dimanche 7 mars 2021

Note d’opinion : le jugement rendu à l’encontre de Nicolas Sarkozy

À propos du jugement rendu à l’encontre de Nicolas Sarkozy

Le 1er mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu Nicolas Sarkozy coupable de corruption et trafic d’influence et l’a condamné à trois ans d’emprisonnement, dont un ferme. Lui-même, ses co-condamnés et le parquet ont tous interjeté appel, ce qui laisse totalement incertain le résultat des poursuites et prive la décision de cette présomption de vérité que l’adage res judicata pro veritate habetur reconnaît aux sentences définitives.

Je me garderai bien de donner le moindre avis sur l’éventuelle culpabilité de Nicolas Sarkozy. Principalement parce que je n’ai pas accès au dossier et n’ai lu à son sujet que des bribes très fragmentaires dans la presse. La tentation de l’innocenter ou de le charger, selon que l’on éprouve ou non des sympathies à son égard ou vis-à-vis des engagements politiques qu’il représente, est à ce point pressante que très nombreux sont ceux qui ne se sont pas privés d’argumenter allègrement dans un sens ou dans l’autre, y compris en soupçonnant les juges d’avoir eux-mêmes succombé à la même tentation.

Nicolas Sarkozy lui-même - à qui l’occasion fut donnée d’accuser ses juges lors d’un journal télévisé (1) - n’a pas manqué de juger sa condamnation, ce qui est sans doute le moins étonnant. Parmi les arguments qu’il a utilisé lors de cette interview, il y en a un cependant qui me conduit à réagir. Encore une fois, je n’entends pas par là prétendre que Nicolas Sarkozy est coupable, mais seulement que cet argument-là n’est pas fondé.

Repportons-nous à ses propos, lors du journal télévisé en question (2). Et j’invite chaque lecteur à écouter ou réécouter l’interview dans sa totalité, car isoler des phrases en pareille circonstance peut être facilement trompeur. Nicolas Sarkozy dit : « On me condamne à trois ans de prison parce qu’on me prête l’intention d’avoir eu la volonté de rendre service à l’ami d’un ami, tout en reconnaissant que je ne l’ai pas fait. » (3) Puis, un peu après, « La seule chose qui reste, c’est des bribes de conversation téléphoniques avec mon avocat où on me prête l’intention de faire une démarche en échange de renseignements sur un procès. Je n’ai pas fait de démarche, M. Azibert n’a pas eu son poste et moi je n’ai pas eu la décision que j’attendais. Et on me condamne pour ça, pour une intention. »

Selon moi, où se situe le problème ?

Un procès d’intention est un sophisme qui consiste à adresser un reproche à quelqu’un en supposant que les faits connus traduisent une intention coupable, elle-même non établie. C’est un sophisme, car la prémisse du raisonnement est insuffisante. Ainsi, l’expression procès d’intention est couramment employée pour caractériser un reproche infondé.

Il n’est pas douteux que, en l’occurrence, Nicolas Sarkozy interprète la portée de ses intentions, telles qu’elles jouent un rôle dans les charges retenues contre lui, pour assimiler le procès qui lui a été fait à un procès d’intention. L’expression « on me prête l’intention d’avoir eu la volonté de » est assez alambiquée. « […] on me condamne […] pour une intention » est plus claire. Il s’agit bel et bien pour lui de faire croire que l’intention dont il est question est purement hypothétique et que, en conséquence, on l’a condamné sans preuve, ce qu’il a répété à plusieurs reprises. Plus précis même, il a affirmé : « […] on me reproche des faits que je n’ai pas commis », évoquant bien sûr la non exécution des intentions en cause, mais en se gardant bien de dire qu’il lui a été reproché des intentions jugées établies, donc des faits.

Car reprocher à quelqu’un une intention dont on a la preuve n’est plus un sophisme. Si quelqu’un m’annonce qu’il a l’intention de me tuer, je suis en droit de le lui reprocher sans commettre ce qu’on appelle couramment un procès d’intention. Je suis en droit de lui reprocher son intention, parce qu’elle est patente. Je ne suppose pas l’intention ; elle est là et je la juge, indépendamment qu’elle soit ou non réalisée.

Nous vivons une époque où la distinction entre le vrai et le faux, entre la vérité et le mensonge, entre les faits et les valeurs, a beaucoup perdu de son importance. La rhétorique triomphe ; il s’agit à présent de convaincre, peu importe comment. Et ce dépérissement de la véracité est tel que l’on voit bien des gens adhérer à un mensonge en le sachant tel, au seul motif qu’il accrédite leurs préférences. Lorsque des raisonnements captieux sont propagés et obtiennent une écoute imméritée, il me paraît juste d’en dénoncer le contour. C’est ce faisant que l’on peut espérer que l’esprit critique perdra moins de terrain.

Même s’il apparaît que ce ne devrait peut-être pas se passer au journal télévisé, Nicolas Sarkozy a évidemment le droit de se défendre, de trouver la peine trop lourde ou totalement imméritée, de considérer la procédure trop longue, voire entachée de nullité (bien que la Cour de cassation se soit prononcée au moins partiellement sur ce point). Et bien sûr il a le droit d’interjeter appel et de réclamer d’être, jusqu’à la décision définitive, présumé innocent. Mais cela ne lui donne pas le droit d’user d’un argument trompeur qui fait peser sur les juges qui ont statué le 1er mars un procès d’intention - un vrai celui-là -, celui de l’avoir jugé coupable sans preuve pour des motifs inavouables.

(1) JT de 20 h. de TF1 le 3 mars 2021. Assurément très habile, Nicolas Sarkozy en a fait un argument en faveur de son innocence. Il a dit, en s’adressant au journaliste Gilles Bouleau : « Et d’ailleurs et vous, si vous n’aviez pas la conviction que je suis un honnête homme, est-ce que vous me réserveriez un tel accueil à votre journal, est-ce que vous m’interrogeriez aujourd’hui comme vous le faites ? » Sous-entendu : il serait inadmissible de permettre à un coupable de critiquer ses juges.
(2) La video est accessible ici.
(3) Quant à la réalité du service évoqué, il dit un peu plus tard : « Thierry Herzog, qui est mon ami depuis des années, me demande de donner un coup de pouce pour un de ses amis. J’étais prêt à le faire bien volontiers. Et on me dit : c’est un pacte de corruption. » Cela contredit l’argumentation d’une intention prêtée, mais dans un contexte où il s’agit alors de minimiser la portée de la conversation. Je ne me prononce pas sur la gravité de ladite conversation. Il peut être pris connaissance de celle-ci, telle que le jugement la reproduit, dans l’article “Pourquoi les juges ont condamné Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert” publié par Pascale Robert-Diard dans Le Monde du 4 mars 2021.

2 commentaires:

  1. Très pertinente observation ! Le texte du jugement est ici, pour qui a la patience d'en parcourir les 254 pages : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2021/03/jugement_delibere_01-03-2021_pdf-07-03-2021.pdf

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    1. Je les ai parcourues. Cela réclame plus de temps que de patience, car les arguments cités et avancés se révèlent très intéressants. Le meilleur du jugement commence à la page 156, avec les motifs de la décision.
      Je laisserai bien sûr la dernière instance dire si les prévenus sont ou non coupables.
      Un mot encore, cependant, à propos de l’interview du 3 mars 2021. La lecture du jugement permet d’apercevoir un autre argument trompeur utilisé par Nicolas Sarkozy. En effet, il explique ce jour-là que les transcriptions des conversations téléphoniques ont été altérées « en les découpant avec des ciseaux » et en les mettant « bout à bout », sous-entendu pour leur faire dire ce qu’elles ne disent pas. Or, il apparaît que, si des parties de conversation n’ont pas été reproduites dans le jugement, c’est pour la raison suivante : « Dans le cadre d'un contrôle de légalité de la preuve, le tribunal peut décider de ne pas prendre en compte des pièces et de les écarter notamment parce que les circonstances de recueil de celle-ci apparaissent contrevenir aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme » (p. 165), l’article 6 en question exigeant - pour faire bref - que « la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, [ait] été équitable dans son ensemble » (jurisprudence). Ce qui laisse voir que, s’il crie à l’injustice, il est lui-même injuste avec ses juges.

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