mardi 30 novembre 2010

Note d’opinion : la Belgique

À propos de la Belgique

Que veut dire l’expression faire de la politique ? S’engager ? Militer ? Conquérir du pouvoir ? Je n’en sais trop rien. Mais, assurément, je ne fais pas de politique et je n’ai aucune envie d’en faire. Sans doute parce qu’il faut souvent y dire autre chose que ce qu’on pense vraiment. Sans doute aussi parce qu’il faut y combattre, sans trop s’inquiéter des moyens dont on use. Sans doute enfin et surtout parce que, pour y réussir, il faut accepter l’idée de la foule ou convaincre la foule de son idée. J’ajoute que je ne tire aucune fierté de mon retrait et n’éprouve aucun mépris – bien au contraire – pour ceux qui en font ; du moins a priori.

On peut pourtant s’intéresser à la politique sans en faire. Non pas mû par ce que certains appellent un devoir citoyen (1), mais par une curiosité pour ce que la politique révèle de l’homme. Et cela n’exclut pas des préférences, même si l’idée de les faire connaître lui est étrangère.

La Belgique – pays qui ne dispose guère des traits auxquels on prétend reconnaître une nation – vit en ce moment d’importantes difficultés de gouvernement. Et, friande de drames et d’inquiétudes, la presse évoque tantôt une dissolution du pays, tantôt une scission, tantôt même le rattachement partiel à d’autres. Je me garderai bien de me prononcer sur les souhaits et les prophéties en tout genre qui fusent de partout. Non seulement il ne me paraît pas possible de deviner sur quoi les difficultés actuelles vont déboucher, mais je me sens tout aussi incapable de distinguer les vertus et les vices respectifs de chacun des scénarios possibles. Par contre, je suis préoccupé par des manières de penser que le contexte d’aujourd’hui renforce, des manières de penser qui débordent très largement le cadre politique et impriment leur marque sur de nombreux aspects de la vie sociale. Sur cela, il me plaît d’exprimer mes préférences.

Ce que j’attends personnellement de la démocratie – et ce n’est pas rien –, c’est qu’elle assure le renouvellement périodique des dirigeants. Ce que je n’en attends pas, c’est qu’elle permette à tous (au peuple dit-on volontiers) de participer au gouvernement de la société. (2) Il n’est pas sans conséquence qu’une grande majorité des gens pensent l’inverse. C’est de là que découle cette logique qui veut que, pour triompher, un camp politique doit défendre des idées collectivement acceptables et que, pour les imposer, il lui faut de préférence disposer de la majorité absolue des représentants (3).

Mais, me dira-t-on, pourquoi craindre ce qui plaît au grand nombre ? C’est que ce qui plaît alors n’est pas la synthèse des avis de chacun, mais bien l’avis construit pour tous que beaucoup se laissent imposer. Et, pour faire écho à Rousseau, ce n’est pas l’intérêt général tel que chacun peut le concevoir indépendamment de ses propres intérêts qui est alors ainsi présenté, mais bien des intérêts particuliers dont l’habileté politique revient à faire la meilleure somme.

La Belgique avait à mes yeux un atout. Des scrutins de liste, des entités culturellement différentes, des niveaux de pouvoir multiples, tout cela présentait – outre de sérieux inconvénients que je me dispense d’énumérer – l’avantage de forcer à la discussion. Et plus il fallait chercher des compromis, plus le simplisme des idées de chaque camp était soumis aux critiques. Somme toute, pays composite, la Belgique était un peu à l’abri des foules enflammées et des thèmes rudimentaires et ravageurs qui les accompagnent le plus souvent.

À cet égard, dernièrement, les choses ont très rapidement changé. Le ver était bien sûr dans le fruit depuis que les partis politiques s’étaient tous repliés sur une communauté linguistique. Mais c’est la crise survenue à la suite du dernier scrutin fédéral qui a révélé l’ampleur du phénomène. Dorénavant, on oppose le plus souvent des idées qui seraient chacune propre à une communauté linguistique. « Les Flamands pensent que… », « Les Wallons pensent que… », voilà ce qui s’entend continûment. C’est plus que jamais ce qui est abusivement présenté comme collectif qui le devient effectivement, illustrant ainsi le mécanisme qui veut que c’est à l’idée la plus plate qu’on prête le plus facilement la vertu d’être partagée. S’ensuit un écrémage des leaders et des idées : les plus gras et les plus grasses surnagent.

Il y a là, bien sûr, quelque chose qui doit sans doute beaucoup à un environnement occidental dans lequel la pensée réflexive est oubliée, sinon dénigrée.

(1) C’est un devoir qui convoque l’attention de ceux qui seraient censés disposer du droit de diriger et pour qui son exercice devient alors une sorte d’obligation morale. Est-il besoin de rappeler qu’avoir une opinion politique est d'une certaine manière un privilège ?
(2) Dois-je préciser qu’il n’y a bien évidemment aucun cynisme dans ma position ? Sur la direction des choses, comme sur bien des choses elles-mêmes, l’avis de chacun est intéressant et souvent précieux ; c’est de le solliciter selon un processus collectif qui gâche tout. J’ajoute qu’il n’est pas exclu que ce soit en laissant croire à tous qu’il permet au peuple d’être associé au pouvoir que le système démocratique parvient le mieux à garantir le renouvellement des dirigeants. Fais-je alors ici même le demi-habile ? La question mérite d’être posée.
(3) C’est la raison pour laquelle je suis très méfiant vis-à-vis du scrutin dit majoritaire, même si le scrutin de liste présente lui aussi des travers du même ordre.

6 commentaires:

  1. «…je suis préoccupé par des manières de penser (…) qui débordent le cadre politique et impriment leur marque sur de nombreux aspects de la vie sociale».

    Intrinsèquement, la vie sociale est issue de la politique. Il y a une décision commune, par le choix de tel ou tel, sur la manière dont s'orientera la vie de la communauté. Voter c'est justement décider comment s'organisera la vie commune !
    :-)

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  2. Comme vous y allez ! « Voter c’est […] décider comment s’organisera la vie commune », « la vie sociale est issue de la politique » : en êtes-vous bien sûr ? Après tout, c’est peut-être la manière dont est organisée la vie commune qui détermine les votes. Et la politique est peut-être autant le produit de la vie sociale que l’inverse. Quant au choix qu’offre un scrutin, de quelle nature est-il ?
    Il est vrai que vous usez d’un signe qu’Internet nous a appris à interpréter comme une marque de gaité, d’humour ou d’ironie, ce qui ne me permet pas d’exclure que vous partagiez peut-être une partie de mes doutes.
    Merci pour votre commentaire.

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  3. Pour moi nous sommes passés, par l'arrivée de la communication de masse, du principe de "je défends les idées d'un groupe de personne" à "je convainc les gens de ma raison". C'est un fait regrettable. Certains élus, par exemple en France, se vantent à présent de parvenir à imposer leurs idées, à faire passer des Lois CONTRE l'avis de la population.
    Toute la différence se situe dans le positionnement des élus selon qu'ils sont convaincus de nous représenter ou au contraire selon qu'ils veulent nous diriger !
    Il est loin en tout cas le temps où la communauté développait des concepts de vie publique qui étaient ensuite repris par un groupe politique chargés de les porter auprès de l'ensemble des élus !
    Je suis donc convaincu, et je le regrette, que c'est aujourd'hui la politique qui régit nos vies et plus l'inverse !
    :-)

    [Le petit smiley :-) est là pour dire que mon ton n'est pas du tout agressif, c'est un signe de dialogue pour ma part ! :-) ].

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  4. Je suis heureux que vous ayez pris la peine de préciser votre pensée, de même que le sens du smiley. Qu’il serait bon que l’on puisse échanger ses idées sans craindre d’être perçu agressif !
    J’aperçois très bien l’évolution dont vous parlez, même s’il fut toujours malaisé de cerner précisément ce que peut valoir la parole de celui qui se prétend un porte-parole. Bien des communistes affirmaient parler au nom du peuple, lequel a eu à souffrir d’être si obstinément représenté.
    Quand donc les vies ont-elles vraiment régi la politique ? Je ne le sais pas trop.
    La question – beaucoup plus vaste qu’on ne peut le croire à première vue – se confond avec le problème de la lucidité sur le monde social. Celui qui en représente d’autres doit lui-même se les bien représenter, ce qui est loin d’être aisé. Parlant d’un homme qui avait vécu dans le nouveau monde, Montaigne conforte son témoignage en nous disant ceci :
    « Cet homme que j’avoy, estoit homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre veritable tesmoignage : Car les fines gens remarquent bien plus curieusement, et plus de choses, mais ils les glosent : et pour faire valoir leur interprétation, et la persuader, ils ne se peuvent garder d’alterer un peu l’Histoire : Ils ne vous representent jamais les choses pures ; ils les inclinent et masquent selon le visage qu’ils leur ont veu : et pour donner credit à leur jugement, et vous y attirer, prestent volontiers de ce costé-là à la matière, l’allongent et l’amplifient. Ou il faut un homme très-fidelle, ou si simple, qu’il n’ait pas dequoy bastir et donner de la vraysemblance à des inventions fauces ; et qui n’ait rien espousé. » (Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, pp. 210-211) Texte remarquable qui, à lui seul, nous dit beaucoup sur la difficulté de représenter, et qui termine par cette exigence : « et qui n’ait rien espousé », autrement dit qui soit aussi neutre que possible !
    J’ajouterai qu’il ne me paraît pas illégitime qu’un politique défende ses propres convictions, dès lors que l’élection a fait de lui un représentant, car il est tout aussi pertinent d’estimer qu’on choisit la personne autant qu’on ne la mandate à porter la parole qu’on aurait peut-être eu l’occasion de lui faire entendre.
    Bien sûr, que ce que vous appelez la communication de masse ait profondément altéré un jeu de paroles déjà bien compliqué, j’en suis aisément convaincu. L’analyse de cette communication de masse reste en bonne partie à faire et elle réclame – je crois – que l’on évite d’idéaliser ce qu’elle aurait malencontreusement bouleversé. Sans même en connaître le fin mot, il me paraît indispensable de sauvegarder une expression nuancée et formalisée de la communication, quitte à en supporter la rareté et la discrétion.
    Merci pour cet échange.

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  5. Jean : deux lectures que je recommande sur ce sujet :
    . La fabrique du consentement de Chomsky
    . La stratégie du choc de Naomi Klein
    Avec ça, je trouve qu'on comprend un peu mieux notre "démocratie" actuelle !
    :-)

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  6. Dès lors qu'il est question de comprendre, nous n'avons pas les mêmes lectures. Mais qui peut dire qui de nous deux a raison ?

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