mercredi 28 septembre 2022

Note de lecture : Stanislas Dehaene

Apprendre !
de Stanislas Dehaene


Comme moi, vous ignorez tout des sciences cognitives. Comme moi, vous avez entendu dire que c’est un domaine où l’on fait énormément de progrès. Comme moi, vous ne savez trop à quoi peuvent correspondre ces progrès-là. Alors, procurez-vous sans tarder le livre de Stanislas Dehaene : Apprendre ! (1).

Si vous en savez déjà pas mal sur la question et si vous imaginez aisément de quoi il est question, procurez-vous le quand même, si ce n’est déjà fait. Car, au-delà de la compétence de l’auteur - il est professeur au Collège de France où il occupe depuis 2005 la chaire de psychologie cognitive expérimentale -, ce livre témoigne d’un grand souci de clarté, d’un immense sens de la synthèse et surtout d’une fantastique confiance dans les capacités humaines, tellement réjouissante par les temps qui courent. Et puis, vous apprendrez encore…

Car apprendre est peut-être ce que le cerveau humain est apte à faire de la façon la plus prodigieuse qui soit. Et si l’on réfléchit depuis la Haute Antiquité aux meilleures manières d’apprendre, la psychologie cognitive expérimentale - entendez l’observation rigoureuse du fonctionnement du cerveau, principalement grâce à l’imagerie médicale - permet depuis quelques décennies de substituer aux intuitions pédagogiques des faits susceptibles d’objectiver les processus d’apprentissage et de cerner en conséquence les pratiques les plus propices à l’acquisition des savoirs.

J’ai quelque scrupule à évoquer ce que je crois avoir appris en lisant le livre de Stanislas Dehaene. Car je suis à ce point ignorant de ce domaine de recherche que je craindrais de dire des bêtises. Mais je ne résiste pas à l’envie d’en dire quelques petites choses très élémentaires afin de souligner l’intérêt que présente l’ouvrage.

Depuis qu’ont été découvertes les tâches dont chaque zone du cerveau humain se charge, il est devenu possible - moyennant une organisation complexe des observations - de surveiller ces activités spécialisées en rapport avec les circonstances diverses que connaît l’individu. Et en répétant ces expériences en vue de disposer d’échantillons représentatifs de la population étudiée, on a pu ainsi octroyer à chaque situation vécue un indice de performance quant aux capacités d’apprentissage. Ce qui a abouti à une connaissance d’effets méthodologiques certains, autrement plus efficaces que n’ont jamais pu l’être jusqu’alors les méthodes pédagogiques intuitivement préconisées.

Que nous apprend Apprendre ! ? D’abord que les capacités d’apprentissage du cerveau humain sont à ce point considérables qu’il faudra probablement encore bien du temps pour que les machines les égalent. Ensuite que les mécanismes d’apprentissage opèrent différemment selon l’âge, l’alimentation, le sommeil, les conditions d’exercice. Enfin qu’apprendre apprend à apprendre, selon une pente qui prend du temps. Il ne s’agit plus là d’intuitions liées à une observation des comportements et des résultats, mais bien à des expériences rigoureusement menées et permettant l’observation directe du fonctionnement du cerveau. Il n’est donc plus temps de se chamailler à propos de la valeur des différentes méthodes pédagogiques que les derniers siècles ont vu proposer : il convient de faire bénéficier les projets éducatifs des connaissances nouvelles que les sciences cognitives nous livrent.

Évidemment, si les observations ainsi faites bénéficient de la fiabilité que l’on doit reconnaître à des méthodes de recherche scientifiquement éprouvées, les principes pédagogiques que l’on en tire doivent être appréhendés avec prudence, car ils supposent des généralisations et des déductions que bien des facteurs peuvent fragiliser. Ainsi, Stanislas Dehaene préconise de maximiser l’apprentissage en accordant toute son importance à l’attention, à l’engagement actif, au retour sur erreur et à la consolidation, ce qui ne représentent certes pas des inférences hasardeuses, mais qui impliquent des façons de faire dont bien des aspects restent incertains. Ne nous montrons cependant pas plus exigeant que la situation ne le réclame !

Car la situation est quasi catastrophique. L’école sombre de plus en plus. Notamment parce qu’un grand nombre d’élèves ont même perdu le sentiment de s’y rendre pour apprendre quelque chose et que ceux qui en fixent les modalités de fonctionnement ont eux-mêmes souvent perdu l’espoir d’y transmettre des savoirs. Écoutons Stanislas Dehaene :
« S’il fallait résumer d’un mot le talent particulier de notre espèce, je retiendrais donc le verbe “apprendre”. Plus que des homo sapiens nous sommes des homo docens - car ce que nous savons du monde, pour la plus grande part, ne nous a pas été donné : nous l’avons appris de notre environnement ou de notre entourage. Aucun autre animal n’a su, comme nous, découvrir les secrets du monde naturel. […]
Cette remarquable capacité d’apprentissage, l’humanité a découvert qu’elle pouvait encore l’augmenter grâce à une institution : l’école.
 » (p. 26)
Encore faudrait-il que l’école continue d’apprendre et d’apprendre à apprendre.

(1) Stanislas Dehaene, Apprendre ! Les talents du cerveau et le défi des machines, Odile Jacob, 2018.

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