dimanche 24 août 2025

Note d’opinion : des prénotions à l’émergence

Des prénotions à l’émergence

S’il fallait que, d’un mot, je donne à comprendre ce qui m’a conduit à évoquer des concepts aussi philosophiques que prénotions ou émergence, je me verrais contraint de contourner ma propre histoire - qui sait ce qu’elle fut vraiment ? - et de réduire à trois étapes le chemin par lequel j’ai l’impression d’être passé : d’abord, la politique (sous une forme passionnelle), ensuite les sciences sociales (sous le couvert d’une formation), enfin la philosophie (en autodidacte). La deuxième étape m’a très vite guéri de la première et la troisième m’a très lentement éloigné de la deuxième. Non sans conséquences.

Ma propre histoire n’est guère intéressante, mais elle offre peut-être une occasion de mesurer ce qui conduit d’une manière de penser à une autre - de passer d’une erreur à une autre, devrais-je dire - selon un parcours durant lequel l’illusion de s’y mieux prendre masque l’inanité des vains efforts consentis pour se comprendre et comprendre ce qui nous comprend. Je dois ajouter que, lorsque je me retourne sur mon passé, je m’expose évidemment à prendre pour un réel périmé des réédifications qui contentent l’état actuel de mes réflexions. De cela aussi témoigne ce que je vais dire.

Peut-être le point de départ de ce que je me propose d’évoquer réside-t-il dans la perte de la foi, laquelle m’a probablement poussé à une sorte de contre-pied systématique, tant vis-à-vis de tous ceux qui ont œuvré à l’entretenir que vis-à-vis des représentations théoriques auxquelles je l’associais. À l’âge de 14 ou 15 ans, j’avais dévoré dans une sorte de passion fiévreuse le Jean Barois de Roger Martin du Gard, écartant ce que la fin de vie du personnage pouvait laisser entendre, et je m’étais persuadé que la science opposait à la religion des arguments irréfutables. Sans en prendre clairement conscience, j’adoptai dès lors le pli d’écarter comme intempestives des notions telles que métaphysique, transcendance ou spiritualité, croyant naïvement savoir ce qu’elles voulaient dire, ce qui n’était évidemment pas le cas.

Le contre-pied impliqua l’engagement politique, ce dont mon milieu familial catholique me semblait s’abstenir ; à gauche, bien sûr, jusqu’à participer activement à cette mouvance qui déboucha ultérieurement sur mai 68. (1) Voilà ce qui m’amena à entamer des études dans ce qui s’appelait alors les sciences politiques et sociales, le versant politique m’accrochant initialement bien davantage que le versant social.

Je découvris la sociologie dans un contexte qui prêterait à rire, s’il n’illustrait parfaitement la confiance qu’un jeune issu d’un milieu modeste pouvait quelquefois éprouver à l’égard du monde universitaire. L’Institut de sociologie de l’Université de Liège se composait alors d’une équipe placée sous la direction du professeur René Clémens, une équipe qui expérimentait les réunions dites de dynamique de groupe, sortes de brainstormings prétendument inspirés de Kurt Lewin et Didier Anzieu. J’y entendais parler d’une discipline aux ambitions scientifiques, ce qui correspondait pour moi à l’immixtion de la préoccupation du vrai dans un domaine inaccoutumé à cela. J’ai toujours conservé en mémoire la leçon au cours de laquelle Clémens avait écrit au tableau cette définition de la science - « étude des relations constantes existant entre les faits » -, une définition si simple qu’elle permettait d’espérer ingénument l’élucidation du monde social. Ce dont je ne m’étais absolument pas aperçu, c’est à quel point cette équipe et son pilote partageaient des conceptions politiques colonialistes, conservatrices et catholiques, bref très à droite. (2) C’est presque impardonnable. Toujours est-il que, après les candidatures (3), avide de scientificité, je m’orientai vers les sciences sociales plutôt que vers la science politique.

Un auteur dont on parlait beaucoup à l’Institut de sociologie, c’était Émile Durkheim. Il était en quelque sorte celui à qui on devait de croire en une science sociale au vrai sens du mot. Bien sûr, je n’ai lu alors de lui que quelques extraits censés illustrer sa pensée. Mais, dans la mesure où tout dans ses prises de position me séduisait, j’ai ultérieurement exploré son œuvre, au point d’y puiser une certaine hiérarchisation des savoirs dont je suis resté longtemps prisonnier. Au-delà des ses principaux ouvrages bien connus, j’ai notamment découvert sa conception de la sociologie par le biais des recueils de Textes publiés en 1975 (4). C’est à ce moment-là que j’ai conforté mon opinion selon laquelle, si l’on excepte les sciences de la nature, la sociologie occupait au sein du savoir une place centrale. Que ce soit vis-à-vis des recherches spécialisées, en deçà de la sociologie (telles « l’ethnologie juridique » ou « l’anthropologie religieuse ») ou que ce soit vis-à-vis de la philosophie, au-delà de la sociologie, il convenait de dépasser les prénotions, lesquelles étaient regardées dans un cas comme des « notions communes, non préalablement soumises à la critique » et dominant le travail « à son insu », dans l’autre cas comme des doctrines idéologiques qui méconnaissent ce qu’elle doivent à une « vie sociale débordant de tous les côtés la conscience ». (5) Bref, encouragé par mon incrédulité face aux spiritualités comme aux opinions premières, j’ai accordé à la recherche relative aux mécanismes sociaux le bénéfice de mettre au jour les déterminations cachées qui orchestrent la vie sociale.

À l’époque, je n’ai très certainement pas accordé au concept de prénotions l’importance que, rétrospectivement, je lui donne aujourd’hui. Il m’avait quand même suffisamment marqué pour que, dans les années 80, dans le cadre du cours de sociologie que je dispensais, je consacre tout spécialement une leçon à la façon dont Durkheim en parlait (6). Il s’agissait d’insister sur le principe de non-conscience, tel que Bourdieu l’illustrait abondamment dans ses travaux. « Il faut écarter systématiquement toutes les prénotions » disait Durkheim (7). Si ce n’est que le mot pouvait aussi désigner cet effort fait pour saisir cette part du savoir qui ne doit rien aux sens, à l’observation, à l’empirie, et que l’on parvient difficilement à négliger totalement. « Je crois, Sganarelle, que deux et deux sont quatre et que quatre et quatre sont huit » dit Don Juan (8) Qui en disconviendrait ?

Deux et deux font quatre : qu’est-ce donc que cela, qui parvient à être vrai sans être ? Pareille question, je la formule à présent. Ce n’est pas elle qui m’a porté à lire les philosophes. Mais c’est à tout le moins le sentiment que les sciences sociales ne résolvaient pas tout et qu’il était légitime de se poser des questions qui leur échappaient totalement. Dans les années 60, j’avais beaucoup apprécié le cours de philosophie de Philippe Devaux, axé sur son livre De Thalès à Bergson (9). Il m’avait conforté dans une sorte de positivisme naïf qui ne rechignait nullement aux prolongements moraux que, par exemple, un Bertrand Russel me semblait lui donner. Il était toujours question d’écarter les prénotions - ou disons plus simplement ce qui relevait de ce qu’il appelait le substantialisme -, mais, si lire apprend, lire inculque aussi l’hésitation et le doute. En philosophie, plus on cherche à savoir, plus on mesure qu’on ne sait pas, ce qui m’a conduit sur les rives du scepticisme.

Plus on en sait, moins aussi on maîtrise nos préférences, car celles-ci s’expriment dans un maquis de propositions de plus en plus touffu. Seul le temps permet parfois de reconnaître le caractère si souvent arbitraire des préférences. Et davantage on les démasque, davantage on incline au scepticisme, jusqu’à en faire une nouvelle préférence, pas moins arbitraire. Je regrette quelquefois de n’avoir pas bénéficié d’une formation philosophique en bonne et due forme. Si ce n’est que celle-ci m’aurait peut-être amarré - qui sait ? - au confort d’un dogmatisme dûment étayé.

Mes préférences ont été principalement distinguables par mes antipathies. D’abord sans doute une grande aversion pour toute forme d’essentialisme, de substantialisme et de spiritualisme et, du même coup, une forte défiance vis-à-vis de la métaphysique et de tout ce qui prête une quelconque réalité à des mots qui doivent tout à l’évidence, à l’intuition et à toute aperception spontanée. Ce qui ne m’empêcha sans doute pas de commettre moi-même le forfait ainsi dénoncé, sans trop m’en rendre compte. Le jugement synthétique a priori de Kant me gênait énormément, même s’il manifestait une forme pointue de rationalité. Devaux disait que la Critique de la raison pratique avait ressuscité l’essentialisme chrétien, ce qui jetait un doute sur ce que Kant disait de la raison pure. Mais c’est surtout les objections formulées à son encontre par les membres du Cercle de Vienne qui m’ont semblé convaincantes. (10)

Au moment où Sartre connaissait sa plus grande gloire, je m’en distançai rapidement. Il me paraissait paradoxal d’adhérer au marxisme et, simultanément, de s’agripper à la liberté de l’homme comme il le faisait. C’était selon moi reproduire en pire la contradiction sur laquelle reposait le marxisme, lequel prétendait inéluctable l’avénement du communisme et affirmait néanmoins nécessaire de lutter pour son éclosion. Outre quoi, la Critique de la raison dialectique m’apparaissait comme de la très mauvaise sociologie, pleine d’intuitions subjectives. Je ne m’appesantirai pas sur l’espèce de fin de non-recevoir que j’opposai à Michel Foucault. Tout dans son œuvre me semblait tant devoir au souci d’étonner et de séduire (ce dont témoignait son succès), alors que les approximations historiques sur la base desquelles il s’autorisa à disserter sur la folie à l’âge classique, l’irrationalité des opinions qu’il défendit à propos des asiles et des prisons, et surtout l’impulsion qu’il prétendit trouver chez Nietzsche et Heidegger (11) - en réalité très équivoque - l’inscrivaient selon moi dans les errements de la gauche intellectuelle française. À sa suite, je ne pus que me rebeller contre ceux que l’on classait dans cette philosophie postmoderne, tellement encline à faire le procès de la rationalité et à décupler les galimatias de la phénoménologie. Le cap moderniste que conserva quelqu’un comme Jacques Bouveresse me parut salutaire.

Reste que, en philosophie, tant de choses paraissaient si malaisées à comprendre que, toujours quelque peu obnubilé par cette passerelle que j’établissais bien maladroitement entre prénotions (12) et métaphysique, j’ai davantage lu de la philosophie et, par voie de conséquence, moins de sociologie, celle-ci s’égarant selon moi dans ce qu’on qualifia de pragmatique, là où le principe de non-conscience était aboli. Il me faut répéter que, de sociologie proprement dite, je n’en fis jamais, dès lors qu’en faire consiste en recherches et non en enseignement.

Il me faut à présent tenter de décrire ce que je pourrais appeler mon point aveugle. Aveugle, parce que la répugnance que j’éprouvais à l’égard de la métaphysique - liée à la conviction que celle-ci créait continûment du surnaturel sur le modèle du Dieu des religions - me porta à jeter un même discrédit sur toutes ces tentatives qui visent à psychologiser la philosophie, comme le faisaient la plupart des phénoménologues et des heideggeriens. Heidegger a eu beau prétendre qu’il s’était débarrassé de la métaphysique, il ne fabulait pas moins qu’elle lorsqu’il affirma que sa propre ontologie était intuitivement annoncée par Kant.
« Kant n’a pas voulu nous donner une théorie de la science de la nature, mais il a voulu manifester la problématique de la métaphysique, plus exactement de l’ontologie. Le but que je me propose est d’élaborer ce noyau qui est le fondement positif de la Critique de la raison pure, pour la réintégrer positivement dans l’ontologie. Sur la base de mon interprétation de la dialectique comme ontologie, je crois pouvoir montrer que le problème de l’apparence dans la Logique transcendantale, qui chez Kant n’est là que négativement, du moins à ce qu’il semble au premier abord, est en réalité un problème positif et que la question qui se pose est celle-ci : l’apparence n’est-elle qu’un fait que nous constatons, ou bien le problème tout entier de la raison doit-il être compris de telle façon que l’on saisisse d’emblée comment à la nature de l’homme appartient nécessairement l’apparence. » (13)

Si je cite ce texte extrait du débat de 1929 avec Cassirer, c’est parce qu’il révèle clairement, me semble-t-il, combien - indépendamment des convictions nazies et antisémites d’Heidegger - on ne peut que s’étonner de l’emballement qu’il suscita en France, alors qu’il suggère que la raison humaine serait inféodée à l’apparence. À l’inverse des sceptiques, il ne fait pas de l’apparence un obstacle auquel la raison est partiellement ou totalement confrontée ; il la désigne comme appartenant à la nature de l’homme. Qu’il faille étudier le phénomène en ce qu’il n’est qu’une apparence, loin de moi l’idée de le contester. C’était le projet initial de Husserl. Mais on s’égare vite, selon moi, lorsque, sur la seule apparence, on bâtit des billevesées sans plus aucune accroche empirique de quelque nature qu’elle soit, des billevesées qui ne servent qu’à alimenter des acrobaties intellectuelles dont on chercherait en vain ce qu’elles nous apprennent.

Peu avant la pandémie de Covid, j’avais lu le livre de Claudine Tiercelin Le ciment des choses (14). Il s’agit d’un ouvrage difficile, raisonnant quelquefois au-delà de mes propres capacités de compréhension. Il m’avait néanmoins troublé par la perspective qu’il ouvrait, dans le sillage de l’œuvre de Charles Peirce, sur la possibilité d’une métaphysique réaliste. Cela m’avait même amené à relire des pages de Descartes et de Kant, dans l’espoir d’explorer de nouvelles incertitudes. Si l’incertitude est sans nul doute le meilleur ferment de la réflexion, elle réclame de surveiller une forme d’expression empreinte de conviction à laquelle elle incite par contrecoup. C’est de cette perplexité dont témoigne ma note du 17 novembre 2020 relative à l’objet et au sujet.

Il m’est ainsi progressivement apparu que la métaphysique pouvait quelquefois participer à connaître les choses. S’il n’y a rien derrière le réel, celui-ci peut néanmoins réclamer d’être abordé grâce à des productions de la pensée étrangères à l’expérience. Après tout : « Personne n’a jamais vu une cause. C’est notre esprit qui en suppose l’intervention pour s’expliquer ce que nous voyons. » (15) Voilà qui me conduisit récemment à adoucir mon attitude envers la métaphysique et aussi envers la phénoménologie, même si ce fut souvent pour admettre que j’utilisais sans m’en rendre compte des concepts qui leur devait quelque chose. J’avais depuis longtemps approuvé l’approche de la science qui était celle de Karl Popper, moins en ce qui concerne son critère de falsifiabilité qu’en ce qui regarde le caractère perpétuellement hypothétique des savoirs scientifiques. Puis, j’ai découvert grâce à la réimpression en 2022 de La connaissance objective (16) ce qu’il appelle le troisième monde - le monde des intelligibles - et la façon dont il en affirme l’objectivité (17). Sans vouloir revenir sur la question de la réalité des nombres et des propositions mathématiques (dont je continue personnellement d’ignorer la nature), je trouve très intéressante cette distinction qu’il opère au sein de ce qui n’appartient pas au monde physique entre les états mentaux et les intelligibles, ces derniers trouvant selon lui leur objectivité dans leur conformité à la logique. C’est en tout cas une théorie qui prête à la réflexion.

Or, tandis que je m’interrogeais plus que jamais sur la validité des jugements synthétiques a priori, il me vint des doutes à propos de certains développement de la philosophie matérialiste. Celle-ci est bien moins connue et bien moins célébrée que la philosophie spiritualiste. Elle ne fait pas moins l’objet de développements complexes, d’autant qu’elle touche à la philosophie de la science, avec laquelle elle partage un même objet. Un des débats les plus âpres au sein de cette branche de la philosophie porte sur ce qu’on appelle l’émergentisme (18), lequel offre une configuration présentant des similitudes avec le problème de la réalité métaphysique.

Selon un physicalisme pur et dur, toute réalité se réduit en principe aux éléments qui la constitue : la vie n’est faite que d’éléments matériels spécifiquement disposés ; la pensée n’est faite que de mouvements somatiques affectant des éléments du cerveau. Mais la vie et la pensée manifestent des propriétés qui ne sont pas réductibles sans doute possible à leurs éléments constitutifs, de telle sorte qu’il conviendrait d’admettre l’émergence de propriétés totalement nouvelles. Toute la problématique réside donc dans la question de savoir si l’émergence signifie l’apparition d’une réalité qui devrait quelque chose à un ou des éléments d’une nature non matérielle ou bien plutôt à l’ignorance d’un mécanisme qui relie les deux niveaux de réalité. Il y a là un coin dans lequel Dieu ne manquera pas de s’insinuer, ne serait-ce que le Dieu de Spinoza.

Qu’ajouter à ce mauvais pitch, qui bouscule sans nul doute un temps perdu qu’aucune recherche ne peut rendre pleinement accessible ? Il s’y trouve certainement bien davantage de sincérité dans l’envie décelable que ce se soit passé de la sorte que dans quelque fidélité que ce soit aux faits révolus. Après tout, nous ne sommes que ce que nous sommes voués à être, y compris dans nos variations successives. Comme le remarquait Montaigne :
«  […] nous avons beau dire, la coustume et l’usage de la vie commune nous emporte. La plus part de mes actions se conduisent par exemple, non par chois. Toutesfois je ne m’y conviay pas proprement, on m’y mena, et y fus porté par des occasions estrangères. Car non seulement les choses incommodes, mais il n’en est aucune si laide et vitieuse et evitable qui ne puisse devenir acceptable par quelque condition et accident : tant l’humaine posture est vaine. » (19)

(1) D’emblée, je fus très anticommuniste, attiré plutôt par les espérances anarchistes de l’époque.
(2) Sur la personnalité de René Clémens, cf. le billet écrit en 2014 par l’historien Vincent Genin sur le site de l’Académie royale des sciences d’outre-mer.
(3) En Belgique, avant la mise en application du Processus de Bologne, ce qui est aujourd’hui’ dénommé bachalauréat était appelé candidatures et ce qui est dénommé master était appelé licence.
(4) Émile Durkheim, Textes, 3 volumes, présentés par Victor Karady, Éd. de Minuit, Le sens commun, 1975.
(5) Même si je n’ai pas le souvenir de m’être arrêté particulièrement à ces textes (l’un présenté en 1904 à la Sociological Society de Londres, l’autre inséré dans le n° 10 de L’année sociologique), cf. par exemple “De la relation de la sociologie avec les sciences sociales et la philosophie” et “Ethnologie juridique et méthode sociologique” in Émile Durkheim, Textes I, pp. 166-169 et 258-260.
(6) Cf. Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF, Quadrige, 1981, pp. 31 et ss., ainsi que les commentaires qu’en donnent Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron in Le métier de sociologue troisième éd. [1968], Mouton, La Haye, 1980, pp. 27-29 et 124-129.
(7) Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, p. 60.
(8) Molière, Don Juan ou Le Festin de pierre, acte III, scène 1. On trouve dans La peste de Camus et dans 1984 d’Orwell l’idée que deux plus deux font quatre peut s’inscrire dans la lutte contre la tyrannie.
(9) Philippe Devaux, De Thalès à Bergson. Introduction à la philosophie européenne [1947], Sciences et lettres, Liège, 1955.
(10) « […] c’est dans le refus de la possibilité d’une connaissance synthétique a priori que réside la thèse fondamentale de l’empirisme moderne » (Antonia Soulez (dir.), Manifeste du cercle de Vienne et autres écrits, PUF, 1985, p. 118.)
(11) Sur la filiation à Heidegger, cf. Michel Foucault, Dits et écrits. 1954-1988 tome IV, Gallimard, 1994, texte n° 362.
(12) On retrouve bien sûr le concept en philosophie, comme par exemple pour traduire la prolèpsis chez Épicure ou pour désigner ce qui inspire la recherche avant toute recherche chez Francis Bacon (cf. Du progrès et de la promotion des savoirs [1605], trad. de Michèle Le Doeuff, Gallimard, Tel, 1991).
(13) Ernst Cassirer et Martin Heidegger, Débats sur le kantisme et la philosophie et autres textes de 1929-1931, trad. de Pierre Aubenque, Beauchesne, 1972, p. 29.
(14) Claudine Tiercelin, Le ciment des choses, Éditions d’Ithaque, 2011.
(15) Le 18 septembre 2017, dans une note relative au livre qu’il a intitulé Le problème de l’existence de Dieu et autres sources de conflits de valeurs, j’ai reproché à Lucien François d’user de ces phrases au motif qu’il ne convenait pas de battre en brèche tous les concepts abstraits. J’avais tort, dans la mesure où il ne s’agissait pas seulement d’un concept abstrait, mais bien également d’une irréalité utile à la structuration du réel, ce qu’exprimait parfaitement les mots qu’il employa.
(16) Karl Popper, La connaissance objective, trad. de Jean-Jacques Rosat, Flammarion, Champs, 1998.
(17) Ibid., pp. 245-293.
(18) Sur la question peu connue de l’émergentisme, cf. par exemple Jaegwon Kim, “L’émergence, les modèles de réduction et le mental”, Philosophiques, 27(1), 11–26. doi:10.7202/004937ar ; traduit et reproduit par Le matérialisme contemporain, volume 27, n° 1, printemps 2000 ; lisible sur le site érudit.org.
(19) Montaigne, Les Essais, édition Villey-Saulnier, PUF, Quadrige, 2013, p. 852.

samedi 9 août 2025

Note de lecture : Lucrèce

De la nature
de Lucrèce


Dans ma jeunesse, j’avais lu le De natura rerum de Lucrèce et j’en avais gardé l’idée qu’il démontrait l’impertinence des croyances idéalistes. C’était à une époque où certains accordaient encore du crédit à la prétendue summa divisio partageant la philosophie en deux camps irrémédiablement inconciliables : l’idéalisme et le matérialisme. Bien des marxistes ânonnaient les arguments expéditifs dont usait Georges Politzer pour jeter l’anathème sur le camp d’en face. (1) Brouillé avec le catholicisme de mon enfance, je n’étais pas sourd à cette doctrine sommaire donnant raison à ceux qui combattaient ceux-là qui, à mes yeux, avaient tort. J’ai vite compris que les choses n’étaient pas aussi simples. Pourtant, j’ai conservé une sorte d’affection pour Lucrèce, comme si les temps qu’il connut le plaçait hors d’atteinte des impérities de Politzer. Ainsi, alors que je lisais Les dieux ont soif d’Anatole France, ma sympathie alla spontanément au personnage du citoyen Brotteaux, principalement parce qu’« il gardait une âme sereine, lisant pour se récréer son Lucrèce, qu’il portait constamment dans la poche béante de sa redingote puce. » (2)

Je viens de relire le livre que j’ai lu jadis : De la nature de Lucrèce, dans la version qu’en donna Henri Clouard. (3) Il existe des traductions plus récentes et probablement meilleures à bien des égards, mais je voulais me confronter à ce que j’avais lu, sans doute un peu avant mes vingt ans. Les souvenirs de ma première lecture étaient très vagues, très imprécis, et probablement inconsciemment empreints d’éléments reconstruits à partir de ce que j’ai glané sur Lucrèce au fil du temps. Reste que je ne crois guère me tromper en disant que cette première lecture m’avait conduit à prendre en compte des réponses à des questions que je me posais alors, tandis que ma nouvelle lecture m’a amené à formuler des questions qu’à l’époque je ne me posais pas. C’est là ce qu’il me paraît utile d’explorer un peu.

Une des principales questions surgie de ma toute récente lecture, c’est la part qu’il conviendrait d’accorder à ce qui est spécifiquement philosophique et à ce qui est à proprement parler scientifique dans le propos de Lucrèce. Évidemment, les deux domaines ont été circonscrits de façon changeante au fil des époques et ont même été indistinctement confondus pendant longtemps. Il reste néanmoins utile de se poser cette question à propos de Lucrèce, dès lors que l’on admet aujourd’hui que la philosophie a peu progressé, sinon en redéfinissant sans cesse son propre objet, tandis que la science, d’approximations en approximations, a continûment réduit - même si c’est dans d’infimes proportions - le champ de ce qui est ignoré. Pour le dire autrement - et pour autant qu’il soit légitime de séparer ce qui est philosophique et ce qui est scientifique chez Lucrèce -, il me semble que la part philosophique de l’œuvre reste encore ouverte à la discussion dans ses moindres détails, alors que la part scientifique - sauf à être prise pour une anticipation géniale de découvertes ultérieures (ce que je me garderai bien de faire) - ne peut être jugée qu’au regard du contexte cognitif dans lequel elle a été exposée.

Prenons un exemple d’une allégation qui peut - du point de vue de ce que cela peut signifier pour nous - être considérée en première approche de nature scientifique : les simulacres, tels qu’ils sont explicités dans le Livre quatrième. Cette notion de simulacre vise à expliquer matériellement l’origine des sensations et des idées.
« Il existe pour toutes choses ce que nous appelons leurs simulacres, sortes de membranes légères, détachées de la surface des corps et qui voltigent en tous sens dans les airs. » (p. 120)
Pour les sensations, on comprend l’argument. Que ce soit pour la vision, pour l’audition, pour le goût, pour l’odorat, on imagine aisément la trame conçue. Pour les idées, le schéma nous semble plus étrange, sans doute parce que notre conception des choses, aussi éloignée soit-elle des connaissances actuelles les mieux affermies, nous forcent à attribuer à la genèse des idées des sources très différentes, fût-ce dans le cadre d’une approche purement matérialiste. Fournir aux idées une assise uniquement empirique nous paraît aujourd’hui bien malaisé. Cette difficulté nous renseigne autant sur l’environnement cognitif actuel que sur celui que connut Lucrèce. Et elle nous contraint à nous interroger, une fois de plus, sur ce que signifie cette frontière de nos jours si peu perméable entre la philosophie et la science.

L’envie me prend ici de citer un mot de Bertrand Russel.
« Quand l’observateur semble, à ses propres yeux, occupé à observer une pierre, en réalité, s’il faut en croire la physique, cet observateur est en train d’observer les effets de la pierre sur lui-même. Ainsi, la science paraît être en guerre avec elle-même […] Le réalisme naïf conduit à la physique et la physique, si elle est vraie, montre que le réalisme naïf est faux. Par conséquent, le réalisme naïf, s’il est vrai, est faux ; par conséquent, il est faux. » (4)
Il y aurait là de quoi diluer cette séparation apparemment si commode entre physique et métaphysique, ne serait-ce que lorsque cette dernière se borne à désigner des concepts opératoires qui, par exemple, ressortent de la logique. C’est peut-être ce que les erreurs expérimentales de Lucrèce parviennent à nous apprendre, mieux que ne le feraient les membres du Cercle de Vienne.

Prenons un autre exemple : la question de la mort, telle qu’elle est traitée dans le Livre troisième. D’une lecture rapide de Lucrèce, on peut nourrir l’impression que, à propos de la mort, il assoit sa sagesse sur de simples constats empiriques. Il s’applique d’abord à nous révéler la vraie nature du cadavre, c’est-à-dire quelque chose qui ne s’identifie en rien à celui dont il constitue les restes. Ensuite, il nous précise que, selon la même appréhension des choses, la mort d’autrui ne devrait donc en rien nous désoler, sinon au regard de la perte que nous subissons. Comme le disait Épicure :
« Le plus terrifiant des maux, la mort, n’a donc aucun rapport avec nous, puisque précisément, tant que nous sommes, la mort n’est pas là, et une fois que la mort est là, alors nous ne sommes plus. » (5)

Mais le sujet principal de ce Livre troisième, ce n’est pas la mort ; c’est l’âme. Une âme certes assez différente de ce que les religions monothéistes nous en ont dit. Pour Lucrèce, l’esprit se trouve dans la poitrine et l’âme, sous forme diffuse, dans tout le corps. Si cette âme disparaît lorsque la vie se retire du corps, elle joue un rôle médiateur entre l’esprit et le monde tel que capté par les sensations. Ainsi, la façon dont Lucrèce s’exprime jette peut-être un doute sur l’autonomie du moi.
« Maintenant, d’où recevons-nous la faculté de faire des pas à notre volonté et d’effectuer tous les mouvements qu’il nous plaît ? Quelle force peut développer la masse énorme de notre corps ? […] Souviens-toi de ce que j’ai dit antérieurement : les simulacres de mouvement viennent nous frapper l’esprit. De là naît une volonté ; car on ne commence à agir que lorsque l’esprit a fixé un but et ce but n’apparaît que lorsque l’image de l’acte se présente. Quand donc l’esprit éprouve l’intention d’un mouvement de marche, il heurte aussitôt la substance de l’âme éparse dans tout le corps à travers membres et organes : rien de plus aisé, grâce à l’union intime des deux substances. L’âme à son tour heurte le corps et toute la masse ainsi gagnée par degrés se met en mouvement. » (p. 140)

Encore peut-on comprendre différemment ce qu’il entend par volonté lorsqu’on s’en rapporte à ce qu’il dit dans le Livre deuxième.
« Enfin, si tous les mouvements sont enchaînés dans la nature, si toujours d’une premier naît un second suivant un ordre rigoureux ; si, par leur déclinaison, les atomes ne provoquent pas un mouvement qui rompe les lois de la fatalité et qui empêche que les causes ne se succèdent à l’infini; d’où vient donc cette liberté accordée sur terre aux êtres vivants, d’où vient, dis-je, cette libre faculté arrachée au destin, qui nous fait aller partout où la volonté nous mène ? […] Il faut que de tout le corps s’anime la masse de la matière, qui, impétueusement portée dans tout l’organisme, s’unisse au désir et en suive l’élan. Tu le vois donc, c’est dans le cœur que le mouvement a son principe ; c’est de la volonté de l’esprit qu’il procède d’abord, pour se communiquer de là à tout l’ensemble du corps et des membres. » (p. 59)
On pourrait presque croire qu’il s’attache surtout à expliquer pourquoi le corps suit l’esprit, bien davantage qu’à rechercher d’où vient ce que l’esprit semble décider. Il conviendrait sans nul doute de consulter d’autres traductions pour asseoir une opinion à ce sujet. Je m’en dispense pour l’instant, parce que je me borne pour l’instant à inventorier les questions, non les réponses.

Ne concluons pas trop vite sur le sens qu’il convient d’attribuer à cette manière d’expliquer les rôles des simulacres, de l’esprit, de l’âme et de la volonté. D’autant que - je vais y revenir - l’exposé se veut poétique. Ce qui transparaît particulièrement bien dans ce passage :
« L’adolescent à qui le fluide fécond de la jeunesse se fait sentir, dès que la semence créatrice a mûri dans son organisme, voit s’avancer vers lui les simulacres qui lui annoncent un beau visage et de brillantes couleurs ; cette apparition sollicite les parties gonflées de liquide générateur ; et soudain, dans l’illusion de consommer l’acte, il répand un flot qui souille sa tunique.
Elle est sollicitée, cette semence, dès que l’adolescence met en nous sa première vigueur. Et comme il existe pour chaque être une cause particulière d’émotion, l’influence de l’être humain est seule à émouvoir dans l’être humain la semence humaine. Or celle-ci, sortie de ses retraites, traverse le corps et, se rassemblant dans les régions nerveuses spéciales, éveille aussitôt l’organe de la reproduction, lequel s’irrite, se gonfle ; et alors la volonté surgit de répandre la semence là où tend la violence du désir ; ainsi la passion vise l’objet qui a fait la blessure d’amour. Car c’est une loi que le blessé tombe du côté de sa plaie ; le sang jaillit dans la direction de qui a frappé et l’ennemi, s’il s’offre, est couvert de sang.
 » (p. 144)
Oserais-je le dire ? voilà qui invalide en quelque sorte l’idée de distinguer encore philosophie et science dans une approche des choses qui a à tout le moins le mérite de chercher à dire le réel. Rien donc qui incite à user de nos manières actuelles de penser, ni à juger les manières de penser d’alors ; plutôt à se poser des questions que l’ignorance des écrits d’antan nous aurait fait méconnaître ou mépriser.

Restent bien évidemment d’autres questions qui ont été souvent débattues. De toutes, il me semble que le plus instructif réside dans ce refus de regarder le monde comme l’accomplissement de quelque projet que ce soit.
« Le principe qui nous servira de point de départ, c’est que rien ne peut être engendré de rien par l’effet d’une puissance divine. Car si la crainte tient enchaînés tous les mortels, c’est que sur la terre et dans le ciel leur apparaissent des phénomènes dont ils ne peuvent aucunement apercevoir les causes, et qu’il attribuent à une action des dieux. Quand nous aurons vu que rien ne se fait de rien, alors ce que nous cherchons se découvrira plus aisément ; nous saurons de quoi chaque chose peut recevoir l’être et comment toutes choses se forment, sans intervention des dieux. » (pp. 22-23)
C’est une question, pas une réponse. Mais une question qui désigne toutes les réponses inadéquates. Et pas seulement celles qui supposent l’intervention des dieux. Toutes celles aussi qui donnent aux choses un sens susceptible de satisfaire le désir qui est nôtre de voir notre existence se justifier. Le monde n’est pas seulement indéchiffrable, il est ce qu’il est dans son insignifiance, dans son incohérence et dans son amoralité première. Même la nature - telle que Lucrèce en parle - ne mérite ni notre confiance, ni notre admiration. Elle n’est que ce qu’elle est, avec ses beautés et ses prodiges apparents, mais aussi avec ce que nous jugeons facilement ses brutalités, ses cruautés, ses scélératesses. (6) Accepter qu’elle soit cela - rien que cela - définit une philosophie qui attend fort peu de la science.

Alors, pourquoi ce choix de présenter l’épicurisme sous la forme d’un long poème. L’histoire de la culture occidentale nous pousse à considérer la poésie bien davantage au service du spiritualisme, du sentimentalisme ou du libre arbitre qu’au service d’une conception matérialiste, laquelle s’accommoderait mieux du prosaïsme. C’est là une tendance dont il faut cependant se déprendre, et Lucrèce nous en donne l’occasion. Car il explique les raisons qui l’ont conduit à choisir la forme poétique.
« J’aime puiser aux sources vierges, j’aime cueillir des fleurs inconnues et en tresser pour ma tête une couronne unique dont les Muses n’ont pas encore ombragé le front d’aucun poète. C’est que, tout d’abord, grandes sont les leçons que je donne : je travaille à dégager l’esprit humain des liens étroits de la superstition. C’est aussi que sur un sujet obscur je compose des vers brillants de clarté qui le parent tout entier des grâces de la poésie. N’est-ce pas une méthode légitime ? Les médecins, quand ils veulent faire prendre aux enfants l’absinthe amère, commencent par dorer d’un miel blond et sucré les bords de la coupe : ainsi, le jeune âge imprévoyant, ses lèvres trompées par la douceur, avale en même temps l’amer breuvage et, dupé pour son bien, recouvre force et santé. Ainsi moi-même aujourd’hui, sachant que notre doctrine est trop amère à qui ne l’a point pratiquée et que le vulgaire recule d’horreur devant elle, j’ai voulu te l’exposer dans le doux langage des Muses et, pour ainsi dire, l’imprégner de leur miel : heureux si je pouvais, tenant ainsi ton esprit sous le charme de mes vers, te faire pénétrer tous les secrets de la nature et jusqu’aux lois selon lesquelles la nature est formée. » (pp. 42-43)
Souci d’efficacité donc, à une époque où la prosodie s’apprend par cœur et se récite, voire se chante. Efficacité toute relative cependant, car la doctrine de Lucrèce, qui prétendit expliciter celle d’Épicure dont on sait bien peu, ne s’imposa guère, même si on continue aujourd’hui d’en parler.

Les traces historiques que constituent les auteurs du passé ne devraient jamais être regardées comme des occasions de conforter les idées actuelles. Elles devraient au contraire être consultées dans le but d’apprendre ce que ces idées actuelles peuvent avoir de subjectif, de conditionné, d’éphémère. Elles devraient nous aider à nous déprendre d’une conception des choses dans laquelle le présent nous enferme, avec ce sentiment illusoire qu’elle représente un aboutissement.

(1) Cf. Georges Politzer, Principes élémentaires de philosophie, Éditions sociales, 1946.
(2) Anatole France, “Les dieux ont soif” in Œuvres IV, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1994, p. 439.
(3) Lucrèce, De la nature, traduction, introduction et notes par Henri Clouard, GF Flammarion, 1964. Henri Clouard était maurassien, membre de l’Action française, ce que j’ignorais bien évidemment à l’époque.
(4) Bertrand Russell, Signification et Vérité, trad. de Philippe Devaux, Flammarion, 1990, p. 24.
(5) Épicure, “Lettre à Ménécée” in Lettres, maximes, sentences, trad. de Jean-François Balaudé, Librairie Générale française, Le Livre de Poche, 1994, p. 193.
(6) Je pense ici à ces mots si pertinents de Michel del Castillo : « Nous sommes des animaux, parmi les plus féroces. L’homme est naturellement mauvais ; le miracle, ce n’est pas la nature, c’est la culture. Le dévouement, la tendresse, la compassion, la beauté : ce sont des conquêtes. La morale n’est pas naturelle. Il faut se méfier de ceux qui invoquent la nature, car la nature, c’est le chaos, la sauvagerie, la mort. » (Mamita, Fayard, 2010, pp. 263-264)