vendredi 20 mars 2009

Note d'opinion : la rhétorique

À propos de la rhétorique

Lorsque, le 17 mars dernier, le pape Benoît XVI, en route pour le Cameroun, a affirmé que le préservatif ne pouvait pas régler le problème du sida, mais que, au contraire, il l’aggravait, il s’est attiré un très large contredit, allant souvent jusqu’à l’opprobre. Mais il en est cependant qui lui restèrent fidèles et tentèrent d’expliquer son propos. Ainsi, Jean-Michel Di Falco, évêque de Gap et président du Conseil pour la communication de la Conférence des évêques de France, interviewé pour le journal télévisé du 18 mars de France 2, a déclaré que, en Afrique, les gens « utilisent plusieurs fois le préservatif » et qu’ils « se le passent les uns aux autres », tentant ainsi de fournir une explication médicale à l’aggravation du problème évoquée par Benoît XVI. Quant à Christine Boutin, Ministre française du logement, elle a indiqué qu’il ne fallait pas attendre du pape « qu’il dise qu’il faut mettre le préservatif », ajoutant : « Ce n'est pas drôle de mettre le préservatif quand on fait l'amour » (1), comme si c’était cette dernière considération qui guidait Benoît XVI.

Une opinion doit être défendue à partir de ce qui la motive. Si Benoît XVI a tenu les propos en cause, et s’il a parlé d’aggravation, il ne pouvait avoir en tête qu’une aggravation de la situation morale des populations et non de leur situation médicale. Pour quelqu’un qui pense qu’il est plus important de sauver les âmes que de sauver les corps – autrement dit qu’il est préférable de mourir jeune en état de grâce que vieux en état de péché –, il est somme toute normal de tenir les propos qu’il a tenus. Celui qui veut lui être fidèle se doit de défendre l’opinion véritable du pape, et non une autre opinion susceptible de justifier les phrases prononcées. Peut-on espérer que Benoît XVI marque son accord sur des mesures visant à favoriser l’usage unique du préservatif en Afrique, ou encore sur des techniques visant à accroître la délectation érotique tirée de l’enfilement du préservatif ? Il faudrait sans doute un miracle…

Pour que chacun respecte au mieux les opinions des autres, il est indispensable que celles-ci s’affichent pour ce qu’elles sont. Je suis prêt à respecter les opinions que le pape défend, même si je ne les partage pas. Et je suis prêt à les combattre loyalement, sans prêter à ceux qui les partagent des intentions qu’ils n’ont pas. Ceux qui défendent ces mêmes opinions sans se plier à ce minimum de loyauté ne peuvent que susciter des critiques elles-mêmes mal argumentées. C’est là une source générale d’incompréhension et de conflits dont la sphère religieuse n’a pas le monopole.

Il serait bon de réfléchir à une certaine réhabilitation de la rhétorique. Celle-ci souffre du mépris en lequel on tient volontiers les sophistes grecs. Elle a également souffert de l’empire pris par le raisonnement cartésien, en ce sens que celui-ci a nié toute valeur à l’argumentation relative au vraisemblable (2). Même lorsqu’on discute de l’incertain, certains arguments sont plus forts que d’autres ; Aristote nous l’avait déjà appris. Mais on se comporte volontiers de nos jours comme si tous les arguments se valaient, pourvu qu’on en ait. Il suffit d’assister à un débat politique pour s’en rendre compte. N’est-ce pas d’un savoir sur la rhétorique que manque notre démocratie ?

(1) Le Monde du 18 mars 2009, d’après AFP.
(2) Cf. Chaïm Perelman et Lucie Olbrecht-Tyteca, Traité de l’argumentation, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1988, pp. 1-3.

2 commentaires:

  1. Ci-dessus, j’ai reproché à deux catholiques qui souhaitaient justifier les propos du pape (parlant d’une aggravation du problème du sida consécutive à l’usage du préservatif) de trahir les raisons que celui-ci avaient de s’exprimer de cette façon. Mais je ne m’en suis pas pris au pape lui-même, non pas que je sois d’accord avec lui, mais parce que ce n’est pas son opinion que je souhaitais critiquer en l’occurrence, mais bien plutôt l’hypocrisie de ceux qui font mine de croire à des motivations qui ne sont manifestement pas les siennes.

    C’est à présent au pape lui-même qu’il faut adresser les mêmes reproches. Dans un discours prononcé le 20 mars au siège de la présidence angolaise, il a dit : « Combien est amère l’ironie de ceux qui promeuvent l’avortement au rang des soins de la santé des "mamans" » (1). Il feint donc de croire que ceux qui admettent l’avortement « lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère » (extrait de l’article 14 du document complémentaire à la charte de l’Union africaine) font preuve d’une « ironie amère », c’est-à-dire usent d’un sarcasme cruel à l’égard de ceux qui souhaitent qu’on ne pratique aucun avortement.

    La parrhésia (2), que le pape Jean-Paul II citait comme une qualité catholique, suppose le courage de la vérité, c’est-à-dire en l’occurrence de reconnaître que les raisons qui ont mû les auteurs de cet article 14 ont d’abord et avant tout un lien étroit avec le souci de soulager des souffrances. On ne peut croire que Benoît XVI l’ignore et il serait donc opportun qu’il défende son opinion en invoquant ce qui est à ses yeux supérieur à ce souci-là.

    (1) Le Monde du 20 mars 2009, d’après AFP.
    (2) Le franc-parler, la parole sincère.

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  2. Je m’en veux un peu d’insister, mais voici à présent que le Vatican, par la voix de son porte-parole, Féderico Lombardi, prétend que, le 20 mars, le pape « ne parlait pas d'avortement thérapeutique » mais déplorait « une large utilisation de l'avortement comme moyen de contrôle des naissances ». « Ce que le pape a dit, c'est qu'on ne peut pas avancer le concept de santé maternelle pour justifier l'avortement comme moyen de régulation des naissances », a assuré le porte-parole (1).

    Qui donc a jamais prétendu que l’avortement thérapeutique constituait un moyen de réguler les naissances ? Est-ce vraiment trop demander que d’attendre de chacun qu’il ait le courage de ses opinions ? À moins que le problème ne soit plutôt les divergences de vues qui cohabitent au sein de la hiérarchie catholique – pour ne pas dire les divergences de stratégies visant à complaire à différents milieux catholiques – et que la même hiérarchie souhaite occulter.

    (1) Agence Belga, 21 mars 2009.

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