dimanche 21 mars 2010

Note de lecture : Colette

Les vrilles de la vigne
de Colette


Qu’est-ce donc qu’écrire, pour Colette ? Sûrement pas un simple exercice. Ni davantage une façon de rendre compte. Ne serait-ce pas inscrire sa vie dans le canal des mots ? On peut en tout cas se demander si l’écriture n’a pas autant agi sur sa vie que sa vie sur son écriture.

Les vrilles de la vigne, ce sont ces liens qui perfidement vous entravent, vous attachent à votre passé, vous empêchent de vous envoler, ces liens qui font de la liberté bien davantage une espérance qu’une réalité.
« Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si drues, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes… » (p. 959)

Les vrilles de la vigne (1), ce sont une petite vingtaine de textes dont on peut effectivement considérer – comme le fait Michel Mercier dans la notice de l’édition La Pléiade (2) – qu’ils forment quatre ensembles. Publiées pour la première fois en 1908 dans la revue La vie parisienne, Les vrilles de la vigne ont été republiées en 1923, en 1934 et , d’autres ajoutés, tant et si bien qu’il serait erroné d’y voir uniquement un témoignage sur la manière dont Colette vécut sa séparation de Willy.

Encore sont-ce toujours les difficultés de la liberté qui sous-tendent le propos, même lorsqu’elle évoque des choses – comme dans "Maquillages" ou dans "Belles-de-jour", par exemple – que lui inspira l’ouverture de son institut de beauté rue de Miromesnil en 1932.
« Je n’ai jamais donné autant d’estime à la femme, autant d’admiration que depuis que je la vois de tout près, depuis que je tiens, renversé sous le rayon bleu métallique, son visage sans secrets, riche d’expression, varié sous ses rides agiles, ou nouveau et rafraîchi d’avoir quitté un moment sa couleur étrangère. Ô lutteuses ! C’est de lutter que vous restez jeunes. Je fais de mon mieux, mais comme vous m’aidez ! Lorsque certaines d’entre vous me chuchotent leur âge véritable, je reste éblouie. » (p. 1006)
On pourrait n’y voir qu’une sorte de boniment pour son institut. À moins qu’elle n’ait ouvert cet institut aussi pour cette raison-là ? Ce qui mérite qu’on s’y arrête, c’est évidemment que le maquillage peut apparaître comme l’antithèse de la vénération que Colette porte à la nature. « […] j’invoque les merveilles de la nature, la corolle, la pulpe, exemples éternels – imagine-t-on la rose fardée, la cerise peinte ?... » (p. 1005), dit-elle à sa fille adolescente qui s’est mis de la poudre. Oui, il faut se défendre, garder une apparence honorable, exprimer son refus de tout laisser-aller. Mais la défense n’est pas quelconque ; elle dépend de l’adversaire, comme l’histoire contée dans "Belles-de-jour" nous le prouve. Valentine a un amant auquel elle rend visite régulièrement. Le jour où il est question qu’elle passe la nuit avec lui, celui-ci rechigne :
« "je veux ce que vous devez me donner, ce que vous ne pouvez pas me donner !... […] Je veux la femme que vous êtes en ce moment, la gracieuse longue petite fée couronnée d’un or si léger et si abondant que sa chevelure mousse jusqu’aux sourcils. Je veux ce teint de fruit mûri en serre et ces cils paradoxaux, et toute cette beauté école anglaise ! Je vous veux, telle que vous voilà, et non pas telle que la nuit cynique vous donnera à moi ! Car vous viendrez – je m’en souviens ! – vous viendrez conjugale et tendre, sans couronne et sans frisure, avec vos cheveux épargnés par le fer, tout plats, tordus en nattes. Vous viendrez petite, sans talons, vos cils déveloutés, votre poudre lavée, vous viendrez désarmée et sûre de vous, et je resterai stupéfait devant cette autre femme !..." » (p. 1013)
Voilà qui donne au mensonge – oui, toujours le mensonge – une portée inaperçue jusqu’alors dans l’œuvre.
« Héroïquement dissimulée sous son fard mandarine, l’œil agrandi, une petite bouche rouge peinte sur sa bouche pâle, la femme récupère, grâce à son mensonge quotidien, une quotidienne dose d’endurance, et la fierté de n’avouer jamais… » (p. 1006)
Ainsi, la liberté n’est pas uniquement entravée par la nostalgie et par les liens, les vrilles dont les relations humaines ont entravé nos pieds. Elle l’est aussi par le social et par les rapports de domination qu’il impose. C’est l’homme qui dicte à la femme les voies qu’elle doit emprunter pour se défendre. Et Colette, si éprise de liberté et si peu soucieuse du qu’en dira-t-on, l’a bien compris.

Celui des textes que je préfère, c’est "Nonoche". D’abord, j’avoue beaucoup aimé le recours aux animaux auquel Colette se livre. « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes » (3) écrivait La Fontaine. Le procédé est en fait à l’opposé de l’anthropomorphisme. Les hommes, leurs pensées et leurs mœurs sont enveloppés d’un corps animal, avec toute son expressivité, pour mieux dire ce qu’ils sont ; et il n’est nullement question du comportement de celui-ci, que paroles, pensées et significations humaines pourraient révéler. Je dirais même que la force et l’intelligence sont dans ce que ces personnages hybrides ont d’animal, tant je suis enclin à souvent regarder la pensée humaine comme un handicap et non comme une supériorité. Diderot rapporte les mots du cardinal de Polignac :
« BORDEU. - Avez-vous vu au Jardin du Roi, sous une cage de verre, cet orang-outan qui a l'air d'un saint Jean qui prêche au désert ?
MADEMOISELLE DE LESPINASSE. - Oui, je l'ai vu.
BORDEU. - Le cardinal de Polignac lui disait un jour: “ Parle, et je te baptise. ”
» (4)
En rapprochant ces propos de cette légende d’Indonésie selon laquelle l'orang-outang appartient à une race de singes capables de parler mais qui préfèrent se taire (5), on mesure assez bien toute la relativité des rapports entre humains et animaux, ou pour mieux dire entre ces animaux parlant que sont les humains et ces autres animaux que l’on pourrait dire comprenants. Car si comprendre c’est avoir d’une certaine manière en soi ce qui est hors de soi, qui mieux que l’animal – adapté à son milieu – peut le bien manifester ?

Dans "Nonoche", c’est bien de l’homme qu’il est question, et plus précisément de l’homme et de la femme, dans leurs rapports ambigus. Et non de chats.
« Nonoche écoute. Rien dans son attitude ne décèle qu’elle lutte contre elle-même, car le tentateur pourrait la voir à travers l’ombre, et le mensonge est la première parure d’une amoureuse… Elle écoute, rien de plus…
Dans sa corbeille, l’obscurité éveille peu à peu son fils qui se déroule, chenille velue, et tend des pattes tâtonnantes… Il se dresse, maladroit, s’assied plus large que haut, avec une majesté puérile. Le bleu hésitant de ses yeux, qui seront peut-être verts, peut-être vieil or, se trouble d’inquiétude. Il dilate, pour mieux crier, son nez chamois où aboutissent toutes les rayures convergentes de son visage… Mais il se tait, malicieux et rassuré : il a vu le dos bigarré de sa mère, assise sur le perron.
Debout sur ses quatre pattes courtaudes, fidèle à la tradition qui lui enseigna cette danse barbare, il s’approche, les oreilles renversées, le dos bossu, l’épaule de biais, par petits bonds de joujou terrible, et fond sur Nonoche qui ne s’y attendait pas… La bonne farce ! Elle a presque crié. On va sûrement jouer comme des fous jusqu’au dîner !
Mais un revers de patte nerveux a jeté l’assaillant au bas du perron, et maintenant une grêle de tapes sèches s’abat sur lui, commentées de fauves crachements et de regards en furie !… La tête bourdonnante, poudré de sable, le fils de Nonoche se relève, si étonné qu’il n’ose pas demander pourquoi, ni suivre celle qui ne sera plus jamais sa nourrice et qui s’en va très digne, le long de la petite allée noire, vers le bois hanté…
» (p. 992)
Terrible !

(1) Colette, Œuvres I, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, éd. dir. par Claude Pichois, 1984, pp. 957-1063.
(2) Pp. 1530-1544.
(3) Cité par Michel Mercier dans la notice des Vrilles de la vigne, p. 1543.
(4) Denis Diderot, Suite de l’entretien (complément au Rêve d’Alembert), 1ère éd. 1769, version électronique développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi, adresse Internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/Diderot_denis/d_Alembert/d_alembert_3_entretien_fin/entretien_fin.html, p. 14.
(5) Cité dans le commentaire (dit par Michel Piccoli) du film de Gérard Vienne, Le peuple singe, 1989.

Autres notes sur Colette :
Claudine à l’école
Claudine à Paris
Claudine en ménage
Claudine s’en va
L’ingénue libertine
La retraite sentimentale

jeudi 4 mars 2010

Note de lecture : Philip Roth

La tache
de Philip Roth


Lorsque, lecture faite de sa dernière page, je referme un livre qui m’a touché, je ressens quelque chose comme un malaise. C’est un peu comme ce qui étreint celui qui sort d’une salle de cinéma, après un film qui lui a plu : une sorte de torpeur qui, pendant quelques minutes, rend incommode toute conversation à son sujet. Le livre terminé, j’en suis un peu orphelin. L’avant-dernière phrase de La tache de Philip Roth (1) évoque « une tache minuscule », celle que fait un homme dans un paysage glacé. Il serait bien hardi de croire que c’est cette tache-là qui a donné son nom au roman. Mais c’est elle qui habita mon malaise d’après lecture.

La tache est un roman considérable. Il a donné lieu à bien des commentaires et des interprétations. Et je n’aurai pas la présomption de croire que ce que j’en retiens mérite une attention particulière, si ce n’est celle dont on peut éventuellement espérer de fécondes contestations.

Voici ce qui domine le sentiment qu’il m’en reste. La force de l’œuvre ne tiendrait-elle pas dans une très savante construction dont profite l’idée que le responsable d’un tort n’est lui-même que la désolante victime d’un autre tort ? Si je parle d’une savante construction, c’est parce que le narrateur prend le temps qu’il faut pour persuader le lecteur de l’ampleur des maux dont souffre Coleman Silk, avant de raconter l’immensité des malheurs qui accablent ses persécuteurs. Entrer très profondément dans la vie d’un personnage, au point de rendre ses travers sinon excusables du moins compréhensibles, voilà le moyen dont use Philip Roth pour dissoudre la culpabilité dans la désespérance. Et la moindre des astuces dont bénéficie cette construction savante n’est pas le contexte dans lequel Nathan Zuckerman finit par se décider à écrire l’histoire de Coleman Silk. Car c’est la volonté de réparer qui provoque l’entreprise ; et c’est sur l’inanité de cette réparation qu’elle s’achève.

Oui, l’Amérique est très présente dans le livre (2). Et une Amérique qui tient à distance beaucoup de ceux qui croient ou qui espèrent la comprendre. Comme les intellectuels, par exemple :
« Conditionnés à être violemment marxistes ou violemment anti-marxistes, ils souffrent d’un effarement congénital devant tout ce qui est américain » (p. 257).
Mais je doute néanmoins que l’essentiel du roman soit dans le portrait de l’Amérique. Et cela même si l’œuvre entière de Roth (que je ne connais pas) plaiderait en ce sens. La spécificité des Etats-Unis me paraît surtout être l’occasion d’une réflexion amère sur l’homme.

Oui, il y a dans ce roman quelque chose comme un procès de l’époque. Ernestine, la sœur de Coleman Silk, attire l’attention de Zuckerman sur des changements désastreux :
« "Du temps de mes parents, et encore du mien et du vôtre, les ratages étaient mis sur le compte de l’individu. Maintenant, on remet la matière en cause. C’est trop difficile d’étudier les auteurs de l’Antiquité, donc c’est la faute de ces auteurs. Aujourd’hui, l’étudiant se prévaut de son incompétence comme d’un privilège. Je n’y arrive pas, c’est donc que la matière pèche. C’est surtout que pèche ce mauvais professeur qui s’obstine à l’enseigner. Il n’y a plus de critère, monsieur Zuckerman, il n’y a plus que des opinions." » (p. 441)
Mais ce n’est sans doute là que des exemples de calamités dont toutes les époques regorgent, chacune à sa façon.

Oui, le récit constitue d’une certaine manière l’unique matière du roman. On y entre, on le suit, on y reste. Et rien n’en distrait. Et lorsqu’un éclairage extérieur au récit est fourni, lorsqu’une généralité est énoncée, c’est encore quelque chose comme l’écorce du récit. Ainsi, alors que Lester Farley et Nathan Zuckerman se parlent et se jaugent, ce dernier en vient à se dire :
« […] notre rencontre […] se réduisait à celle de nos deux cerveaux programmés pour la méfiance, tant il est vrai que la seule introspection qui reste ici-bas est celle de la haine et de la paranoïa. » (pp. 467-468)
Or, l’histoire racontée est elle-même paranoïaque ; tout concourt à la rendre plausible, logique, vraisemblable, alors que pourtant elle ne l’est pas vraiment.

Oui, l’absurde accusation de racisme dont Coleman Silk fait l’objet domine le récit. Et davantage encore, le secret de sa propre origine. Mais sont-ce vraiment là les thématiques fondamentales du roman ? On peut en douter. Ce que Zuckerman en vient à penser du secret de Silk me semble dépasser le fait même du secret :
« N’était-il qu’un américain parmi tant d’autres qui, dans la grande tradition des pionniers, avait accepté l’encouragement de la démocratie à se délester de ses origines si la quête de son bonheur en dépendait ? Était-ce davantage, était-ce moins ? Jusqu’à quel point ses mobiles étaient-ils mesquins ? Pathologiques ? Et quand bien même ils auraient été les deux, quelle importance ? Quand bien même, a contrario, ils n’auraient été ni l’un ni l’autre, là encore, quelle importance ? À l’époque où je l’avais rencontré, le secret n’était-il plus qu’une teinture largement diluée dans le coloris général de l’homme, ou bien au contraire la totalité de son être n’était-elle qu’une teinture dans la mer sans rivage d’un secret à longueur de vie ? Avait-il jamais relâché sa vigilance, ou n’avait-il vécu qu’en éternel fugitif ? Revint-il un jour de sa surprise de s’en sortir aussi bien, du fait qu’il pouvait affronter le monde toutes forces intactes après son forfait, de pouvoir apparaître aux yeux de tous si bien dans sa peau ? En admettant qu’à un certain moment l’équilibre ait penché vers sa nouvelle vie alors que l’ancienne s’estompait dans le temps, la crainte d’être démasqué, le sentiment qu’il allait être découvert avait-il disparu pour autant ? » (pp. 445-446)

Je suis enclin à croire que La tache est un livre sur l’homme, rien que sur l’homme, sur ses illusions, sur ses aberrations, sur l’immense disproportion entre ce qu’il croit être et ce qu’il est. Alors que Coleman Silk s’apprête à révéler à sa femme le secret de son origine, l’ingratitude d’une amie de celle-ci le pousse à renoncer. Il pense apercevoir le danger de la sincérité :
« Il avait été sauvé, se disait-il, de l’acrobatie sentimentale la plus puérile qu’il aurait pu tenter, lui qui, tout à coup, s’était mis à penser comme un imbécile, à croire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, qui s’était mis à oublier sa circonspection, sa prudence, sa défiance de lui-même, à croire toutes les difficultés aplanies, les complications révolues ; à oublier non seulement où il était mais comment il y était parvenu, à abdiquer la diligence, la discipline, l’évaluation scrupuleuse de toute situation… comme si la bataille qui est celle de tout un chacun pouvait être abjurée, comme si être soi-même, ce soi caractéristique et immuable au nom duquel on s’est lancé dans la bataille, relevait d’un choix. » (pp. 245-246)
« comme si être soi-même, ce soi caractéristique et immuable au nom duquel on s’est lancé dans la bataille, relevait d’un choix. » ! Y a-t-il quelque chose qui mérite d’être appelé ce soi, dès lors que l’on doute qu’il choisisse ce qu’il entreprend ? La question n’est certes pas neuve. Sertie dans un récit prodigieusement dense, elle acquiert une dimension à laquelle elle doit souvent être rehaussée si l’on refuse d’en être diverti.
Je préfère ne rien dire de la forme, tant il est probable que c’est à la traduction que je dois mes interrogations. (3) Il est amusant que Philip Roth lui-même soit si parfaitement conscient des limites du multilinguisme. Un de ses personnages, Delphine Roux, française d’origine, en mesure douloureusement les effets :
« Elle se dit que si elle ne trouve pas d’homme, en Amérique, ce n’est pas parce qu’elle ne peut pas en trouver, mais parce qu’elle ne les comprend pas, ces hommes, et qu’elle ne les comprendra jamais, parce qu’elle ne parle pas assez bien la langue. Elle qui est si fière de parler l’anglais couramment, qui le parle en effet couramment, elle ne parle pas la langue, en fait. Je crois que je les comprends, et je les comprends. Ce que je ne comprends pas, ce n’est pas ce qu’ils disent, c’est tout ce qu’ils ne disent pas, quand ils parlent. Ici, elle ne se sert que de cinquante pour cent de son intelligence, alors qu’à Paris elle comprenait chaque nuance. Quel est l’intérêt d’être intelligente, ici, puisque du fait que je ne suis pas du pays, je deviens bête ipso facto… Elle se dit que le seul anglais qu’elle comprenne vraiment bien – non, le seul américain –, c’est l’américain universitaire, qui n’est guère américain justement. Voilà pourquoi elle n’arrive pas et n’arrivera jamais à pénétrer ce pays, voilà pourquoi il n’y aura jamais d’homme dans sa vie, voilà pourquoi elle ne sera jamais chez elle ici, voilà pourquoi ses intuitions sont fausses et le seront toujours, la vie intellectuelle douillette qu’elle a connue lors de ses études est révolue à jamais, et pour le restant de ses jours, elle sera condamnée à comprendre onze pour cent de ce pays et zéro pour cent de ces hommes… Elle se dit que tous ses avantages intellectuels ont été annulés par son dépaysement… Elle se dit qu’elle a perdu sa vision périphérique : elle voit ce qui se passe devant elle, mais rien du coin de l’œil, ce qu’elle a ici n’est pas la vision d’une femme de son intelligence, c’est une vision aplatie, exclusivement frontale, celle d’une immigrante, d’une personne transplantée ou qui n’a pas trouvé sa place… » (pp. 371-372)

Roman de l’incrédulité, La tache est un livre qui m’a touché. Il me reste à méditer la question de savoir si c’est en raison de mon âge. « Parce qu’à partir d’un certain âge la méfiance devient une seconde nature et qu’on a tendance à ne plus croire personne ? » (p. 417)

(1) Philip Roth, La tache, trad. de l’américain par Josée Kamoun, Gallimard, Folio, 2002 (éd. originale en américain, 2000).
(2) « Amérique » est le dernier mot du livre (p. 480).
(3) Est-ce à Roth ou à sa traductrice (à moins que ce ne soit à l’éditeur) que l’on doit ce saint Louis situé au XIIe siècle (p. 370) ?