L’esprit des lois
de Montesquieu
Depuis bien longtemps déjà, je me plonge volontiers dans L’esprit des lois de Montesquieu (1), dès lors que je suis amené, quelle qu’en soit la raison, à réfléchir aux problèmes que pose la lecture de textes anciens approchés sans trop céder au chronocentrisme. De ce point de vue, l’œuvre de Montesquieu me semble particulièrement intéressante, notamment parce qu’elle fourmille d’idées relativement nouvelles pour son époque et que l’on peut, en conséquence, facilement juger annonciatrices des façons de penser plus récentes, voire actuelles.
Pour mieux faire comprendre le type de rapport avec les livres du passé que j’entrevois de discuter, il me paraît utile de commencer par un exemple. Voici quelques paragraphes de L’esprit des lois que l’on trouve dans le chapitre I du livre I, donc tout au début de l’ouvrage :
« Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu’ils ont faites : mais ils en ont aussi qu’ils n’ont pas faites. Avant qu’il y eût des êtres intelligents, ils étaient possibles : ils avaient donc des rapports possibles, et par conséquent des lois possibles. Avant qu’il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle tous les rayons n’étaient pas égaux.
Il faut donc avouer des rapports d’équité antérieurs à la loi positive qui les établit : comme, par exemple, que, supposé qu’il y eût des sociétés d’hommes, il serait juste de se conformer à leurs lois : que s’il y avait des êtres intelligents qui eussent reçu quelque bienfait d’un autre être, ils devraient en avoir de la reconnaissance ; que, si un être intelligent avait créé un être intelligent, le créé devrait rester dans la dépendance qu’il a eue dès son origine ; qu’un être intelligent qui a fait du mal à un être intelligent mérite de recevoir le même mal ; et ainsi du reste.
Mais il s’en faut bien que le monde intelligent soit aussi bien gouverné que le monde physique. Car, quoique celui-là ait aussi des lois qui, par leur nature, sont invariables, il ne les suit pas constamment comme le monde physique suit les siennes. La raison en est que les êtres particuliers intelligents sont bornés par leur nature, et par conséquent sujets à l’erreur ; et, d’un autre côté, il est de leur nature qu’ils agissent par eux-mêmes. Ils ne suivent donc pas constamment leurs lois primitives ; et celles mêmes qu’ils se donnent, ils ne les suivent pas toujours.
On ne sait si les bêtes sont gouvernées par les lois générales du mouvement, ou par une motion particulière. Quoi qu’il en soit, elles n’ont point avec Dieu de rapport plus intime que le reste du monde matériel ; et le sentiment ne leur sert que dans le rapport qu’elles ont entre elles, ou avec d’autres êtres particuliers, ou avec elles-mêmes.
Par l’attrait du plaisir, elles conservent leur être particulier, et par le même attrait elles conservent leur espèce. Elles ont des lois naturelles, parce qu’elles sont unies par le sentiment ; elles n’ont point de lois positives, parce qu’elles ne sont point unies par la connaissance. Elles ne suivent pourtant pas invariablement leurs lois naturelles ; les plantes, en qui nous ne remarquons ni connaissance ni sentiment, les suivent mieux.
Les bêtes n’ont point les suprêmes avantages que nous avons ; elles en ont que nous n’avons pas. Elles n’ont point nos espérances, mais elles n’ont pas nos craintes ; elles subissent comme nous la mort, mais c’est sans la connaître : la plupart même se conservent mieux que nous, et ne font pas un si mauvais usage de leurs passions. » (tome premier, pp. 128-129)
Depuis que Montesquieu a écrit ces lignes, tant de choses ont changé : la langue, le sens des mots, les réalités auxquelles certains d’entre eux s’accordent, les antécédents à la réflexion, les préjugés (2). Et l’effort qu’il convient de faire pour tenter de rendre aux phrases que nous lisons le sens qu’elles avaient dans l’esprit de celui qui les a écrites est en conséquence très important.
« Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle tous les rayons n’étaient pas égaux. » ? Peut-on mieux dire, semble-t-il, que l’éthique précédât son expression, ou à tout le moins sa codification, peut-être même qu’elle eût un fondement naturel ? (3) Pourtant, il importe de ne pas s’empresser de comprendre. Montesquieu vécut dans un contexte bien différent du nôtre et dont il nous est malaisé de reconstruire l’impact sur son esprit. Il est peu probable, par exemple, qu’il n’ait pas subi l’influence de Hobbes et de Spinoza, que ce soit directement ou que ce soit par le biais de ce qui, à l’époque, traduisait leur influence. (4) Et puis, il nous reste bien sûr la possibilité de supposer une certaine cohérence dans l’ensemble de son propos et, par exemple, dans le cas très circonscrit des quelques paragraphes cités ci-dessus.
On trouve là des réflexions qui portent notamment sur les animaux. À cet égard, l’horizon arrière de Montesquieu, c’est sans doute Descartes et son animal-machine. Entre l’homme et l’animal, il y aurait une différence essentielle, une barrière irréductible dont, entre autres, le rapport à Dieu donne la mesure. Mais, en même temps, Montesquieu tient des propos qui dépassent, et de beaucoup, la position cartésienne. D’abord, parce qu’il s’interroge sur ce qui gouverne les bêtes et qu’il avoue ne pas savoir. Ensuite et surtout, parce qu’il ose envisager que l’animal est d’une certaine façon avantagé par rapport à l’homme. Évidemment, ce qui me porte à relever ces points, ce peut être une conception de l’animal qui est très contemporaine et que je partage sans trop m’en rendre compte avec la pensée d’aujourd’hui ; je veux dire une vision de l’animal qui - fortement stimulée par le sort affreux que celui-ci subit depuis quelques décennies par la production industrielle de viande à consommer - tend à le revaloriser et à lui reconnaître toutes sortes de similitudes avec l’humain, en ce compris sur le plan de la sensibilité et de l’intelligence.
Prenons un autre exemple. Dans le chapitre XV du Livre XXIII, Montesquieu envisage des questions que nous appellerions aujourd’hui économiques. Le chapitre est intitulé “Du nombre des habitants par rapport aux arts”, les arts étant ici les savoir-faire et les techniques de production. Voici ce qui y est dit :
« Lorsqu’il y a une loi agraire, et que les terres sont également partagées, le pays peut être très peuplé, quoiqu’il y ait peu d’arts, parce que chaque citoyen trouve dans le travail de sa terre précisément de quoi se nourrir ; et que tous les citoyens ensemble consomment tous les fruits du pays. Cela était ainsi dans quelques anciennes républiques.
Mais dans nos États d’aujourd’hui, où les fonds de terre sont inégalement distribués, ils produisent plus de fruits que ceux qui les cultivent n’en peuvent consommer ; et, si l’on y néglige les arts, et qu’on ne s’attache qu’à l’agriculture, le pays ne peut être peuplé. Ceux qui cultivent ou font cultiver ayant des fruits de reste, rien ne les engage à travailler l’année d’ensuite : les fruits ne seraient point consommés par les gens oisifs, car les gens oisifs n’auraient pas de quoi les acheter. Il faut donc que les arts s’établissent, pour que les fruits soient consommés par les laboureurs et les artisans. En un mot, ces États ont besoin que beaucoup de gens cultivent au-delà de ce qui leur est nécessaire : pour cela, il faut leur donner envie d’avoir le superflu ; mais il n’y a que les artisans qui le donnent.
Ces machines, dont l’objet est d’abréger l’art, ne sont pas toujours utiles. Si un ouvrage est à un prix médiocre, et qui convienne également à celui qui l’achète et à l’ouvrier qui l’a fait, les machines qui en simplifieraient la manufacture, c’est-à-dire qui diminueraient le nombre d’ouvriers, seraient pernicieuses ; et si les moulins à eau n’étaient pas partout établis, je ne les croirais pas aussi utiles qu’on le dit, parce qu’ils ont fait reposer une infinité de bras, qu’ils ont privé bien des gens de l’usage des eaux, et ont fait perdre la fécondité à beaucoup de terres. » (tome deuxième, p. 84)
On a souvent dit que Montesquieu avait profondément influencé ce qui deviendra ultérieurement l’économie politique, puis la science économique. Ce n’est certes pas faux, mais cela ne permet pas d’en déduire qu’il ait - explicitement ou même implicitement - formulé une théorie économique. (5) Il y a quelque chose de chronocentrique à juger les réflexions qu’il émet au départ de convictions qui sont très postérieures. Ainsi, ce qui est lu dans ce chapitre comme une critique du progrès industriel a été considéré comme une erreur dans les années ’60 par Raymond Aron. Celui-ci écrivait à propos du dernier paragraphe :
« Ce raisonnement omet évidemment ce qui est devenu le principe de toute économie moderne, l’idée de la productivité. Si l’on produit le même objet en un temps de travail réduit, on pourra employer les ouvriers libérés à un autre travail et ainsi augmenter le volume des produits disponibles pour la collectivité tout entière. Ce texte montre qu’il manque à notre auteur un élément de doctrine qui n’était pas inconnu de son siècle - les Encyclopédistes l’avaient compris. Il n’a pas saisi la portée économique du progrès scientifique et technique. Cette lacune est assez curieuse parce que Montesquieu s’intéressait beaucoup aux arts et aux sciences. Il a écrit nombre d’essais sur les sciences et les découvertes techniques. Mais il n’a pas saisi le mécanisme par lequel le raccourcissement du temps de travail nécessaire à une production donnée permet d’employer plus d’ouvriers et d’accroître le volume global de la production. » (6)
On peut s’interroger aujourd’hui sur la pertinence de la position de Montesquieu à partir de considérations liées à l’origine de la dégradation de l’environnement et de l’extinction de masse qui en résulte, de sorte que l’on aboutisse à un jugement diamétralement opposé à celui d’Aron. Les gains de productivité - de même que l’abandon de tours de mains de jadis - ne sont peut-être pas pour rien dans les dangers nouveaux qui menacent l’humanité. Et peut-être que l’on en viendra à s’interdire telle ou telle technologie, ou du moins certaines de leurs applications. Peut-être, ou peut-être pas. Mais, encore ne faudrait-il pas infliger à Aron un reproche chronocentrique du même type que celui qu’il a adressé à Montesquieu. La relativité de toute opinion - aussi étayée soit-elle (de tout savoir, même, aussi vérifié soit-il) - en rapport avec le contexte dans lequel elle est apparue, comme à partir des concepts qui ont permis de la formuler, révèle ce que toute pensée doit aux conditions de son apparition. Et y a-t-il mieux que les réflexions les plus lucides, les plus pénétrantes, les plus éminentes que recèlent les ouvrages du passé pour nous permettre de prendre la mesure de cette relativité-là ?
Il se fait que la relativité qui permet de comprendre les différences, c’est précisément un thème qui figure dans l’œuvre de Montesquieu. Ainsi trouve-t-on ceci dans la préface de L’esprit des lois :
« Je n’écris point pour censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit. Chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes ; et on en retirera naturellement cette conséquence, qu’il n’appartient de proposer des changements qu’à ceux qui sont assez heureusement nés pour pénétrer d’un coup de génie toute la constitution d’un État. » (tome premier, pp. 125-126)
Il est tentant de lire ce propos comme une anticipation du relativisme culturel dont l’anthropologie s’imprégnera au XXe siècle. Mais là encore, il convient d’être prudent et d’éviter de projeter sur une pensée surgie dans la première moitié du XVIIIe siècle toute la signification dont l’histoire ultérieure a pu la lester, bien au-delà de ce qu’elle a voulu dire dans l’esprit de son auteur.
Il n’en demeure pas moins que ce que recèle l’ouvrage de Montesquieu est en tout point remarquable, bien davantage en tout cas que ce qu’en retiennent ceux qui, ne l’ayant pas lu, le limitent à une théorie relative à la séparation des pouvoirs. (7)
Venons-en à l’idée que Montesquieu serait un précurseur de la sociologie.
Certains estiment en effet qu’il serait celui qui, en quelque sorte, a mis la sociologie sur ses rails. (8) Lévi-Strauss pensait lui que c’était Rousseau qui le premier développa une véritable pensée anthropologique. Et nombreux sont ceux qui citent plutôt Auguste Comte, notamment parce que c’est à lui que l’on doit l’usage du mot sociologie. D’autres encore évoquent plus volontiers Marx, Durkheim et Weber. Peu importe, bien sûr, chacun de ceux-là et bien d’autres ayant sans doute apporté l’une ou l’autre pierre à l’érection de l’édifice. Ce qui me paraît personnellement important de comprendre, c’est que l’édifice en question ne résulte pas de la découverte de quelque chose qui n’aspirait qu’à naître selon le modèle que l’histoire a confirmé, mais plutôt d’une invention qui a emprunté certains chemins et en a négligé d’autres. Et il est probablement plus important de tenter de dégager ce qui caractérise les chemins pris que de s’appesantir sur l’apport de chacun.
Lorsqu’on examine ce que Montesquieu a dit à propos des diverses sociétés dont il parle - que ce soit au sujet des sociétés antiques ou des sociétés lointaines, comme de la sienne d’ailleurs -, ce qui frappe, c’est le poids qu’il accorde à des déterminants exogènes à l’esprit humain. Ainsi, ce que l’on a appelé la théorie des climats (9) représente un effort en vue d’expliquer les différences autrement que par des choix. Et il en va de même pour ce qu’il nomme la nature du terrain (10) Évidemment, bien des choses qu’il écrit à ce propos nous paraissent aujourd’hui des naïvetés, des simplifications, voire des préjugés. Mais nous ne pouvons les qualifier telles que parce que, non seulement nous avons depuis lors appris des choses qu’il ne pouvait qu’ignorer, mais surtout parce que nous baignons dans un air du temps qui nous pousse à mal juger ce qu’il a cru bon de dire. Autrement dit, nos préjugés nous incitent à supposer les siens.
On voit souvent citer une phrase qu’on lui attribue sans hésitation (11) : « L’ignorance est la mère des traditions ». C’est presque trop beau. Car cela pourrait signifier que Montesquieu avait compris que les observances les plus solides ne devaient rien à une quelconque conscience de l’origine de leur force. Mais, là aussi, méfions-nous d’une interprétation trop spontanée. Il a peut-être simplement voulu dire que les raisons qui expliquent une tradition ne sont pas partagées par tous ceux qui la respectent, alors même que ce sont ceux-là qui en ignorent celles de ses raisons qui la consolident le plus fortement.
Pourquoi ces appels à la prudence ? Parce que l’évolution qu’a connue la pensée sociologique est profondément marquée par l’émergence d’une idée qui conduira à ce que Freud appela la troisième blessure narcissique de l’homme (12), à savoir la mise en évidence de processus psychiques inconscients. Et cette évolution ira sans cesse en se renforçant jusqu’à cette sorte d’acmé que représenta Bourdieu, lorsqu’il illustra l’idée que la sociologie se devait de prendre en compte le principe de non-conscience et l’illusion de la transparence. (13) Depuis lors, cette idée-là décline sous les assauts de la sociologie pragmatique (14), au point que d’aucuns y voient une sorte de retour au bon sens, là où d’autres l’identifient au déclin de la discipline.
La certitude de savoir a été et est toujours le plus gros obstacle à l’élucidation des causes. La sociologie est une science qui se fonde en grande partie sur des observations d’ordre statistique. (15) C’est-à-dire qu’elle n’atteint jamais les causes profondes du comportement, sauf à admettre des causalités essentialistes. Quant à l’histoire, elle ne bénéficie même pas de cette possibilité. Et, dès lors qu’il est question d’interpréter des textes anciens, la complexité de la tâche ne sera jamais assez surestimée, tant les conditions d’un discours en façonnent la signification.
Lire Montesquieu est un enchantement. Parce qu’il écrit merveilleusement, bien sûr. Parce qu’il fait montre d’un sens aigu de l’observation. Parce qu’il fait preuve aussi d’une ironie décapante. Et encore parce qu’il nous pose de très intéressants problèmes d’interprétation et excite ainsi la recherche comparative appliquée à ses prédécesseurs et ses successeurs.
(1) L’exemplaire dont j’use, c’est les Œuvres complètes de Montesquieu, Librairie Hachette et Cie, 1873. Il existe beaucoup d’éditions plus récentes, mieux documentées et plus lisibles. Mais je suis habitué à mes volumes de 1873, un peu dans le même esprit que celui qui fit regretter à Diderot de s’être séparé de sa vieille robe de chambre (cf. Œuvres complètes - Philosophie 4 - Belles lettres 1 de Diderot, Garnier Frères, 1875, pp. 5-12).
(2) À propos de ces derniers, on trouve dans la préface de L’esprit des lois cette phrase : « J’appelle ici préjugés, non pas ce qui fait qu’on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu’on s’ignore soi-même. » (p. 126) Comment ne pas rester médusé devant un pareil propos qui situe l’origine de nos erreurs de jugement d’abord et avant tout dans notre incapacité à connaître ce qui nous habite ? L’ignorance de soi-même n’est pas une idée nouvelle ; le “connais-toi toi-même” gravé sur le frontispice du temple de Delphes, tel que Socrate se l’appropria, en témoigne. Mais alors que ce dernier imaginait que se connaître signifiait avant tout reconnaître la connaissance innée, telle que la réminiscence pouvait permettre d’y accéder, Montesquieu suppose que nous ignorons ce qui, en nous, nous pousse à l’erreur.
(3) L’idée d’un fondement naturel de la morale devrait plaire à ceux qui pensent qu’il existe une connaissance morale, au même titre qu’une connaissance des faits. Je pense notamment à David Violet qui tente depuis près d’un an de m’en convaincre (avec talent, dois-je ajouter).
(4) Cf. par exemple sur cette question Jonathan Israël, Les Lumières radicales : la philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750) [2002], Éd. Amsterdam, 2005.
(5) Dans L’esprit des lois, on trouve notamment des considérations relatives à la richesse et à son utilité (Livre VII, chapitres I à VII), à l’impôt (Livre XIII, chapitre XIV), à la monnaie (Livre XXII), à l’impact économique des climats (Livre XVI). Mais l’ouvrage ne comporte pas de théorie d’ensemble reliant chacun des divers aspects de la production et de la consommation, comme ce sera le cas chez les Physiocrates d’abord, chez Smith, Say, Malthus et Ricardo ensuite. En outre, Montesquieu n’adhère pas explicitement aux thèses mercantilistes telles qu’elles furent exposées avant lui.
(6) Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1967, p. 50. Ce propos d’Aron est complété d’une note qui mérite également d’être lue (pp. 71-72).
(7) Il y aurait beaucoup à dire sur la séparation des pouvoirs, non seulement vis-à-vis de l’évolution que cette doctrine a connu et connaît encore, mais surtout à propos de ce que Montesquieu en a vraiment dit au regard de ce que l’on prétend lui reconnaître. Ce n’est pas le sujet de la présente note, mais chacun pourra s’en faire une toute petite idée à la lecture de ce passage (même s’il convient à tout le moins de lire le livre XI en entier) : « Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoirs ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil./ Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger ; et l’autre, simplement la puissance exécutrice de l’état./ La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté : et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen./ Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement./ Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur./ Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs ; celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » (tome premier, p. 254)
(8) Raymond Aron est de ceux-là (cf. op. cit., pp. 25-76).
(9) Cf. Livres XIV à XVII de L’esprit des lois
(10) Cf. le Livre XVIII.
(11) Il est généralement précisé que cette phrase figure dans l’“Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits”, un texte qui fait partie des inédits (cf. Pensées et fragments inédits de Montesquieu, Imprimerie de G. Gounouilhou, 1899 ; consultable ici). Et cependant, sauf erreur de ma part, on ne l’y trouve pas, pas plus que dans L’esprit des lois où figurent cependant des passages de ces inédits qui, pour certains d’entre eux, faisaient office de brouillon.
(12) Cf. Sigmund Freud, “Une difficulté de la psychanalyse” [1017], in M. Bonaparte et E. Marty, Essai de psychanalyse appliquée, Gallimard, Idées, 1971, pp. 137-147.
(13) Cf. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, Le métier de sociologue, Mouton, 1968, particulièrement “La rupture”, pp. 27-49.
(14) À propos de la sociologie pragmatique, cf. mes notes des 29 juin 2010 et 31 octobre 2010.
(15) Toutes les sciences sont confrontées à cette nécessité de n’étudier un phénomène que par sa fréquence et par les lois des grands nombres. Par exemple, les questions les plus urgentes que pose l’épidémie de covid-19 qui sévit dans le monde ne peuvent trouver de réponses que dans les statistiques susceptibles d’être rassemblées à propos du nombre d’indemnes, de porteurs sains, de contaminés, de morts, etc.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire