lundi 14 janvier 2013

Note de lecture : Carlo M. Cipolla

Les lois fondamentales de la stupidité humaine
de Carlo M. Cipolla


Vient de paraître en français un livre bien connu des Italiens, de même que des Anglo-saxons : Les lois fondamentales de la stupidité humaine (1). Carlo Maria Cipolla (1922-2000), son auteur, est un économiste renommé qui s’est fait connaître par ses travaux en histoire économique, notamment en ce qui concerne l’Europe pré-industrielle.

C’est assurément une plaisanterie. Et il faut s’y plonger - peu de temps, car le livre est mince - pour s’en amuser. Mais les ressorts du rire ne sont jamais innocents et rien n’interdit de se pencher un instant sur ce qui inspira Cipolla.

Dénoncer la stupidité est toujours suspect. Car il ne peut s’agir que des autres, une des marques de la stupidité étant qu’elle reste inconsciente chez ceux qui en sont affligés. Cipolla l’a très bien compris, aussi prend-t-il la précaution - fondamentale en l’occurrence - d’établir des lois censées écarter toute approche subjective du sujet. Ce faisant, il prend d’abord et avant tout, pour cible du rire, sa propre discipline académique : la science économique. La mesure (taux de stupides = σ), les tableaux (analyse factorielle), les lois (formulées tels des apophtegmes), tout concourt à tourner en dérision les tentatives d’objectivation en sciences humaines. La charge est d’autant plus percutante qu’elle émane d’un chercheur qui s’est distingué par sa rigueur et le sérieux de ses travaux.

Il serait intéressant - ne serait-ce que pour rire une deuxième fois - d’être informé sur le nombre de lecteurs qui, d’une manière ou d’une autre, donnent un certain crédit à la théorie ainsi formulée. Soit qu’ils y satisfassent leur envie d’épingler la stupidité d’autrui, soit qu’ils succombent à la logique parodique de Cipolla. Il y a fort à parier que ce nombre avoisine σ.

J’entends déjà objecter : “Qui peut croire pareille galéjade ?” Mais c’est que le clin d’œil de Cipolla est plus subtil qu’il n’y paraît. Il a su y mettre des ingrédients dont il connaît l’efficacité. Ainsi, les catégories analysées (crétins, intelligents, stupides, bandits) sont indexées sur le bien et le mal dont elles affectent eux-mêmes et autrui. Ce qui - il faut bien en convenir - correspond à la cause la plus courante de leur usage courant. Par exemple, celui qui revendique le droit de traiter quiconque de crétin estime être fondé à le faire pour des raisons objectives dont la moindre n’est pas le tort à lui-même que celui-là provoque. À cela s’ajoute que l’intelligent étant caractérisé par sa capacité à faire du bien autant à autrui qu’à lui-même, la notion habituelle d’intérêt en économie se voit chargée d’une part d’altruisme qui n’est pas sans faire penser aux obsessions des anti-utilitaristes.

La catégorisation et ses définitions trouvent, dans ce petit ouvrage, sa parfaite caricature. Il nous invite ainsi à rester raisonnablement sceptique devant toute tentative de rendre compte de la réalité humaine. Ce qui n’invalide pas le fait de tenter : ne soyons pas stupides !

(1) Carlo M. Cipolla, Les lois fondamentales de la stupidité humaine [1988], trad. de l’anglais par Laurent Bury, PUF, 2012.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire