vendredi 14 mars 2014

Note d’opinion : la charité (1)

À propos de la charité

PREMIÈRE NOTE

Le mot charité renvoie au premier abord à cette vertu chrétienne qui fut magnifiée par les théologiens (1) et qui trouve sa première source dans la parabole du Bon Samaritain (2). Cependant, la valeur de l’amour des autres n’est pas spécifiquement chrétienne. On la trouve affirmée dans d’autres religions, tels le judaïsme (3) ou l’islam (4), même si l’histoire fondatrice du christianisme, celle de Jésus, comporte une composante compassionnelle particulièrement importante.

La charité mériterait bien sûr d’être méthodiquement étudiée, notamment dans ses aspects historiques. (5) Elle fait assurément partie des traits qui assurent la cohésion sociale. Mais cette fonction s’exerce dans un contexte qu’il est primordial de bien caractériser. En effet, les actes que la charité inspire participent à la fois de l’obligation morale la plus abstraite - tel un impératif catégorique kantien - et de la règle sociale, dans ce qu’elle a de plus contraignant. Or, c’est cette dualité de la charité qui suscite la question première : d’où provient-elle, sur quoi se fonde-t-elle, qu’est-ce qui pousse les hommes à la pratiquer ?

Pour mesurer ce qui sépare l’obligation morale de l’obligation sociale, il n’est pas inutile de s’en rapporter à des auteurs qui ont évoqué la charité dans un contexte étranger à toute religion. Certains de ceux-là ont en effet imaginé qu’elle répondait à un mouvement naturel de l’homme, étranger ou antérieur à toute pression sociale. Cicéron déjà en parlait de cette façon. (6)

Il est probable que ce soit Jean-Jacques Rousseau qui illustre le mieux cette façon d’envisager la compassion comme un mouvement qui, non seulement ne doit rien aux impératifs sociaux, mais ne doit pas davantage à la raison. Dans son second Discours, il écrit ceci :
« Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu’à voir les hommes tels qu’ils se sont faits, et méditant sur les premières et les plus simples opérations de l’Âme humaine, j’y crois apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l’un nous intéresse ardemment à notre bien-être et à la conservation de nous-mêmes, et l’autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. C’est du concours et de la combinaison que notre esprit est en état de faire de ces deux Principes, sans qu’il soit nécessaire d’y faire entrer celui de la sociabilité, que me paroissent découler toutes les règles du droit naturel ; règles que la raison est ensuite forcée de rétablir sur d’autres fondemens, quand par ses développements successifs elle est venue à bout d’étouffer la Nature. » (7)

L’intérêt que présente la position de Rousseau tient principalement dans la façon dont il dégage la compassion de ses attaches sociales et rationnelles. Ce souci le pousse d’ailleurs à voir en celle-ci un mouvement négatif, alors même qu’il s’agit sans conteste d’un élan du cœur. Il évoque en effet une « répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible », comme si le premier principe, celui qui « nous intéresse ardemment à notre bien-être » restait présent dans le second. C’est si vrai que lorsque, de manière très concrète, Rousseau évoque sa propre commisération à l’égard d’une bête traquée, il en conclut simplement qu’il s’abstiendra dorénavant d’assister à un tel spectacle :
« Je me souviens d’avoir assisté une fois en ma vie à la mort d’un cerf, et je me souviens aussi qu’à ce noble spectacle je fus moins frappé de la joyeuse fureur des chiens, ennemis naturels de la bête, que de celle des hommes qui s’efforçaient de les imiter. Quant à moi, en considérant les derniers abois de ce malheureux animal et ses larmes attendrissantes, je sentis combien la nature est roturière, et je me promis bien qu’on ne me reverrait jamais à pareille fête. » (8)

Il serait évidemment illusoire de croire que la pulsion naturelle et la pression sociale représentent des déterminations univoques, y compris dans l’esprit des auteurs examinés. Chacun suppose que tout geste charitable doit quelque chose, dans des proportions qui, elles, peuvent varier énormément, à ces deux types de cause. C’est donc avant tout pour des motifs de clarté que je me propose de les évoquer successivement : l’élan du coeur, d’abord ; le devoir moral, ensuite.


I. L’élan du cœur

Comme je l’ai déjà dit, je ne m’intéresserai pas à l’histoire de la charité, tant comme vertu que comme institution. Par contre, je voudrais m’attacher à deux points d’histoire qui sont susceptibles d’éclairer cette conception qui voit en la charité un élan du coeur. Le premier concerne l’évolution de la subjectivité. Le deuxième - aussi curieux que cela puisse paraître a priori - porte sur le développement d’un aspect essentiel des idées économiques, à savoir l’inspirateur premier du comportement économique de l’homme. Il s’agit de réfléchir à l’origine personnelle de l’élan charitable, tant en ce qu’il témoigne d’une manière d’appréhender son « moi » que dans la façon dont on suppose qu’il influe sur les manières de produire et de consommer.

A. L’évolution de la subjectivité

Rousseau et Hobbes

La sympathie, la pitié, la compassion : les mots ne manquent pas pour désigner ce mouvement qui porte l’homme à se mettre par l’imagination à la place d’autrui et à partager ce que l’autre ressent ou ce qu’il endure. Rousseau - puisque c’est de lui que je veux partir - emploie le mot commisération, un mot qui sera ultérieurement perçu comme une concession à un sentiment bien éloigné du sens de la justice. Pourtant, il l’évoque comme une parcelle de notre nature, et non comme un devoir. Ainsi par exemple dans l’extrait suivant de son second Discours :
« [...] on n'est point obligé de faire de l'homme un philosophe avant que d'en faire un homme; ses devoirs envers autrui ne lui sont pas uniquement dictés par les tardives leçons de la sagesse ; et tant qu'il ne résistera point à l'impulsion intérieure de la commisération, il ne fera jamais du mal à un autre homme ni même à aucun être sensible, excepté dans le cas légitime où, sa conservation se trouvant intéressée, il est obligé de se donner la préférence à lui-même. » (9)

On doit comprendre qu’il existerait une force première, étrangère à tout calcul et à toute influence, qui imposerait à l’homme cet élan vers l’autre. Distincte de l’éducation, autonome vis-à-vis de l’imitation ou de la suggestion, cette force est en chaque individu comme une sorte de geste élémentaire, primordial, une sorte d’instinct.

Sur ce point, Rousseau s’oppose à Thomas Hobbes, lequel imagine, environ un siècle plus tôt, que la nature originaire de l’homme le porte au contraire à combattre ses semblables : « Bellum omnium contra omnes » (10). Et le contrat social que celui-ci suppose a pour fonction de pacifier conventionnellement les hommes et non, comme celui de Rousseau, d’optimiser une organisation de la société en luttant contre les privilèges et la pauvreté. Le contrat social de Hobbes corrige la nature en ce qu’elle aurait de sauvagement violent, alors que celui de Rousseau tente un retour vers la nature profonde de l’homme en vue de corriger les dérives sociales qui ont conduit l’homme à la transgresser et à se perdre. Hobbes conforte les institutions telles qu’elles se forgent en son temps ; Rousseau les combat pour y substituer de nouvelles, plus égalitaires.

La conscience de soi

Il existe peut-être, entre la position de Rousseau et celle de Hobbes, une différence qui mérite l’attention. En effet, si l’on s’interroge sur l’histoire de la conscience occidentale, il est probable que l’élan du cœur que décrit le premier représente une proposition qui marque d’une certaine manière un tournant, ce qui n’est sans doute pas le cas de l’opinion du second.

La conscience de soi, telle que nous nous la figurons aujourd’hui - et nous nous la figurons d’une manière qui est complexe -, n’a pas toujours eu la force et l’importance que nous lui attribuons. Au cours de l’histoire de l’Occident, elle a connu des modifications considérables dont témoigne l’évolution de la production philosophique, religieuse et littéraire. On s’accorde à considérer que la Renaissance a suscité des formes nouvelles de conscience de soi par lesquelles l’individu a accordé à son moi intime une grande attention, précédemment inexistante. Et si cela est vrai, on ne peut que redoubler de prudence en lisant les auteurs anciens, tant il est fort probable que nous découvrons leurs œuvres avec des yeux et une conscience de soi qui sont d’aujourd’hui, alors qu’ils les ont écrites dans des conditions bien différentes.

Je suis bien incapable de caractériser de manière précise les changements historiques, tel celui dont la Renaissance a été le théâtre, qui ont touché la conscience de soi. L’essentiel est d’abord de comprendre que celle-ci n’est pas fixe.

Dans un ouvrage qu’il a consacré à l’émergence de la conscience moderne (11), Robert Ellrodt définit son projet comme suit :
« Vers la fin du seizième siècle, puis à l’aube du dix-septième, on observe dans les écrits de quelques auteurs une attention à soi d’une acuité nouvelle et d’un caractère particulier. Celle-ci s’est manifestée au plus haut point chez Montaigne en France, en Angleterre chez Shakespeare et chez John Donne. Ce phénomène peut être dit “moderne” au sens historique, puisqu’il se situe en une époque aujourd’hui désignée comme early modern par les anglo-saxons ; mais il annonce aussi la mise en question de l’identité personnelle par les mouvements philosophiques et littéraires beaucoup plus proches de notre temps que l’on a dit successivement “modernes” et “post-modernes” [...]. Il ne s’agit pas de ce surgissement de l’individualisme dont Burckhardt voulut faire un trait distinctif de la Renaissance, thèse qu’il convient de tempérer sans la récuser entièrement. Je ne songe pas non plus à un approfondissement de l’intériorité, qui a toujours pu s’accomplir dans la spiritualité chrétienne, même quand l’individu se définissait essentiellement par son rôle social. J’entends appeler l’attention sur une réflexivité de la conscience qui se manifeste dans des moments particuliers d’observation de soi et qui met en question la nature, voire l’existence même d’un “moi” qu’elle ne parvient pas à définir, ou même à discerner. » (12)

On voit qu’il ne s’agit pas de nier l’intemporalité de l’intériorité - comme d’ailleurs en atteste l’œuvre de saint Augustin -, mais bien d’évoquer l’apparition d’une interrogation sur le “moi”, sorte d’autre que le “je” questionne.

Ellrodt y voit un tournant de l’histoire de la subjectivité. Mais il y voit aussi un moment qui, à certains égards, témoigne d’une sagesse que les époques ultérieures auraient en partie écornée. Dans son épilogue, il énumère ces sagesses dont Montaigne et Shakespeare auraient fait preuve :
« Sagesse dans la pratique de l’introspection, équilibre entre l’intériorité et l’attention au monde extérieur.
Sagesse dans la vision de la nature humaine, reconnaissance de l’instabilité du “moi” et conviction de la permanence de traits fondamentaux, admission du changement et découverte d’une continuité.
[...]
Sagesse dans la conception et l’usage du temps, destructeur et néanmoins créateur. Aux lieux communs classiques s’ajoute ou se substitue une temporalité subjective.
Sagesse dans l’usage de la raison, qui démasque l’imposture, à condition qu’elle ne s’abuse pas sur ses propres forces, tienne compte des exigences de la sensibilité et reconnaisse la permanence des valeurs humaines.
» (13)

Ce qui l’amène à conclure comme suit :
« Montaigne et shakespeare furent bien les premiers à ouvrir la voie à des manifestations nouvelles de la conscience de soi propres à la période “moderne”. J’ai mis en évidence les audaces singulières qui les rapprochent d’écrivains récents, tout en soulignant qu’ils eurent l’un et l’autre la sagesse de ne pas tomber dans les excès où parfois s’est enlisé le post-modernisme. » (14)

Je ne suis pas loin de penser que cette manière nouvelle d’interroger son “moi” n’est pas tout à fait étrangère à la façon dont Montaigne s’apitoie sur le sort des victimes de cruautés gratuites :
« À peine me pouvais-je persuader, avant que je l'eusse vu, qu'il se fût trouvé des âmes si monstrueuses, qui, pour le seul plaisir du meurtre, le voulussent commettre : hacher et détrancher les membres d'autrui; aiguiser leur esprit à inventer des tourments inusités et des morts nouvelles, sans inimitié, sans profit, et pour cette seule fin de jouir du plaisant spectacle des gestes et mouvements pitoyables, des gémissements et voix lamentables d'un homme mourant en angoisse. » (15)

C’est bien sûr davantage dans les mots utilisés que dans l’horreur évoquée que se loge la nouveauté, mais ces mots traduisent à eux seuls - me semble-t-il - une façon de se mettre à la place d’autrui qui cohabite avec une capacité d’introspection novatrice.

Dans le même sens, et si l’on suit Robert Ellrodt, force est de constater que la manière dont Rousseau envisage cet élan du coeur, fondateur de la charité, participe de cette forme nouvelle et moderne de subjectivité. C’est en soi que résiderait l’origine de cet élan vers autrui et c’est par la conscience que nous avons de notre “moi” que nous pourrions le comprendre.

On peut envisager la subjectivité moderne comme un progrès dans la connaissance que l’homme a de lui-même. Mais, comme le laisse entendre Robert Ellrodt quand il critique le post-modernisme, on peut également craindre que, à force de déconstruire, on perde le sens de la mesure et on s’égare dans des considérations qui doivent davantage à des artefacts de l’esprit qu’à des réalités sensibles. Il serait donc hardi de postuler que, sur ce point, la connaissance progresse continûment. Ce qui réclame d’être très attentif aux évolutions et à ce que l’air de temps nous suggère un peu facilement à son sujet.

L’horizon arrière de la conscience

L’idée que la nature de l’homme le détermine a bien sûr une histoire. Et cette histoire n’a rien de naturelle. Si Montaigne et Shakespeare ont marqué de leur empreinte la conscience de soi, l’usage que Rousseau en a fait n’a pas moins influé sur les manières de penser.

Claude Lévi-Strauss a su montrer combien l’horizon arrière de nos jugements restait la Révolution française. Dans La pensée sauvage, alors qu’il met en cause Jean-Paul Sartre et sa Critique de la raison dialectique, il écrit ceci :
« L’homme de gauche se cramponne encore à une période de l’histoire contemporaine qui lui dispensait le privilège d’une congruence entre les impératifs pratiques et les schèmes d’interprétation. Peut-être cet âge d’or de la conscience historique est-il déjà révolu ; et qu’on puisse au moins concevoir cette éventualité prouve qu’il s’agit seulement là d’une situation contingente, comme pourrait l’être la ‘mise au point’ fortuite d’un instrument d’optique dont l’objectif et le foyer seraient en mouvement relatif l’un par rapport à l’autre. Nous sommes encore ‘au point’ sur la Révolution française ; mais nous l’eussions été sur la Fronde si nous avions vécu plus tôt. Et, comme c’est déjà le cas pour la seconde, la première cessera vite de nous offrir une image cohérente sur laquelle puisse se modeler notre action. » (16)

Ce que Lévi-Strauss me semble ainsi vouloir dire, c’est que nos façons d’opposer les opinions politiques comme nos façons de définir un idéal sociétal sont encore inspirées par la Révolution française, mais que l’avenir ne manquera pas de créer un nouveau paradigme qui poussera vers des références nouvelles. Le fait d’en prendre conscience serait déjà le signe que 1789 tend à devenir un horizon arrière moins distinct.

On pourrait penser que cet accent mis sur la relativité des opinions nous éloigne fort de la conscience de soi et surtout des élans du cœur. Moins pourtant qu’il n’y paraît à première vue. Il est important, je crois, de bien comprendre pourquoi.

L’intelligible et le pratique

Cette relativité des opinions devrait-elle nous condamner au mutisme ou à l’indifférence ? Telle n’est pas la réponse de Lévi-Strauss. Il écrit :
« Il suffit donc que l’histoire s’éloigne de nous dans la durée, ou que nous nous éloignions d’elle par la pensée, pour qu’elle cesse d’être intériorisable et perde son intelligibilité, illusion qui s’attache à une intériorité provisoire. Mais qu’on ne nous fasse pas dire que l’homme peut ou doit se dégager de cette intériorité. Il n’est pas en son pouvoir de le faire, et la sagesse consiste pour lui à se regarder la vivre, tout en sachant (mais dans un autre registre) que ce qu’il vit si complètement et intensément est un mythe, qui apparaîtra tel aux hommes d’un siècle prochain, qui lui apparaîtra tel à lui-même, peut-être, d’ici quelques années, et qui, aux hommes d’un prochain millénaire, n’apparaîtra plus du tout. Tout sens est justiciable d’un moindre sens, qui lui donne son plus haut sens ; et si cette régression aboutit finalement à reconnaître ‘une loi contingente dont on peut dire seulement : c’est ainsi, et non autrement’ (Sartre, p. 128), cette perspective n’a rien d’alarmant pour une pensée que n’angoisse aucune transcendance, fût-ce sous forme larvée. Car l’homme aurait obtenu tout ce qu’il peut raisonnablement souhaiter, si, à la seule condition de s’incliner devant cette loi contingente, il réussit à déterminer sa forme pratique, et à situer tout le reste dans un milieu d’intelligibilité. » (17)

Autrement dit, si l’on veut conserver toute sa force à notre pouvoir de réflexion, il convient de séparer ce que le regard d’intelligibilité peut discerner de ce que notre pensée pratique doit assumer. On peut en effet croire en Dieu - et en un Dieu punissant le vice - et vivre néanmoins sans vertu ; on peut nier le libre-arbitre de l’homme, croire en un déterminisme absolu, et vivre néanmoins en s’accordant continûment le droit de choisir ; on peut penser, avec Lévi-Strauss, que « le moi n’est pas seulement haïssable », mais qu’« il n’a pas de place entre nous et rien » (18), et néanmoins vivre en accordant une place à son propre ego.

Ceci ne signifie évidemment pas que ces contradictions - ou du moins certaines d’entre elles - ne nuisent pas à la cohérence et à la sagesse de la vie pratique. Mais cela implique surtout qu’elles ne doivent aucunement freiner nos efforts d’intelligibilité. S’il existe un honneur de l’intellectuel, il réside sans doute dans ce sursaut contre sa propre subjectivité qui consiste à laisser sa pensée contrarier sa propre vie pratique.

Il est intéressant de noter que saint Augustin, parlant de la charité, estimait qu’elle réclamait une vie pratique qui pouvait avoir les apparences de la rudesse, sinon de la brutalité :
« Tant vaut la charité ! Remarquez-le, elle seule établit une différence entre les actions humaines ; elle seule les distingue les unes des autres.
Ce que nous venons de dire s'applique à des actions de même nature. S'il s'agit d'actions de nature différente, nous reconnaîtrons, par exemple, que la charité rend un homme sévère, et que l'iniquité en rend un autre flatteur. Un père frappe son enfant, un corrupteur l'approuve. A ne considérer que les coups et les flatteries, où est celui qui ne recherchera pas les caresses et n'évitera pas les coups ? Mais considère les personnes et, tu le verras, les coups sont l'effet de la charité, et les flatteries celui de l'iniquité. Faites bien attention à ceci : les actions humaines se discernent les unes des autres par le principe de la charité. Beaucoup peuvent se faire, qui aient les apparences de la bonté et qui, néanmoins, ne soient pas le fruit de la charité. Les épines mêmes ne fleurissent-elles pas ? Certains actes, au contraire, semblent durs et cruels, qui se font, par motif de charité, pour le règlement des moeurs. Une fois pour toutes, on t'impose un précepte facile : Aime, et fais ce que tu voudras. Soit que tu gardes le silence, garde-le par amour ; soit que tu cries, élève la voix par amour ; soit que tu corriges autrui, corrige-le par amour ; soit que tu uses d'indulgence, sois indulgent par amour ; aie dans le coeur la racine de l'amour, et de cette racine il ne pourra rien sortir que de bon.
» (19)

On s’aperçoit de la sorte qu’un intelligible dogmatique imposait alors une pratique qui méprisait les apparences - celles qu’emprunterait l’hypocrisie, bien sûr -, tandis que la posture intellectuelle dont j’use serait plutôt de libérer la pensée réflexive des exigences de la vie pratique. Le but est ici d’éviter que la pensée abstraite se confine à justifier les souhaits pratiques, sorte d’hypocrisie à l’envers et qui s’ignore. Évidemment, à l’inverse de saint Augustin, je me risque ainsi à soustraire autant que possible la réflexion à tout impératif moral. La vie pratique, quant à elle, ne pourra s’en passer.

La nature humaine

On entend souvent dire que Rousseau pensait que l’homme est bon par nature. Il me paraît important de nuancer fortement cette opinion. (20)

Comment Rousseau conçoit-il l’homme en son état naturel ? Lorsqu’il parle d’un élan du cœur d’où jaillirait cette commisération première, il écarte la raison. Pourtant, lorsque la vie en société a à ce point écarté l’homme de sa nature première et que celui-ci a étouffé en lui l’élan premier du cœur au profit d’aspirations égoïstes, c’est à ce qu’il y a de naturel en sa raison qu’il faut recourir pour rétablir le mouvement vers autrui et pour distinguer l’intérêt commun des intérêts privés. Car ce qui perdure chez l’homme, aussi éloigné cela soit-il de sa nature première, acquiert quelque chose de naturel que seule la raison peut effacer. Ainsi, évoquant la façon dont Aristote prétend qu’il est des hommes voués par nature à être esclave (21), il écrit :
« Aristote avait raison, mais il prenoit l’effet pour la cause. Tout homme né dans l’esclavage nait pour l’esclavage, rien n’est plus certain. Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu’au désir d’en sortir ; ils aiment leur servitude comme les compagnons d’Ulysse aimoient leur abrutissement. S’il y a donc des esclaves par nature, c’est parce qu’il y a eu des esclaves contre nature. La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués. » (22)
En pareil cas, il faut donc que la raison montre ce que l’esclavage a de contraire aux principes premiers de l’homme, et tout particulièrement à l’élan qui le conduit à prendre en pitié les autres être sensibles, pour rétablir cet élan dans ses droits. Ce que la raison a de naturel vient au secours de la nature première lorsque celle-ci a été dominée par une seconde nature.

Voilà ce qui le conduit à imaginer le concept de volonté générale, qui est bien éloigné de la volonté de tous ou de la volonté de la majorité, à quoi fréquemment on l’identifie à tort.
« Il y a souvent bien de la différence » écrit-il « entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale. » (23)
Ce qui fait de cette volonté générale la synthèse de ce que tous peuvent vouloir, lorsqu’ils imaginent ce qu’est l’intérêt commun, et rien que l’intérêt commun.

Même en ne recourant pas à une loi révélée ou à une consigne sociale, il est évidemment possible de fonder la charité autrement qu’en invoquant la nature humaine. Il est par exemple envisageable de voir dans ses manifestations le résultat de dispositions psychologiques très répandues en raison d’une combinaison de facteurs biologiques et de facteurs sociaux inextricablement liés. Mais, curieusement, aujourd’hui encore, cette opinion est rarement émise.

Cela peut probablement s’expliquer de plusieurs façons. J’aperçois à cet état de fait une cause majeure. C’est la répugnance à étudier psychologiquement et sociologiquement les actes charitables, en ce qu’ils sont souvent vus comme une forme d’opposition aux programmes politiques et sociaux qui envisagent de gérer le malheur des hommes selon des règles générales, des règles aptes à conduire vers une justice distributive plutôt que vers des secours circonstanciels.

Conscience de soi et sciences sociales

Si je tente de résumer l’évolution que je viens d’esquisser très brièvement, je dirais que la conscience de soi a connu un tournant dans la deuxième moitié du XVIe siècle, tournant qui a probablement modifié progressivement la manière de concevoir l’acte charitable. Ce qui ne signifie pas nécessairement que ce type d’acte en fut encouragé, mais plutôt qu’il fut vécu de manière plus personnelle, qu’il fut bien plus souvent ressenti comme le résultat d’un élan intérieur que comme l’obéissance à une consigne sociale.

Cette importance nouvelle accordée à un “moi” que le “je” investigue a sans doute poussé ceux, tels les philosophes, qui s’interrogent sur les causes du comportement humain à attribuer une préférence aux explications faisant place à la nature de l’homme. Déjà Hobbes voit dans l’homme une nature première qui le porte à regarder l’autre comme un ennemi, un concurrent. Rousseau ira dans le même sens, mais avec une théorie contraire, à savoir que les mouvements naturels de l’homme se partageraient entre estime de soi et commisération pour autrui et posséderaient donc de quoi nourrir la solidarité entre eux.

Nous allons voir que, même au sein des sciences sociales - qui sembleraient a priori avoir pour vocation d’étudier le comportement humain à partir de ses déterminations les moins intérieures, les moins naturelles - la recherche de pulsions universelles, présentes chez tous, est bien loin d’être absente.

Il est malaisé de fixer le moment où les questions que l’on s’est posées sur le comportement de l’homme en société, et les réponses qu’on y a apporté, prirent la forme d’une science au sens que le mot à progressivement acquis depuis le début du XVIIe siècle. Nul doute que, déjà dans l’Antiquité, des préoccupations du genre ont pu exister. Mais il est assez communément admis que les sciences sociales ont pris leur essor à la fin du XIXe siècle et au début du XXe avec des auteurs comme Karl Marx, Max Weber et Émile Durkheim. Or, ce que ces sociologues ont en commun, c’est d’avoir exploré l’influence qu’exerce la société sur ses membres, le plus souvent à leur insu. Il n’est donc guère question, chez eux, de s’intéresser à quelque pouvoir que ce soit que des forces, intérieures à l’individu, inscrites dans sa nature, exerceraient sur l’homme. Ces interrogations furent abandonnées à la psychologie. (24)

Il existe pourtant une science sociale qui, sur ce point, se distingue résolument des autres : c’est la science économique. Dans le cadre d’une réflexion relative à ce mouvement du cœur d’où naîtrait peut-être ce que nous appelons la charité, il est nécessaire d’évoquer la science économique. En effet, certains des plus vifs débats auxquels donne lieu cette discipline ont trait, fût-ce d’une façon détournée, à l’origine du comportement humain, à ce mouvement premier, inconscient, indépendant du contexte social, qui fonde les théories antagonistes : intérêt personnel ou altruisme.

B. Intérêt et désintérêt

Démocratie et inégalités

Je voudrais revenir un instant sur cet horizon arrière que constitue la Révolution française selon Lévi-Strauss (25) et tenter d’en caractériser deux aspects qui ont quelque chose de très contradictoire.

Ce que l’on a principalement retenu de la Révolution, c’est un idéal d’égalité dont nos sociétés démocratiques sont le prolongement. Incontestablement, le renversement de la monarchie absolue a inspiré des idées politiques et sociales qui restent aujourd’hui encore d’actualité, du moins dans leur principe. On ne peut pourtant pas ne pas constater que cet idéal égalitaire n’engendre pas des sociétés dont auraient disparu les privilèges. Les inégalités sont au contraire plus présentes que jamais.

Cette cohabitation d’un habitus démocratique avec de profondes inégalités de fait pose la question de l’efficacité de l’idéologie. Pourrait-on croire qu’un dogme aussi partagé que celui de l’égalité des citoyens puisse aboutir à des richesses aussi inégalement réparties ? Pourrait-on supposer que des sociétés où tous les citoyens sont invités à désigner les principales composantes du pouvoir engendre autant de misère relative et autant d’exclusion ? Ce paradoxe est à ce point criant que les actes charitables, que l’idéologie égalitariste pouvait regarder comme inutiles, restent pratiqués et encouragés.

Pour comprendre ce paradoxe, il convient de se retourner une nouvelle fois vers cet horizon que représente la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe.

La main invisible

Au moment même où les idées de Rousseau - souvent déformées - inspiraient les révolutionnaires, une réflexion d’un type nouveau était menée au sujet de la production des biens. En 1776, soit quinze ans avant la Révolution, Adam Smith publiait en effet ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Ce livre a en quelque sorte fondé la science économique moderne, en ce qu’il a ouvert la voie aux théories dites libérales, telles qu’elles seront ensuite développées par David Ricardo et John Stuart Mill.

Or, une des idées les plus remarquables que Smith développe dans La richesse des nations, c’est que le comportement économique de l’homme obéit à cette pulsion élémentaire qui le conduirait à se préoccuper avant tout de son intérêt personnel. C’est la très fameuse formule de la main invisible. Voici comment il en parle :
« [...] puisque chaque individu tâche, le plus qu’il peut, 1° d’employer son capital à faire valoir l’industrie nationale, et 2° de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention, en général, n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté  ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain  ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions  ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir. » (26)

L’idée a fait couler beaucoup d’encre et je suis tout à fait incapable de départager les multiples interprétations qu’on en a données. S’agit-il d’un concept marginal dans l’œuvre de Smith, ou au contraire la clé même de sa pensée ? Sa portée se limite-t-elle à l’économie ou a-t-il une valeur philosophique, voire anthropologique, plus fondamentale ? Est-il d’inspiration leibnizienne ou hobbesienne ? Je ne puis le dire.

Une chose me paraît néanmoins certaine, c’est que Smith adhère à l’idée que les hommes sont déterminés par des forces qu’ils ignorent et que celles-ci ont un caractère durable qui dépasse la contingence. Cela ressort assez clairement, me semble-t-il, de ce qu’il disait déjà de la main invisible dans un précédent livre - à portée philosophique, celui-là -, la Théorie des sentiments moraux :
« Le produit du sol fait vivre presque tous les hommes qu'il est susceptible de faire vivre. Les riches choisissent seulement dans cette quantité produite ce qui est le plus précieux et le plus agréable. Ils ne consomment guère plus que les pauvres et, en dépit de leur égoïsme et de leur rapacité naturelle, quoiqu'ils n'aspirent qu'à leur propre commodité, quoique l'unique fin qu'ils se proposent d'obtenir du labeur des milliers de bras qu'ils emploient soit la seule satisfaction de leurs vains et insatiables désirs, ils partagent tout de même avec les pauvres les produits des améliorations qu'ils réalisent. Ils sont conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants  ; et ainsi, sans le vouloir, ils servent les intérêts de la société et donnent des moyens à la multiplication de l'espèce. » (27)

A cela, on peut ajouter que le libéralisme, en ce qu’il exploite les idées de Smith, a conservé depuis lors une conception d’un comportement humain guidé naturellement par l’intérêt personnel, c’est-à-dire à l’exact opposé de l’élan du cœur cher à Rousseau. S’il ne fallait illustrer cette caractéristique du libéralisme que par un seul exemple, on pourrait citer Thomas Robert Malthus, si célèbre pour son Essai sur le principe de population, publié en 1798, où il prône l’arrêt de toute aide aux pauvres.
« Si les principes que nous avons proposés résistent à l'examen et si nous sentons la nécessité d'y conformer notre conduite, il reste à examiner comment nous devrons procéder pour agir en pratique. Le premier obstacle important que nous rencontrons en Angleterre, est le système de Lois en faveur des Pauvres; et si lourde que soit la dette nationale, les Lois en faveur des Pauvres sont encore plus catastrophiques. La rapidité avec laquelle la taxe des pauvres s'est accrue ces dernières années est telle qu'elle évoque un nombre de pauvres absolument incroyable dans une nation où fleurissent cependant les arts, l'agriculture et le commerce, et où le gouvernement a généralement été reconnu comme le meilleur parmi ceux qui ont affronté jusqu'ici l'épreuve des faits.
J'ai beaucoup réfléchi sur les Lois anglaises en faveur des Pauvres. J'espère qu'on m'excusera d'oser proposer un plan capable de les abolir graduellement, plan auquel je ne vois aucune objection essentielle. Je suis même presque sûr qu'on arrivera si bien à comprendre combien ces lois sont une cause profonde de tyrannie, de dépendance, de paresse et de malheur, qu'on se décidera à faire un effort pour les abolir; et le sentiment de la justice nous poussera alors à adopter, sinon mon plan, du moins le principe que je propose. On ne peut se débarrasser d'un système d'assistance aussi généralisé, sans blesser du même coup le sentiment d'humanité, qu'en attaquant ses causes et en s'attachant à contrarier les raisons profondes qui assurent aux institutions de ce genre un accroissement rapide et les rendent toujours insuffisantes pour faire face à leur objectif.
Avant toute atteinte au système, la première mesure capable d'arrêter ou de freiner l'extension des secours à attribuer, me paraît consister à désavouer formellement, au nom de la justice et de la dignité, le droit des pauvres à l'assistance.
Dans ce but, je proposerais qu'on promulgue une loi refusant l'assistance paroissiale aux enfants nés d'un mariage contracté plus d'un an après la promulgation de la loi, ainsi qu'à tous les enfants illégitimes nés deux ans après cette date. Pour que cette loi ne puisse être ignorée de quiconque et pour la graver profondément dans l'esprit du peuple, les prêtres de chaque paroisse seraient invités, après la publication des bans, à lire une courte instruction dans laquelle on rappellerait : l'obligation stricte que tout homme a de nourrir ses enfants ; l'inconvenance et même l'immoralité qu'il y a à se marier sans avoir l'assurance de pouvoir remplir ce devoir ; les maux qui accablent les pauvres eux-mêmes lorsqu'on tente de faire assurer par des institutions collectives les fonctions que la nature a confiées aux seuls parents ; enfin la nécessité où l'on s'est trouvé d'abandonner ces institutions, en raison des effets qu'elles avaient produits et qui étaient directement opposés aux buts envisagés.
» (28)

Aujourd’hui encore, même si les discours à ce point radicaux contre l’aide sociale se font rares, la théorie économique dite de l’équilibre général, qui domine toujours les politiques économiques, conserve l’idée que la nature de l’homme étant ce qu’elle est, il est préférable de miser sur la recherche de l’intérêt individuel que sur la volonté d’entente collective. Le succès qu’ont connu les idées de von Hayek (29) à partir des années 80, tout autant que l’horreur des régimes autoritaires sur lesquels ont débouché les expériences de planification économique, a consolidé la théorie économique libérale.

La science économique

Je voudrais ici me permettre une réflexion générale qui porte sur la position particulière qu’occupe cette discipline au sein des sciences sociales.

La gestion des affaires publiques, y compris en ce qu’elles visent la production et la consommation de biens, a suscité l’intérêt depuis l’Antiquité. Ce qui, d’une certaine manière, fait de la science économique la plus ancienne des sciences sociales. Évidemment, elle n’a porté le nom de science que récemment, plus récemment encore que la sociologie ou l’ethnologie, puisqu’elle fut longtemps enseignée dans les universités sous l’intitulé d’économie politique. Celle-ci se distingua il y a bien longtemps de cela de l’économie domestique.

Ce que la position de la science économique me paraît avoir de particulier tient à deux de ses caractéristiques qui semblent à première vue contradictoire.

La première, c’est que, de toutes les sciences de l’homme, elle est celle qui a intégré de la façon la plus complète les outils de mesure, et notamment les outils mathématiques, qui sont habituellement le signe des sciences de la nature. Les économistes se noient dans les chiffres avec le sentiment, chez beaucoup, que toutes ces quantifications révèlent le sérieux et même l’exactitude de leur approche de la réalité. Ce qui, bien sûr, n’est pas toujours faux.

Mais, outre que la recherche en économie est essentiellement axée sur la prévision (30) - ce qui la fait ressembler à bien des égards à la météorologie -, elle repose sur un ensemble de présupposés qui ne sont pas toujours perçus comme tels. On me dira que c’est vrai de toutes les disciplines scientifiques, y compris des mathématiques elles-mêmes, lesquelles n’échappent pas à la nécessité de reposer sur des axiomes. Mais, en ce qui concerne la science économique, les postulats écartent nombre d’hypothèses que rien ne dément a priori. À commencer par le premier d’entre eux qui constitue la deuxième caractéristique que je souhaite relever.

Cette deuxième caractéristique - la plus importante pour mon propos -, c’est que la science économique a construit ses théories sur l’idée que le comportement humain peut être ramené à la recherche de son intérêt personnel. Et ceci s’explique certainement par la place importante qu’ont prise les théories libérale et néo-libérale (31) dans la construction de la discipline, mais aussi parce que la mathématisation n’est possible qu’à partir d’un axiome unique auquel les mesures peuvent se référer.

S’il est possible de quantifier de manière objective des phénomènes tels, par exemple, ceux qui touchent la monnaie, il est par contre indispensable, lorsqu’on évalue le comportement humain, de lui supposer des orientations prédéterminées. Et c’est là que l’intérêt personnel joue son rôle : l’acheteur est ainsi supposé veiller à payer le prix le plus bas possible ; le vendeur à écouler sa marchandise au prix le plus élevé possible.

Il s’ensuit que la science économique - bien davantage que toute autre science sociale - entretient avec la réalité qu’elle est censée décrire et expliquer un rapport relativement ambigu. Car la science économique prescrit. Et elle prescrit tant que l’on est en droit de se demander si la justesse du tableau qu’elle donne de la réalité ne doit pas beaucoup au fait que la réalité se plie à ses exigences.

Intérêt personnel et charité

Comme j’ai tenté de le montrer ci-dessus, notre horizon idéologique arrière comprend notamment deux inclinations contradictoires, l’une pour l’égalité et ce qu’elle suppose de souci envers autrui, et l’autre pour l’intérêt personnel en ce qu’il guide notre comportement en tant qu’agent économique. Et ces deux composantes sont encore aujourd’hui si puissantes qu’elles ont résisté à l’érosion dont a souffert entre-temps l’idéologie socialiste.

Si l’on s’en tient à ce que la charité doit à l’élan du cœur, c’est-à-dire à cette composante de la nature humaine qui pousse l’homme à compatir et même à aimer son prochain, force est de constater que les temps présents ne peuvent que susciter l’expectative. Car l’intérêt personnel est aujourd’hui présenté - à travers la théorie économique dominante - comme l’expression d’un élan tout aussi naturel que celui que l’on attribue au cœur, même s’il provient plutôt du ventre. (32)

Il n’est pas inutile de remarquer que les personnes qui se classent politiquement à gauche et qui seraient portées, en leur qualité d’héritières des valeurs d’égalité de la Révolution française, à exprimer leur attachement aux élans du cœur plutôt qu’aux élans du ventre, manifestent une réticence certaine à la compassion. Elles ne veulent plus se placer sur le plan de la nature de l’homme et de ses élans. S’il fallait retenir quelque chose de Rousseau, c’est qu’il revient à la raison de remédier aux disparités extrêmes qui caractérisent le corps social, les ravages qu’entraînent les inégalités ne pouvant plus être corrigés par le seul secours de la charité. À l’opposé, les personnes qui se classent à droite, et qui approuvent l’idée que l’intérêt personnel serait le moteur du progrès, ne répugnent pas à se montrer charitables, l’élan du ventre pouvant cohabiter avec l’élan du cœur. (33)

Ceci revient à constater que la charité, vue comme l’expression d’une inclinaison naturelle de l’homme, n’est plus regardée que comme un palliatif moral à une organisation sociale qui laisse libre cours à cette autre inclinaison naturelle que serait l’intérêt personnel.

Il est malaisé de ne pas mettre cette situation en rapport avec la force persuasive d’une théorie économique qui demeure le critère d’analyse de la richesse des peuples.

L’anti-utilitarisme

On ne peut ici passer sous silence qu’il existe des économistes qui tentent de construire des analyses incorporant la dimension altruiste de l’homme. Ce courant, quasi inexistant dans le monde anglo-saxon (34), est relativement bien implanté en France, principalement autour du Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (M.A.U.S.S.) (35). On y trouve notamment des économistes issus des milieux chrétiens, tels Philippe van Parijs, Christian Arnsperger et Isabelle Cassiers de l’Université catholique de Louvain ; mais aussi des philosophes et sociologues français : Robert Misrahi, Vincent Descombes, Edgar Morin, Bruno Latour, etc.

Dans un texte ayant quelque peu le caractère d’un manifeste, Sylvain Dzimira résume la pensée du fondateur du M.A.U.S.S., Alain Caillé (36), de la manière suivante :
« Caillé range les différentes conceptions du don en quatre grandes familles.
Première famille. D’abord, il y a les conceptions économicistes du don, qui consistent à considérer qu’au fond, ce sont toujours des intérêts calculés, plus ou moins individuels, sophistiqués, matériels, conscients, qui motivent le don. Que c’est là un moyen bien commode d’accumuler des richesses, du prestige, du pouvoir, puisqu’on est souvent payé de retour, de surcroît bien souvent avec un intérêt. Car on rend bien souvent plus qu’on a donné. On peut y mettre par exemple un anthropologue anglais que cite Mauss qui s’appelle Boas et qui voit dans le don un prêt à intérêt. Dans une version plus sophistiquée, on peut y ranger aussi un sociologue que vous connaissez sans doute de nom : Bourdieu, l’un de nos sociologues les plus illustres. Plus sophistiquée parce que pour lui l’accumulation de capital économique passe par le détour d’une accumulation de capital symbolique, de prestige. Bref, ne nous racontons pas d’histoires ! Nous savons tous que derrière notre générosité affichée se cachent des calculs et de l’intérêt. Ou si vous ne le saviez pas, je vous l’apprends ! De grands accumulateurs, voilà ce que sont les bénévoles !
Deuxième famille. Caillé y range toutes les approches qu’il appelle inexistentialistes du don. C’est un clin d’œil à Marcel Gauchet qui qualifie ainsi la grande pente de la pensée moderne ou post-moderne, qui consiste à décréter que rien n’existe : le sacrifice, le totémisme, les mythes, la religion etc. tout cela n’existe pas. Il range sous cette bannière des anthropologues comme Testart qui considèrent effectivement que le don n’existe pas dans certaines sociétés archaïques, ou un philosophe comme Derrida pour qui le don n’existe pas ou plutôt n’existe qu’à la condition qu’il n’existe pas comme un don ni pour le donataire, ni pour le donateur, car si jamais le don devait leur apparaître comme tel, alors la connaissance de la possibilité du retour entacherait le don d’intérêt, si bien que ce ne serait plus véritablement un don. De là à penser que le don n’existe pas dans le bénévolat…
Troisième famille, les théories qu’il appelle de l’incomplétude du don. Sous cette étiquette se rangent tous ceux qui considèrent que le don est important, mais qu’au fond, il y a quelque chose de plus important encore. Cela peut être le sacrifice chez Girard et les anthropologues qui s’inscrivent dans ses traces (Scubla, Anspach), la dette ou encore les structures fondamentales de l’échange comme chez Levi-Strauss. Vous donnez, de votre temps, de vous-même, de votre vie, certes. Mais au fond, nous dit-on, vous vous sacrifiez, vous réglez une dette primordiale ou vous obéissez à la loi de l’échange.
Quatrième famille enfin : celle du type de Mauss et dont se réclament le MAUSS, qui considèrent que le don peut bien remplir de nombreuses fonctions (économiques, sociales, politiques etc.), mais qu’il n’y a pas à le rabattre sur autre chose que lui-même, qu’il s’agisse de l’intérêt, du sacrifice, de l’échange, qu’il est “auto-consistant”
». (37)

Même s’il est un peu long, cet extrait mérite d’être cité en entier. Non pas parce qu’il constituerait la meilleure synthèse des idées d’Alain Caillé, ni même le meilleur exposé des différentes conceptions du don, mais bien parce qu’il révèle parfaitement l’orientation morale dont se réclame le M.A.U.S.S.

Je ne trancherai pas ici la question de savoir si, comme Dzimira le prétend, Marcel Mauss adhérait à l’idée « qu’il n’y a pas à [...] rabattre [le don] sur autre chose que lui-même ». J’y reviendrai infra. Ce qui me paraît important, en ce moment, c’est de constater qu’il oppose cette conception-là, la seule susceptible de laisser place à un mouvement altruiste naturel de l’homme, à toutes les autres - économicistes, inexistentialistes ou dites de l’incomplétude. Comme si la nature de l’homme n’était pour rien dans l’élan intéressé de l’homme, comme si pour ceux-là qui nient la pureté de l’altruisme le concept de nature était devenu obsolète, comme si le mouvement intérieur - s’il existe - ne peut être que charitable. La charité contre un monde social hostile, avide, vénal, mercantile : tel est le dilemme dans lequel s’inscrivent les anti-utilitaristes.

On saisit encore mieux la dimension morale de la position de Dzimira lorsque celui-ci définit sa propre conception du regard moderne sur le don :
« Nous autres Modernes concevons généralement les motifs de l’action comme radicalement dissociés, et incompénétrables. Et cela vaut pour le don, que nous pensons tantôt motivé par l’intérêt (on retrouve ici toutes les théories économicistes du don), tantôt au contraire par le désintéressement (la conception du don placé sous la figure de l’agapé, du pur amour, comme celle que défend Boltanski), tantôt par la gratuité, la pure spontanéité (qu’incarnerait les conceptions du don de Derrida ou de Marion, seule la pure spontanéité permettant de faire en sorte que le don n’apparaissent pas comme un don, i.e. comme étant susceptible de générer un retour), tantôt au contraire par l’obligation (théories structuraliste – Lévi-Strauss - ou fonctionnaliste – Piddocke, Barnet). Par ailleurs, nous le voyons tantôt comme un moment de communion (théorie anarcho-communiste de Barbrook), tantôt comme un moment d’affrontement exacerbé (Bataille, Boilleau). Ainsi appréhendé, comment le don nous apparaît-il ? Quand le don est rabattu sur les pôles de l’obligation, de l’intérêt ou encore du conflit, le don nous apparaît comme un phénomène immoral, précisément parce qu’il est obligé (hypocrite), intéressé (cupide) ou encore inamical (belliqueux). Quand le don est rabattu sur les pôles de la gratuité, du désintéressement ou encore de la communion, le don nous apparaît comme un phénomène, pour certain plus souhaitable, mais hors de portée de ce qui est véritablement humain. “Trop ou trop peu humain” : dans les deux cas, le don nous apparaît comme moralement inconcevable. Certains commentateurs, constatant l’existence de ces approches diamétralement opposées du don et de sa morale en concluent que le don est a- moral, qu’il ne contient pas de morale intrinsèque (Rospabé). » (38)

Quelle que soit la conception du don que l’on analyse, on y constate soit l’immoralité, soit la morale impossible. Pourquoi ? Parce que les raisons qui le fonderaient et qui s’interposent entre le sujet et son geste, soit le disqualifie, soit le rende dérisoire. Et ce que Dzimira annonce par ce procès, c’est une autre conception du don, qu’il affirme maussienne, et qui allierait morale et nécessité sociale.

Nature, moralité et société

Reprenons les choses en leur début.

S’il existe un ou plusieurs élans naturels de l’homme, ils sont si entremêlés à la vie sociale qu’il est bien malaisé de les en distinguer. En schématisant très fort, on peut néanmoins dire que le XVIIIe siècle nous a légué deux conceptions de l’élan naturel, celle de l’élan du cœur de Rousseau et celle de l’élan du ventre de Smith. Celle de Rousseau s’est ultérieurement traduite par une aspiration à l’égalité entre les hommes ; celle de Smith par une théorie économique libérale largement dominante. Elles avaient en commun de situer le mobile du comportement humain avant même que se pose quelque problème moral que ce soit. L’homme est ainsi fait qu’il incline à aimer, ou qu’il incline à l’égoïsme ; s’il faut une morale, elle doit se construire à partir de ces inclinations de base, soit pour les encourager, soit pour les combattre. La morale kantienne ne procède pas autrement lorsqu’elle part de la nature de l’homme pour en déduire que la bonne volonté fonde la morale, en ce qu’elle ordonne ce qu’il est malaisé ou contrariant de faire. (39)

De nos jours, le caractère naturel de l’élan égoïste n’est plus débattu, mais il n’est cependant guère contesté. Somme toute, il va de soi, autant que vont de soi ces théories économiques qui fondent leurs prévisions sur l’intérêt individuel. S’il en résulte des situations qui suscitent la compassion, c’est à la morale qu’il revient de protester. Et c’est aussi à la morale qu’il revient de construire les règles sociales qui tempèrent l’égoïsme et assurent à tous les protections mettant l’individu à l’abri du pitoyable.

Est-ce à dire que l’idée d’un élan généreux en l’homme n’est plus de mise ? Le Prince Mychkine (40) ne serait-il plus crédible ? C’est assez probable.

(1) Déjà saint Paul fait de la charité la plus grande des trois vertus théologales (Co, 13, 1-7 et 13), prééminence qui sera réaffirmée par Thomas d’Aquin (Somme théologique, Ia, IIae, question 65). Et bien sûr, Benoît XVI lui consacre sa première encyclique, Deus caritas est. Mais toute l’histoire de la chrétienté est marquée par d’incessants rappels de l’importance de la charité.
(2) Luc, X, 29-37.
(3) La tsedaka s’inspire de la Torah (Deut., 15, 7-8 ; Lév., 19, 9-10). Dans son Mishné Torah, Maïmonide y distingue huit niveaux, selon les formes que le don peut prendre et selon le degré d’anonymat ou de discrétion qu’il adopte.
(4) La zakat constitue le troisième des cinq piliers de l’islam. Elle se distingue notamment par une désignation précise des bénéficiaires.
(5) Ce qui a été fait par plus d’un chercheur. Citons à titre d’exemple l’ouvrage d’un théologien catholique : Michel Messier, Agapè : Recherches sur l’histoire de la charité, éd. Fides, Montréal, 2007.
(6) Cf. De finibus, livre 5, XXIII, 65.
(7) Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes III, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, Paris, 1964, pp. 125-126.
(8) Jean-Jacques Rousseau, "Mon Portrait", in Œuvres complètes I, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1959, p. 1129.
(9) Jean-Jacques Rousseau, “Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes”, Œuvres complètes III, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, Paris, 1964, pp. 125-126.
(10) Thomas Hobbes, Léviathan ou Traité de la matière, de la forme et du pouvoir d'une république ecclésiastique et civile, première partie, chapitre 13.
(11) Robert Ellrodt, Montaigne et Shakespeare. L’émergence de la conscience moderne, José Corti, Paris, 2011.
(12) Robert Ellrodt, op. cit., p. 13.
(13) Robert Ellrodt, op. cit., p. 247.
(14) Robert Ellrodt, op. cit., p. 248.
(15) Michel de Montaigne, Essais, Livre II, chapitre XI. Il évoque évidemment dans ce passage les atrocités des guerres de religion dont il a été le témoin.
(16) Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962, p. 337.
(17) Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 338.
(18) Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, 1955, p. 479. L’idée que le moi soit haïssable est de Blaise Pascal (Fragment 509 in Pensées, éd. de Michel Le Guern, Gallimard, Folio Classique, 1977, p. 351).
(19) Augustin, Traité sur l’épitre de saint Jean aux Parthes, VII, 7-8.
(20) Plus que tout autre, Rousseau mérite d’être lu avec beaucoup d’attention et en faisant fi des opinions communes qui circulent à son sujet.
(21) Aristote, Politique, Livre I, chap. 1 : « C'est la nature qui, par des vues de conservation, a créé certains êtres pour commander, et d'autres pour obéir. C'est elle qui a voulu que l'être doué de raison et de prévoyance commandât en maître ; de même encore que la nature a voulu que l'être capable par ses facultés corporelles d'exécuter des ordres, obéît en esclave; et c'est par là que l'intérêt du maître et celui de l'esclave s'identifient. ». Cette idée est développée dans les chapitres 4 à 7 du même livre I (cf. le texte bilingue grec-français, trad. Barthélemy Saint-Hilaire, sur le site de Philippe Remacle).
(22) Jean-Jacques Rousseau , “Le contrat social” in Œuvres complètes III, ,Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1964, p. 353.
(23) Jean-Jacques Rousseau, op. cit., p. 371.
(24) La psychologie elle-même, dans un souci d’objectivation, a parfois délaissé l’analyse du psychisme pour ne s’en tenir qu’aux comportements, comme ce fut le cas dans cette école qu’on appela behavioriste.
(25) Il écrit notamment ceci : « […] le problème posé par la Critique de la raison dialectique peut être ramené à celui-ci : à quelles conditions le mythe de la Révolution française est-il possible ? […] nous sommes prêt à admettre que, pour que l’homme contemporain puisse pleinement jouer le rôle d’agent historique, il doit croire à ce mythe, et que l’analyse de Sartre dégage admirablement l’ensemble des conditions formelles indispensables pour que ce résultat soit assuré. Mais il n’en découle pas que ce sens, du moment qu’il est le plus riche (et donc le mieux propre à inspirer l’action pratique), soit le plus vrai. Ici, la dialectique se retourne contre elle-même : cette vérité est de situation, et si nous prenons nos distances envers cette situation – comme c’est le rôle de l’homme de science de le faire – ce qui apparaît comme vérité vécue commencera d’abord par se brouiller, et finira par disparaître. » (La pensée sauvage, Plon, 1962, pp. 336-337).
(26) Adam Smith, Recherches sur les causes et la richesse des nations, tome II, Flammarion, Paris, 1991, pp. 42-43.
(27) Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, PUF, Paris, 1999, p. 257.
(28) Thomas Robert Malthus, Essai sur le principe de population, Éd. Gonthier, Paris, 1963, début du chap. 20.
(29) Seule parmi les dirigeants des pays occidentaux Margaret Thatcher avait grâce aux yeux de von Hayek, parce qu’elle avait selon lui le courage de prendre des décisions impopulaires permettant à la libre concurrence de jouer en tout domaine et de combattre les mesures d’assistance aux défavorisés.
(30) C’est d’ailleurs dans ses aspects prévisionnels que l’économie recourt le plus aux mathématiques les plus poussées, notamment avec tout le domaine des équations linéaires chères à l’économétrie.
(31) Par théorie néo-libérale, j’entends ce qu’on appelle les thèses marginalistes, formulées aux environs de 1870 par Léon Walras, Karl Menger et Stanley Jevons. Elles ont fortement accentué la mathématisation de la discipline.
(32) S’inspirant de Platon et plus particulièrement d’un passage de La République (Livre X, 588a et ss.), le philosophe français Alain a imaginé l’homme fait d’un sac de peau comprenant le ventre (l’hydre), le cœur (le lion) et la rationalité (cf. Propos, t. 1, Gallimard, 1956, p. 674-676, 914-915 et 1141-1143 ; Propos, t. 2, Gallimard, 1970, p. 31-32, 85-86 et 390-392).
(33) On a ainsi vu se multiplier, ces dernières années, les théories cherchant à unir éthique et management.
(34) Ce qui n’empêche nullement certains économistes américains de dénoncer la course au profit (cf., par exemple, Joseph E. Stiglitz, Le triomphe de la cupidité [2010], trad. de Paul Chemla, Actes Sud, Arles, 2013)
(35) Le M.A.U.S.S. dispose d’un site Internet dont l’adresse est : http://www.revuedumauss.com.
(36) Alain Caillé est un sociologue français, ancien assistant de Claude Lefort, à qui on doit notamment une Critique de la raison utilitaire (La Découverte, Paris, 1989) et une Anthropologie du don : le tiers paradigme (La Découverte, Paris, 2007).
(37) Sylvain Dzimira, Le paradigme du don, article disponible in fine de la page Internet suivante : http://www.revuedumauss.com /, 2006, pp. 3-4.
(38) Sylvain Dzimira, op. cit., pp. 5-6.
(39) Cf. Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, première section.
(40) Cf. Fédor Dostoïevski, L’idiot [1869], trad. par Gabriel Arout, Le Livre de Poche, 1994.

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Deuxième

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