À propos de l’exploration spatiale
Le sort de l’humanité dépend grandement des détenteurs du pouvoir politique. Il dépend aussi de l’idée qu’un grand nombre de gens se font des opportunités offertes par telle ou telle découverte.
Ce qui m’a conduit à évoquer aujourd’hui cet aspect du devenir humain, c’est une information qui vient de circuler sur bien des médias, une information exploitant une interview accordée par Robert Zubrin à l’A.F.P. Le plus souvent, cette information a été titrée : « Un expert met en garde contre la politique spatiale de Musk et Trump ». Robert Zubrin est un ingénieur qui dirige la société Pioneer Astronautics et qui a fondé l’association internationale Mars Society, laquelle promeut l’exploration et la colonisation de la planète Mars. Or, dans l’interview en cause, il a sévèrement critiqué Musk et Trump à propos de l’exploration spatiale.
Qu’est-ce que Zubrin reproche à Musk et à Trump ? Sans doute principalement de ne pas se tourner vers les solutions que lui-même préconise pour se rendre sur Mars et donc de ne pas bénéficier des subventions publiques que Musk reçoit, ou du moins a reçu à ce jour. Mais de quelle divergence fait-il état ? Il met en cause - qui peut lui donner tort ? - l’« hybris et l’arrogance de Musk » et, considérant que celui-ci veut « transformer la mission martienne en une échappatoire à la Terre », il ajoute : « Nous n’allons pas sur Mars par détresse. Nous y allons parce que nous avons l’espoir […] d’établir de nouvelles branches de la civilisation humaine. […] Si nous mettons en œuvre le type de programme que j'ai préconisé […], nous pourrons à nouveau, comme nous l'avons fait avec Apollo, étonner le monde. […] Nous montrerons clairement que la liberté, et non l'autoritarisme, est l'avenir de la race humaine » (1)
Pareille publicité donnée aux propos de Zubrin laisse évidemment penser qu’il existe une alternative aux initiatives prises dans le domaine de l’exploration spatiale par Musk et Trump, alternative bienvenue ne serait-ce que parce que ceux-ci à présent se disputent comme le feraient des enfants dans une cour de récréation. Or cette alternative n’en est pas une, puisqu’elle préconise la même chose, à savoir la conquête humaine de la planète Mars.
C’est l’idée même d’aller coloniser Mars qui est fortement condamnable. Que ce soit pour fuir la Terre dite prochainement invivable, ou que ce soit pour se lancer dans une aventure visant à franchir la Nouvelle Frontière (notion chère aux Américains), ce projet se révèle délirant dès lors que l’on prend la peine de mesurer les conséquences d’une tentative qui ne peut aboutir qu’à un échec. Le coût véritablement astronomique de ce dessein va priver bien d’autres urgences de moyens significatifs. En outre, il entretiendra dans la population l’idée fallacieuse que la sauvegarde de l’humanité passe par sa migration vers l’une ou l’autre planète hospitalière, illusion majeure qui illustre mieux que n’importe quelle autre cette fâcheuse tendance qu’a l’homme d’user et abuser de tout ce qu’il découvre, y compris à son propre préjudice. Si découverte il y a, c’est celle que l’avenir de l’homme est sur Terre ou n’est pas. Et c’est au grand nombre de l’admettre si l’on veut qu’il advienne.
Je n’ai aucune compétence dans les différentes disciplines scientifiques dont ces questions relèvent. Mais je suis enclin à faire confiance à ceux qui savent et qui restent à l’abri des enjeux politiques qu’elles dissimulent. Ainsi suis-je assez convaincu par ce qu’en dit par exemple quelqu’un comme Aurélien Barrau, astrophysicien et philosophe français bien connu. Le 2 décembre 2019, il a publié sur ce problème un article dans lequel il n’hésite pas à parler d’une faillite symbolique. (2) À lui comme à d’autres, il arrive qu’il soit d’autant plus convaincant qu’il est véhément, comme lorsqu’il y alla d’un coup de gueule sur la conquête spatiale dans une librairie de Vincennes le 22 décembre 2023. (3) Pour une fois que la véhémence est mise au service d’une bonne cause…
(1) “Objectif Mars : un expert met en garde contre la politique spatiale de Musk et Trump”, France 24, 6 juin 2025, 2025 AFP, à retrouver sur Internet.
(2) Aurélien Barrau, “La conquête spatiale comme faillite symbolique”, Diacritik, 2 décembre 2019, à retrouver sur Internet. Une version un peu différente de cet article a été publiée le 2 juin 2020 dans le magazine de GoodPlanet, à retrouver sur Internet.
(3) Cf. vidéo sur Facebook, à retrouver sur Internet.