samedi 1 octobre 2022

Note spéciale : Paul Veyne

Paul Veyne est mort

Paul Veyne est mort ce 29 septembre 2022. Il avait 92 ans.

On aime dire que Paul Veyne était un historien original, voire iconoclaste. C’est qu’il avait poussé le souci de rigueur jusqu’à pourchasser l’erreur dans les démarches les plus méticuleuses, comme si l’histoire demeurait à jamais une tentative illusoire de représenter le passé. Il y aurait bien des choses à dire sur cet aspect fondamental de son œuvre, mais je n’en traiterai pas aujourd’hui. Je me contenterai de renvoyer à ma note du 23 décembre 2011 - laquelle était consacrée à son livre Le quotidien et l’intéressant -, même si elle n’épuise absolument pas le problème évoqué.

J’aimerais en effet me contenter en la circonstance de dire un mot d’un livre qui ne parle d’histoire que pour faire l’aveu de certains de ses goûts en peinture, plus spécialement ceux qui concernent la peinture italienne durant cette période extraordinaire qui va du XIIIe au XVIIIe siècle : Mon musée imaginaire (1).

« En peinture, selon le mot connu, l’Italie a traversé “une épidémie de génie, comme il y a des épidémies de peste”, qui a duré cinq siècles, de Giotto à Tiepolo. » (p. 6)
Et ce livre - ce beau livre - parcourt la période en nous livrant les reproductions de plusieurs centaines d’œuvres, avec pour chacune quelques phrases propices à un regard insistant sur certains traits du tableau.

Un exemple - qui n’est pas choisi au hasard - permettra de saisir à la fois la modestie du texte et la performance visant à donner à voir une évolution qui dit tant sur l’histoire des hommes et sur ce qui les modèle continûment à leur insu, comme si le beau lui-même, en se mettant au service de conceptions sans cesse renouvelées, trahissait l’indéfinissable de ce qui importe.

Parce que c’est une œuvre qui me fascine, j’ai choisi la Madone avec l’Enfant entre deux saintes de Giovanni Bellini (2) que l’on date des environs de 1490. Je tais mes propres commentaires pour ne laisser place qu’à ceux de Paul Veyne :
« À gauche de la Vierge, la blonde Marie Madeleine qui, du geste, se repent de ses péchés en son cœur ; à sa droite, la brune Catherine d’Alexandrie, coiffée de son diadème de princesse, fille de roi.
Les visages sont admirables.
Ce sont les deux femmes qui ont le plus aimé le Christ (qui l’ont aimé spirituellement, s’entend) : Marie Madeleine lui a lavé les pieds
[…] et Catherine d’Alexandrie, martyrisée vers 300 selon la légende, avait épousé mystiquement le Christ et échangé un anneau de mariage avec son divin époux. Elle n’en eu évidemment pas d’autre et demeura vierge.
Ce tableau ne serait-il pas destiné à des filles qui n’ont pas de mari, pour leur conseiller de reporter sur Dieu leur désir d’amour ?
Jamais piété sincère et beauté sensuelle n’ont fait meilleur ménage que dans le classicisme de ce chef-d’œuvre. Les teintes s’accordent malgré l’intensité et la subtilité de leur richesse. L’exécution est d’une finesse digne de Léonard. Les physionomies sont soucieuses et résignées, l’Enfant lève les yeux au ciel et acquiesce à ce qui l’attend et qu’il sait fort bien.
 » (p. 183)

Rien de trop donc, rien de savant, rien de superflu, juste ce qu’il faut pour mesurer, en passant d’un commentaire au suivant, le mouvement qui porte sans cesse la création à renouveler ses façons de faire au gré des convictions du moment.

Ne serait-ce que pour ça : merci à Paul Veyne.

(1) Paul Veyne, Mon musée imaginaire ou les chefs-d’œuvre de la peinture italienne, Albin Michel, Beaux livres, 2010.
(2) L’œuvre se trouve à Venise, à la Galerie de l’Académie. On peut en voir une reproduction ici.

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