mercredi 9 décembre 2009

Note d’opinion : l’affaire KB Lux

À propos de la procédure

Une affaire belge – l’affaire KB Lux – agite les media et m’inspire un commentaire.

L’affaire en deux mots : un tribunal bruxellois a déclaré irrecevables les poursuites pour fraude fiscale lancées il y a une dizaine d’années à l’encontre d’anciens dirigeants d’une banque au motif que l’enquête aurait été menée de façon irrégulière. Contrairement à ce qui est affirmé dans bien des journaux, cette affaire n’est pas close à ce jour, des possibilités d’appel restant ouvertes.

Ai-je besoin de dire que j’ignore ce que contient le dossier, très volumineux paraît-il ? Et je me garderai donc de me prononcer en quelque sens que ce soit sur le fond de l’affaire (1). Mais il est une réaction que je ne puis approuver. C’est celle qui consiste à estimer que, compte tenu de l’importance de la fraude présumée, il serait scandaleux que le tribunal refuse d’en connaître pour des raisons de procédure. « Il serait inacceptable et incompréhensible qu’une telle fraude ne puisse être effectivement jugée », a déclaré un député, ajoutant que ce « très mauvais signal pourrait laisser croire que la fraude est impunie et impunissable dans notre pays ». (2)

À ceux qui pensent important de défendre les droits humains et la démocratie, et plus généralement à ceux qui s’interrogent sur ce que représente la civilisation, il convient de rappeler que la garantie première du respect des droits et des libertés de chacun réside dans la procédure. C’est parce qu’il existe des règles précisant comment autant que quand on juge quelqu’un que nous ne sombrons pas dans la sauvagerie. De la même façon que la loi à édicter ne prime pas sur la manière de l’adopter, la sanction pénale ne doit pas primer sur les conditions de son application. L’inversion de ces primautés est caractéristique des dictatures.

Si l’organisation démocratique de la société est menacée, c’est d’abord par ces dérives qui poussent ceux qui se sentent guidés par la vertu à s’exempter de la règle, bien davantage que par le contenu de la règle elle-même (3). Des affaires les plus graves aux accommodements les plus anodins, on assiste à un relâchement du rapport à la règle qui menace les droits et les libertés. Ainsi, l’affaire Dutroux avait permis – ô sinistre ironie d’une tragédie – une mise en cause inéquitable du comportement d’un magistrat instructeur exemplaire (4) et qui s’était fait un point d’honneur à suivre les règles présidant à sa mission. De la même façon, on avait inconsidérément jeté l’opprobre sur la Cour de cassation, parce qu’elle avait déchargé de sa mission un autre magistrat instructeur qui s’était permis de participer à une soirée "spaghetti" avec les parents et amis des victimes. Ainsi aussi, les manœuvres d’assemblée qui, au mépris des règles qui en organisent les travaux, arrachent pour la bonne cause des décisions mal délibérées, que ce soit dans le monde associatif comme dans le monde politique. Ainsi encore, de ces opinions implicites que diffusent les média, par exemple lorsqu’ils annoncent aux automobilistes qu’il est bon « de lever le pied » à tel endroit parce que la vitesse y est contrôlée par un radar, ce qui ne peut manquer de normaliser le comportement fautif.

Participe sans doute du même courant, cette inflexion donnée au droit pénal (5) à partir de laquelle les victimes sont de plus en plus associées au débat judiciaire et même à l’accomplissement de la peine. La civilisation européenne a mis des siècles pour écarter des procès ceux qui seraient enclins à la vengeance (6) ; elle semble aller bien plus vite pour les y réintroduire.

(1) Pas plus sur la réalité des irrégularités commises par les enquêteurs que sur la réalité des fraudes poursuivies.
(2) Le Soir du 9 décembre 2009, p. 25.
(3) Loin de moi l’idée que toutes les règles sont bonnes. Celles qui organisent les enquêtes permettant de démasquer les fraudes – fiscales, par exemple – sont sans doute à revoir. Mais la règle se change, avant quoi son respect s’impose.
(4) Il s’agit de Mme Martine Doutrèwe, aujourd’hui disparue, dont je ne puis évoquer le rôle sans lui rendre hommage.
(5) En Belgique, cette inflexion a eu sa part dans les réformes de la procédure pénale dites Franchimont, entre 1998 et 2005.
(6) Une chose est de comprendre l’envie de vengeance qui assaille les victimes et, par conséquent, la nécessité d’accorder à celles-ci des moyens particuliers propres à les aider à surmonter l’épreuve ; une autre est d’organiser la justice de telle sorte qu’elle soit rendue dans des conditions d’objectivité et d’impartialité maximales.

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