jeudi 29 avril 2021

Note de lecture : Tania de Montaigne

L’assignation. Les Noirs n’existent pas
de Tania de Montaigne


Je viens de lire L’assignation (1), un livre que Tania de Montaigne a écrit en 2018. Et j’ai été immédiatement frappé par son raisonnement général, lequel n’est pas très éloigné - me semble-t-il - de ce que j’ai tenté d’expliquer dans une note du 11 janvier 2021 où je parlais de l’extrapolation abusive. Si ce n’est que ses arguments sont d’une tout autre nature que les miens et que son ton est également très différent.

Il faut dire qu’elle témoigne de choses que je n’ai pas vécues et qu’elle le fait d’une manière qui touche. On ne peut pas ne pas s’émouvoir face à cette gamine de 11 ans qui a fait l’immense effort d’apprendre à jouer à la flûte un morceau de Schubert et qui entend vanter son interprétation en ces termes : « C’est bien, c’est très bien ! […] Ça ne m’étonne pas. […] Vous avez entendu ce qu’elle a fait ? Inspirez-vous-en, elle a le sens du rythme, ça vient de ses racines. » Et Tania de Montaigne de commenter : « Il me faut un moment pour faire le lien entre mes “racines” et Schubert, et comprendre que tout le temps passé à travailler ce morceau vient d’être annulé en une phrase. Mon travail n’a aucune importance, je suis Noire, par conséquent je n’ai qu’à suivre ma pente Naturelle, la musique est une évidence, elle coule dans mes veines. Ce que dit Madame Gassin [la prof de musique] , sans le savoir, c’est que je n’existe pas. En me renvoyant à mes “Racines”, elle me retire toute singularité, induisant le fait que n’importe quelle Noire aurait pu faire pareil. » (pp. 69-70)

Ne nous trompons pas : une autre qu’elle aurait pu en retirer de la fierté. Et la question n’est pas tant de savoir qui a raison en pareil cas. C’est plutôt de mesurer ce qui - dans son chef - a suscité cette forte émotion dont le souvenir lui est resté longtemps après. Là où l’autre se serait réjouie de se voir reconnaître des aptitudes innées - fussent-elles identifiées par la couleur de sa peau -, Tania y voit immédiatement une explication erronée qui la prive injustement de ses vrais mérites. En cela, elle ne manifeste pas seulement une forme aigüe de lucidité face à un raisonnement spécieux ; elle ressent une iniquité qui efface son travail et la réduit elle-même à néant.

Je me suis pris à longuement réfléchir à ce que nous disait cette émotion. Car enfin, pourquoi tant réagir à une assertion - certes fausse - qui n’est objectivement pas plus frustrante qu’une note injustement basse frappant un travail de qualité ? Et je suis retourné vers la question posée dans le dernier paragraphe du livre :
« Vous souvenez-vous de l’instant où vous avez compris que le Père Noël n’existait pas ? La sensation que le sol se dérobe soudain sous vos pieds. Ce bonhomme sympa avec une barbe blanche et un costume rouge, ce type jovial qui ne se déplaçait qu’en traineau volant et préférait les cheminées aux portes, cet homme aimable, qui vivait avec des rennes et des lutins, n’existerait pas ? Comment était-ce possible, vous l’aviez vu, vous vous étiez même assis sur ses genoux au supermarché, c’était bien la preuve qu’il existait. Cet être adorable qui, chaque année, faisait les mêmes gestes avec la même régularité, donnant la sensation rassurante que les choses sont simples, immuables, prévisibles, cet homme-là n’existerait pas ? Impossible. Tout simplement impossible. Seulement, les preuves ont continué à s’accumuler et la vérité est apparue, brutale, tranchante, inéluctable : le Père Noël n’existe pas ! Tout un monde se redessinait, un monde où, désormais, lorsque l’on voudrait faire un cadeau à quelqu’un, il faudrait en être responsable, il faudrait choisir, décider, payer, emballer, porter le cadeau jusqu’au pied du sapin puis assumer les regards émerveillés ou déçus. Désormais, il faudrait être libre de ses choix et auteur de ses actes puisque aucune instance magique ne pourrait plus les endosser. […] Eh bien, cette sensation que tout finit et tout commence est à peu près la même que celle que j’ai ressentie le jour où j’ai compris que les Noirs n’existaient pas. Comme le Père Noël, les Noirs (et tous ceux dont on peut parler en ayant l’illusion qu’en mettant une majuscule on a tout dit d’eux, les Juifs, les Musulmans, les Roms, les…), sont rassurants, parce qu’ils donnent l’impression qu’au moins, cet aspect du monde est maîtrisé. Ils mettent de l’évidence là où personne n’est sûr de rien. Comme le Père Noël, les Noirs et tous les êtres en majuscules sont toujours comme on croit qu’ils sont. Ils permettent d’oublier que le rapport à l’Autre est incertain, inmaîtrisé, inmaîtrisable. Alors, si aujourd’hui vous êtes parvenus à ne plus croire au Père Noël, si vous avez réussi à vous remettre de cette désillusion enfantine, nul doute que vous pourrez faire face, haut la main, à ce nouveau défi : cesser de croire que les Noirs, et tous les êtres en majuscules, existent. » (pp.86-89)

Il y a quelque chose de très troublant dans la comparaison ainsi tirée entre la croyance au Père Noël et la croyance en l’homogénéité des Noirs. Des croyances fausses, il y en a tant ! Pourquoi faire un parallèle entre ces deux-là, entre une désillusion morose et ce que j’appellerais une désillusion analeptique ? Serait-ce pour mieux convaincre qu’on guérit aussi bien de la seconde que de la première ? Je suis davantage porté à croire qu’il s’agit pour Tania de Montaigne de témoigner d’émotions de même puissance, celles que lui valut de perdre elle-même la première et celles que lui valut de subir les effets de la seconde chez les autres.

Si c’est le cas - je peux me tromper -, force est d’admettre que les émotions ne sont pas toujours le meilleur chemin d’analyse des choses. Car croire au Père Noël et croire à l’existence des Noirs « en majuscules » me semblent de nature très différente, sauf à se faire un programme d’éradiquer toutes les illusions de quelque nature qu’elles soient. Lorsque j’ai tenté d’expliciter ce que j’ai appelé l’extrapolation abusive, il va de soi que j’ai placé sur la sellette une forme de raisonnement assurément condamnable, mais qui rassemble une foule de propositions extrêmement diverses qui vont du plus bénin au plus grave. Même parmi les manifestations qui peuvent être qualifiées de racistes existe tout un éventail de situations - je parle de situations parce que le contexte est primordial - qui confère à la gravité des sentiments et des opinions quelque chose comme de la relativité. Ainsi, les propos racistes tenus par tel ou tel personnage célèbre du XVIIIe ou du XIXe siècle n’ont évidemment pas le même poids que celui qu’ils auraient aujourd’hui. De même, la réaction de Mme Gassin est malaisément assimilable à un alignement sur les théories de Gobineau. C’est sans doute ce qui explique ce qu’a de maladroit, sinon de malveillant, un certain antiracisme qui se veut aveugle aux différences, tant sur le plan du contexte que sur celui des intentions.

Ce que nous apprend le livre de Tania de Montaigne - me semble-t-il -, c’est que la blessure qu’inflige à autrui le propos raciste n’est en rien proportionnelle à la gravité de l’erreur de raisonnement sur laquelle il repose. Un mot bénin, exempt de toute intention offensante, peut à l’occasion faire plus mal que l’affirmation ostensiblement outrageante. Et c’est en cela que le combat contre le racisme se révèle extrêmement malaisé et rejoint en quelque sorte bien des fois cette forme de sociabilité qui nous veut soucieux de l’autre au point de marcher sans cesse sur des œufs, tels ces anglais (je répugne à mettre une majuscule, cherchant sans doute à camoufler que j’use d’une extrapolation abusive) qui - dit-on - n’osent pas demander « How are you ? » de peur de forcer autrui à révéler les pires malheurs survenus.

(1) Tania de Montaigne, L’assignation. Les Noirs n’existent pas, Grasset, 2018.

lundi 26 avril 2021

Nota di lettura : Eduardo de Filippo

L’arte della commedia
di Eduardo de Filippo
(*)

Mi è stato chiesto di parlare delle circostanze storiche in cui Eduardo de Filippo è diventato famoso. È stato un esercizio difficile per me, perché non sapevo quasi nulla di questo drammaturgo, quello così prontamente evoca in Italia. Volendo evitare di parlare di cose che non so, ho scelto di leggere una delle sue commedie e di dire solo cosa mi suggeriva il suo contenuto riguardo al contesto in cui era stata scritta. E non ho scelto questa opera a caso. Ho pensato che sarebbe stato bello interessarmi a un periodo in cui la sua fama crebbe vertiginosamente, ovvero gli anni '60. Il punto è che è anche il momento della mia propria vita che più mi ha segnato - in tutto ciò che riguarda il contesto storico e l’impegno politico -, poiché copre il periodo che va dai miei 15 anni ai miei 25 anni. Quindi ho scelto L’arte della commedia, scritta nel 1964.

Dal V secolo a.C., a partire da Euripide, il teatro ha acceso dibattiti. Che rapporto ha con la realtà ? Che effetto ha sull'attore e sullo spettatore? Cosa distingue la scrittura drammatica da altri generi letterari ? Ricordiamo così la condanna di cui è oggetto di Platone. L'imitazione, la mimesi, ci distrarrebbe dal reale e incoraggerebbe solo le nostre inclinazioni malvagie (1). Durante il Rinascimento e il XVII secolo, periodo in cui il teatro ha trionfato, questa condanna è stata tuttavia ripetuta, ad esempio in Francia da Bossuet (2).

L’Arte della commedia (3) comprende un prologo e due atti. Nel primo atto dialogano un prefetto, nuovo alla funzione, e un attore, Oreste Campese, il secondo essendo venuto a chiedere al primo di onorare con la sua presenza lo spettacolo teatrale a cui parteciperà. È un dialogo che riguarda principalmente il teatro e, più in particolare, il ruolo e la condizione sociale degli attori. La seconda parte vede sfilare nell'ufficio del prefetto un medico, un prete, un insegnante, una coppia di gente di montagna abruzzese e un farmacista. Tutto poi riposa sul mistero dell'identità di questi personaggi : sono davvero quello che pretendono di essere, oppure sono attori della troupe di Oreste Campese che interpretano questi ruoli per ingannare il prefetto e vendicarsi così del suo rifiuto di assistere allo spettacolo ? La commedia - se c'è una commedia - fa molta strada, dal momento che il farmacista muore nell'ufficio del prefetto. Successivamente è stato annunciato l'arrivo del maresciallo dei Carabinieri. Questo fa allora dire a Oreste Campese, tornando sulla scena, che « non è difficile trovare una divisa per un maresciallo dei Carabinieri ».

Quindi ecco uno spettacolo in cui la confusione tra realtà e finzione teatrale è spinta il più lontano possibile ! E questo, anche se sappiamo che l'attore che interpreta il farmacista non è morto e che quello che ha prestato la sua voce al maresciallo dei Carabinieri (visto che non compare mai in scena) è proprio un attore. Ma, nella finzione stessa, cosa possiamo sapere per determinare chi sono : niente. Hanno recitato la commedia nella commedia, o i comici sono tutti sinceramente chi dicono di essere ? Forse, il titolo della pièce ci dice che, dal medico al farmacista, questi attori usano la loro arte ? Non sono sicuro, perché per apparire credibili con le qualità a cui affermano di essere, devono altrettanto usare la loro arte.

Quindi torniamo al primo atto. Oreste Campese ci parla di teatro e non mi sembra azzardato supporre che a volte esprima il pensiero dell'autore. Tra tutto quello che dice, scelgo di isolare due cose che mi sembrano testimoniare in modo particolare lo spirito degli anni ’60 : la crisi del teatro e la protesta politica.

Partiamo dalla crisi del teatro. C'è stata davvero una crisi nel teatro - credo - negli anni 60, anche se la crisi vera - quella che vedrà i teatri deserti - avverrà molto più tardi. Soprattutto dobbiamo sapere che la crisi degli anni ’60 è avvenuta quando il teatro veniva aiutato come non lo era mai stato dalle autorità pubbliche. Erano i gloriosi anni Trenta e le sovvenzioni scorrevano. Lo stesso Oreste Campese lo riconosce facilmente. Ma, ha detto, la crisi è nata perché i concedenti « non hanno mai individuato la radice del problema ». Che problema è questo ? Prima di tutto la mancanza di riconoscimento di cui soffre l'attore. Invano forniremo al teatro utili risorse finanziarie e materiali, se il ruolo dell'attore non viene riconosciuto, se il suo lavoro non viene riconosciuto come di pubblica utilità, allora, qualunque cosa diciamo, rimarrà un paria.

Forse non è inutile per me testimoniare qui la mia memoria personale di questa crisi del teatro degli anni 60. Ovviamente allora ero in Belgio, e non in Italia, che può pesare sulla bilancia. Tuttavia, ricordo una crisi la cui principale forza motrice è stata - mi sembra - la lotta tra diversi generi di teatro : teatro classico e teatro d’avanguardia ; teatro morale e teatro politico. All'epoca il teatro era molto affollato ; il cinema e la televisione non avevano ancora ridotto il loro pubblico. Ma questo pubblico era diviso tra varie tendenze e l'eclettismo non era diffuso : ognuno aveva scelto il suo campo. Ad esempio, per me, il teatro classico era eccitante ; noioso teatro d'avanguardia. Quanto al riconoscimento dell'attore, è un problema di cui ero a malapena consapevole ; questo forse illustra il fatto che Oreste Campese avesse ragione : il problema era molto reale.

Veniamo alla protesta politica. Gli anni Sessanta rappresentano, credo, una sorta di culmine di un movimento che affonda le sue radici nella Seconda Guerra Mondiale. Se la Prima Guerra Mondiale si concluse con l'osservazione di un inutile massacro e generò un movimento pacifista di cui il nazismo tedesco poté approfittare per incoraggiare le democrazie a non reagire al suo riarmo, la seconda guerra scatenò un'aspirazione al progresso che, sul modello di resistenza, ha permesso alla violenza di raggiungere i suoi obiettivi. A quel tempo, la moralità progressista era a sinistra e il conservatorismo egoista era a destra. Questo è ciò che ha portato alle esplosioni terroristiche degli anni '70, in particolare con la Rote Armee Fraktion in Germania e le Brigate Rosse in Italia.

Se mi è permesso parlare di me stesso, dirò che all'epoca vivevo un disagio intellettuale, perché ero molto favorevole alla sinistra (ho partecipato attivamente all'occupazione dell'Università di Liegi nel 1968) e tuttavia ero molto riluttante di fronte all'avanguardia, soprattutto teatrale, mentre questa avanguardia era il più delle volte molto a sinistra. Peter Weiss era molto di moda all'epoca; tuttavia, l'ho trovato personalmente settario, noioso e inefficace. La propaganda e il teatro mi sembravano del tutto incompatibili. Ad essere onesti - lo penso ancora oggi - : la propaganda è una spazzatura della mente.

So troppo poco per osare di affermare qualcosa sulle posizioni politiche di Eduardo de Filippo. Dopo la seconda guerra mondiale pensava di essere di sinistra, certo, ma probabilmente senza grossi impegni partigiani. C'è un passaggio in L’Arte della Commedia che penso meriti di essere spiegato. Quando il Prefetto accenna alla paura degli attori, paura che ormai ritiene ingiustificata poiché non sono più soggetti a censura, Oreste Campese risponde : « […] Sto parlando di un'altra paura. Una paura perniciosa, congenita, profonda… che da sempre accompagna il teatro. Pensa agli attori della commedia dell'arte che hanno improvvisato su tela, hanno attaccato la borghesia, l'aristocrazia, i governi, sono sempre stati perseguitati, costretti a fuggire da un paese all'altro, di regno in repubblica, di repubblica in regno , spesso arrestati, gettati in prigione, torturati, a volte persino impiccati. […] Eccellenza, se non c'è censura, c'è autocensura, alla quale l'autore deve sottomettersi spontaneamente. Le persone in teatro, infatti, dirigono i propri passi secondo una volontà precisa, una direzione obbligata, non verso l'obiettivo reale, quello di dare al pubblico l'immagine della verità. » (4)

Dovremmo vedere qui un riflesso dei modi di pensare degli anni Sessanta o sarebbe piuttosto ricco di pensieri senza tempo, di quelle cose che hanno valso a Eduardo il nome di nuovo Molière ? Sono in una brutta posizione per rispondere a questa domanda, io che so così poco di lui. Quindi vi lascerò pensarci.

(*) Come la mia nota del 23 aprile 2020, questa nota è stata scritta come parte della mia partecipazione a una tavola di conversazione organizzata dall'associazione Mimosa per promuovere la lingua e la cultura italiane a Liegi. Mi era stato chiesto di preparare un piccolo intervento « sul periodo storico che ha visto l'ascesa di Eduardo de Filippo e l'affermarsi della sua celebrità, il secondo dopoguerra ».
(1) Platon, La République, trad. en français d’Émile Chambry, Les Belles Lettres, 1948, tome I, III, 394, pp. 184-186 et tome II, X, 604-6, pp. 281-286.
(2) Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie, Jean Anisson, 1694. Cf. édition électronique de Marie-Hélène Goursolas et François Lecercle : https://obvil.sorbonne-universite.fr/corpus/haine-theatre/bossuet_maximes-reflexions-comedie_1694.
(3) L'ho saputo nella traduzione francese di Huguette Hatem, Éd. L’avant-scène théâtre, 2016.
(4) Riporto qui la traduzione di Huguette Hatem, però sarebbe più giudizioso usare il testo originale.