À propos de la liberté d’expression aujourd’hui
J’ai souvent hésité à me dire partisan sans réserve de la liberté d’expression. Que ce soit à propos des lois mémorielles, que ce soit à propos des caricatures, que ce soit à propos de l’homophobie, j’ai plus d’une fois exprimé mon malaise (1) face à ce paradoxe qui veut que ce soit quelquefois les mêmes qui vitupèrent contre toute atteinte à la liberté d’expression et qui, en même temps, s’indignent que soient autorisées des affirmations malséantes.
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis représente un événement producteur d’inquiétudes, sans doute d’une façon quasi égale à celui qui vit des régimes politiques tyranniques s’implanter en Europe dans les années 20 et 30 du XXe siècle. Le danger n’est certes pas le même et les projets qu’il véhicule non plus. Mais les affres sont très comparables : que nous réserve l’avenir ? Il y a pourtant une chose que l’événement a quelque peu clarifié, c’est le côté polymorphe de la liberté d’expression. Qui peut en effet douter encore de l’usage pervers auquel peut parfois donner lieu cette liberté d’expression, brandie comme la plus chère des libertés ?
Brimer la liberté d’expression est bien évidemment une mesure qui tente les régimes autoritaires, puisqu’elle permet de museler l’opposition et de dissimuler ce qui vaut d’être caché.
Mais les partisans de régimes autoritaires peuvent au contraire faire l’éloge de la liberté d’expression, de telle sorte que les mensonges, les insultes, les diffamations et les théories les plus insensées qui leur profitent soient répandues avec le moins d’entraves possibles. C’est à cette attitude que correspondent les décisions prises par exemple tout récemment par Elon Musk et Mark Zuckerberg à propos des réseaux X et Facebook, comme ce fut aussi de cette attitude que s’inspiraient les négationnistes qui désignaient les lois mémorielles comme des atteintes à la liberté d’expression.
Lorsqu’on penche pour une organisation démocratique de la société, on aime la liberté d’expression, laquelle permet de dénoncer toutes les entorses aux autres libertés. On aime moins l’expression d’opinions qui mettent ces mêmes libertés en péril, au point d’approuver une limitation à leur égard de la liberté d’expression.
Cet état d’esprit qui consiste à être ouvert à autrui et à admettre des manières de penser et d’agir différentes des siennes - autrement dit à se montrer tolérant - est évidemment souhaitable. Il permet d’éviter que les antagonismes ne s’enveniment. Mais dès lors qu’il s’agit de se positionner par rapport à une manière de penser et d’agir que l’on juge menaçante, la tolérance change de visage et se transforme en faiblesse.
Il y a là de quoi réfléchir à l’ambivalence des choses. Or, ce qui peut nous aider dans cette réflexion, ce ne sont pas les principes moraux. C’est d’abord et avant tout l’indépendance d’esprit (2), c’est-à-dire cet effort sans cesse recommencé en vue de se distancer de nos principales déterminations.
(1) Cf. mes notes des 20 décembre 2011, 12 mars 2013, 13 janvier 2015, 18 janvier 2015 et 31 octobre 2020.
(2) Cf. ma note du 22 décembre 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire