mardi 28 juin 2022

Note de lecture : Christine Daure

À quoi sert l’assistance technique ?
de Christine Daure


Ces derniers mois, on entend souvent dénoncer l'ambivalence d’une opinion qui, d’un côté, déplore la destruction de la biodiversité, le désastre de la pollution et l’intensification du dérèglement climatique et, de l’autre, passe outre, voire résiste aux mesures destinées à y porter remède. Ce genre d’ambivalence n’est ni nouveau, ni même rare.

Ainsi, sur un temps bien plus long, on assista - et on assiste encore - à une vigoureuse dénonciation du colonialisme et de l’impérialisme (en ce que ces politiques auraient aiguillonné l’acculturation et l’exploitation systématique de populations ainsi dépossédées de leur culture, de leurs usages et de leur pays) et, dans le même temps, à la perpétuation de pratiques qui aboutissent aux mêmes résultats. Pareille ambivalence ne se borne pas à partager l’opinion en deux camps ; elle doit de durer au fait que nombre de ceux qui accusent l’exploitation les conduit à la remplacer par la leur.

Le 20 juin dernier, la Justice belge a remis à sa famille la dépouille - en l’occurrence une dent - de Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République du Congo (de juin à septembre 1960), assassiné le 17 janvier 1961 parce qu’il mettait en danger les intérêts économiques belges et américains dans son pays. (1) Si je puis comprendre l’émotion des parents, notamment lorsque le Premier ministre belge, Alexander De Croo, a présenté ce jour-là les excuses du Gouvernement belge, il m’est néanmoins malaisé de ne pas me dire que, à chaque époque, correspond une forme particulière de cynisme. Il y avait en 1960 - je m’en souviens - un discours empreint de générosité qui mettait en avant tout ce que la Belgique avait fait pour le Congo et que le soi-disant engagement communiste de Lumumba mettait en péril. Et de même un discours désolé regrettant que des inconnus aient pu attenter à sa vie. Aujourd’hui, les autorités belges tiennent des propos dits de vérité reconnaissant la responsabilité des autorités de l’époque et des propos généreux évoquant « un nouveau chapitre de notre histoire ». Mais notre histoire, c’est la part d’histoire commune que partage la Belgique et le Congo, laquelle se résume à la défense des intérêts économiques belges au milieu de l’Afrique. Dans quelle mesure les despotes congolais qui se succédèrent à la tête du pays - Tshombé, Mobutu, les Kabila - ont pu compter sur le silence ou le soutien des autorités belges, dans quelle mesure les conflits sanglants qui ravagent le Congo depuis 62 ans se sont perpétués dans l’indifférence des mêmes autorités belges (2), c’est là une part de l’histoire qui n’est pas remise en cause. Bref, ici comme ailleurs dans le monde, le discours anticolonialiste a souvent pris une forme qui justifiait les nouvelles modalités de l’exploitation, pérennisant ainsi ce qu’elle donnait l’apparence de regretter.

Tout cela me rappelle un épisode de ma vie qui ne mérite d’être évoqué que parce qu’il illustre l’inconscience en laquelle on agit le plus souvent.

J’ai achevé mes études en 1969, études au cours desquelles j’avais mené en parallèle la formation en sciences sociales et une spécialisation en études des pays en voie de développement. Je projetais en effet de remplacer le service militaire, alors obligatoire, par une participation à l’assistance technique dans un pays dit en voie de développement. Ma vision d’alors de l’aide au développement, comme du service militaire d’ailleurs, correspondait à ce que pouvait en penser un jeune épris de justice sociale, reconnaissant à la gauche des mérites inégalés et sortant des remous de mai 68 avec l’idée que le monde était réformable, serait-ce par une révolution. Pourtant, ce projet fut stoppé net par la lecture d’un article que Christine Daure (3) publia dans le numéro 276 de juin-juillet 1969 des Temps modernes, un article intitulé “À quoi sert l’assistance technique ?” (4) J’y vis l’hypocrisie d’un système qui cachait ses vrais effets sous des intentions louables et, à tout prendre, il me sembla préférable de donner à mon antimilitarisme l’occasion de se frotter à l’armée. Voilà probablement pourquoi je fis mon service militaire. Encore importe-t-il de rester prudent sur ce qui m’a très exactement déterminé.

Que trouve-t-on dans cet article ?

D’abord une question, une question qui semble aujourd’hui pleinement justifiée mais qui, à l’époque, me parut très extraordinaire, principalement parce qu’elle heurtait tout ce qui me semblait aller de soi dans le projet de participer à l’assistance technique.
« Les années passent et nous, les assistants techniques, nous continuons notre travail : aider les pays sous-développés à rattraper leur retard, et cela sans trop nous poser de questions.
Mais n’est-il pas temps, précisément, de nous demander dans quelle mesure nous les aidons vraiment ? À tous il nous est arrivé, un jour de découragement, de penser que nous ne servions à rien ; inutiles, passe encore ; mais nuisibles, est-ce possible ?
 » (p. 2277)

Il est avant tout utile de savoir que, dès 1962, Christine Daure s’était installée au Maroc, à Casablanca, où elle enseignait. C’est de cette expérience qu’elle témoigna dans son article de 1969.

S’il me fallait expliquer un peu mieux ce que la simple question de l’utilité de l’assistante technique avait alors pour moi de bouleversant, je dirais que ma rupture avec le catholicisme m’avait peut-être conduit à rejeter cette forme d’aide aux pauvres en général et aux pays déshérités (comme la bien-pensance de l’époque les désignait) en particulier, aide qui préconisait un soutien d’individu à individu - chacun y trouvant son compte dans une récompense en grande partie spirituelle. Et, par réaction, j’avais été attiré par une aide beaucoup plus politique qui misait sur un soutien apte à faire naître des mouvements sociaux propices au développement. Il y avait là quelque chose comme l’idée de réparer les ravages de la colonisation. (5) Bien sûr, a joué également ce que l’accomplissement du service militaire avait de compromettant sur le plan politique, quelque chose comme une honteuse participation aux forces étatiques oppressantes, idées qu’une certaine sympathie pour les idées anarchistes m’avait porté à croire. J’étais alors assez idéologique - ce qui était très commun -, même si mes orientations idéologiques étaient différentes de celles qui animaient la majorité de la gauche et, davantage encore, la majorité de l’extrême gauche.

Ne me dites pas que ce que j’explique là relève du souvenir reconstruit : j’en suis parfaitement conscient. Je me suis cherché des motifs moins nobles, en tout cas moins rationnels, moins conscients et moins politiques - l’exotisme, la fuite, l’aventurisme, le carriérisme, que sais-je ? Mais, sans les écarter totalement, je crains que leur mention relève davantage de la coquetterie que de la sincérité. En fait, rien ne me semble plus pertinent que d’insister sur le fait que, à ce moment-là, je croyais fort à ce que je croyais, comme il arrive aux jeunes, lesquels se construisent quelquefois principalement en se construisant des opinions. Montaigne m’était inconnu.

Toujours est-il que, brusquement, je découvris que l’on pouvait se poser la question de l’utilité de l’assistance technique tout en restant du bon côté, ce qui ne m’avait jamais effleuré. Évidemment, la question à elle seule ne suffisait pas ; encore fallait-il que la réponse et les arguments qui l’étayaient soient recevables.

Dans son article, le principal argument de Christine Daure est d’ordre économique. C’est là que les choses sont compliquées à démêler. Tentons de procéder par étapes.

Dans un premier temps, Christine Daure rappelle comme une évidence le principe très marxien de la détermination économique.
« Nous savions que […] tout pays sous-développé est, dans le domaine économique et politique, une cote mal taillée entre un secteur traditionnel et un secteur d’économie libérale non dégagé du colonialisme passé, et que, dans ces conditions, un démarrage économique peut être considéré comme pratiquement impossible […] » (p. 2277)
« Mais si forte est la conviction que le domaine des idées n’est pas celui de la réalité, et qu’elles circulent librement en dehors du conditionnement des choses, que nous n’avons pas étendu à l’enseignement les conséquences inévitables […] Le domaine des idées n’échappe pas, lui non plus, au conditionnement économique et social […] » (p. 2277)
« Ainsi, venus pour semer dans les cerveaux les germes du développement, nous y renforcerions peut-être les structures mentales qui l’empêchent de naître. » (p. 2278)

À l’époque, je partageais cette idée du primat de la détermination économique. Je pense même que ce fut par ce biais que je m’habituai à l’idée de déterminisme, sans lui donner encore la place que je lui reconnus plus tard. Elle avalisa très probablement les nuisances que Christine Daure attribuait à l’assistance technique. Mais quelles étaient ces nuisances ? Elle en cite beaucoup :
« […] par l’illusion que nous créons, nous empêchons la prise de conscience qui permettrait seule de mesurer l’ampleur du désastre. » (p. 2278)
« […] nous encourageons la paresse et l’irresponsabilité des élites locales […] » (p. 2278)
« […] nous sommes totalement impuissants […] enseigner, ici, ce devrait être former des producteurs qui rattrapent des siècles de retard technique et finissent par sortir leur pays de l’ornière. Nous sommes loin de comptes […] » (p. 2278)
« Nous sommes devant un tel problème, que, dans les conditions actuelles, il est impossible de combler le retard […] entre la précision, la complication d’un Concorde, d’un ordinateur, d’une centrale atomique, et les procédés élémentaires de l’artisanat local, il y a presque toute l’histoire de l’humanité […] » (p. 2279)
« […] nous contribuons à couper le pays en deux blocs antagonistes, mais également stériles ; nous aidons l’élite à éviter le travail à tout prix, et nous l’aidons aussi à maintenir la masse dans l’impuissance. » (p. 2279)
« […] nous qui promenons tranquillement, au sein du dénuement, la tentation incroyable de nos salaires et de nos primes ?
Mais c’est tout ce que nous apportons : l’envie de posséder, pas celle de produire.
 » (p. 2280)
« Ainsi, pour employer des termes économiques, si nous sommes impuissants à susciter la ‘propension à produire’, nous augmentons par notre présence même, par ce monde qui nous colle à la peau, celui des nations industrielles, ‘la propension à consommer’ caractéristique des pays sous-développés. Nous faisons plus encore : par cet enseignement qui ne débouche sur rien, nous ajoutons un nouveau moyen d’accéder à l’élite improductive, et, ainsi, nous renforçons les privilèges que nous venions abattre. » (p. 2281)

Force est de constater aujourd’hui que l’ambition des assistants techniques de l’époque - du moins telle que Christine Daure la perçoit, c’est-à-dire sans doute dans le meilleur des cas -, c’est de rattraper le retard dont auraient souffert les pays anciennement colonisés. L’histoire de l’humanité, ce sont les pays industrialisés qui l’incarnent. (6) Et, somme toute, le projet était d’industrialiser des pays qui ne l’étaient pas encore et donc de leur insuffler l’habitus qui nous avait permis de l’être. Ai-je besoin de dire que j’adhérais alors pleinement à cette idée qui nous apparaît à présent à la fois chimérique et maléfique ? Les effets délétères de l’industrialisation, laquelle doit tout à l’utilisation massive d’énergies fossiles, condamne ce modèle auquel nous devons tant, sauf à le réinventer très différemment.

On pourrait s’interroger sur l’ambivalence d’une pensée qui déplore ces rapports politiques marqués par l’exploitation et qui, néanmoins, s’enthousiasme d’un effort productif qui, pour l’essentiel, en est la cause. À l’époque - ne le perdons pas de vue -, les ambitions révolutionnaires les plus radicales allaient généralement de paire avec un productivisme très déterminé. Les plans quinquennaux soviétiques, la propagande stakhanoviste, le Grand bond en avant maoïste - au-delà des dizaines de millions de morts qu’on leur doit - révèlent clairement l’ambition productiviste des régimes d’extrême gauche. Je n’avais bien évidemment pas fait ce lien, qui échappait à tous.

Dans les années 80, alors que j’étais professeur au sein de l’enseignement supérieur de la Province de Liège, je fus chargé d’un cours sur le sous-développement. Les choses avaient évolué ; moi aussi. Et, marqué par la lecture approfondie d’auteurs tels Lévi-Strauss et Bourdieu, j’ai un peu délaissé l’angle économique du problème pour m’attacher à sa dimension culturelle. La richesse oubliée des cultures détruites, l’impact idéologique d’un modèle fondé sur le salariat, la rupture des équilibres sociaux, la force de l’histoire et la rencontre des histoires, voilà ce qui me sembla digne d’être professé. On pense dire mieux ; on dit différemment.

Toujours est-il que, en juillet 1969, l’article de Christine Daure pesa fortement sur ma vie puisque, si même ce n’en fut certainement pas l’unique raison, je renonçai à m’expatrier. Il est très malaisé de repérer aujourd’hui celui de ses arguments qui fut le plus déterminant.
Peut-être était-ce très subjectivement cette image très désolante qu’elle évoque :
« Le gamin qui pousse sa charrette grinçante, ne songe même pas à en réparer les ruines : il rêve d’être fonctionnaire pour acheter sa voiture. Chaque moteur qui passe dévalorise un peu plus son triste équipage, désamorce son intérêt, le détourne d’un travail productif à sa portée ; nous pouvons bien ensuite lui débiter en classe des valeurs abstraites, notre genre de vie lui en apporte le démenti quotidien. » (p. 2280)
Peut-être était-ce ce tableau des ravages qu’elle subit elle-même :
« Quant à nous, la situation que nous consolidons nous modifie à notre tour : nous changeons, et pas à notre avantage. À nous sentir sans prise sur le réel, à mesurer quotidiennement notre inutilité, nous perdons peu à peu le meilleur de nous-mêmes ; nous nous usons, comme peuvent s’user des machines inadaptées dont on se sert à contre-sens. Les plus frais d’entre nous, finalement, après dix ou quinze ans d’exercice, sont ceux qui ont trouvé ici exactement ce qu’ils venaient y chercher : de l’argent, la vie facile, la supériorité acquise à peu de frais et conservée sans effort. Dispos et à leur aise, ils rejoignent, par leurs objectifs et leurs vies tout entières, la pire élite locale à qui ils servent, fatalement, et d’exemple et d’alibi. Mais nous, qui venions pour autre chose, de replis en défaites, nous nous réduisons tristement à notre définition économique et sociale : des primes et des privilèges. » (p. 2283)
Peut-être était-ce tout simplement sa conclusion :
« […] que restera-t-il demain ?
Un néo-colonialisme qui, pour avoir été souvent dénoncé, n’en reste pas moins assez florissant. Grâce à l’ordre que nous maintenons, aux langages que nous diffusons tant bien que mal, aux besoins et aux goûts de l’élite que nous formons surtout, les marchés s’ouvrent, et les investissements étrangers continuent à rapporter quatre fois leur valeur aux pays d’origine.
Des gouvernements qui souhaitent que cela dure : pour qui le sous-développement est le seul moyen de se maintenir au pouvoir, et qui ne réforment, in extremis, que dans la crainte du pire ; grâce à nous les systèmes monarchiques se survivent.
Des élites complices, enfin, à qui nous fournissons fonctionnaires et policiers pour protéger leurs richesses.
Est-ce pour cela que nous étions venus ?
 » (p. 2283)

Plus que jamais aujourd’hui, j’ignore si j’ai pris la bonne décision. Qu’aurait été la bonne décision ? Tel le César de Leibniz qui franchit le Rubicon, j’ai suivi une pente que j’ai cru choisir, mais que mon histoire m’a incliné à prendre. Ce qui me conduit à en parler - de manière quasi impudente -, c’est le sentiment sans cesse renforcé que les choses nous échappent et que les décisions les plus muries, les plus réfléchies, les plus mises en accord avec nos convictions les plus profondes, restent des accidents (au sens aristotélico-scolastique du mot) dont on croit apercevoir la nature lorsque les choses ont longuement évolué, alors que cette nouvelle lucidité illusoire n’est elle-même qu’un nouvel accident.

(1) Quant aux circonstances de cet assassinat, je renvoie au livre de Ludo De Witte, L’assassinat de Lumumba (Karthala, 2000).
(2) Sur ce sujet, cf. le dernier film de Thierry Michel, L’Empire du silence (Les films de la passerelle, Liège, 2022).
(3) Christine Daure est plus connue sous le nom de Christine Daure-Serfaty depuis qu’elle a épousé Abraham Serfaty en 1986.
(4) Christine Daure, “À quoi sert l’assistance technique” in Les Temps modernes, n° 276, juin-juillet 1969, pp. 2277-2283.
(5) J’avais notamment lu Les damnés de la terre de Frantz Fanon (Maspero, 1961). Dans la préface qu’il a écrite pour ce livre, Jean-Paul Sartre écrivait notamment : « Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. » (indispensable : à lire sur le site Nouveau millénaire, Défis libertaires toute la préface de Sartre)
(6) Le 26 juillet 2007, le président Sarkozy, dans un discours prononcé à Dakar, répétait encore cette idée : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l’histoire. » L’intégralité de ce discours est accessible sur une page du journal Le Monde.

samedi 11 juin 2022

Nota di lettura : Francesca Melandri

Sangue giusto
di Francesca Melandri
(*)

L'autrice di cui vorrei parlare, perché ho letto uno dei suoi libri, è Francesca Melandri. È nata a Roma nel 1964. Delle sue origini conosco ben poco, se non che sua sorella Giovanna è una donna politica, più volte ministro nei governi D'Alema, Amato e Prodi. Francesca Melandri esordisce come sceneggiatrice di cinema e TV. Nel 2010 ha pubblicato il suo primo romanzo, Eva dorme, e nel 2012, il secondo, Più alto del mare. Il libro di cui sto per parlare è il suo terzo libro, Sangue giusto, pubblicato nel 2017 (1).

Non so se vi è mai successo, ma io, quando leggo un libro che mi costringe a guardare il mondo in modo diverso da come lo vedevo fino ad allora, che costringe la mia mente a pensare al mondo in modo nuovo da come pensavo fosse - come quando ho letto per la prima volta La commedia umana di Balzac o La montagna magica di Thomas Mann o Cent'anni di solitudine di Gabriel Garcia Márquez (e molti altri) -, sono così sconvolto e colpito che i miei cari mi chiedono se sto bene, cosa sto patendo.

Questo è quello che mi è successo quando ho letto Sangue giusto di Francesca Melandri. In realtà, quando ho chiuso il libro, non potevo più guardare l'Italia allo stesso modo, perché quello che avevo scoperto, insieme al personaggio di Ilaria Profeti, ha sconvolto la mia ingenuità. Infatti, Ilaria, a forza di cercare di sapere, ci svela poco a poco cos'è la famiglia Profeti, ma anche cos’è l'Italia, da dove viene, di che pasta è fatta. E, soprattutto, attraverso l'Italia, cos'è il mondo, cos'è la natura umana, cos'è la vita e cos'è la morte.

È la storia che ci apre gli occhi. Non la grande, ma la piccola storia. E quando dico la piccola non mi riferisco a quella che mostra la quotidianità, ma a quella che si unisce alla grande, senza farne parte. In questo caso, la storia di Attilio Profeti, il padre di Ilaria, protagonista principale del libro. Attilio è bello, è forte, è intelligente e soprattutto è fortunato, fortunato fino all'impudenza, al punto da credere che un giorno moriranno tutti, tranne lui. Ma non importa quanto siamo fortunati, non sfuggiamo ai nostri tempi. Era nato nel 1915 e quindi era ancora un bambino quando il fascismo si impadronì dell’Italia. Nonostante la sua forza, la sua fortuna, la sua intelligenza, la sua astuzia, sono gli eventi che lo porteranno dove la sua vita sarà forgiata. Ad esempio in Abissinia, nel 1935, una camicia nera in dosso, sulle orme del generale Rodolfo Graziani e dei suoi delitti. Ed è la sua stessa storia che lo porterà a ritornare in Etiopia nel 1985 per far uscire di prigione il figlio, frutto dell’unione con una donna del luogo.

Da questo si capisce che non ha proprio scelto di sposare Marella, la quale gli darà tre figli, Federico, Emilio e Ilaria, né di vivere contemporaneamente come se fosse sposato con Anita, con la quale avrà un figlio di nome Attilio, proprio come lui. Tutto questo nel segreto, nella dissimulazione, nella menzogna, per di più sballottato dal corso delle cose, come se il sentimento di fare delle scelte non avesse altra ragione d'essere che alimentare l'illusione di esistere.

Se Ilaria cerca di capire, e di capire in particolare chi è veramente suo padre, è perché un giovane, nero come chi viene dell'Africa subsahariana, l'aspetta un bel giorno davanti alla sua porta e gli annuncia che lei è sua zia. È possibile ? È vero ? Come crederci ? Forse esplorando le zone grigie di cui è disseminata la vita di suo padre. Un primo segreto era già stato svelato molto tempo fa. Quel giorno aveva osato chiedere ad Attilio Profeti se avesse un’amante ; e lui aveva risposto : « “Vedi, stellina...” […] “Voi non siete in tre ma siete...” […] “ ...in quattro” » (p. 221-222). Lei ancora non lo sapeva, in effetti erano in cinque.

Ciò che il libro mette in luce - e non solo grazie alla curiosità preoccupata di Ilaria - è l'itinerario di un uomo che si snoda costantemente tra i capricci della vita e della storia : il colonialismo di guerra, con l’uso di gas mostarda, le teorie apparentemente scientifiche dell'antropologo Lidio Cipriani sulle razze inferiori, i circoli profittatori di Roma, i palazzinari, le tangenti, i privilegi, il disagio degli emigranti che si nascondono a Roma nell'Esquilino, il lungo tragico viaggio dei profughi, l'ipocrisia e la nostalgia degli ex fascisti. E poi, soprattutto, c'è questa difficoltà a dare un giudizio morale sui compromessi che la vita obbliga tutti a fare quando due linee di azione si oppongono.

Ilaria, lei, è di sinistra, preoccupata per la disuguaglianza, ansiosa di fare bene, di comportarsi bene, di evitare ogni partecipazione alla turpitudine umana. Ma niente è semplice. È sessualmente felice con un deputato berlusconiano a cui non vuole dovere nulla, tranne la vertigine dei sensi. Ma se avesse il potere di far uscire suo nipote da un Centro di identificazione ed espulsione, lei si spingerebbe fino a chiedergli di intervenire ?

A questo punto, ci sono due cose da dire : una sullo stile narrativo di Francesca Melandri ; l'altra sulla mia capacità di leggere, scrivere e parlare italiano.

Per quanto riguarda la prima, Francesca Melandri, forse per via delle sue esperienze di sceneggiatrice, conduce la sua storia in modo molto disarticolato, moltiplicando salti in avanti e indietro, cambi di tempo e di luogo, alternando senza sosta i personaggi che si susseguono, cospargendo la narrazione di fatti enigmatici la cui soluzione emerge venti, cinquanta o duecento pagine dopo. Anche il gran numero di personaggi, compresi quelli legati a una famiglia complessa di per sé, richiede un'attenzione costante. Il metodo è, tuttavia, molto giudizioso, perché esso stesso è metafora dell’apparente incoerenza della vita e della difficoltà a riconoscerne il significato. E poi, è anche grazie allo sforzo di comprendere l'itinerario di ciascuno che le sorprese che ci riservano le ultime pagine del libro assumono una dimensione straordinaria.

Per quanto riguarda la seconda cosa devo fare una confessione. Quando leggo un libro in italiano, applico un modo di fare ben preciso, che si basa fondamentalmente sul non fermarsi a una parola fraintesa e continuare senza interruzione. Sì, ma ecco che, quando la storia si fa più complessa nell’avanzare delle pagine, arriva il momento in cui siamo travolti dalla sensazione di non capire più nulla e in cui attribuiamo questa incomprensione proprio alle parole saltate. Arrivato faticosamente alla fine del capitolo 9, consapevole di leggere un capolavoro che mi sfuggiva,… ho comprato la versione francese : Tous, sauf moi (2). E ho ricominciato nella mia lingua madre, certamente un po' vergognoso, ma sollevato di mettere finalmente insieme il puzzle. Imparare una lingua che l'infanzia non ha inscritto nel nostro corpo significa prima di tutto darsi la possibilità di cavarsela quotidianamente tra i suoi fruitori. E questo è già molto. Ma non è possederla, né soprattutto esserne posseduto. Questo è molto difficile che accada. E magari va bene così, perché capirsi troppo in fretta e troppo bene impoverirebbe, chissà, gli scambi.

Quando Francesca Melandri parla degli emigranti, c'è qualcosa che merita di essere capito e che va ben oltre il principio della solidarietà. Cito :
« Immagina questo : stai facendo un sogno meraviglioso mentre sei appollaiato sui rami di un albero. Devi svegliarti ogni minuto, però. Perché non devi cadere e anche perché vuoi tenere vivo il tuo sogno. Questo vuol dire emigrare. » (p. 37)
O ancora :
« Migrare è un gesto totale ma anche molto semplice : quando un vivente in un posto non può sopravvivere, o muore o se ne va. Umani, tonni, cigogne, gnu al galoppo nella savana : le migrazioni sono come le maree, i venti, le orbite dei pianeti e il parto, tutti fenomeni che non è dato fermare. Certo non con la violenza, seppure sia diffusa questa illusione. » (pp. 41-42)

Un altro spunto di riflessione è fornito quando Francesca Melandri parla di razzismo, non soltanto per denunciarlo, ma anche per temerlo in noi stessi. Come quando Ilaria si accorge di avere più difficoltà ad accettare come fratello colui che aveva la pelle del colore del legno vecchio rispetto a quando aveva dovuto accettare come tale il figlio di Anita. Cito :
« “Razzista !” si dice Ilaria con esaltata amarezza da insonne. Ma subito si rende conto di come questa parola sia inadeguata a descrivere i sentimenti complessi che le impediscono di dormire. Una scorciatoia. Una parola-discarica, dentro la quale si può buttare ogni ambivalenza, ogni istinto primario di differenziazione, ogni identità fragile, risparmiandosi così il compito, quello sì ostico, di portarli alla coscienza. Confusamente, pur con i pensieri resi scuri e vischiosi dall’ora del lupo, Ilaria capisce quale sia la vera domanda che le impone la presenza del ragazzo. Che poi è la stessa che si nasconde, inespressa e negata, dietro la maggior parte di ciò che etichettiamo come razzismo. Ovvero non la domanda : “Chi sei tu ?” bensì : “Chi sono io ?” » (pp. 86-87)
O ancora questo passaggio, che riflette il parere dell'avvocato a cui Ilaria chiede di liberare il suo nipote dal Centro di identificazione ed espulsione :
« Il razzismo, ormai l’ha capito, è solo gioco di specchi, illusione. È il modo più efficace mai inventato per stroncare la lotta contro le ineguaglianze - la lotta di classe, un tempo si chiamava. Serve a istigare i penultimi a sentirsi superiori agli ultimi, per impedire che si ribellino insieme contro i primi. In America gli ex schiavi li linciavano i bianchi poveri, per dire, mica i padroni delle piantagioni. E nell’Italia del nuovo millennio, il trucco è lo stesso : convinci i disoccupati che il posto di lavoro non gliel’hanno rubato gli speculatori bensì gli immigrati e olà : quelli andranno a menare braccianti al nero, invece di farti la rivoluzione. E intanto il mercato agroalimentare italiano può mantenere prezzi bassi e concorrenziali. Due piccioni con una sola fava nera. » (p. 455-456)

Il libro di Francesca Melandri è uno di quelli che spinge il lettore a mettere in discussione tutto ciò che crede di dovere alla sua propria lucidità. Ho da tempo la sensazione che il modo in cui si è evoluta la mia concezione del mondo corrisponda a un progressivo abbandono degli errori, delle illusioni, dei pregiudizi, dell'ingenuità. La storia di Attilio Profeti e il modo in cui viene raccontata scuotono tutto questo e rafforzano la mia idea che, se evolviamo, è tutt'altro che certo che sia in una direzione che possiamo qualificare come positiva, nel senso che vada dall'ignoranza verso la conoscenza. Rimane solo questa certezza che, come diceva Blaise Pascal, gli esseri umani oscillano tra grandezza e miseria, o per dirla in altro modo, tra gentilezza e crudeltà, tra amore e odio. E, a differenza di Pascal, non posso credere che Gesù risolva questa ambivalenza.

(*) Questo post è servito come base per una piccola presentazione. Ringrazio Alessia Colurcio per i suoi preziosi consigli su come formulare le cose in italiano.
(1) Francesca Melandri, Sangue giusto [2017], Mondadori Libri, Milano, terza edizione, 2020.
(2) Francesca Melandri, Tous, sauf moi, trad. de Danièle Valin, Gallimard, Folio, 2019.