Traité d’athéologie
de Michel Onfray (1)
En janvier 2005, Michel Onfray a publié un ouvrage intitulé Traité d’athéologie (2) et sous-titré Physique de la métaphysique. C’est un ouvrage dont le dessein proclamé est de traiter de l’athéisme d’un point de vue philosophique. Immédiatement, ce livre a connu un succès considérable. Et un succès particulièrement marqué auprès des milieux généralement bienveillants vis-à-vis de l’athéisme comme les mouvements laïcs et libres-penseurs. Onfray exerce d’ailleurs depuis des années une sorte de fascination sur une partie importante de ces milieux-là. Au point que certains n’hésitent pas – dans quelques-uns de ces cercles – à le désigner comme le philosophe de référence.
C’est parce qu’il me semble que cette influence mérite d’être contrecarrée que je me suis décidé à vous proposer quelques réflexions au sujet de l’athéisme et, plus particulièrement, au sujet des conditions dans lesquelles il me paraît possible de mener une réflexion à caractère philosophique sur l’athéisme. On peut, bien évidemment, être athée sans pour autant donner à cette opinion un caractère philosophique. Ce peut être une simple conviction à laquelle on n’estime pas utile de rechercher un fondement argumenté. Personnellement, je ne suis pas philosophe et, si je vais évoquer quelques aspects philosophiques de l’athéisme, c’est uniquement parce que Michel Onfray prétend – selon moi à tort – faire œuvre philosophique. Tout incompétent que je sois, je suis d’avis que son livre ne contient pas un travail philosophique.
Vous ne m’en voudrez pas, mais je ne vais pas décortiquer longuement le propos d’Onfray. Juste ce qu’il faut pour que ceux qui ne l’ont pas lu sachent à quoi je m’en prends.
En fait, je dois l’avouer d’emblée, je connais mal l’œuvre de Michel Onfray : je suis bien loin d’avoir lu les trente-deux livres qu’il a publié depuis 1989 (deux livres par an en moyenne, sans compter les cours et les multiples articles). Au début des années 90, j’avais lu ses deux premiers ouvrages : Le ventre des philosophes (3) et Cynismes (4). J’en avais conclu à l’époque qu’il y avait mieux à lire que Michel Onfray. En 2002, une malencontreuse curiosité m’a poussé à lire Célébration du génie colérique (5), un livre sous-titré Tombeau de Pierre Bourdieu. Je n’y ai trouvé que des raisons de revenir à ma résolution première de ne pas lire Onfray. Mais cette résolution, j’y ai à nouveau été infidèle au début de cette année : sur l’insistance de plusieurs amis, j’ai lu le Traité d’athéologie. Et ensuite, tout en préparant le présent exposé, et afin de corriger un tant soit peu mes lacunes vis-à-vis de l’œuvre d’Onfray, j’ai lu un autre livre qu’il avait publié en 2003, Féeries anatomiques (6), un ouvrage dans lequel – m’avait-on dit – il évoquait de manière émouvante (ce qui est vrai) sa douleur face au cancer dont sa compagne a souffert. Enfin, j’ai aussi écouté les douze premières leçons du cours qu’il donne à l’Université populaire de Caen et intitulé Contre histoire de la philosophie (7). Voilà ! Je n’en connais pas davantage. C’est dire si sont sans doute ici présents des lecteurs qui ont de Michel Onfray une connaissance beaucoup plus approfondie que la mienne et qui, ayant peut-être lu toute l’œuvre, pourraient en parler d’une manière plus éclairée. J’espère donc qu’on voudra bien me corriger si je me trompe, me contredire s’il y a lieu, voire m’expliquer pourquoi j’ai tort de ne pas partager l’admiration dont il est l’objet.
Je ne vais donc même pas résumer le Traité d’athéologie. D’abord, je sais que nombreux sont ceux qui l’ont lu. Ensuite, je dirais volontiers aux autres que ce livre, découpé en un grand nombre de très petits chapitres aux titres quelque peu accrocheurs, est traversé par une seule idée importante, une idée qui se retrouve d’ailleurs dans toutes les œuvres d’Onfray dont j’ai pris connaissance. Cette idée, c’est que depuis vingt-cinq siècles, la pensée occidentale est entièrement dominée par un complot, un complot tramé par tout ceux qu’Onfray appelle les idéalistes (ou les ascétiques) en vue de réduire au silence ceux qu’il appelle les matérialistes (ou les hédonistes). Les champions de l’idéalisme et de l’ascétisme, ce sont bien sûr les religions monothéistes – les trois religions monothéistes (avec une attention particulière vouée au christianisme, puisque c’est celle qui domine notre culture) –, mais le complot a débuté antérieurement, nous dit-il : les Eléates (Parménide, Zénon), à l’instar de Platon, auraient été, selon lui, idéalistes et ascétiques et, à ce titre, auraient déjà conspiré contre les Abdéritains (Leucippe, Démocrite) [ce qui, soit dit en passant, pose un petit problème chronologique, puisque les premiers sont trente-cinq ou cinquante ans plus âgés que les seconds]. Le Traité d’athéologie dit peu, très peu, sur l’athéisme. Il se fait le chantre de ce que Onfray appelle un hédonisme solaire, sorte d’épicurisme flamboyant et libertarien dont on perçoit mal en quoi il se distingue vraiment d’un scientisme satisfait. Pour le reste, il se contente de montrer combien les athées furent de tout temps persécutés ; il prétend également démontrer à quel point les premiers athées déclarés furent géniaux (ainsi serait génial cet abbé Meslier à qui l’on doit la tonitruante formule qui propose de « pendre les derniers nobles avec les boyaux des derniers prêtres » (8)) ; il entend aussi prouver que les religions monothéistes sont névrotiques et régressives et, dans le cadre de cette entreprise, il ne craint pas de se montrer véritablement injurieux envers des auteurs comme Platon, Paul ou Augustin.
En lisant Onfray, j’ai pensé à ce mot de Merleau-Ponty que préoccupait le malentendu existant entre ce que la philosophie peut offrir et ce que le public lui demande : « On ne peut attendre d’un philosophe – écrivait-il – qu’il aille au-delà de ce qu’il voit lui-même, ni qu’il donne des préceptes dont il n’est pas sûr. L’impatience des âmes n’est pas ici un argument ; on ne sert pas les âmes par l’à-peu-près et l’imposture » (9). Voilà assurément une sage recommandation. Et cette recommandation, s’il est deux auteurs qui en tiennent scrupuleusement compte – même s’ils ignorent peut-être la formulation que lui a donnée Merleau-Ponty –, ce sont bien Pierre Hadot et Lucien Jerphagnon. Il est donc bien étrange – bien paradoxal, devrais-je dire – de constater que Michel Onfray les cite comme ses maîtres les plus contemporains. Voilà un amalgame assez crispant sur lequel je suis prêt à dire davantage, si l’un ou l’autre s’en montre curieux.
Mais laissons tout cela et tentons plutôt de voir ce que pourrait être une approche philosophique de l’athéisme. Je suis – je dois l’avouer – incapable de faire sur le sujet un exposé méthodique et ordonné. Je vais me contenter – vous m’en excuserez – de hasarder quelques réflexions à propos de trois mots – trois concepts – qui, dans le langage ordinaire, prennent souvent un sens plus propice à la confusion et à l’incohérence qu’à l’intelligibilité et à la clarté. Après avoir précisé grossièrement comment personnellement je me situe – ce qui me semble nécessaire –, je vais donc évoquer successivement les concepts de religion, de croyance, et de science.
Comment je me situe
Je ne vais évidemment pas m’exprimer à propos de l’athéisme de façon masquée. Je suis athée et ce que je vais dire de l’athéisme correspond donc à mes propres convictions, y compris avec les zones d’incertitude que celles-ci comportent. J’ajouterai même que ce sont précisément ces zones d’incertitude qui permettent à la réflexion de se poursuivre, plutôt que de se fixer sur des convictions arrêtées. Afin d’être bien compris à ce sujet, il ne me paraît pas inutile d’évoquer un instant l’agnosticisme. Qu’appelle-t-on agnosticisme ? Le mot a été forgé en anglais par Thomas Huxley (Thomas Huxley l’ami de Darwin, le grand-père d’Aldous). Il désigne une attitude philosophique qui considère l'absolu inaccessible à l'intelligence humaine. Si l’on s’en tient à cette définition, on peut donc être aussi bien croyant et agnostique qu’athée et agnostique. En effet, l’inintelligibilité de Dieu fut souvent considérée comme un argument en faveur de son existence. C’est ce que l’on a appelé la théologie négative. Déjà chez les platoniciens et les aristotéliciens, on usait beaucoup de ce qu’on désignait alors du mot grec d’aphairesis. L’aphairesis est une notion fort complexe, surtout chez Aristote. Mais on peut s’en faire une idée en disant qu’elle désigne une opération intellectuelle d’abstraction. L’essence d’une chose (ou sa forme) n’est accessible qu’au moyen d’un retranchement, « un retranchement de ce qui n’est pas essentiel. C’est le propre de la pensée de pouvoir effectuer cette séparation. On s’en sert par exemple pour définir les entités mathématiques : par le retranchement de la profondeur, on définit la surface, par le retranchement de la surface, on définit la ligne, par le retranchement de la ligne, on définit le point. » (10) C’est en retranchant sa position spatiale et temporelle que l’on atteindrait Dieu. Soit dit en passant, le déterminisme de Spinoza doit sans doute beaucoup à cette idée antique : c’est parce que l’être global, total, est infini et englobe tous les étants que les étants que nous sommes sont déterminés, ce que l’on ne peut comprendre que si l’on retranche de l’être infini la forme particulière que chacun de nous croit être. C’est pourquoi je trouve qu’il est un peu simpliste d’affirmer que Spinoza était athée. De même, mais d’une toute autre façon, Wittgenstein explore cette même logique du retranchement lorsqu’il évoque la capacité qu’a le langage de montrer l’indicible. Et ici, le raisonnement est parfaitement compatible avec l’athéisme, même si Wittgenstein croyait en Dieu.
L’attitude agnostique ne répond donc pas – à elle seule – à la question de l’existence de Dieu. Je suis personnellement athée et agnostique. Rien ne s’oppose à ce que l’on soit croyant et agnostique. Mais on peut aussi être athée sans être agnostique (c’est le cas de ceux qui – comme Onfray, par exemple – ont constaté l’absence de Dieu), de même que l’on peut être croyant sans être agnostique (c’est le cas de ceux qui ont rencontré Dieu). En fait, si l’on pose la question à quelqu’un : « Croyez-vous en Dieu ? » et qu’il répond : « Je suis agnostique », il serait logique de lui dire : « C’est entendu, vous êtes agnostique ; mais – dites-moi ! – croyez-vous en Dieu ? »
De nos jours pourtant, nombreux sont ceux qui se déclarent agnostiques pour indiquer que, sans être croyant, il leur paraît malaisé de trancher la question de l’existence de Dieu de façon catégorique. Je pense qu’il faut les considérer en toute logique comme des athées, peut-être des athées hésitants, mais des athées quand même. Car l’athéisme n’indique pas ce à quoi l’on croit ; il n’indique que ce à quoi l’on ne croit pas. Et, fussent-ils dans l’attente des arguments leur permettant de croire, ceux-là qui aujourd’hui se disent ainsi agnostiques ne croient pas, du moins pas encore. Leur attitude a un mérite : c’est qu’elle indique un questionnement qui, au fond, est la condition essentielle à une réflexion philosophique.
Voila ! Comment je me situe ? Je suis athée, tendance agnostique dirais-je. Mais cela ne me gène nullement de dire que je suis agnostique, tendance athée. Plus fondamentalement, j’ai envie de dire qu’il est sans intérêt de se proclamer ou de se revendiquer athée, comme trouve à le faire ceux qui se proclament adeptes d’une religion, sauf bien sûr si l’on envisage l’athéisme comme une religion – ce qui n’est pas mon cas.
Et j’en viens ainsi au concept de religion
C’est bien sûr un mot qui mériterait à lui seul de très longs développements. Juste quelques précisions, donc partielles et provisoires.
Lorsqu’on évoque la religion, on désigne souvent un certain type de rapport que l’homme entretient avec l’ordre divin ou avec une réalité surnaturelle et, plus spécialement parfois, l’un ou l’autre système de dogmes ou de croyances, voire de pratiques rituelles et morales.
Cet usage du mot a l’inconvénient d’être assez flou et de s’en remettre aux habitudes pour qualifier telle ou telle conviction religieuse ou non. Il a aussi le désavantage de prendre assez peu en compte l’aspect social de la religion, alors même que l’étymologie du mot suggère peut-être l’idée de lien entre les hommes autant que l’idée de lien avec les dieux (11).
Si l’on se tourne vers un sociologue, Émile Durkheim par exemple – lui qui accordait tant d’importance aux définitions –, on peut – qui sait – mieux cerner la réalité de la religion. Durkheim, dans l’introduction de l’ouvrage qu’il a consacré aux formes élémentaires de la vie religieuse, aboutit – après de savantes argumentations – à la définition suivante : « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tout ceux qui y adhèrent. » (12) Retenons uniquement « croyances et pratiques » d’un côté, « choses sacrées » de l’autre. On s’aperçoit vite que cette définition nous porte à bouleverser nos habitudes et, notamment, à reconnaître un caractère religieux à des mouvements qui auraient pu en paraître dépourvus. Pour peu que soient liées au symbolisme et au rituel quelques croyances « à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites », la franc-maçonnerie par exemple est une religion et les francs-maçons forment une Église. Pour Durkheim, le fait que les croyances ne concernent ni un quelconque ordre divin ni même une quelconque réalité surnaturelle est sans importance. La seule chose qui n’est pas naturelle – au sens d’étranger à l’homme (qu’a souvent le mot naturel) –, c’est la façon artificielle dont sacré et profane sont distingués.
Une religion qui accepterait que ses adeptes, ou certains d’entre eux, soient athées est donc possible. Je vais plus loin : une religion athée est elle-même possible. Il y a – je crois – quelque chose qui en prend le chemin dès lors que des athées se forgent un corpus de croyances – on peut même dire de dogmes (un dogme n’est après tout rien d’autre qu’une proposition théorique établie comme vérité indiscutable par l'autorité qui régit un groupe) –, qu’ils sacralisent certaines de leurs spécificités et qu’ils s’unissent en communauté.
Cela dit, ne soyons pas naïfs. Les idées – y compris les idées philosophiques – alimentent des luttes, et notamment des luttes de pouvoir. Avoir le droit de les exprimer, de les enseigner, de les appliquer, cela ne va pas de soi. Et, pour moi, il est donc important de s’inscrire dans ces luttes, ne serait-ce que pour rendre plus malaisé le triomphe d’idées qui ne supportent pas de coexister avec les miennes. Par exemple, le conflit qui tourne autour de l’enseignement d’une forme pseudo-savante de créationnisme aux Etats-Unis n’est sans doute pas sans conséquence sur le simple droit d’être athée. De même, la concurrence existant entre les mouvements religieux et laïques, notamment vis-à-vis de certaines fonctions et de certains subsides, n’est certainement pas sans rapport avec le poids respectif des courants de pensée qui dominent l’enseignement, le monde associatif ou encore le monde carcéral. Même si les temps actuels paraissent parfois moins rudes que les temps anciens, nul n’est jamais totalement libre de penser comme il l’entend si sa pensée dépasse certaines bornes imposées.
Mais ce militantisme – si je puis me permettre ce mot – a facilement des conséquences fâcheuses sur la qualité de la réflexion philosophique qu’il est censé défendre. Car il suppose un esprit partial. Le parti pris collectif se nourrit souvent d’une dénonciation sommaire de l’ennemi et, pour celui à qui il ne déplaît pas d’acquérir du pouvoir – ou même un simple ascendant – au sein du groupe de ceux dont il prétend partager les idées, il est malheureusement gratifiant d’opter pour le propos radical plutôt que pour le propos nuancé. Il est par exemple des milieux où la critique caricaturale du pape, pour ne pas dire la critique injurieuse, connaît un succès sans honte. Michel Onfray doit peut-être une partie de sa renommée à ce type de succès.
Je suis bien conscient du fait que l’on ne gagne pas beaucoup de bataille en ménageant l’ennemi. Mais je suis également persuadé que l’on ne peut pas mener une réflexion philosophique approfondie si on la laisse à la merci d’a priori idéologiques ou sectaires, ou même simplement si on la laisse voguer au gré de l’action ou de l’urgence. Il faut au contraire – je crois – s’abstraire de tout enjeu politique et rendre à la pensée critique sa plus totale liberté, en ce compris – surtout peut-être – à l’égard de nos propres convictions. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il n’est pas possible de parler philosophie n’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui.
Parler sévèrement des religions du passé, c’est souvent en méconnaître le rôle social. On ne peut pas, en effet, juger une religion uniquement sur le contenu des croyances qu’elle défend. L’Antiquité fut ainsi profondément marquée par l’existence de religions civiques – que ce soient celles qui soudaient les cités grecques, comme celles qui – d’une certaine manière – firent la force de Rome. Et le rationalisme philosophique antique ne fut que très rarement anti-religieux. Comme si le rationnel et l’irrationnel pouvaient harmonieusement coexister dès lors que la raison s’incline raisonnablement devant la force civique de l’irrationnel.
Lorsque l’Église et l’État possèdent chacun leur propre système juridique – comme c’est le cas en Europe depuis le Moyen Âge – le problème de la cohabitation se pose alors autrement. Il est aujourd’hui encore très loin d’être résolu et on peut se demander s’il le sera jamais. L’idée d’un État laïc et neutre et d’une religion renvoyée vers ce qu’on appelle la sphère privée des citoyens n’est que le signe d’un état momentané des rapports de force, idée instable donc, et qu’un simple mouvement de conversion peut battre en brèche. Mais ceci est une autre histoire.
Je conclus en ce qui concerne le concept de religion : selon moi, la croyance en l’athéisme n’a un caractère philosophique – n’en déplaise à Michel Onfray – que si elle nourrit une réflexion exempte de considérations religieuses. Il s’agit donc bien d’une question de croyance, non de religion.
Et j’en viens ainsi au concept de croyance
Dans ses Leçons sur la philosophie de Kant, Victor Cousin fait remarquer que celui-ci distinguait trois degrés de croyance et avait adapté à cet effet son vocabulaire (comme font souvent les philosophes allemands). La croyance au sens large, c’est le Fürwahrhalten (littéralement : le tenu pour vrai). Et ce Fûrwahrhalten comprend le Meinen (que Cousin traduit par l’opinion), le Glauben (la foi) et le Wissen (la science) (13). La science, c’est le su, avec certitude. L’opinion, c’est le cru, avec incertitude. Et la foi, c’est ce qui n’a ni la faiblesse d’une opinion ni la force d’une certitude ; c’est la croyance produite pas la raison spéculative, entendez par la réflexion philosophique. Évidemment, en ce qui concerne Kant, le mot foi sonne juste, puisqu’il l’avait, la foi.
On pourrait facilement distinguer un nombre bien plus important de croyances, non seulement à partir du type de raisonnement sur lequel elles se fondent, mais aussi sur la base du degré de délibération qui précède leur adoption. Bien des croyances sont irrationnelles et l’origine de leur succès tient bien plus à des raisons sociales qu’à des raisons intellectuelles. Nombreux sont ceux qui adhèrent à des idées par le seul fait de la confiance qu’ils accordent à celui qui les leur a déclarées vrais. C’est ce que l’on appelait au Moyen Âge la fides implicita. Ne méprisons pas trop vite ce type de croyance. Bien sûr, de nos jours, il est mal vu de ne pas penser par soi-même, de ne pas être intellectuellement autonome. Et lorsque la fides implicita profite aux journalistes et aux penseurs à la mode (si tant est que l’expression « penseurs à la mode » ne constitue pas une irréductible contradiction), on ne peut que souhaiter la floraison de la réflexion personnelle au détriment du « prêt-à-penser ». Néanmoins, le rêve d’une société qui ne serait composée que d’individualités intellectuellement autonomes est peut-être chimérique. Savons-nous si une société reste viable sans mythes, sans croyances partagées, sans le ciment d’un credo, de dogmes, sans le lien d’une religion ? L’histoire nous révèle que la pensée philosophique – au sens d’une pensée critique appliquée à des questions sans réponse – a toujours été le fait d’une minorité généralement détentrice d’un capital culturel important. Et, remarquons-le, au sein même de cette minorité philosophante, l’adhésion à des mythes et croyances collectives – ou en tout cas leur respect – fut plus fréquent que leur mise en cause systématique.
Nous vivons une époque qui ne connaît pas moins de gens crédules que les temps passés. Et parmi les choses que les gens d’aujourd’hui croient volontiers, il y a cette illusoire opinion que les gens du temps jadis étaient plus crédules qu’eux. Je voudrais vous lire sur cette question un passage d’un livre de Lucien Jerphagnon, vous savez : ce maître contemporain de Michel Onfray. Le livre, c’est Les dieux ne sont jamais loin, publié en 2002. Si vous ne connaissez pas Jerphagnon, ce simple extrait va vous permettre d’apprécier sa verve et sa truculence.
« […] alors que commence le troisième millénaire […], le mythe, c’est ce que croient les autres.
Cet état d’esprit fort répandu trahit l’existence d’un préjugé dont il serait utile de découvrir le fondement. Passons sur l’inculture galopante de notre temps en matière d’histoire et de lettres. Quand un monsieur se prend aujourd’hui à porter un jugement sur les croyances d’hier, il y a gros à parier qu’il s’en tiendra à son cours de sixième ou de cinquième, à supposer qu’il lui en est resté quelque chose. A moins que ne lui revienne un reportage télévisé, ou que son regard ne tombe sur un magazine fatigué dans la salle d’attente du dentiste. Presque toujours, ce sera le même étonnement amusé, le même soulagement aussi de n’en être plus là. C’est la réaction de l’Homo plus ou moins sapiens, ou plus probablement de l’Homo loquax, celui que n’aimait pas trop Bergson. La réaction du monsieur à qui on ne la fait pas, puisqu’il domine – enfin à peu près – l’atome, l’espace, l’ADN, l’informatique, les antibiotiques et le clonage. N’en revenant pas de découvrir dans les temps anciens autant de naïveté, il s’enchante de son propre sens critique, cette grâce dont il se sait redevable à la raison. Pardon : à la déesse Raison que tant vénérait Robespierre. Lui en a-t-on assez parlé en classe, des Lumières avec un grand L, de l’Avenir de la science, de l’Avenir d’une illusion, quand ce n’était pas de la religion opium du peuple, d’un peuple enfin désintoxiqué, puisqu’aux dernières nouvelles, Dieu est mort, sans d’ailleurs qu’on sache au juste de quoi. Je l’ai souvent surpris, ce regard-là, dans mon métier de spécialistes des modernités révolues. Un regard mi-indulgent mi-farceur : pauvres chers hommes d’alors ! […] Oui, que de fables qui aujourd’hui n’ont plus cours chez les gens sérieux, se dit Homo sapiens et fier de l’être. Qu’expliquent-elles de façon rationnelle ? – Rien. Qu’évoque aujourd’hui le Paradis perdu ? Peut-être un livre de Milton, si le monsieur a un peu lu, ou encore deux vers de Lamartine récités en classe :
‘Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,
L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.’
Beau. Mais voilà, dans les temps où Lamartine fignolait son poème, les savants découvraient, preuves à l’appui, que l’homme descend du singe. L’ange avait fait une mauvaise chute. Aujourd’hui, la généalogie s’était affinée : on savait que les singes et les hommes sont cousins à la mode de Bretagne. Dans notre biosphère, tout le monde vous a un air de parenté, et si votre interlocuteur est frotté de paléontologie, il aura un petit sourire et vous présentera l’archaeoptérix, mâtiné de reptile et d’oiseau, ou quelque autre pièce à conviction. Je l’entends d’ici : Adam, Ève, Zeus, Athéna et les autres, fini tout cela. Foin de ces vieux fantasmes : la raison a fait place nette. Elle a exorcisé des peurs ancestrales qui n’avaient que trop duré et qui nous empêchaient de vivre à notre gré. Ouf ! L’Homme avec un grand H, avec sa logique, ses mathématiques, sa physique, sa chimie, son carbone 14, ses techniques de plus en plus pointues, comme on dit – l’Homme sait à quoi s’en tenir et sa liberté a fait un grand bond en avant, comme disait l’autre. Dans cette perspective, le mythe, c’est tout juste l’expression de l’illusoire, aliénant de surcroît. Il ne signifie plus que l’insignifiant, puisque de l’irrationnel il fait un réel et qu’il n’est de réel que le rationnel, autrement dit ce qui se constate et se mesure au mètre, à l’ampèremètre, au manomètre, etc. Circulez : il n’y a rien à croire. » (14)
Soyons de bon compte : chaque époque est un peu aveugle sur ses propres illusions. La croissance économique, la démocratie participative, l’homéopathie, l’astrologie, le New Age, que sais-je ?… Les exemples de doctrines plus ou moins irrationnelles ne manquent pas. Et balancer tout, condamner tout, au nom d’un rationalisme pur et dur serait sans doute irrationnel. Le respect pour les croyances – celles du passé comme celles d’aujourd’hui – s’impose a priori. Car ce sont souvent de nouvelles irrationalités qui nous poussent à blâmer les anciennes. Ce qui ne signifie pas qu’il faille rester muet devant l’exploitation de la crédulité. Derrière l’exploitation de la crédulité, il y a souvent le cynisme.
En fait, le problème est très compliqué. Prenons l’exemple de l’homéopathie. Je suis de ceux qui croient que les thérapies homéopathiques reposent sur des a priori irrationnels inventés de toute pièce par Samuel Hahnemann en 1796. Je pense donc que l’efficacité physiologique des médicaments homéopathiques est nulle. Je pense aussi que le succès de l’homéopathie (particulièrement en France, où ce type de médicaments est remboursé par la sécurité sociale sans être astreint aux contrôles d’efficacité prévus pour les médicaments allopathiques) s’explique au moins partiellement par la place qu’occupe le groupe Boiron dans l’économie française. Néanmoins, j’admets aisément l’efficacité – très variable et bien malaisée à mesurer cependant – des placebos. Par conséquent, le médicament homéopathique – qui a au moins le grand mérite d’être inerte – peut évidemment jouer ce rôle.
Tout ceci dessine un véritable contexte d’école, par rapport à un nombre important de croyances. Si je convaincs quelqu’un de mon opinion au sujet de l’homéopathie, je le prive du coup des bienfaits éventuels d’un placebo. Je lui ravis une espérance, laquelle peut participer à son bien-être, sinon à son bonheur. Si je m’abstiens et que je le laisse dans ce que je crois être une illusion, qui sait s’il ne court pas le danger d’être victime de sa crédulité. Que faire ? Comment agir au mieux ? Il ne suffit pas de croire ; il faut aussi se demander avec qui, quand et comment partager ses croyances.
Athée, dois-je être propagateur de mon athéisme ? Je n’en suis pas sûr. Si oui, ce doit être – je crois – sans arrogance, avec prudence, et de façon philosophique, puisque la question mérite pour moi d’être placée au niveau philosophique. Il ne s’agit en tout cas pas de se donner raison, ce qui se fait bien assez lorsqu’il s’agit de vaincre autant que de convaincre ; il s’agit plutôt de mettre en péril sa propre conviction pour se donner des chances d’en faire le tour.
Je conclus en ce qui concerne le concept de croyance : selon moi, la croyance en l’athéisme n’a un caractère philosophique – n’en déplaise à Michel Onfray – que si elle nourrit une réflexion exempte de commisération envers les autres croyances. Il s’agit d’éviter l’arrogance, particulièrement peut-être l’arrogance scientiste.
Et j’en viens ainsi au concept de science
Forme de croyance à laquelle, selon Kant, est associée la notion de certitude, la science fonderait la connaissance. Croire que l’on connaît est cependant toujours croire. Je pense que, plutôt que de parler de science (en tant que réservoir de connaissances), il serait plus prudent de parler de démarche scientifique ou de méthodes scientifiques, bref de moyens susceptibles de garantir que le partage entre le vrai et le faux puisse être optimisé. Mais ces méthodes, ces moyens, sont d’une nature telle que leur propre validité leur interdit de répondre à bon nombre de questions. Ces questions – qui échappent donc à l’investigation scientifique – ce sont celles que l’on peut qualifier de philosophiques. Questions sans réponse, donc. Du moins sans réponse ayant valeur de connaissance.
Je me garderai bien de définir la philosophie : la définir, c’est déjà en faire. Mais il me paraît néanmoins important de préciser que – quel que soit l’objectif poursuivi – la pensée philosophique se ramène toujours à des questions dont on ignore la réponse. N’en prenons qu’une seule, parmi une multitude d’autres, celle formulée par Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (15) Une des attitudes les plus répandues face à cette question, c’est de ne pas se la poser. Ou, se l’étant posée, de décider qu’elle est oiseuse et qu’elle mérite d’être oubliée. C’est, bien entendu, une manière d’y répondre. Mais, distinguons cependant : si ce choix de ne pas s’en préoccuper faisait l’objet d’une argumentation, on pourrait dire – je crois – que c’est philosopher ; si, par contre, il résultait d’une simple esquive – voire d’une ignorance de la question elle-même –, ce ne serait pas philosopher. Ignorer les questions philosophiques – comme le font bon nombre de gens qui ne veulent ou ne peuvent s’abstraire du divertissement politique, scientifique ou religieux qui les occupe (le mot divertissement est pris ici dans son sens pascalien) –, c’est vivre sans philosopher. A l’autre bout du problème – si je puis dire –, il y a ceux qui argumentent moins pour répondre à la question que pour endosser l’habit du philosophe et pour bénéficier en conséquence des profits qu’il procure (reconnaissance sociale, pouvoir, gloire, etc.). Ceux-là aussi, d’une certaine manière, vivent sans philosopher. Entre les deux se trouve sans doute l’acte de philosopher. Et philosopher n’est pas faire œuvre scientifique, même si la philosophie ne peut ignorer la science.
Prenons l’exemple d’une autre question sans réponse, une question qui porte directement sur la pensée, à savoir celle de la relation qui est supposée exister entre la représentation et ce qu’elle représente. Voilà une question qui – depuis 1875 environ (depuis Frege) – a beaucoup préoccupé les philosophes, que ce soient les phénoménologues ou que ce soient les philosophes analytiques. Je sais que l’on peut considérer cette question comme révélatrice d’un certain goût – caractéristique de la philosophie moderne – pour la spéculation conceptuelle, celle qui joue peut-être un peu trop sur les abstractions et se préoccupe peut-être un peu trop de systèmes, celle qui finit par devenir l’affaire d’érudits bien au fait de l’histoire de la philosophie. Reste que la question a un sens et débouche sur des sous questions tout à fait intéressantes.
Prenons le cas de la perception. La perception, c’est l’opération complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend connaissance du réel. Deux hypothèses sont notamment envisageables : ou bien la perception est structurée d’une façon qui est déjà de part en part conceptuelle et même propositionnelle ; ou bien la perception possède un contenu et des formes d’organisation qui ne sont pas conceptuels. Au cas où la deuxième hypothèse serait la bonne, il en découle des conséquences importantes. Jacques Bouveresse – qui penche pour cette deuxième hypothèse – les résume comme ceci : « L’analyse de la perception ne peut pas être l’analyse des expressions linguistiques de la perception, au sens auquel on a cru que l’analyse de la pensée pouvait coïncider avec l’analyse du langage qui lui sert de moyen d’expression ou, en tout cas, devait nécessairement passer par elle. Nous ne pouvons pas espérer comprendre de quelle façon la pensée se rattache au monde, si nous ne commençons pas par nous intéresser aux formes de la pensée perceptuelle ; et nous ne pouvons pas faire comme si l’analyse de la pensée perceptuelle ne devait commencer qu’avec l’analyse des pensées […] que nous sommes amenés à appréhender et à exprimer verbalement sur la base de notre expérience perceptuelle. » (16) Que la science puisse apporter dans ce débat des informations qu’à tout le moins il s’impose de ne pas contredire, cela me paraît indéniable. La neurologie et les sciences cognitives en général sont susceptibles de poser un certain nombre de balises tout autour du problème. Mais nous ne pouvons pas croire que la science puisse jamais le résoudre. Car ce qui est en jeu, c’est précisément les assises du postulat sur lequel la science a fondé sa crédibilité. La relation entre la représentation et ce qu’elle représente est et restera sans doute toujours une question philosophique.
Ceux qui croient ou qui font mine de croire que la science pourra répondre finalement à toutes les questions ou – ce qui revient au même – postulent qu’il n’y a de questions véritables que celles auxquelles la science peut s’attaquer, ceux-là sont selon moi des scientistes. Et ceux-là qui prétendent en outre philosopher avec l’unique secours de la connaissance scientifique – c’est-à-dire sans prendre la peine d’user de la raison pour tenter de définir les questions philosophiques –, ceux-là sont à mon sens des scientistes satisfaits.
Je conclus en ce qui concerne le concept de science : selon moi, la croyance en l’athéisme n’a un caractère philosophique – n’en déplaise à Michel Onfray – que si elle nourrit une réflexion qui dépasse les connaissances scientifiques et qui permet à la raison – et même à la logique – de s’exercer face à des questions dont la nature permet de croire que la méthode scientifique ne les résoudra pas.
La préoccupation philosophique réclame selon moi que l’on fasse taire les oppositions politiques et religieuses. Car ce n’est pas tant les divergences de croyance, de foi ou de conception qui nuisent à la profondeur de pensée. Ce qui est par-dessus tout nuisible, c’est la bêtise arrogante, celle qui invite à se donner collectivement raison en énumérant les torts des autres. Ce qui favorise ce type de bêtise, c’est l’esprit partisan.
Pour moi, être athée, ce n’est pas en soi une conception de la vie : c’est simplement un refus ou une impossibilité d’adhérer à certaines conceptions de la vie, par ailleurs aussi estimables que peuvent l’être n’importe quels efforts pour vivre en harmonie avec l’univers. La modestie est une vertu ; ça peut être aussi une méthode. Soyons méthodiquement modestes, d’autant que si l’on choisit la raison comme guide principal, il faut néanmoins – qu’on le veuille ou non – qu’elle s’adosse sur l’une ou l’autre croyance, ne serait-ce par exemple simplement que celle très vague et très floue qui nous pousse à nous concilier la nature, à nous lier au Tout, à rechercher une accordance entre le moi et le Tout.
Quand je me promène (j’aime beaucoup me promener) et que je parcours un chemin que je connais bien pour y être passé de nombreuses fois, j’aime forcer mon œil à retrouver la perception du premier regard, comme si je découvrais les lieux. En fait, je n’y arrive jamais, bien sûr. Mais au moins, je m’épargne ce regard habitué qui ne voit plus rien. Cet exercice que j’impose à ma vue, il peut s’appliquer aux idées, aux pensées, aux actes qui accompagnent le quotidien. Penser, faire, comme si toujours c’était la première fois, comme si c’était nouveau. Ne pas laisser une idée devenir une idée fixe, ne pas accepter une idée par habitude, voire simplement par fidélité… Pierre Hadot définit la philosophie comme « la transfiguration du quotidien » (17). Je ne sais pas si c’est de la philosophie, mais je crois aux vertus de cette disposition d’esprit qui ne renonce jamais à traiter le quotidien comme de l’exceptionnel. Ça ne vient pas en un jour, ça vient avec le temps, doucement, sans qu’on y soit nécessairement pour beaucoup. C’est une des choses qui rendent agréable le fait de vieillir. Montaigne dit qu’il faut « apprendre à mourir » (18). Comment ? D’abord, peut-être, en laissant au temps le soin de nous apprendre à nous tourner toujours davantage, toujours plus continûment, vers le meilleur. A ceux qui découvrent combien vieillir est agréable (on vieillit dès le plus jeune âge), la mort – sans doute – devient quelque chose de léger, léger comme peut l’être un accomplissement.
Je disais il y a un instant : nous tourner vers le meilleur. Je ne voudrais pas être mal compris. Le meilleur, ce n’est pas uniquement ce qui est bien moralement. Lorsque Lucien de Samosate, le fameux satiriste du IIe siècle après Jésus-Christ, dit justement que Démonax – Démonax le cynique – lorsqu’il dit que « Démonax se tourna vers le meilleur », il veut dire qu’il se convertit à la philosophie. Cela correspond très exactement à l’idée que Platon exprime à la fin du Timée (19) : la partie la plus excellente se met en harmonie avec le Tout, avec l’univers. Il y a peu de chose du Timée que je suis disposé à comprendre et à approuver, mais cette idée-là (20) est puissante et joyeuse et je ne vois rien qui nous interdit de la mettre au crédit de Platon, même si elle se retrouve peut-être déjà chez Parménide, mais de manière beaucoup plus énigmatique, même si elle deviendra ultérieurement le cheval de bataille des stoïciens. Traiter Platon comme Michel Onfray le fait, c’est – je crois – se conduire en iconoclaste.
(1) Cette note a servi de base à un exposé.
(2) Grasset, 2005.
(3) Grasset, 1989.
(4) Grasset, 1990.
(5) Galilée, 2002.
(6) Grasset & Fasquelle, 2003.
(7) Cours enregistrés et coédités par Frémeaux & associés + France Culture + Grasset + Université populaire de Caen, 2003 – 2004.
(8) Connue sous cette forme, la citation exacte est peut-être : « Il serait juste que les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec les boyaux de prêtres. » Du moins c’est ainsi qu’elle figure sur le site internet de la municipalité d’Etrepigny, village ardennais qui s’enorgueillit d’avoir été celui de Jean Meslier. Le texte établi et annoté par Michel Jacquesson d'après l'édition de Voltaire de la B.N.F. (qui – c’est vrai – n’est pas complet) ne comprend pas cette phrase (cf. le site internet http://homepage.mac.com/guyjacqu/meslier/index.html).
(9) Éloge de la philosophie, Gallimard, 1953, p. 53.
(10) Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel, Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité, 2002, p. 240-241.
(11) Cf. Jacqueline Picoche, Dictionnaire étymologique du français, Le Robert, 1979, p. 575.
(12) Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, 1968, p. 65.
(13) Victor Cousin, Leçons sur la philosophie de Kant, 1857, pp. 266-267.
(14) Lucien Jerphagnon, Les dieux ne sont jamais loin, Desclée de Brouwer, 2002, p. 13-16.
(15) Cf. notamment « De l’origine radicale des choses » (1697) in Leibniz, Œuvres choisies, par L. Prenant, Garnier, pp. 265-272.
(16) Jacques Bouveresse, Leçon inaugurale faite le vendredi 6 octobre 1995, Collège de France, 1995, p. 11.
(17) Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, p. 381.
(18) Montaigne, Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1962, Livre I Chap. XX, pp. 79 à 95.
(19) Cf. particulièrement 87.c à 90.d (Platon, Œuvres complètes II, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, pp. 517-521).
(20) Au sujet de cette idée et des références citées, cf. Pierre Hadot, op. cit., p. 379.
Autres notes sur Michel Onfray :
À propos de la vanité
L’ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus
Il semblerait que d'autres ont, avec raison à mon avis, encore moins envie que vous de lire Onfray :
RépondreSupprimerhttp://lmsi.net/Proposition-de-loi-pour-l
C’est manifeste ! Cela dit, je pense que l’outrance de la critique est en bonne partie inefficace. Car à quoi sert le discrédit jeté sur Onfray, si rares sont ceux qui comprennent précisément pourquoi il le mérite. En présentant les débats comme des combats entre des personnes, plutôt qu’entre des idées, on laisse davantage place aux sympathies et aux antipathies spontanées qu’à la comparaison des raisons et arguments. Et critiquer sans nuances, c’est s’exposer à une réplique de même nature. Si, par impossible, Onfray était éliminé du paysage audio-visuel - et même de l’espace public, comme cela est suggéré avec humour sur le site du collectif Les mots sont importants - nul doute qu’il serait remplacé par une pareil ou un pire. Évidemment, si on lutte contre Onfray pour des raisons politiques, alors il est aisé de comprendre qu’on use de moyens politiques, c’est-à-dire de tous les moyens. Mais ce n’est pas mon cas : je suis probablement trop sceptique pour ça.
RépondreSupprimerMerci pour votre contribution.
L'outrance a aussi parfois ses mérites. Il suffit simplement de penser à Karl Kraus.
RépondreSupprimerPardonnez-moi une question plus personnelle. Ne vous arrive-t-il donc jamais d'avoir envie d'être déraisonnable ? Et si votre réponse est positive, ne croyez-vous pas que la raison en est plus liée à votre caractère qu'à l'objectivité intellectuelle ou à l'efficacité polémique que vous semblez vouloir défendre ?
Je ne crois pas que l'on puisse réellement séparer le débat d'idées de celui des personnes qui défendent celles-ci ou alors à exclure de toutes responsabilités les intellectuels. Je ne crois pas que vous vouliez défendre cette position ...
Vous avez remarqué que la suggestion relayée par LMSI se veut ironique. Il ne faut donc pas la prendre trop au sérieux et cela n'implique pas forcément le fatalisme que vous semblez vouloir prêcher.
J'avoue ne pas bien saisir ce que vous mettez ici sous l'expression "raisons politiques". Je ne crois pas que "tout est politique" mais je crois qu'un philosophe, aussi grand soit-il - de Socrate à Heidegger -, ne vit pas en dehors de la cité.
Je ne crois pas non plus que d'user de moyens politiques impliquent d'utiliser "tous les moyens".
Mézigue
Monsieur,
RépondreSupprimerN'étant pas un fan de Michel Onfray - sans doute d'abord pour des raisons quasiment physiologiques de catholicisme primaire, mais aussi, quand même, par lassitude de la place prise par un "auteur" trop peu rigoureux, pour dire le moins - j'ai lu avec joie votre analyse.
Je me prends à vouloir réagir sur votre utilisation du mot religion, mot piégé s'il en est. Je ne crois plus en la religion comme réalité définissable depuis que j'ai lu Cavanaugh (un théologien) qui, dans "le mythe de la violence religieuse", présente le concept de religion comme une invention occidentale motivée par l'autonomisation des États vis-à-vis de l'Église, et de ce fait inapplicable hors de ce cadre restreint. Je suis bien incapable de juger de la vérité de ses analyses, mais comme tout ce qui remet en cause les catégories réflexes de notre temps, j'y adhère... par réflexe. Attitude probablement paradoxale, mais le paradoxe fait vivre. Je pense que le mot de religion permet de ranger d'un seul geste dans le même tiroir des réalités aussi différentes que le chistianisme, le bouddhisme, l'hindouisme, l'islam, pour finir par se demander s'il faut y inclure le foot, le platonisme et les Beatles ? Toutes ces nuances méritent, à mon sens, d'être considérées individuellement et le vocabulaire englobant de religion ne permet quère qu'une esquive.
Sur la question de la science et de la connaissance, je "crois" qu'on ne peut que démontrer la fausseté d'une théorie, jamais sa vérité, suspendue à l'expérience falsificatrice (chercheur sur les métaux, je suis poperrien jusqu'à la moelle, ce qui est presque aussi grave que d'être catholique, je crois). Et quant à la foi, elle commence par la simple question : le réel existe-t-il ? Du rêve du papillon à l'idéalisme, la question traverse toutes les cultures, et je n'ai pas entendu parler d'une preuve satisfaisante de l'existence de l'univers. Ainsi, je crois que l'on ne peut que croire, et que bien des hommes souffrent de n'être pas en paix avec cette idée - quel que soit, par ailleurs, l'objet de leur foi. Même si l'aquinate tend à régler certaines de mes plus graves inquiétudes sur ces questions. Car enfin, que l'autre existe est tout de même plutôt agréable.
Vous invoquez les méthodes scientifiques, et que celles des sciences dures n'intéressent que ce qu'elles peuvent prendre pour objet. De façon générale, la technique correspond à l'objet d'étude, et elle ne saurait être la même pour la question de l'être, de la déformation des métaux, l'histoire, la psychologie développementale, etc. Nous vivons une époque très troublée sur la question du lien entre connaissance et objet étudié : je pense que Comte n'a pas fini de faire des dégâts de ce point de vu-là. Le monde foisonne et le réel - s'il existe - déborde toutes nos aptitudes à la maîtrise. Et votre définition des scientistes me laisse à penser que vous entendez les choses ainsi...
Cela étant, je voulais vous remercier pour vos positions toujours nuancées et originales, rigoureuses et sceptiques. Il est rare d'avoir l'occasion de s'exercer à "suspendre son jugement" grâce à la plume d'un autre - qui plus est d'un athée et sur internet ! - et avec un bonheur de formule qui m'a fait rire plus d'une fois dans l'un ou l'autre de vos billets que j'ai déjà eu le temps de lire. Lecture qu'il me faudra reprendre plus tard...
Cordialement,
Marc
Je suis d’accord avec bien des choses que vous dites.
SupprimerQue le sens du mot religion prête à confusion, cela ne fait pour moi aucun doute. Et bien des croyances et des pratiques restent incomprises en raison de cette confusion. William Cavanaugh me paraît personnellement très peu convaincant, mais cela tient moins à sa théorie de l’Etat qu’à sa résolution de croire qu’il existe une foi indemne.
Poppérien, je le suis aussi, dès lors que cela signifie que l’on accepte le principe de réfutation (plutôt que de falsification, comme Popper lui-même le souhaitait) comme une garantie de rigueur dans la construction des hypothèses scientifiques. Mais Thomas d’Aquin ne m’aide guère, je l’avoue, la réfutation de sa foi me paraissant assez aisée en raison de son incapacité à établir que ce qu’il croit est vrai.
Effectivement, les temps présents ajoutent à la confusion à propos du lien entre connaissance et objet. Il est heureux que Jacques Bouveresse bataille continûment pour remettre un peu de raison dans tant de déraison.
Merci beaucoup pour vos encouragements et votre aptitude au dialogue.