À propos du sexe masculin
Les hommes - je parle ici des humains de sexe masculin - savent bien peu ce qu’ils sont. Il se croient avant tout des humains, alors qu’ils sont surtout des mâles. Là où bien des mammifères se focalisent généralement sur les activités sexuelles de façon périodique - temps du rut ou des chaleurs -, l’homme ne connaît quasi aucune latence et, jour après jour, heure après heure, il reste à la merci de pulsions sexuelles qu’il refrène, canalise, sublime, méconnaît ou satisfait sans cesse.
C’est d’avoir compris cette omniprésence de la sexualité et d’avoir exploré ses aspects masculins et féminins qui constitue la principale découverte de Sigmund Freud. Et il est amusant de se dire que le succès de la psychanalyse - y compris et surtout chez ses praticiens - doit peut-être quelque chose à un attrait pour le sexe qui ne s’avoue pas à lui-même et qui se satisfait d’une certaine manière par l’intellectualisation des pulsions.
Les débats sans cesse recommencés à propos des harcèlements et agressions dont sont victimes tant de femmes pèchent souvent par l’exagération vertueuse de ce qui sépare les hommes violeurs, agressifs ou lourds et les autres. Non certes qu’il ne faille différencier les comportements. Mais c’est l’aura d’innocence qui entoure ces mâles civilisés qui restent courtois en toute occasion, qui insistent sur la nécessité du consentement et ne craignent pas d’affirmer leur solidarité avec la femme dominée et agressée qui mérite d’être relativisée. Ceci peut sembler provocateur, pourtant ce ne l’est pas. Je vais tenter d’expliquer pourquoi.
De nos jours, il est généralement admis qu’une sexualité épanouie - par exemple telle qu’elle devrait se vivre au sein d’un couple uni par l’amour - réclame que soit accordée une place à la variété (pour ne pas dire à la fantaisie), ce qui suppose des changements de pratiques, que ce soit dans les occasions, les approches, les contextes, les positions, les partages, que sais-je encore. Les fantasmes non partagés peuvent être à l’origine d’une distance entre conjoints qui risque de tiédir les liens. Et cela reste vrai pour les rencontres occasionnelles, même si les conditions de leur réussite (principalement du point de vue sexuel) ne sont pas les mêmes. Prendre conscience de cet aspect de la sexualité me semble tout aussi important que de comprendre son irrépressible empire.
C’est dire si la raison règne peu en ce domaine et si celle-ci reste de peu d’effets lorsqu’elle ambitionne de maîtriser les pulsions. Il est conforme à la raison d’exiger le consentement aux pratiques sexuelles, quelles qu’elles soient. Mais déceler le consentement, voire l’obtenir, reste quelquefois bien épineux, face à l’ambiguïté des comportements. Car fait partie de l’acte sexuel un jeu où l’exigence simulée, la transgression réclamée, l’invite pressante, la suggestion insistante, le refus simulé, la résistance feinte, l’accord concédé - que sais-je encore ? - participent d’une façon ou d’une autre à son accomplissement et, bien souvent, à l’entretien du désir qu’il postule. Et plus rares qu’on ne le croit sont sans doute ceux qui connaissent très exactement ce qui, chez l’autre, est authentique ou joué, spontané ou affecté, vrai ou postiche, sincère ou de commande, réclamé ou concédé. Car l’expression des sentiments passe en ces moments-là par des preuves qui les débordent facilement.
Ce que je veux dire par là, ce n’est pas qu’il serait inutile d’évoquer le consentement et vain de poursuivre les agresseurs et les violeurs. Bien au contraire. Ce que je veux dire, c’est que le respect des femmes commence peut-être par l’examen de conscience que chaque homme devrait faire, à la fois sur la force de ses pulsions et sur ce qu’il en coûte de les réfréner. J’entends par là s’interroger sur ce qui est souhaité d’une partenaire et sur la façon dont cela est sollicité. Même si elle n’est pas aisément décelable, il existe bien sûr une frontière entre moyens licites et moyens illicites de satisfaire ses appétits. Et, en pareille affaire, le licite peut éventuellement comporter déjà une insistance qui n’est pas nécessairement la bienvenue.
Ai-je besoin de dire que, dans le domaine de la sexualité, tout existe ? Depuis les femmes agressives et même violeuses, jusqu’aux hommes éteints, en passant par celles et ceux pour qui la relation hétérosexuelle ne présente aucun attrait. Encore l’homosexualité ne met-elle pas toujours à l’abri de la domination et de la violence. C’est l’ampleur et la fréquence des violences faites aux femmes par les hommes qui confèrent à ce problème une dimension toute particulière et réclament de s’interroger sur l’éducation des garçons et sur ce qui, dans cette éducation, participe à libérer jusqu’à l’inadmissible des pulsions qui polluent la vie sociale.
Ce sont des raisons sociales qui ont conduit la plupart des sociétés à réprimer la sexualité ou, à tout le moins, certains de ses aspects ou de ses pratiques. On distingue quelquefois assez mal le rapport existant entre une contrainte et l’exigence sociale qu’elle satisfait. C’est qu’il ne s’agit pas seulement de favoriser l’exogamie ou toute autre règle de formation des couples, mais aussi des rapports de pouvoir que l’interdit conforte. Jusqu’à s’illustrer dans des préceptes que leurs zélateurs enfreignent allègrement. Une sexualité moins contrainte - telle qu’elle fut vécue depuis les années 60-70 en Occident - a pu donner à croire que l’homme pouvait se lâcher sans trop de scrupules. Je prends aujourd’hui conscience d’avoir quelquefois, dans le cours de ma vie, adopté un comportement qui ne prenait pas pleinement en compte le désir et qui n’attendait pas le consentement explicite de la femme qu’il concernait. Ce ne fut jamais ni violent, ni même agressif ; simplement autocentré, parce qu’impulsif. Et absous d’avance par la conviction bienvenue que c’était ce qu’elle souhaitait secrètement. Quel homme d’un certain âge pourrait prétendre s’en être toujours gardé ?
Sauf à remettre à l’ordre du jour des anathèmes hypocrites qui renvoient les pires abus dans le privilège et la clandestinité, le remède passe par l’éducation des garçons, une éducation qui propose cette maîtrise du corps qui permet de réinsérer la sexualité masculine dans la vie sociale. Il faut que, dès l’adolescence, le garçon soit conscient du rôle que joue l’abstinence sur son impulsivité, donc sur sa dangerosité. Et qu’il accepte en conséquence de se désarmer autant que nécessaire, dès lors que le contact avec l’autre sexe n’autorise rien de sexuel. De la même façon qu’une mongolfière monte tantôt sous l’effet de l’air chaud et tantôt quand on lâche du lest, le garçon doit se conduire en sachant monter au gré des charges et décharges qu’il a le pouvoir de réguler. Le besoin physiologique ne fait pas tout, bien évidemment. Et bien des élans mentaux peuvent faire naître des ambitions, y compris jusqu’à dépasser parfois ce que le corps peut satisfaire. Mais néanmoins, voilà qui, me semble-t-il, permettrait de concilier un peu mieux la vie sociale et les exigences de la chair et qui pourrait aussi, dans une certaine mesure, redonner aux femmes cette confiance en les hommes dont dépend souvent leur propre bonheur. D’autant que la maîtrise du corps n’est pas sans influence sur la maîtrise de l’âme, ne serait-ce que parce celle-ci doit tant aux habitudes.
L'image de la mongolfière a l'attrait d'élever le débat
RépondreSupprimerLa métaphore n'est pas très heureuse, j'en conviens.
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