait la justesse nécessaire. Combien de romanciers ont pu évoquer leur lignage avec une grande sincérité subjective, sans que les erreurs de fait prêtent à conséquence. Ici, rien ne pouvait être hasardé, une exigence qui aurait pu condamner le récit à la sécheresse.

Et pourtant, Dominique Fernandez réussit le tour de force de combiner le scrupule et l’impartialité avec l’affectivité, et même la tendresse. Y compris lorsqu’il s’agit d’évoquer un parent qu’il n’a pas connu. Un exemple parmi d’autres : le portrait des ses grands-parents paternels, tiré d’une photographie que le livre contient.
« Très typé, lèvres épaisses, front bas, cheveux noirs plaqués en arrière par de la gomina, Ramon […] tenait du côté paternel l’inquiétante étrangeté du métèque. J’ai une seule photographie de son père : en redingote, gilet, col dur et cravate, il se tient debout derrière le banc où sa femme est assise avec mon père âgé de deux ou trois ans sur ses genoux. Photographie très posée : ma grand-mère porte une ample robe à manches bouffantes, fermée sous le menton et s’évasant vers le bas jusqu’aux pieds qu’elle cache. Une coiffure extravagante, sorte de capeline à ruches, virevolte autour de son beau visage, froid et régulier. Mon père est habillé en fille, avec une vareuse à col marin et un chapeau de paille enrubanné. Masque autoritaire, dur de ma grand-mère : aplomb triomphal. Au second plan, son mari regarde fixement l’objectif. Pointe des cheveux bien dessinée sur le front, cheveux épais rejetés en arrière (comme seront ceux de mon père), front assez bas, yeux profondément enfoncés et cernés de bistre, menton lourd, bouche abaissée aux coins. L’expression est butée, l’apparence massive. On sent un homme tout d’une pièce, assez lent d’esprit, peu rompu à la conversation, de bonne volonté mais impuissant devant la volonté de sa femme. Il a ôté son chapeau, un panama, qu’il presse de trois doigts contre le dossier du banc. Le soleil doit taper dur, à en juger par la dimension des coiffures des deux autres personnages. Pourquoi s’est-il découvert, sinon en signe de soumission à celle qui dirige le ménage et lui a demandé de se tenir derrière elle, en retrait ? » (pp. 69-70)
Sa grand-mère, DF ne la tient pas quitte des dérives de RF, lorsque celui-ci se laissera fasciner par la face martiale du nazisme.
« Principale responsable de cette mystique du guerrier : sa mère. En interdisant à son fils de se battre aux côtés de ses amis quand l’intérêt supérieur de la nation était en jeu [en 14], Jeanne le condamnait à se battre un jour contre ses amis, à se déshonorer par une absurde volonté d’expiation. » (p. 117)

Quant à Liliane, la mère de Dominique, elle donne certainement lieu à celui des portraits le plus fouillé, après celui de Ramon, loin devant Thérèse et Yvonne. Face à son mari, mondain, volage, égoïste, alcoolique, on pourrait la juger victime, et rien que victime. Mais, lorsque la séparation survient, DF pèse les choses.
« La cause n’est-elle pas entendue ? Le bien et le mal nettement répartis ? Pourtant, le jugement sur les responsabilités de chacun change dès qu’on se représente, à côté de cet homme déjà lancé dans Paris, aimé des femmes, fêté, la pleureuse solitaire et sans relation, qui se braque dans son rôle de victime. Je retire le mot de "pleureuse", qui pourrait faire croire que je prends parti, et injustement. Ma mère, qui n’avait pas été élevée et que sa nature n’avait pas faite pour briller en société, ma mère sans usage du monde et démunie devant les obligations qu’il impose, ne pouvait être que meurtrie par cette vie qui lui laissait le choix entre des sorties où elle ne se sentait ni à sa place ni reconnue pour sa vraie valeur, et des soirées solitaires où elle se retrouvait, mais pour sangloter. » (p. 278)

Et lorsque Liliane prend un amant, Angelo, elle se révèle incapable de reconstruire une véritable relation avec lui.
« Mais qu’est-ce que la réalité, en comparaison de l’image qu’on choisit de soi-même ? Il est possible que, malgré les douceurs prodiguées par A, malgré la satisfaction d’obtenir sa revanche sur les infidélités de son mari, malgré la preuve, maintenant possédée, qu’elle gardait toute sa séduction de femme, ma mère soit restée obstinément fixée sur la vision de son échec et le besoin de se croire damnée. J’ai dit plus haut qu’elle était une figure de Port-Royal, et qu’elle aurait pu servir de modèle à Philippe de Champaigne pour son portrait de la Mère Angélique. À présent je me demande si elle n’était pas aussi un personnage mauriacien, une de ces créatures marquées par la fatalité d’une disgrâce dans laquelle elles se complaisent. En lisant La Pharisienne – qui ne paraîtrait qu’en 1941 –, s’est-elle reconnue dans certaines phrases de Jean de Mirbel, le jeune héros ? Celui-ci, estimant qu’une seule petite difficulté avec sa fiancée anéantit les autres signes favorables, attribue à l’"inguérissable romantisme de la jeunesse" cette propension à se juger le plus malheureux du monde. "Il y avait en moi un je ne sais quoi qui avait écarté l’ange." L’ange : Angelo. Angelo Rossi avait beau compenser par sa générosité italienne l’abandon du mari, il ne savait pas qu’il était déjà, même victorieux, ‘écarté’, rabaissé. Liliane aurait pu faire sienne cette déclaration de Jean : "Comme nous l’avions dans le sang, cette croyance à une réprobation personnelle, à une vocation de solitude et de désespoir !" » (pp. 476-477)

Avec ses enfants, Irène et Dominique, Liliane va agir de telle sorte que Ramon apparaisse comme n’existant plus à ses yeux. Une sorte de pantomime de l’indifférence. Et pourtant, lorsque Ramon meurt, elle s’empresse. Et elle note dans son calepin, en des phrases comme d’habitude d’une concision quasi télégraphique, les faits et gestes, rien que les faits et gestes.
« "Dernière nuit : celle du 2 au 3 août 1944. Depuis la mi-juillet, je savais R. très malade. ‘Vie possible seulement comme un vieillard’, m’avait fait dire B. Il m’avait fait demander d’aller le voir, et j’y étais allée l’après-midi du 28. Quand je l’avais quitté, il m’avait encore, de la fenêtre, fait des signes d’amitié et d’adieu. Il était entendu que je reviendrais. Et voici qu’à minuit et demie, cette nuit-là, le téléphone sonne et la voix de mamé me dit que ‘tout est fini’. Une heure après, elle rappelle pour me demander d’apporter un drap, un drap pour l’ensevelir. Les enfants dorment et n’ont rien entendu." [Faux : ils feignaient de n’avoir rien entendu, pour ne pas montrer une souffrance qui lui eût révélé combien elle avait échoué à les détacher de leur père.] "Je ne sais que faire de moi et de mon chagrin" [et le nôtre, alors ?] "j’attends le jour dans une sorte de contemplation désespérée.
Il faut parler aux enfants en leur donnant à déjeuner. Leur silence, leur immobilité, et la violence d’Irène pendant que nous cherchons le drap.
Je vais chez lui vers dix heures, regarde ses belles mains croisées, demande à Betty la permission de passer la nuit prochaine près de lui. Nuit du 3 au 4 : je mets trois roses à ses pieds, touche le corps devenu cette chose de pierre, regarde les bulles monter entre les lèvres scellées. Il est seul, tout seul, dans le fracas des nouvelles qui ne l’atteignent plus. Lui, si vivant, si ‘gentil’ quand il ne buvait pas pour s’étourdir, si épris d’une sagesse que je n’ai pas su l’aider à conquérir ; lui qui m’a aimée.
Vers six heures du matin, mamé entre dans la chambre et me dit de m’en aller. Je mets un dernier baiser sur ses mains." » (pp. 793-794)

Autres notes sur le même livre :
Première
Troisième
Quatrième
Autres notes sur Fernandez :
Pise 1951
Avec Tolstoï

vendredi 24 avril 2009

Note de lecture : Dominique Fernandez (1)

Ramon
de Dominique Fernandez


PREMIÈRE NOTE*

Je n’ai pas envie d’être avare d’éloges : ce livre (1) est un chef-d’œuvre. Et à deux titres : d’abord, en ce qu’il confine à une certaine perfection ; ensuite, parce qu’il a toutes les apparences d’un ultime ouvrage venant parachever une œuvre entière.

Ce qui justifie de parler de perfection, c’est selon moi le chemin parcouru par Dominique Fernandez entre les écueils dressés sur sa route. Car parler de ses parents comme il le fait n’est pas sans risque. D’abord, il y a le problème de la place que se donne l’auteur lui-même. Ici, pas d’ego envahissant, pas de narcissisme, pas de vanité : le souci des faits, la compréhension des psychologies (sans psychologisme), l’opinion personnelle mesurée (quand et seulement quand il serait inapproprié de la taire). Et puis, il y a ce ton juste, à la fois sage et scrupuleux, avec lequel il parle de son père et de sa mère. Rien n’est occulté, rien n’est exagéré, tout est réfléchi. À cela s’ajoute une langue merveilleuse, sans faute et sans recherche. Et bien sûr une histoire tout à fait extraordinaire, mais dont il n’a pu – pour l’essentiel – que prendre acte.

Ultime ouvrage couronnant une œuvre entière ? Oui, parce que son rapport au père traîne dans certains de ses livres (j’en ai lu peu) et Ramon apparaît comme la solution à un problème dont les autres ouvrages sont pour partie le produit du problème (2). Lorsque Dominique Fernandez fut reçu à l’Académie française, il commença son discours par ces mots étonnants : « […] je vous demande d’accueillir avec moi l’ombre de quelqu’un qui avait plus de titres à prendre ma place, et à qui je dois d’être celui que je suis : Ramon Fernandez, mon père. » (3) Et ce père restera présent dans tout son discours, même lorsqu’il évoquera son prédécesseur en ces termes : « Jean Bernard, auquel je suis si fier et en même temps si intimidé de succéder, a intitulé un recueil de textes : Le Syndrome du colonel Chabert. Y est racontée, entre autres, l’histoire d’un architecte atteint d’un cancer des os, et auquel les médecins donnent deux ou trois ans de vie. Sa femme est partagée entre la douleur de le perdre bientôt et la nécessité d’organiser la vie de ses enfants et la sienne propre après le décès programmé. Or l’architecte guérit, mais ce n’est plus désormais, comme le colonel Chabert, qu’un vivant mort, car sa femme, ayant appris à le placer, en quelque sorte, dans un compartiment latéral, est comme gênée par son retour. Sa survie la dérange. Elle continue à l’aimer, certes, mais d’un amour posthume, que contredisent les dispositions pratiques qu’elle a prises. "Je n’existais plus pour elle", constate-t-il mélancoliquement. C’est un très beau texte, une très belle analyse des rapports complexes entre les inclinations de la vie sentimentale et les nécessités de la vie active. » (4) N’est-ce pas là Ramon, séparé de Liliane, laquelle agissait comme s’il n’existait plus ?

Tentons de cerner l’entreprise.

Il y a bien sûr un homme, Dominique Fernandez, et son souci de comprendre son père – sa mère aussi, d’ailleurs – ; ce qu’ils étaient, ce qu’ils pensaient, ce qu’ils ont fait. Mais cela aurait-il valu un livre – fût-ce d’un écrivain aussi talentueux – si Ramon et Liliane n’avaient été ceux qu’ils furent et s’ils ne l’avaient été au moment où ils l’ont été ? Car ce drame familial s’enchevêtre dans l’histoire de la France de la première moitié du XXe siècle, et plus particulièrement dans le milieu des intellectuels, bouleversé et divisé par la tourmente politique qui précéda la deuxième guerre mondiale.

Je suis né quelques mois après la fin de cette guerre. Tant et si bien que celle-ci fut mon horizon arrière, comme elle le fut sans doute pour nombre de ceux de ma génération. Mon enfance fut ainsi imprégnée d’opinions communes d’après-guerre, souvent plus implicites qu’explicites. Deux, parmi d’autres, me sont apparues depuis lors particulièrement erronées. D’abord, bien sûr, il y avait le silence fait sur la Shoah, qui voulait qu’on évoque Buchenwald plutôt qu’Auschwitz et des opposants en tout genre plutôt que des Juifs. Ensuite, il y avait ce manichéisme absolu qui séparait collabos et résistants, au gré des jugements des vainqueurs et des dominants. Si l’on a pu, depuis lors, corriger quelque peu cette vision partiale des choses, c’est parce qu’on a pu progressivement s’informer plus complètement, plus en détail. Car, en histoire surtout, la vérité est dans les détails.

Ce que Dominique Fernandez a entrepris, ce n’est rien d’autre que d’entrer dans le détail des choses, afin de tenter de comprendre son père. Et peu importe qu’il n’y soit pas vraiment arrivé. Car ce point qui reste aveugle – pourquoi Ramon Fernandez a-t-il fait allégeance à Jacques Doriot ? –, il l’a circonscrit de telle sorte que bien des aspects périphériques de cette question en sont à présent clarifiés.

Je peux difficilement nier que certaines des façons d’approcher les questions politiques qui sont propres à Dominique Fernandez (non à son père) – aussi discrètes qu’elles apparaissent dans le livre – sont de nature à susciter mon approbation. Et elles ne sont évidemment pas étrangères à l’attraction que l’ouvrage a exercé sur moi.

Ainsi, lorsqu’il cite cet extrait de la correspondance par laquelle George Sand signifia en octobre 1871 à son arrière-grand-père qu’elle préférait qu’il ne l’entretienne pas de politique :
« "Écrivez-moi sur un sujet littéraire, champêtre, tout ce qu’il vous plaira ; mais ne me posez pas une question de principes politiques. Je hais le sang répandu et je ne veux plus de cette thèse : ‘Faisons le mal pour amener le bien ; tuons pour créer.’ Non, non ; ma vieillesse proteste contre la tolérance où ma jeunesse a flotté… Il faut nous débarrasser des théories de 93 ; elles nous ont perdus. Terreur et Saint-Barthélemy, c’est la même voie… Maudissez tous ceux qui creusent des charniers. La vie n’en sort pas… Apprenons à être révolutionnaires obstinés et patients, jamais terroristes…" » (p. 79-80)

Ainsi aussi lorsqu’il cite Roger Stéphane qui, le 10 juin 1941, juste avant de s’engager dans la Résistance, écrit ceci :
« "Rien n’est plus difficile que de prendre position. Et cette situation est actuellement aggravée par l’absence de données réelles, vraies. En outre, il est en général possible de nuancer une opinion. C’est maintenant impossible. On est pour les Anglais et de Gaulle, ou pour les Allemands et Hitler. Je ne suis pas sûr que la cause des Anglais soit juste. Je ne suis pas sûr que la conception du monde pour laquelle lutte l’Angleterre ne soit pas désuète. Je ne suis pas sûr que les intérêts britanniques ne soient pas plus réactionnaires que les intérêts nazis. Je ne suis pas sûr qu’il faille, a priori, interdire à l’Allemagne d’essayer d’organiser l’Europe, entreprise grandiose, où on échoué, après 1918, la France et l’Angleterre. Ces interrogations, qui ne portent en elles aucun élément de réponse, doivent être posées." » (p. 625)

Et puis encore lorsqu’il cite et commente la Lettre aux Directeurs de la Résistance publiée en 1951 par Jean Paulhan :
« "Il n’est pas un des quatre cent mille Français qui se sont vus par la Libération exécutés, envoyés au bagne, révoqués, ruinés, taxés d’indignité nationale et réduits au rang de paria – il n’est pas un seul de tous ceux-là qui n’ait été frappé au mépris du Droit et de la Justice." Le principal argument de Paulhan : ces collaborateurs ont été jugés par d’autres collaborateurs, c’est-à-dire par ceux qui voulaient s’entendre, non avec l’Allemagne, mais avec la Russie – et dont beaucoup, comme Maurice Thorez, ont déserté et trahi la France, de 1939 à 1941. On ne fait pas juger un voleur par un jury de volés ; un bourreau, par un jury de victimes. Être juge et partie, c’est contraire à tous les principes de l’équité. Beaucoup de résistants, par leur soif de vengeance, "sont tombés plus bas que ceux-là mêmes qu’ils condamnaient". Quant à lui, s’il s’élève contre ces abus, c’est au nom de la même exigence de vérité qui l’a dressé contre Vichy et le pouvoir nazi, et rejeté dans la clandestinité. » (p. 693)

De même que lorsqu’il cite Étiemble :
« "En fait, ceux-là seuls, parmi les écrivains de la collaboration, nous paraissent inexcusables, qui ont prêché la haine du noir, du Juif, du ‘bico’, ou qui, soit par délation, soit par appel au meurtre collectif, sont responsables d’un patriote, un seul, assassiné, d’un Juif, un seul, expédié aux camps de la mort." » (pp. 693-694)

Dominique Fernandez – comment ne pourrais-je à nouveau approuver ? – imagine les reproches que Ramon, encore vivant dans les années 50, aurait pu formuler :
« "J’accepte le verdict prononcé contre moi. Mais je proteste contre l’indulgence accordée à d’autres. Ils n’ont même pas eu besoin d’être acquittés, n’ayant jamais été inquiétés." Qui : ils ? Mais ceux qui tiennent alors le haut du pavé. Et d’abord, le premier d’entre eux, Jean-Paul Sartre. Sartre, sans doute pour se faire pardonner d’avoir fait jouer à Paris, en pleine Occupation, avec l’agrément de la censure allemande, Les Mouches et Huis clos, a épinglé plusieurs fois mon père, après guerre, tantôt le classant, avec Céline, Drieu, Chardonne et d’autres, parmi les "traîtres ou suspects" (Qu’est-ce que la littérature ? dans Situations II, 1948), tantôt se moquant du critique qui avait inventé la notion de "messages" pour justifier que l’écrivain se détourne de l’engagement (ibid.), tantôt raillant celui qui avait abandonné le parti communiste pour le PPF par amour des trains qui partent, revirement "typique des forces de désintégration qui travaillent dans les zones marginales de la bourgeoisie"(Qu’est-ce qu’un collaborateur ? dans Situations III, 1949). Mais cet implacable censeur, ne pourrait-on ouvrir son dossier ? De 1952 à 1956, n’a-t-il pas couvert de son prestige les abominations perpétrées en URSS ? Ne s’est-il pas dépensé (lui aussi) en meetings, discours et articles, à la gloire du pays du goulag ? En décembre 1952, revenant de Vienne, où, salué triomphalement par les medias, il a participé au Congrès des Peuples pour la Paix, le voici pérorant à la tribune du Vel’ d’Hiv’ (lui aussi) et soutenant que "ce que nous avons vu à Vienne, ce n’est pas seulement un Congrès, c’est la Paix. Nous avons vu ce que la Paix pourrait être". Bien pis : en 1954, rentrant d’un voyage en URSS, où il a été l’objet d’autant de délicates prévenances et gâteries que les collabos dans l’Allemagne de 1941, promené, loué, gavé au milieu des affamés, il livre à Libération cette courageuse confidence : "La liberté de critique est totale en URSS. Le contact est aussi large, aussi ouvert, aussi facile que possible." En quoi Sartre a-t-il été plus clairvoyant sur l’horreur soviétique que mon père sur l’horreur nazie ? En quoi s’est-il montré moins servile envers ses hôtes communistes que mon père envers ses hôtes national-socialistes ? Les millions de déportés en Sibérie ne pourraient-ils lui demander les mêmes comptes que les millions de gazés d’Auschwitz à mon père ? Où est la différence de responsabilité, de culpabilité, sinon dans la position respective de chacun sur l’échelle du pouvoir ? » (pp. 663-664)
Le même Sartre qui ne craint pas d’affirmer : « "Un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais." (Situations IV). » (p. 419)

Sartre n’est évidemment pas seul à être blâmé.
« Remontons plus haut : André Malraux n’a-t-il pas cautionné, dans les années 30, la construction du canal de la mer Blanche ? […] Nous avons là-dessus le témoignage de Chostakovitch, accompagné d’un commentaire que devraient méditer tous les complices, involontaires ou non, des régimes totalitaires. Le compositeur était accusé de n’avoir pas toujours résisté avec assez d’énergie au pouvoir stalinien. Indignation de Chostakovitch (voir les "propos" recueillis par Solomon Volkov, Albin Michel, 1980) : "C’est à moi qu’on demande : ‘Pourquoi as-tu signé telle ou telle déclaration ?’ Mais a-t-on jamais demandé à André Malraux pourquoi il a glorifié la construction du canal de la mer Blanche, où des milliers et des milliers d’hommes ont péri ? Non, personne ne le lui a demandé." […] Que penser aussi de Romain Rolland, injuriant Gide après le Retour d’URSS […] Ou d’Aragon, qui écrivait en 1936 que la Constitution stalinienne était un chef-d’œuvre de la culture humaine, éclipsant Shakespeare, Goethe, Pouchkine et Rimbaud ? Selon le poète de La Diane française, ces pages sublimes résumaient le labeur et exprimaient la joie de cent soixante millions d’êtres humains, guidés par la sagesse et le génie de Staline (Commune, numéro d’août). À la libération, Aragon devint le chef des épurateurs et réclama vengeance contre ceux qu’il déclarait complices de crimes contre l’humanité. » (pp. 664-666)

Si j’insiste sur ces passages – d’une manière que certains jugeront peut-être lourde à l’excès – c’est que, avant même de se pencher sur le cas de Ramon Fernandez, il est indispensable de retrouver une juste mesure des fautes de chacun, une mesure fondée sur les crimes, les complicités de crimes, les exaltations de crimes, et non sur les engagements politiques, et moins encore sur l’absence d’engagement politique. C’est surtout qu’il faut se garder des jugements partiaux, aveugles et sommaires des vainqueurs, comme des mensonges et des silences de ceux que les circonstances dans lesquelles la guerre froide a pris fin ont subrepticement absous.

* La longueur exceptionnelle de mes commentaires sur ce livre (et aussi des extraits reproduits) me conduit à les scinder en plusieurs notes.
(1) Dominique Fernandez, Ramon, Grasset & Fasquelle, 2008.
(2) J’espère bien sûr que Dominique Fernandez écrira encore. Il y a, dans Ramon, plusieurs phrases qui donnent à penser à ce sujet ; ainsi, alors qu’il parle du dernier livre de son père, il généralise comme suit : « Le dernier livre d’un écrivain n’est pas forcément son meilleur, et il serait même erroné de le considérer comme son testament » (p. 766).
(3) Extrait du discours de réception à l’Académie française de Dominique Fernandez, prononcé le 13 décembre 2007 (cf. page Internet http://academie-francaise.fr/immortels/discours_reception/fernandez.html)
(4) Ibid.

Autres notes sur le même livre :
Deuxième
Troisième
Quatrième
Autres notes sur Fernandez :
Pise 1951
Avec Tolstoï

jeudi 16 avril 2009

Note de lecture : Montaigne et la vieillesse

Le chapitre « De l’aage » des Essais
de Montaigne


Si, dans l’œuvre de Montaigne, la vieillesse et la mort sont très présentes, il n’en va pas de même de la longévité de l’homme qui se traite en trois petites pages (1). Voilà un sujet qui occupe bien davantage les esprits aujourd’hui, alors que la progression de la longévité en a fait une préoccupation proche quelquefois de l’obsession.

Il y a dans ce chapitre des Essais trois idées principales. D’abord, que les sages se contenteraient d’une durée de vie plus courte que celle à laquelle aspire le commun des mortels. Ensuite, que la mort est toujours naturelle quel que soit l’âge auquel elle survient. Enfin, que les mérites de la jeunesse sont insuffisamment reconnus au regard des faiblesses de l’âge. Et la plus intrigante de ces trois idées, c’est bien la deuxième, du moins de la façon dont elle est exprimée.
« Quelle resverie est-ce de s’attendre de mourir d’une défaillance de forces, que l’extreme vieillesse apporte, et de se proposer ce but à nostre durée : veu que c’est l’espece de mort la plus rare de toutes, et la moins en usage ? Nous l’appelons seule naturelle, comme si c’estoit contre nature, de voir un homme se rompre le col d’une cheute, s’estoufer d’un naufrage, se laisser surprendre à la peste ou à une pleurésie, et comme si nostre condition ordinaire ne nous presentois à tous ces inconvenients. Ne nous flattons pas de ces beaux mots : on doit à l’aventure appeler plustost naturel, ce qui est general, commun, et universel. Mourir de vieillesse, c’est une mort rare, singulière et extraordinaire, et d’autant moins naturelle que les autres : c’est la dernière et extreme sorte de mourir : plus elle est esloignée de nous, d’autant est elle moins esperable : c’est bien la borne, au-delà de laquelle nous n’irons pas, et que la loi de nature a prescript, pour n’estre point outre-passée : mais c’est un sien rare privilege de nous faire durer jusques là. C’est une exemption qu’elle donne par faveur particuliere, à un seul, en l’espace de deux ou trois siècles, le deschargeant des traverses et difficultez qu’elle a jetté entre deux, en cette longue carriere. » (p. 345)

Je voudrais m’arrêter un instant sur la notion de nature, telle que Montaigne semble la concevoir. C’est là, en fait, une question très difficile, à laquelle je m’attaque avec beaucoup de témérité. D’autant que je ne me suis pas donné le temps d’en étudier méthodiquement le sens (ou les sens divers) tout au long des Essais. Je ne hasarde donc ici que quelques hypothèses mal étayées.

Avant toute chose, je crois utile de rappeler qu’il serait vain de définir une théorie de la nature chez Montaigne, comme d’ailleurs une quelconque théorie sur quoi que ce soit. Sa pensée n’est pas théoricienne ; elle va par « sauts et gambades » et se garde bien de hiérarchiser les problématiques. Reste qu’il est possible – et même nécessaire – de s’interroger sur le sens des concepts qu’il utilise, fût-ce pour en cerner les variations selon les sujets.

Dans l’adresse « AU LECTEUR » qui ouvre les Essais, Montaigne, parlant de son livre, écrit : « Je veux qu’on m’y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c’est moy que je peins. » (p. 27) Sa « façon […] naturelle », qu’est-ce donc ? On pourrait dire que c’est quand il ne se surveille pas, quand il est « simple », quand il est « ordinaire ». Ce que ce n’est pas ? Lui, lorsqu’il s’observe par « estude » ou par « artifice ». Voilà une frontière très communément évoquée, celle que suppose l’expression (inspirée d’Horace) : "chassez le naturel, il revient au galop". Mais c’est aussi une frontière qu’il est très embarrassant de tenter de définir. Car enfin, qui sépare-t-elle ? En fait, elle ne sépare personne, puisqu’il ne s’agit que de deux modes d’être dont on croit discerner la nature différente. Il y aurait en chacun de nous une façon d’être qui n’est pas notre fait, qui s’impose en quelque sorte à nous, par opposition à une façon d’être que notre volonté choisit. Illusoire liberté de celle-ci ; illusoire détermination de celle-là ! C’est ce que j’aime appeler des illusions nécessaires. Car qui peut prétendre être en mesure de s’en passer ? La frontière, elle, reste en tout cas incertaine.

Jusque-là, Montaigne ne s’écarte pas du sens commun. Mais il va bientôt en dire plus. Ainsi, par exemple, dans le chapitre III du Livre I, "Nos affections s’emportent au-delà de nous", il confère à la nature un pouvoir quasi intentionnel. Comme dans ce passage :
« Ceux qui accusent les hommes d'aller tousjours beant apres les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là : comme n'ayants aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : s'ils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez d'autres, cette imagination fausse, plus jalouse de nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes tousjours au delà. » (2)
Voici la nature qui nous achemine vers quelque chose et nous contraint. Au point qu’il est douteux que l’on puisse parler d’erreur chez celui qui lui obéit. Mais ce n’est pas de la nature de la nature (si je puis dire) de se faire contraignante. Bien au contraire. Ainsi, dans ce passage du chapitre X du Livre I :
« Je cognois par experience cette condition de nature, qui ne peut soustenir une vehemente premeditation et laborieuse : si elle ne va gayement et librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d'aucuns ouvrages qu'ils puent à l'huyle et à la lampe, pour certaine aspreté et rudesse, que le travail imprime en ceux où il a grande part. »
La nature, ici, mérite d’être laissée libre d’agir. Et lorsqu’on la contraint par « l’estude » ou « l’artifice », il en résulte « aspreté et rudesse ». Que penser en définitive ? Et bien « A la verité en toutes choses si nature ne preste un peu, il est mal-aysé que l'art et l'industrie aillent guiere avant. » (chapitre XIX, Livre I)

Tout cela est-il conciliable avec la définition – car en l’espèce on peut pratiquement parler de définition – que Montaigne donne de la nature dans l’extrait du chapitre LVII du Livre I cité ci-dessus ? « […] on doit à l’aventure appeler plustost naturel, ce qui est general, commun, et universel », écrit-il. Voilà à présent que la nature se révèle par la fréquence de ses manifestations. Cela fait immanquablement penser à ces homophobes qui affirment que l’attirance envers le même sexe n’est pas naturelle et qui en donnent pour preuve sa prétendue rareté ou même sa prétendue absence chez les animaux. En l’espèce, Montaigne veut montrer le ridicule qu’il y a à prétendre naturelle une forme de mort très rare. Il aurait abouti au même résultat s’il avait eu l’audace de suggérer que toutes les morts sont indistinctement naturelles car tout ce qui arrive à l’homme, lui-même inscrit dans la nature, peut être dit naturel. Mais il aurait alors invalidé ces illusions nécessaires qui lui permettent de distinguer les penchants et les inclinations des choix et des résolutions.

Il y a une autre question – peut-être plus importante – qui se pose. Et Dieu dans tout ça ? (3) La nature, à laquelle l’homme doit d’être en bonne partie ce qu’il est, s’identifie-t-elle au Créateur. Ou ne serait-elle que la chose créée d’un coup et poursuivant sur sa lancée (contre ce qui sera l’idée de Descartes et selon ce qui sera l’idée de Leibniz) ? Ou encore serait-elle autre chose que Dieu et sans rapport avec Lui ? Cela vaut la peine d’aller jeter un coup d’œil dans l’"Apologie de Raimond de Sebonde" (chapitre XII du Livre II).

Il y a ceci :
« Mais ce n'est pas à dire, que ce ne soit une tresbelle et treslouable entreprinse, d'accommoder encore au service de nostre foy, les utils naturels et humains, que Dieu nous a donnez. »
Là, le naturel et l’humain sont clairement distingués, comme si il n’y avait pas de naturel humain, de nature humaine. À moins que seule soit humaine en l’homme cette liberté que Dieu lui a donnée, le reste n’étant que son enveloppe charnelle et naturelle. On pense à présent à Thomas d’Aquin.
Mais il y a aussi ceci :
« Le neud qui devroit attacher nostre jugement et nostre volonté, qui devroit estreindre nostre ame et joindre à nostre Createur, ce devroit estre un neud prenant ses repliz et ses forces, non pas de noz considerations, de noz raisons et passions, mais d'une estreinte divine et supernaturelle, n'ayant qu'une forme, un visage, et un lustre, qui est l'authorité de Dieu et sa grace. »
Dieu serait donc supernaturel, surnaturel dirions-nous aujourd’hui. Et ce ne serait ni la nature, ni ce qu’il y a d’humain en nous – la raison par exemple – qui importerait le plus.
« Nature a embrassé universellement toutes ses creatures : et n'en est aucune, qu'elle n'ait bien plainement fourny de tous moyens necessaires à la conservation de son estre. »
Voilà les cartes à nouveau brouillées. Car, sauf à prétendre que l’humain de l’homme n’est pas de ces « moyens necessaires à la conservation de son estre », il faut bien que cette fois tout vienne à l’homme de la nature et rien de Dieu.
Et lorsqu’il faut s’interroger sur ces animaux et ces hommes si différents de nous et assurément dans l’ignorance de Dieu :
« Nous admirons et poisons mieux les choses estrangeres que les ordinaires : et sans cela je ne me fusse pas amusé à ce long registre : Car selon mon opinion, qui contrerollera de pres ce que nous voyons ordinairement es animaux, qui vivent parmy nous, il y a dequoy y trouver des effects autant admirables, que ceux qu'on va recueillant és pays et siecles estrangers. C'est une mesme nature qui roule son cours. Qui en auroit suffisamment jugé le present estat, en pourroit seurement conclurre et tout l'advenir et tout le passé. J'ay veu autresfois parmy nous, des hommes amenez par mer de loingtain pays, desquels par ce que nous n'entendions aucunement le langage, et que leur façon au demeurant et leur contenance, et leurs vestemens, estoient du tout esloignez des nostres, qui de nous ne les estimoit et sauvages et brutes ? qui n'attribuoit à stupidité et à bestise, de les voir muets, ignorans la langue Françoise, ignorans nos baise-mains, et nos inclinations serpentées ; nostre port et nostre maintien, sur lequel sans faillir, doit prendre son patron la nature humaine ? »

Oserais-je conclure ? Dieu me semble souvent de trop, chez Montaigne. Ô il faut y croire, il faut en admettre le rôle : sommital. La tradition, toujours respectable, l’impose. Mais l’explication passe essentiellement par la nature, seule véritable vis-à-vis de la liberté humaine. Bien sûr, il s’agit d’une nature quelque peu animiste, bien intentionnée, symbole de vérité. Ce concept va connaître dans les siècles suivants un succès considérable. C’est au XVIe qu’il est ressuscité de ses cendres antiques, nouvel avatar de la phusis des présocratiques.

(1) Michel de Montaigne, Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, pp. 344-347.
(2) Je ne donne pas d’autre référence que le chapitre et le livre de cet extrait des Essais et des suivants, car je les ai retrouvés grâce à la version électronique de l’œuvre que l’on trouve sur Internet, ici : http://www.bribes.org/trismegiste/
(3) Petit coq à l’âne : Et Dieu dans tout ça ? est le titre d’une émission de radio diffusée sur la chaîne Première de la RTBF (Belgique) et qui s’affirme un magazine des philosophies et des religions. Voilà un titre qui vaut prise de position et qui dément d’emblée l’« esprit d’ouverture philosophique » dont l’animateur, Jean-Pol Hecq, se revendique pourtant.

Autres notes sur Montaigne :
Le chapitre "Des Boyteux" des Essais
Le chapitre « Des coches » des Essais
Le chapitre « De la liberté de conscience » des Essais
Les chapitres « Des vaines subtilités » et « De l’art de conférer » des Essais
Montaigne. Des règles pour l’esprit de Bernard Sève
Le chapitre « De mesnager sa volonté » des Essais
Montaigne et son temps de Géralde Nakam
Le chapitre « Des mauvais moyens employez à bonne fin » des Essais
Le chapitre « De trois bonnes femmes » des Essais
Montaigne de Stefan Zweig
« Témoin de soi-même ? Montaigne et l’écriture de soi » de Bernard Sève
Le chapitre « De ne contrefaire le malade » des Essais
« Montaigne, les cannibales et les grottes » de Carlo Ginzburg
Le chapitre “Sur des vers de Virgile” des Essais
Le chapitre “Sur la solitude” des Essais
Le chapitre “De juger de la mort d’autruy” des Essais
Le chapitre “De l’utile et de l’honneste” des Essais
Le chapitre “Sur la physionomie” des Essais
De Montaigne à Montaigne de Lévi-Strauss
Le chapitre “Nos affections s’emportent au delà de nous” des Essais
Le chapitre “Apologie de Raimond de Sebonde” des Essais de Montaigne
Le chapitre “Sur la ressemblance des enfants avec leurs pères” des Essais

lundi 6 avril 2009

Note de lecture : Colette

L’ingénue libertine
de Colette


Au départ, il y avait une nouvelle, Minne, et un roman, Les égarements de Minne. À en croire Colette elle-même, la première était entièrement de son cru, alors que le second lui fut imposé par Willy. Quoi qu’il en soit, nous ne connaissons plus le tout que sous sa forme fusionnée qui s’intitule L’ingénue libertine (1).

L’œuvre comporte toujours deux parties, mal assemblées. Dans la première, on voit Minne, jeune fille farouche et imaginative, s’inventer un amour impossible en la personne d’un petit truand, pour lequel elle fuguera lamentablement. Dans la deuxième, on assiste à la quête de la jouissance sexuelle par la même Minne.

« Minne ne s’endort jamais tout de suite. Elle entend, au-dessous d’elle, Maman fermer le piano, tirer les rideaux qui grincent sur leurs tringles, entrouvrir la porte de la cuisine pour s’assurer qu’aucune odeur de gaz ne filtre par les robinets du fourneau, puis monter à pas lents, tout empêtrée de sa lampe, de sa corbeille à ouvrage et de sa jupe longue.
Devant la chambre de Minne, Maman s’arrête une minute, écoute… Enfin, la dernière porte se ferme, on ne perçoit plus que des bruits étouffés derrière la cloison…
Minne est étendue toute raide dans son lit, la nuque renversée, et sent ses yeux s’agrandir dans l’ombre. Elle n’a pas peur. Elle épie tous les bruits comme une petite bête nocturne, et gratte seulement le drap avec les ongles de ses orteils.
Sur le rebord en zinc de la fenêtre, une goutte de pluie tombe de seconde en seconde, lourde et régulière comme le pas du sergent de ville qui arpente le trottoir.
"Il m’agace, ce sergent de ville ! songe Minne. À quoi ça peut-il servir, des gens qui marchent si gros ?
[…]" » (p. 674)
Voilà un passage qui aurait eu sa place dans une de ces anthologies de la belle écriture, comme on en avait dans les écoles, au temps où je les fréquentais. Et sans doute aurais-je dû l’écrire sous la dictée, en sorte que j’apprenne l’orthographe dans l’écrin d’une langue littéraire. N’allez surtout pas croire que j’ironise ! Bien au contraire, c’est un peu de nostalgie qui me conduit à cette évocation. Il y avait et il y a toujours un usage maîtrisé du mot qui vaut toutes les sincérités.

L’ingénue libertine révèle une écriture pleine d’assurance, mais sans doute un peu trop assurée de son talent. Des facilités traînent par ci par là. Ainsi, « Dehors, un crépuscule de printemps mélancolise l’avenue » (p. 783). Ou des répétitions inutiles, comme celles de ces « deux petites salières attendrissantes ». Et même des maladresses. Alors que le baron Couderc s’émeut de voir Minne se dévêtir, Colette écrit : « la palpitation de son cœur rendait ses amygdales grosses et douloureuses » (p. 738) ! Que faut-il comprendre ?

Il y a cependant au moins deux choses qui transparaissent de ce livre comme des autres livres de Colette, c’est son goût pour une certaine forme de domination et c’est le rapport étrange qu’elle entretient avec le mensonge.

Côté domination, on ressent très vite qu’à travers ses principaux personnages, elle exprime un désir de maîtrise des autres qui lui est très personnel. Il y a quelque chose de fascinant dans sa façon d’ignorer les lieux et les modes de pouvoirs réservés aux hommes – tels la politique, par exemple – et de s’assurer un ascendant sur les personnes qu’elle côtoie. Même dans l’amour – surtout peut-être dans l’amour –, elle prétend façonner l’autre jusqu’à ce qu’il soit conforme à ce qu’elle juge digne d’être aimé. Et lorsqu’elle subit un charme, c’est toujours quelque chose dont le détenteur n’est guère conscient et, en tout cas, qu’il ne lui impose pas. Quant aux mâles vainqueurs, tels Renaud ou Maugis, elle n’en supporte l’autorité qu’à la mesure de l’appétit qu’elle a d’être elle-même dominée. Là, je confonds bien sûr personnages et auteure, ce qu’il faudra certainement nuancer ultérieurement. Reste qu’on peut se demander si, lorsqu’elle pousse la méchanceté entre Minne et l’oncle Paul jusqu’au chef-d’œuvre, elle ne satisfait pas sa propre férocité.
« L’oncle Paul est affreux à voir. Sa tête en buis durci fait peur, cette tête de missionnaire qu’on a un peu scalpé, un peu brûlé, un peu laissé mourir de faim dans une cage au soleil. Ratatiné dans un fauteuil, il joue à cache-cache avec la mort, au milieu d’une chambre peinte à la chaux, gardé par une infirmière qui a l’air d’une vache blonde. Il accueille ses enfants sans parler, tend une main desséchée et attire exprès Minne vers son crâne nu, heureux de la sentir raidie et prête à crier.
Ils se comprennent admirablement, elle et lui, par-dessus Antoine. Minne, par ses yeux noirs, fixes et grands, lui souhaite la mort ; lui, la maudit à toute minute, silencieusement, l’accuse en toute injustice d’avoir fait mourir Maman de chagrin et de rendre son fils très malheureux…
Elle lui demande de ses nouvelles, d’une voix ralentie. Il trouve un souffle pour la complimenter de sa robe gris d’argent. S’ils vivaient dans la même maison, on ne sait pas ce qui pourrait se passer.
Aujourd’hui, l’oncle Paul s’amuse à retenir Minne longtemps.
"Ce n’est pas tous les jours le premier janvier", articule-t-il en suffocant.
Il provoque et prolonge, en respirant très fort, une quinte de toux, dont les nausées finales font blanchir et frémir les joues de Minne. Quand il a repris haleine, il donne des détails minutieux sur ses fonctions naturelles, et surprend avec bonheur le regard révolté de sa belle-fille. Puis il rassemble ses forces et commence lentement à parler de la mort de sa sœur…
Cette fois, c’est un vain gaspillage d’énergie : Minne, qui se sent tout à fait innocente du trépas de Maman, écoute sans remords, se détend peu à peu, trouve un mot, un sourire triste et tendre… "Elle est bien forte !" se dit le moribond, indigné. Et, lassé du jeu, il met fin à la visite.
Dehors, sous la nuit piquante et glacée, Minne a envie de danser. Elle donne un nickel à un pauvre, prend le bras d’Antoine, et pense, généreuse en sa joie d’évadée : "Si Jacques Couderc était là, ma parole, je l’embrasserais !"
» (pp. 771-772)
Ne dirait-on pas du Balzac, dans Le cousin Pons, par exemple ? Si ce n’est que Colette n’entreprend pas, mais alors pas du tout, la Comédie humaine.

Côté mensonge, chaque livre de Colette apporte, au détour d’un chapitre, l’un ou l’autre élément de plus à l’écheveau que constitue la conception complexe qu’elle s’en fait.
« L’amour d’Antoine ignore la supercherie, comme la modération. Sa tendresse le fait trop tendre, et trop gai sa gaieté, et trop soucieux son souci. Peut-être n’y a-t-il pas d’autres barrières, entre elle et lui, que ce besoin – "cette manie", dit Minne – d’être sincère et sans détour ?... Un jour, l’oncle Paul, le père d’Antoine, a dit à son fils devant Minne : "Il faut se défier de son premier mouvement ! – Oh ! c’est bien vrai", a répondu Minne docile, achevant en elle-même : "… surtout les gens qui ne mentent pas spontanément. Ce sont des paresseux qui ne se donnent même pas la peine d’arranger un peu la vérité, quand ce ne serait que par politesse, ou bien pour intriguer…"
Antoine est un de ces incorrigibles. Il s’écrie vers Minne, à chaque instant : "Je t’aime !" Et c’est vrai. C’est vrai d’une manière absolue, sans nuances, pour toujours.
"Où irions-nous ? philosophait Minne, si, usant du même procédé d’affirmation, je m’exclamais avec une conviction égale à la sienne : "Je ne t’aime pas !"
» (p. 744)
Ajoutons à cela que c’est cependant le même Antoine qui – d’une façon dont je laisse à chacun le soin de juger de la vraisemblance – finira enfin par mener Minne à la volupté.

(1) Colette, Œuvres I, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, éd. dir. par Claude Pichois, 1984, pp. 669-825.

Autres notes sur Colette :
Claudine à l’école
Claudine à Paris
Claudine en ménage
Claudine s’en va
La retraite sentimentale
Les vrilles de la vigne

jeudi 2 avril 2009

Note de lecture : Michel Foucault (5)

Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II
de Michel Foucault


CINQUIEME ET DERNIERE NOTE

Leçon du 21 mars 1984

Dans cette leçon du 21 mars, Foucault poursuit ses réflexions sur les quatre significations de la vérité : ce qui est non dissimulé, ce qui ne reçoit aucune addition, ce qui est droit et ce qui est immuable et souverain. Et il formule à cette occasion des considérations qui ne manquent pas d’intérêt sur chacune d’elles, même s’il force quelquefois la démonstration.

Ainsi, lorsqu’il prétend établir de quelle façon le cynique est un roi à bien des égards supérieur au roi Alexandre, il puise chez Dion Chrysostome pour caractériser le sage cynique comme « celui qui n’a besoin de rien », qui « est issu directement de Zeus » qui « n’a ni défauts ni vices » et « qui ne cessera jamais d’être roi » (pp. 254-255).

Pourtant, le Diogène décrit par Dion Chrysostome est moins parfait qu’il ne le prétend. Dans la longue conversation entre Diogène et Alexandre que Dion Chrysostome rapporte (ou invente), on trouve en effet ceci : « "Dis-moi tout de même : tu es bien cet Alexandre dont on dit qu’il est un bâtard ?" À ces mots, le roi se mit à rougir et à sentir la colère monter en lui, mais il se maîtrisa, et il se prit à regretter d’avoir daigné entrer en conversation avec ce qu’il crut être un personnage grossier et un fanfaron. Mais Diogène saisit parfaitement son trouble intérieur, et il fit mine de changer son jet, comme font les joueurs de dés. Quand Alexandre lui demanda : "D’où t’es venue l’idée de m’appeler un bâtard ?" Diogène répliqua : "De quelle source je la tiens ? Mais j’apprends que ta propre mère dit ça de toi-même. N’est-ce pas Olympias qui raconte que tu n’es pas issu de Philippe mais bien d’un dragon ou d’Ammon ou de je ne sais quel dieu, demi-dieu ou quelque bête sauvage. Quoi qu’il en soit, tu serais bien ainsi un bâtard." Là-dessus, Alexandre sourit et il fut plus charmé que jamais : il lui parut que Diogène n’était pas du tout un personnage grossier, mais que, tout au contraire, il était le plus adroit des hommes et le seul capable de décerner un compliment. » (1) On peut beaucoup discuter sur le sens de ce passage et sur le jeu qu’y jouent les protagonistes, ce qui réclame bien sûr d’en lire davantage, le dialogue étant aussi long qu’est courte l’idée habituelle qu’on s’en fait. En toute hypothèse, il est très malaisé d’y reconnaître le cynique dont Foucault nous parle. Car, devant Alexandre, le Diogène de Dion Chrysostome – ne serait-ce qu’épisodiquement, et ne serait-ce que dans un but pédagogique (2) – est « désireux […] de gagner sa faveur » (3)

Je m’abstiendrai de commenter le thème de la vie philosophique comme militance. Il serait trop aisé de montrer à quel point il y a là un énorme anachronisme. Bien des philosophes du XXe siècle ont ainsi succombé à la tentation de réconcilier l’inconciliable pour faire tenir debout leurs propres intuitions. Sartre fut sur ce point un incomparable équilibriste.

En fait, la question fondamentale que pose le travail de Foucault me paraît être : est-il légitime de défendre une doctrine philosophique en la présentant comme héritière des conceptions anciennes, dès lors qu’on ne s’astreint pas à un travail serré de critique historique ? Il admet facilement que le portait du cynique livré par Épictète « n’est, en aucune manière, une représentation historique exacte de ce que fut la vie cynique. Il ne peut absolument pas être considéré comme l’exposition claire et cohérente des principes généraux de la vie cynique. C’est un mixte, mixte doctrinal et mixte pratique. » (p. 289) Que dire alors du portrait du cynique que Foucault lui-même nous dessine ?

Leçon du 28 mars 1984

Dans la dernière leçon, Foucault revient sur la parrêsia, cynique principalement et chrétienne un peu.

Repartant de l’idée de la souveraineté du cynique, il explique qu’elle fonde, selon lui, « une modalité de vie bienheureuse » (p. 282). Et citant Épictète, il insiste sur le fait que le cynique « accepte d’être conduit par Zeus » (p. 282) (ce qui est incontestablement une vision très stoïcienne du cynisme). Puis il en vient à cette autre conséquence de la souveraineté du cynique, à savoir la fonction de vérédiction, laquelle emprunterait trois chemins différents.

Première voie : « le rapport à la vérité est un rapport immédiat, un rapport de conformité dans la conduite, de conformité même à la vérité dans le corps » (p. 283). Oui, là il me semble avoir parfaitement raison : l’exercice de la vertu a un lien étroit avec la vérité, celle qu’implique le refus du mensonge.

Deuxième voie : « La vie cynique doit comporter aussi une exacte connaissance de soi » (p. 284). Oui, s’il s’agit de l’effort fait pour démêler le vrai du faux à son propre égard et à condition, selon moi, que l’hypothèse de l’erreur ne soit jamais abandonnée (ce qui, une fois de plus, est plus stoïcien que cynique).

Troisième voie : « ce rapport à la vérité […] est [aussi] un rapport de surveillance à l’égard des autres » (p. 285). Et « en s’occupant des autres, le cynique doit en fait s’occuper de ce qui, chez les autres, relève du genre humain en général » (p. 286). À noter que, à l’occasion de l’explicitation de cette troisième voie, Foucault insiste sur le fait que cet intérêt pour autrui ne doit pas être compris comme une indiscrétion (polupragmosunê), ce qui contredit d’une certaine manière la négation de toute idée d’indiscrétion, telle qu’elle ressortait de son interprétation de la nudité diogénienne.

La conclusion que Foucault en tire, c’est que cette surveillance – de soi-même comme des autres – « a pour fin un changement » (p. 287) Ainsi, il revient somme toute, sans le dire, à l’idée de militance : « le cynique change la valeur de cette monnaie et fait apparaître que la vraie vie ne peut être qu’une vie autre, par rapport à ce qui est la vie traditionnelle des hommes, philosophes compris. » (p. 288) Ce qui pose l’éternelle question des utopies : que deviennent l’altérité, l’opposition, le contrepied, après l’avènement d’Utopia ?

La notion de parrêsia, telle qu’elle sera évoquée par les chrétiens, et notamment par le courant ascète du christianisme, doit certainement beaucoup au cynisme, mais en altère aussi très profondément les significations, notamment en raison de la place et la forme prises par le rapport à soi et le rapport à Dieu au sein de la foi. Foucault en esquisse rapidement certains traits que je vais m’épargner de commenter.

* * *


Jetant un rapide regard sur ce que j’ai dit jusqu’ici au sujet du dernier cours de Foucault – tout au long de cinq notes –, je me rends compte que cela confine au charabia. Voilà pourquoi je crois utile de tenter à présent de revenir brièvement à l’essentiel.

Je dois avant tout préciser que je ne suis pas un spécialiste en philosophie, pas plus d’ailleurs qu’en histoire, et moins encore un spécialiste de Foucault. Avant le présent livre, je n’ai lu de manière attentive que son Histoire de la folie à l’âge classique et de manière distraite des extraits d’autres livres et des articles. En fait, je n’ai jamais éprouvé un grand intérêt pour son œuvre que j’ai toujours regardée – peut-être à tort – comme de la philosophie philosophante. L’Histoire de la folie à l’âge classique, lue il y a plus de trente ans, m’avait déjà laissé l’impression d’un penseur intuitif qui, pour confirmer ses intuitions, n’hésitait pas à secouer l’histoire jusqu’à ce qu’il en tombe les confirmations attendues. Ce qui m’a conduit à lire Le courage de la vérité, c’est la parrêsia, concept qui retient mon intérêt et que je savais central dans le livre.

En l’occurrence, Foucault avance une idée essentielle, à savoir que le mode de vie vaut au moins autant que l’idée de la vie et qu’il existe un mode qui permet à l’homme d’entretenir avec lui-même un rapport de vérité. Ainsi, la vraie vie serait celle qui, traduite dans le comportement, amènerait au dire-vrai, c’est-à-dire à une expression de soi dégagée de tous les conditionnements et de tous les intérêts. Le parallèle avec le cynisme antique s’impose, bien évidemment, même si la parrêsia diogénienne me semble assez éloignée du dire-vrai foucaldien.

On pourrait penser que Foucault s’aventure ainsi sur un terrain plus sociologique que philosophique, dans la mesure où le mode de vie – même dans le cas extrême de l’ermite – doit beaucoup à sa nature sociale (il ne semble d’ailleurs pas accorder une importance décisive aux spécificités disciplinaires, ce en quoi il n’a pas entièrement tort, même si celles-ci ont un rapport décisif avec les méthodes de recherche). Mais ce serait faire peu de cas du climat spiritualiste dans lequel il s’exprime. Le mode de vie, c’est pour lui une esthétique de l’existence, ce qui est bien plus que des pratiques dont rendrait compte l’observation anthropologique. Et on saisit toute l’importance qu’il accorde à cette spiritualité (4), dès lors qu’on le voit s’efforcer d’établir – à mon sens de manière un peu vaine – une alternative au sein du discours socratique entre la métaphysique à laquelle ouvre le concept d’âme et la spiritualité du dire-vrai inaugurée par le souci de soi. À force de vouloir faire parler l’ineffable, on finit par ériger en vérité décisive l’abstraction de l’abstraction. Ce qui conduit non seulement à l’obscurité, mais aussi – et c’est bien plus dangereux – à une altération des concepts travaillés. En l’espèce, que dire encore de la vérité, dès lors qu’elle est idéalisée dans une mystérieuse ascèse dont les intentions et les effets sont indiscernables ?

Pour être franc - parrêsia oblige ! –, j’ai un peu le sentiment, à avancer ces objections, d’être le rustre qui se révèle incapable de saisir ce que le discours suggère et qui s’en tient étroitement (dans le meilleur des cas) à ce que signifient mots, syntaxe et grammaire conjugués. Ce n’est pas que j’ignore que « nos langages se desquament ou se surchargent, se déplacent ou se stratifient », comme dit joliment Claude Imbert ; mais c’est plutôt que, comme elle, je pense que c’est un fait « contre quoi aucune rhétorique ne prévaudra » (5).

Je suis bien sûr prêt à entendre des réfutations de ma lecture. Et je n’ai qu’un espoir, c’est que ces réfutations soient convaincantes.

(1) Dion Chrysostome, IVe Discours. Sur la royauté, in Léonce Paquet, Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, Librairie Générale Française, 1992, p. 205.
(2) L’idée d’un Diogène pédagogique est tout à fait opposée au portrait dessiné par Foucault. Et dans la rencontre avec Alexandre, le Diogène de Foucault – conforme en cela à celui de Diogène Laërce – n’a nullement l’intention d’éduquer Alexandre, mais seulement d’être en cette circonstance ni plus ni moins que ce qu’il est à tout instant : sans besoin, produit par la nature, sincère et libre.
(3) Ibid., p. 215.
(4) Foucault a bien sûr contribué au retour du sujet.
(5) Claude Imbert, Lévi-Strauss, le passage du Nord-Ouest, Editions de l’Herne, Carnets, 2008, p. 113.

Autres notes sur le même livre :
Première
Deuxième
Troisième
Quatrième
Autres notes sur Foucault :
L’ordre du discours et La leçon sur la leçon de Bourdieu
Foucault, une pensée du discontinu de Revel
À propos de la misère en milieu étudiant
Nietzsche contre Foucault de Bouveresse