À propos de l’exemplarité
Ce samedi 9 juillet, l’émission Répliques (1) avait pour thème « Les femmes face à l’affaire DSK ». Alain Finkielkraut y avait invité Irène Théry , directrice d’études à l’EHESS, et Valérie Toranian, directrice de la rédaction du magazine Elle.
J’ai écouté cette émission sans plaisir, car j’y ai senti une agressivité bien inutile et j’y ai entendu des points de vue mal étayés. Plusieurs problématiques assez différentes y ont été abordées, sans que ce qui eût permis de les distinguer ait été pris en compte. Ainsi, alors qu’il fut question à plusieurs reprises de la présomption de véracité, jamais personne ne prit la peine de préciser - précision pourtant capitale selon moi - qu’il ne peut s’agir d’une présomption au même titre que la présomption d’innocence, dont elle serait bien évidemment la négation. C’est en vertu de cette dernière présomption que, au cours de la procédure pénale, la charge de la preuve incombe à l’accusation. Si la présomption de véracité prévalait, la charge de la preuve devrait être supportée par la défense. Quand il s’agit d’insister sur la nécessité de prendre au sérieux les plaintes des femmes qui se disent victimes d’agressions sexuelles, il doit s’agir d’une écoute particulièrement attentive, provisoire, étrangère à la question de la preuve, sans portée directe sur l’établissement de la vérité judiciaire.
Si j’ai souhaité parler de cette émission, ce n’est pas pour ces raisons, mais bien parce qu’y fut également abordée la question du révélateur que serait l’affaire DSK, et cela dans le prolongement de plusieurs articles publiés ces dernières semaines et consacrés à Dominique Strauss-Kahn, notamment celui d’Alain Finkielkraut que j’ai reproduit dans une note le 14 juin dernier.
La question qui fut d’emblée posée à ce sujet est la suivante : « Y aura-t-il un avant et un après DSK ? » Autrement dit, cette affaire a-t-elle modifié les mentalités de façon profonde et durable en raison de son caractère exemplaire ?
Quand on aborde des questions de ce genre, il est très important de circonscrire très précisément de quoi on parle. Ou bien il s’agit de s’interroger sur les effets que l’affaire a eu - fût-ce indirectement au travers des médias - sur l’opinion publique ; ou bien il s’agit de se demander en quoi la même affaire a révélé une réalité jusqu’alors restée cachée. Pour être concret, on peut donner à voir la différence entre ces deux questions en formulant des interrogations qui leur sont secondaires. À la première, on peut rattacher l’idée (défendue précédemment par Finkielkraut) que les médias ont saisi l’occasion que leur offrait cette affaire pour arracher le rideau séparant le privé du public. Dans le cadre de la seconde, on trouve plutôt le sentiment (affirmé par certaines féministes) que le comportement présumé de DSK livre au grand jour un type d’attitude courant chez les hommes de pouvoir. Si l’on méconnaît ce qui distingue les deux types de questions, on ne peut que vivre un débat confus.
Il y a une autre différence qui mérite de séparer les deux approches. Elle tient au fait que la seconde encourage les conjectures hasardeuses sur la réalité des faits, à l’inverse de la première. Et c’est là qu’il importe de bien mesurer ce que peut être un exemple.
Il existe deux sens opposés au mot exemple (2). D’un côté, l’exemple est le constat d’une situation qui illustre une régularité déjà établie ; de l’autre, il est le cas dont on veut précisément tirer une généralité nouvelle. Si l’affaire DSK est présentée par les médias comme l’exemple de quelque chose, ce n’est pas pour illustrer un type de comportement connu et fréquemment constaté, mais plutôt pour y découvrir un exemple d’agissements méconnus et jusqu’alors dissimulés. Tant mieux, pourrait-on se dire. Oui, mais encore faut-il que ces agissements soient réels dans leur généralité. C’est que les médias y vont vite, c’est le moins qu’on puisse dire. Pas de recherche, pas d’étude, pas d’enquête : l’exemple suffit à établir la généralité. Et on ne sait trop alors si l’on parle bien de ce que les femmes ont effectivement à souffrir en bien des occasions, et particulièrement de la violence de certains hommes, ou s’il s’agit plutôt d’imputer aux puissants un vice propre à les accabler au-delà des reproches qu’il serait légitime de leur faire.
C’est dans cette volonté de prouver quelque chose qui dépasse l’exemple que les médias puisent le bon droit qui serait le leur de décortiquer celui-ci. La frontière entre le privé et le public n’existe plus. C’est la cause de toutes les victimes qui est en jeu. Et l’on a ainsi vu l’AFP diffuser le 7 juillet dernier un communiqué, reproduit sur le site du journal Le Monde (3), où il est révélé que « deux employées de l'hôtel de Manhattan ont affirmé à la police qu'elles avaient été invitées, séparément, par Dominique Strauss-Kahn à venir dans sa suite » et qu'« une caméra vidéo a filmé cette même nuit [...] l'ancien directeur général du FMI en train de "monter dans un ascenseur vers 1 h 20 avec une femme qui ne travaillait pas à l'hôtel" ». Ces faits - s’ils sont établis - constitueraient-ils une infraction dans le chef de DSK ? Nullement. Mais comme le disait si bien Alain Finkielkraut, ce n’est plus d’un homme dont on parle, mais d’un symbole. Décidément, le silence a de grandes vertus.
(1) L’émission est diffusée le samedi de 9 h 10 à 10 h sur France Culture.
(2) En ignorant bien sûr le sens de modèle (« prenez exemple » ) et le sens d’avertissement (« que cela vous serve d’exemple »).
(3) Cf. la page Internet suivante : http://abonnes.lemonde.fr/dsk/article/2011/07/08/dsk-avait-invite-deux-employees-du-sofitel-dans-sa-chambre-selon-le-nyt_1546593_1522571.html .
Notes antérieures sur le même sujet :
À propos de la séduction
À propos du journalisme
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