Margherita. Une enfance sicilienne
de Carmelo Virone
J’aime l’écriture de Carmelo Virone. Probablement parce qu’elle le désigne, dans sa sincérité.
Des récits d’émigrés, il en est beaucoup. C’est sans doute que l’émigration accumule les difficultés, jusqu’à fouetter l’envie de dire. C’est aussi que la langue conquise vaut plus que le seul souci de parler. C’est encore que la culture - c’est-à-dire ce qui impose des choix - s’aperçoit bien davantage lorsqu’elle est tourmentée par un doublet. Si émigrer est une souffrance, c’est aussi une richesse, souvent une lucidité. Ceux qui, d’avoir pu rester chez eux, font argument pour chasser les émigrés, ceux-là ajoute la méchanceté à la bêtise.
Je viens de lire Margherita. Une enfance sicilienne, le dernier livre de Carmelo Virone. (1) C’est à peine si l’on suppose un écrivain, alors même que c’est un fils qui capte la vie de sa mère. Les choses sont toutes racontées comme anodines, les douleurs effleurées, les contraintes esquissées, les colères prosaïsées. La Sicile est venue en Belgique, suivre un conjoint embrigadé dans la métallurgie liégeoise. Et son témoignage n’est sollicité que dans une sorte de noble trivialité : quelques anecdotes minimisées, les nécessités matérielles benoîtement évoquées, les rapports humains ramenés à des vérités acceptées, tout cela tandis que la télévision que l’on n’écoute ni ne regarde reste allumée. Le crépuscule d’une vie dont les révoltes font figures de raisons d’être.
Comment ne pas y aller d’un petit extrait, un de ceux qui m'ont touché ?
« Elle se repend de sa réponse. Si elle ne l’avait pas repoussé… Peut-être sa vie aurait-elle été complètement différente. Qui sait ? Mais il avait été inconvenant. Elle dansait avec lui, lors d’un mariage, et il lui avait dit devant tout le monde : c’est toi que je veux. Devant tout le monde, pendant qu’ils dansaient, quelle honte ! Elle avait répliqué : et moi, je ne te veux pas.
C’était un ami de mon frère Gaetano, confie Margherita, un professeur de lettres, qui venait chez nous régulièrement, un homme bien. Il donnait des leçons particulières pour faire vivre sa mère, qui était veuve. On dansait ensemble, on était amis. J’aurais pu me marier avec lui, il me disait : étudie. Comment aurais-je pu étudier avec mon père, la boutique, à devoir faire le ménage, laver, repasser, cuisiner ? Quand je lui ai dit que je ne voulais pas de lui, il n’est plus jamais revenu à la maison. Je ne pouvais tout de même pas aller le trouver pour lui demander de revenir. Ce n’était pas possible. » (2)
Même quand on croit savoir ce que l’on veut, on court le risque de ne permettre que ce que l’on peut.
Le 21 février 2025, à L’Aquilone (3), nous étions quelques dizaines autour de Carmelo pour échanger à partir de son livre. Comment mieux se consoler de ce que nul n’a évoqué de quelque façon que ce soit, à savoir cette part d’humanité qui cherche à entraîner le monde dans l’inhumanité ?
(1) Carmelo Virone, Margherita. Une enfance sicilienne, Éditions du Cerisier, Cuesmes (Mons), 2024.
(2) Carmelo Virone, Op. cit., pp. 102-103.
(3) L’Aquilone est une association culturelle, un espace d’accueil et d’échange, qui tient ses activités au 25, boulevard Saucy à Liège. Voir Aquilone.be
Autre note sur Carmelo Virone :
Des nouvelles du jardin et autres histoires locales
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