Le monument
de Marcel Aymé
Et voilà qu’il est question de renverser des statues et d’abattre des monuments ! D’autres - que ces initiatives dérangent un peu - proposent plutôt d’ériger de nouveaux monuments, voire des contre-monuments ! (1) C’est à croire que les illusions symboliques ne peuvent céder que devant de nouvelles illusions symboliques. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Marcel Aymé. D’abord parce que je trouve très sain - lorsque la vie sociale nous fait balancer entre le rire et les pleurs - de penser à lui et à ce mélange de dilection et de causticité dont il usait discrètement ; ensuite parce qu’il a écrit une nouvelle intitulée Le monument (2), une nouvelle qui nous en dit tant sur l’érection de pareil faiseur de postérité.
Il est plaisant de constater que la nouvelle de Marcel Aymé - écrite en 1948 - évoque une époque antérieure à 1914, époque durant laquelle on ne se priva pas d’ériger des statues, de celles-là précisément dont certains ont honte aujourd’hui. Parce qu’on se dit, en le lisant, que toute honte serait bue et tout souhait de proscription serait éteint à qui serait suffisamment informé du contexte et des circonstances qui ont présidé à leur construction.
En l’occurrence, il a été décidé de vouer un monument à la mémoire d’un général Frévière dont on ignore ce qu’il a fait pour mériter un tel honneur (mais qui aurait pu, par exemple, se couvrir de gloire dans les colonies). Le héros de la nouvelle, c’est l’arrière-petit-cousin du général. Et celui-ci rêve d’être admis au sein du Comité du monument. Avant même de bien comprendre son dessein, on apprend bien des choses à son sujet, toutes participant cependant à le situer socialement. Un exemple : sur le chemin qu’il emprunte pour répondre au rendez-vous que le Comité lui a fixé, il fait une rencontre inopinée.
« Soudain il devint écarlate, ses yeux s’arrondirent et son cœur se mit à battre à grands coups. Dans la ruelle déserte, à quinze ou vingt pas, sous un porche, une jeune femme élégamment vêtue découvrait sa jambe jusqu’au mollet. La main droite, engagée sous la jupe qu’elle n’osait relever plus haut et la gauche tâtonnant sous l’étoffe, elle s’efforçait vraisemblablement de rattacher sa jarretelle. Une fine dentelle blanche moussait au retroussis de la jambe, moulée dans un bas de fil noir, qui se détachait sur la peinture claire d’une porte cochère. Troublé par cette vision bouleversante, Frévière sentait son regard adhérer au mollet cambré qui bandait la couture du bas et ses yeux mêmes s’échapper de sa tête. La jeune femme, ayant entendu son pas, tourna vers lui un visage traqué et il reconnut alors Mme Courtemain, femme du Dr Courtemain et fille de Triel, le propriétaire des grands magasins où il avait été vendeur autrefois. Elle rabattit sa jupe avec précipitation et s’éloigna moins vite qu’elle n’eût souhaité, d’un pas court, sautillant, bridé par le bas de sa robe fourreau, qui dissimulait maintenant ses bottines. Son sac de perles pendu à son avant-bras, son parapluie accroché à l’autre poignet, elle eut, de ses deux mains gantées de mitaines, un geste gracieux pour assurer son grand chapeau vert sur lequel roulait une grosse plume d’autruche et dont l’un des bords touchait presque la pointe de son épaule. Frévière marchait derrière elle et ne la quittait pas des yeux. Il voyait encore la jambe sous la robe, il voyait les deux jambes, les suivait au-delà du genoux, s’égarait sous les festons brodés. Même, il imagina la jeune femme dépouillée de sa jupe et le pantalon ouvert bâillant sur un abîme voluptueux qui, chez cette dame de la haute société blémontoise, se paraît d’un mystère de coffre-fort. Mme Courtemain, qui entendait marcher derrière elle un homme au pas saccadé, sembla prendre peur et se jeta dans une rue latérale. Frévière retrouva son sang-froid. Il se reprocha les imaginations révoltantes auxquelles il venait de se complaire. Ce n’était pas qu’il fut le moins du monde puritain. La semaine passée, par exemple, il s’en était payé avec l’épicière d’un hameau des environs, qu’il avait culbutée dans son arrière-boutique, sans toutefois parvenir à lui placer une boîte de biscuits. C’était là une de ces femmes du commun auxquelles il était permis de penser sans aucune précaution. Même les plus jolies n’avaient pour elles que d’être des femmes, et peut-être un peu, la morale. Il en allait autrement de celles dont la naissance, l’éducation, la fortune, avaient fait des créatures précieuses. Élevées au couvent, sachant jouer du piano et faire de la tapisserie, leurs manières exquises les suivaient au lit comme dans les salons. D’ailleurs, les hommes du monde s’y prenaient avec elles de façon à ne jamais leur faire sentir vraiment qu’elles commettaient l’acte. Chez les Courtemain comme chez les Jeandot ou les Valloton, l’étreinte, consommée avec un tact infini, devait passer presque inaperçue, comme une simple allusion au cours d’une conversation. Frévière avait toujours pensé que les hommes de condition possédaient un sexe de dimensions très réduites, tout en nuances, et pouvaient ainsi honorer les dames sans heurter la délicatesse de leurs sentiments. Il y avait donc de la bassesse et de la déloyauté à imaginer qu’on disposait des dessous de Mme Courtemain et de ses pareilles. C’était presque aussi sale que de penser à des coucheries avec Lakmé ou avec Mignon. Pourtant, Frévière n’arrivait pas à chasser de son esprit l’image de la jambe. Avec un peu de tristesse, il songea aux privilèges du Dr Courtemain, un homme assez mal bâti, la figure de travers, qui s’efforçait de cacher sa laideur sous une épaisse barbe noire. Il lui semblait qu’auprès de Mme Courtemain, il réussirait aussi bien que le docteur et qu’en dépit de sa verge d’homme du peuple, il saurait se faire agréer à force d’enjouement, de discrétion et de douceur persuasive. » (pp. 1104-1105)
Qui oserait me dire que ce n’est pas dans un intermède de ce genre que l’on mesure le mieux ces barrières sociales qui construisent l’esprit du personnage, jusque dans ses débridements les plus instinctifs ? L’idée que Frévière se fait des femmes selon leur rang, des hommes selon leur condition, de la force du savoir-vivre jusque dans les moments les moins retenus - et même des avatars les plus physiques auxquels conduit la naissance -, tout cela n’est pas étranger à ce qu’il aurait pu apporter au débat relatif à l’érection du monument célébrant son parent s’il n’avait finalement été - précisément pour la même raison - écarté du Comité.
Mais pourquoi a-t-il été écarté du Comité ? On apprend parfois bien davantage sur ce qui a motivé les décideurs en prêtant attention à ce qui a conduit à les choisir et les rassembler qu’en se bornant à observer ce qu’ils ont décidé. En l’occurrence, une cooptation est envisagée et elle donne lieu à un débat parmi ceux qui ont déjà intégré le Comité. Celui-ci se réunit chez la marquise, là où Frévière se rend plein d’espérance. « Ces gens du monde et ces hautes personnalités de Blémont n’avaient pas le moindre prétexte à invoquer pour évincer un homme honorable, bien vêtu et, malgré la modestie de ses origines, pouvant se prévaloir d’une parenté glorieuse » (p. 1102), se dit-il. Et pourtant ! « Dans l’ensemble, les invités de la marquise se montraient hostiles à l’idée d’accueillir Jules Frévière au sein du Comité du monument. Le maire fit ressortir, à la satisfaction générale, que l’épouse de ce Frévière, une matrone forte en gueule, n’était pas la distinction même et que sa présence aux premiers rangs de la tribune d’honneur paraîtrait déplacée. » (p. 1106) Le seul épicier présent s’exclama d’ailleurs : « À l’heure qu’il est [Frévière] est représentant des biscuits Sorlin pour la région. Ça ressemblerait à quelque chose s’il représentait un bonne marque. Mais les biscuits Sorlin, laissez-moi rire. » (p. 1106) Et comme le colonel ne comprenait pas pourquoi il fallait interdire le Comité à Frévière alors qu’on l’avait ouvert à l’épicier, c’est la marquise qui lui répondit : « Colonel, il y a dans cette affaire des finesses qui nous dépassent quelque peu, dit-elle avec un accent de douceur complice. Pour ma part, j’avoue n’y voir pas bien clair et pourtant, j’y sens quelque chose d’infiniment sérieux. Monsieur le curé vous dirait beaucoup mieux que moi à quoi peuvent tenir, dans une petite ville comme la nôtre, le niveau moral et la santé des esprits. » (p. 1106) Sur quoi la marquise renvoya innocemment vers l’avis de Jeandot, le notaire. Mais… « L’avant-veille il était allé se plaindre [au colonel] de ce qu’un capitaine du régiment des hussards fût l’amant de sa femme. Emporté par la jalousie et l’indignation, il avait très mal parlé des hussards et le colonel avait répondu que, les femmes du monde étant peu nombreuses dans la garnison, ses officiers étaient bien obligés de prendre leurs maîtresses où ils pouvaient. » (p. 1107) L’avis du notaire poussa ainsi le colonel à maintenir l’opinion que la parenté de Frévière avec le général honoré était incontestable. Et ce fut le maire qui précisa « qu’il y a seulement huit jours, ce M. Jules Frévière ignorait encore qu’il était un arrière-petit-cousin du général et il a fallu qu’un hasard le lui apprenne. » (p. 1107)
Tout cela pour expliquer que, lorsque Frévière fut devant le Comité et qu’il argua que, en sa qualité de parent du général, il pouvait se rendre utile, le maire lui répondit : « C’est une pensée qui vous honore, […] mais en toute sincérité, je ne vois pas comment vous pourriez vous rendre utile. Le monument est en voie d’exécution, la date de l’inauguration est presque fixée et les invitations sont déjà lancées. Étant donné que le comité est constitué depuis six mois, il n’est pas possible de lui adjoindre, au pied levé, un membre nouveau. Ce serait ouvrir la porte à d’autres réclamations qui ne sont pas plus recevables que la vôtre. » (p. 1109)
En retenant ainsi quelques petits passages du texte, je n’ai voulu qu’épingler l’un ou l’autre exemple de ces détails qui éclairent l’affaire du monument en question. Le texte entier recèle bien davantage, de par le ton autant que par le récit. Et ce que j’ai voulu dire par là - et j’imagine facilement que je ne convaincrai pas tout le monde -, c’est que le symbole que l’on croit reconnaître dans un monument ou dans une statue cache quasi tout de ce qui a présidé à son érection. Bien sûr, il y a le symbole. Mais au moment de le promouvoir, celui-ci est une telle évidence que ce qui va l’illustrer doit tout autant à des rapports sociaux qui lui sont au moins aussi étrangers que ne peuvent l’être les raisons qui conduisent les membres du Comité à refuser la présence de Frévière en leur sein et qui les poussent aussi à lui cacher ces raisons-là. Ou, pour le dire autrement, ce qui conduit certains à souhaiter un symbole en rapport avec telle ou telle opinion, c’est autant ce qui les amène à vivre des rapports sociaux qui véhiculent de multiples discriminations que la chose que le symbole magnifie. Ou encore, que le symbole ne résulte pas uniquement de ce qu’il magnifie, mais aussi de tout ce qui a participé à le rendre estimable dans un monde social où, parmi tant d’autres choses, il a trouvé sa place.
On me répondra certainement que les liaisons que je tisse ainsi sont ténues et que cela ne rend pas moins indignes les symboles qui constituent des hommages à des formes d’inégalité, voire à des maltraitances, aujourd’hui inadmissibles. J’en conviens volontiers, à ceci près que les comités qui décident ou préconisent les déboulonnages ne fonctionnent sans doute pas très différemment de ceux qui ont accompagnés les boulonnages et qu’ils sont très probablement tout autant agités par des considérations de prestige, ne serait-ce que celui d’exhiber un goût rémunérateur pour la vertu. Ce qui a sans doute changé, ce sont les formes de vertu que chaque époque préfère. Très sincèrement, je ne suis pas opposé à la disparition de certains témoignages du passé ; simplement, je ris autant de la naïveté de ceux qui les réclament actuellement, que je n’ai pu rire - avec l’aide de Marcel Aymé - de celle de ceux qui ont demandé qu’ils soient édifiés.
Tout notre environnement est fait de témoignages du passé, depuis les monuments les plus illustres, jusqu’aux paysages les moins humanisés. Ces traces de nos ancêtres peuvent nous aider à comprendre par quels chemins l’humanité s’est perpétuée jusqu’aujourd’hui. Une statue est peut-être plus symbolique que les reliques d’un cimetière abandonné ; même si l’on peut y bien réfléchir. En fait, c’est le présent qui confère ou non aux choses la valeur de symboles. Or, c’est également le présent qui corrige continûment l’histoire pour qu’elle s’adapte aux désirs les plus actuels, tant politiques que moraux. Ce qui signifie que ceux qui - par ces temps de déboulonnage - revendiquent une réparation de l’histoire ne feront, s’ils réussissent, qu’accélérer une évolution par ailleurs inéluctable. Et ceux qui sont attachés à une approche la plus objective possible de l’histoire regretteront peut-être l’atteinte faite à des traces matérielles de façons de penser qui ne sont plus les nôtres.
Qui sait si, avant même de penser bien, de penser pour le bien, il n’est pas encore plus important de penser vrai, c’est-à-dire de mesurer le plus exactement possible ce qui sépare le présent du passé et donc d’accéder le plus correctement possible à ce qui fut cru, aimé et pensé en des temps antérieurs au nôtre.
(1) Cf. par exemple l’article de Marie-Louise Ryback Jansen et Steven Stegers, « Déboulonner les statues “reste une victoire à la Pyrrhus, un acte purement symbolique” », in Le Monde du 15 juin 2020.
(2) Marcel Aymé, “Le monument” in Nouvelles complètes, Gallimard, Quarto, 2002, pp. 1101-1116.
Autres notes sur Marcel Aymé :
La Vouivre
Le problème
Pour une fois qu'il se passe quelque chose de vivant et de vivifiant autour de ces figures illustres et trépassées!
RépondreSupprimerEt surtout, pour une fois que celles-ci suscitent quelques remises en question et quelques réactions qui appellent à leur tour des explications, voilà qui n'est pas totalement pour me déplaire; et au moins à ce titre il ne me semblait pas tellement absurde et ridicule de vouloir déboulonner...
Quoiqu'il en soit, j'ai été très heureux et amusé de retrouver sous votre plume la verve délicatement croustilleuse de M. Aymé qui, par le trait précis et délicatement grivois jusque dans le détail, sait vous mettre en joie avec ces presque rien qui composent les divertissements sociaux et au final la vie elle-même.
Pour en revenir plus sérieusement à la substance de votre note où il est question, mais pas seulement, de boulonnage et de déboulonnage, n'y a t-il pas quelque légitimité à dégrader le dégradant? Une dignité retrouvée à démolir ce qui a été édifié et consolidé hâtivement dans la pierre?
Détruire ce n'est pas toujours mettre à sac, c'est aussi renverser, par la revanche symbolique du noble sur l'ignoble. Il est des ironies plaisantes de l'histoire à l'égard desquelles on aurait tort, je crois, de vouloir faire le difficile tellement ces petites ironies, qui mettent les choses à l'envers pour les remettre à l'endroit, se présentent (il faut en convenir) avec une certaine parcimonie dans le cours intégré de l'histoire.
Mettre à terre l'élevé, ou encore, mettre cul par dessus-tête le cheval du général cabré sur son socle de pierre, c'est un peu comme si l'histoire voulût glisser malicieusement un petit croc-en-jambe à l'infâme lequel - et l'on aurait tort, je crois, de bouder là son plaisir - choit quelques instants à jambes rebindaines - quelques instants précieux et réjouissants.
Voilà que je constate que j'aurais bien des choses à vous exprimer sur le sujet.
RépondreSupprimerPermettez alors, cher Jean, que je vous fasse une nouvelle une réponse un peu détaillée; une réponse - comme vous avez maintenant l'habitude - à plusieurs étages, et où le premier (de ces étages) serait justement la présente, et les autres - toujours plus poussifs - pourraient si vous le voulez bien se lire prochainement sur le blog que j'ai dédié depuis un certain temps à nos échanges, et où je n'hésite plus, comme vous le savez, à réagir par mes remarques personnelles, mes considérations inactuelles et mes objections très amicales aux différents articles que vous publiez, du moins certains d'entre eux qui suscitent entre nous débats et prolongations bien au delà de ce qui est permis ordinairement dans un simple commentaire comme celui-ci, toujours moins consistant qu'un véritable article.
Aussi, pour en finir ici-même avec le commentaire présent (et en attendant que vous m'accordiez éventuellement votre curiosité et votre témérité pour une suite disons "délocalisée"), permettez-moi simplement trois petites recommandations de lecture - hétéroclites, brèves et savoureuses - qui sont évidemment toutes les trois relatives au thème d'actualité de cette note, et qui - c'est là du reste une des raisons pour lesquelles je vous en fais la confidence - composent d'une certaine façon les trois couleurs primaires à partir desquelles mon opinion sur le sujet se dessine, et la réaction plus détaillée que je vous réserve - si vous souhaitiez bien la connaitre - se colorera:
1/ Le Moment de G. Meurice sur France Inter diffusé le 09 juin dont le sujet était précisément "Le déboulonnement des statues de personnages décriés"... Sans commentaire! (https://www.franceinter.fr/emissions/le-moment-meurice/le-moment-meurice-09-juin-2020)
2/ Le court article de D. Mermet publié le 15 juin sur le site de Là-bas si j'y suis et en accès libre, intitulé "Déboulonner les statues ou les repeindre en rouge?" (https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/deboulonner-des-statues-ou-les-repeindre-en-rouge#nb1)
3/ Et enfin la nouvelle, brève et intense, de R. Musil intitulé prosaïquement "Monuments" qui, toute en ironie, redouble la question du monument par celle - autrement plus redoutable et passionnante - de l'invisible où l'on se demande avec l'auteur si ce qui est grand et important doit effectivement et nécessairement être visible, et donc également, si la vérité est identique à la réalité observable. Nul doute que si courte nouvelle puisse contribuer à ce que l'auteur a appelé "l'intelligence du monument", et même, dirais-je, - si affinité - à l'intelligence tout court. (On trouvera cette nouvelle traduite par P. Jaccottet dans le petit recueil des Œuvres pré-posthumes, p.76-80, Seuil, 1965, ou, prochainement, sur mon blog).
S’il s’agit d’agir - et ce serait alors en ce sens qu’il convient d’alimenter l’indignation face aux cruautés et aux injustices dont l’homme a fait et fait preuve -, il est probable que le déboulonnage des statues, symbolique ou effectif, soit propice à une mobilisation, à tout le moins momentanée, en faveur d’une certaine équité politique.
SupprimerS’il s’agit de comprendre, au-delà de ce qu’on lui fait communément dire, ce que fut notre histoire, il est utile de se retenir d’agir, ou du moins de penser à l’action, de sorte que les raisons que chacun eut de faire ou de ne pas faire - en ce compris les raisons que chacun eut d’interpréter l’histoire à la lumière de ses intérêts - soient approchées au moyen d’un effort de déprise de soi, c’est-à-dire en s’interdisant notamment de se laisser influencer par les préférences morales que nous devons au monde social d’aujourd’hui.
J’ai tenté d’écouter Guillaume Meurice et, je dois vous l’avouer, je ne suis pas allé jusqu’au bout. C’est là un genre d’humour qui m’est assez insupportable.
Quant à l’article de Daniel Mermet, il manifeste sans nul doute un désir d’agir.
Pour ce qui est de l’article de Musil, j’attends d’en disposer sur votre blog.
Un grand merci pour votre commentaire.
Merci de faire découvrir cette nouvelle savoureuse de Marcel Aymé. Elle ne figure pas dans mon recueil, qui en contient une autre "La statue" (Derrière chez Martin). Elle dit, de manière cocasse, les rapports complexes du statufié et de sa statue. Et c'est sans doute pour cela qu'il est prudent de ne représenter que les défunts. Dans les deux nouvelles, il s'agit de reconnaissance sociale refusée, celle de l’arrière-petit-cousin du général - qui ferait tache sur la photo officielle - et celle du sujet de la statue - devenu trop insignifiant pour sa représentation de bronze -. Votre invitation à une lecture extensive des conditions de la décision officielle est très avisée. Elle étend le champ d'investigation de l'historien, qui a beaucoup à dire à ces nouvelles générations enclines aux jugements tranchants, plutôt qu'à la lente et besogneuse élucidation du passé. Car il n'est pas sûr que la statue, à elle seule, soit le bon support pour le transfert d'une mémoire qui est toujours "en travaux".
RépondreSupprimerJ’apprécie beaucoup les mots justes qui sont les vôtres lorsque vous commentez mes notes.
SupprimerLe champ d’investigation de l’historien, voilà qui est très exactement ce qui me préoccupe si souvent lorsqu’on use et abuse du passé. Et le mot champ désigne là bien des choses, à commencer par ce niveau de grossissement que l’on choisit, tels ces changements de vision que l’on doit au réglage du microscope (je dois la comparaison à Lévi-Strauss). Quand on dit que François Ier remporta la bataille de Marignan - serait-ce par exemple pour magnifier la France (et sans doute en supposant que la gloire passée rejaillisse sur la valeur d’aujourd’hui, déduction bien illusoire) -, on évoque un événement historique dans sa plus grande généralité. Si on agrandit la focale et que l’on se renseigne sur le déroulement de la bataille, on découvre que la victoire n’est peut-être pas aussi glorieuse que le laissait croire le premier propos. Et si, augmentant encore la focale, on se penche sur les conditions et les débats qui présidèrent à la présence des troupes françaises (et des troupes vénitiennes) en Lombardie, on atteint, qui sait, une compréhension du contexte qui donne aux faits un sens qui doit beaucoup au hasard, aux incompréhensions, aux ambitions idiotes, aux illusions de chacun et à un climat d’embrouilles dans lequel le destin des peuples devait tant aux intrigues de famille et si peu au souci de la multitude. Tout cela en supposant qu’il ait été possible de démêler le faux du vrai.
On peut sourire du rapport que je me permets d’établir entre la déception de l’arrière-petit-cousin du général et le symbole actuel de la statue, mais l’histoire est ainsi faite de fils extrêmement ténus qui lient les choses les plus disparates et qui font que ce n’est pas seulement les Pyrénées qui séparent ce que l’on croit vrai de ce que l’on croit faux, mais bien déjà un quelconque mur mitoyen.