À propos de la séduction
Je m’en voudrais d’alimenter une de ces polémiques dont se nourrit ce qui reste du Paris intellectuel. Ce n’est pas d’elles que nous apprendrons grand-chose. Pourtant, il me plaît de revenir sur le texte d’Alain Finkielkraut que j’ai reproduit dans une note le 14 juin dernier, après qu’Éric Fassin l’ait contredit dans un article (1).
Allons immédiatement à la conclusion de Fassin : « Ne nous appartient-il pas de penser une érotique féministe – non moins désirable, mais plus démocratique ? » demande-t-il ; et, après des considérations sur lesquelles je vais revenir de répondre : « Au lieu d'être nié, ou sublimé, le rapport de pouvoir devient ainsi la matière même de la séduction démocratique. » Il s’agit donc bien que la relation amoureuse soit – elle aussi, ai-je envie de dire – démocratique. Quand donc m’apprendra-t-on à dormir démocratiquement ?
Pour arriver à cette conclusion obligée, Éric Fassin – qui s’oppose résolument aux rappels historiques de la singularité française avancés par Irène Théry, Mona Ozouf, Claude Habib et Philippe Raynaud (2) – use essentiellement de deux arguments, qui me semblent fort n’en faire qu’un. Le premier, c’est d’affirmer qu’un rapport entre genres dans lequel la femme joue de sa position pour fixer à la séduction des règles qui en compliquent et en réjouissent la pratique est exclusif des homosexuels (« Autant dire que les relations de même sexe seraient dépourvues de séduction ! » écrit-il). Le deuxième, c’est que le charme de la relation amoureuse doit beaucoup à l’incertitude et que le comble de l’incertitude est atteint lorsque celle-ci porte même sur le genre de l’autre (« […] dans l'érotique féministe, le trouble dans le genre s'avère… troublant », affirme-t-il).
N’en déplaise à Éric Fassin, comme n’en déplaise à Didier Éribon, ce qui me trouble chez les femmes, c’est qu’elles sont à jamais différentes de moi. Il ne me viendrait jamais à l’idée de reprocher aux homosexuels, de quelque genre qu’ils soient, leur inclination pour le même. J’attends d’eux, c’est bien la moindre des choses, qu’ils ne me contestent pas mes préférences. Autant il importe de s’en solidariser lorsqu’ils sont persécutés ou simplement discriminés, autant je ne pourrai accepter l’idée que leur combat est le paradigme de la lutte contre l’oppression et le modèle des avancées démocratiques.
Mais le plus grave, dans cette affaire, n’est pas là. Le plus grave, c’est qu’Éric Fassin joue la carte des camps. Il s’en prend à Finkielkraut au motif que celui-ci aurait parlé de viol à propos de la vie privée alors qu’il était question de viol pur et simple et que, pour ce faire, il a utilisé des mots (baisers volés) empruntés à Irène Théry, laquelle a participé à rétablir quelques vérités que Joan W. Scott avaient écornées. Finkielkraut, Théry, Ozouf, Habib, Raynaud, ils sont tous du mauvais camp. Et pour qu’on aperçoive bien de quel camp il s’agit, Fassin rajoute perfidement les noms de Bernard-Henri Lévy, Jack Lang, Robert Badinter et Jean-François Kahn. Savent-ils même tous ceux-là qui est Joan W. Scott ? Rien moins que la « figure de proue internationale des études de genre » !
Éric Fassin, dois-je le rappeler, est sociologue. Fait-il état d’études comparatives sur les valeurs et les comportements des Français et des Américains dans le domaine sexuel ? Nous éclaire-t-il sur le puritanisme de ces derniers, non pas celui qui construisit l’Amérique, mais celui qui y règne aujourd’hui ? Apporte-t-il quelques précisions sur la place qu’occupent les études de genre, et sa figure de proue Joan W. Scott, dans l’intelligentsia américaine ? Bref, nous parle-t-il autrement que comme le ferait n’importe quel citoyen soucieux de défendre ses opinions ? Je crains que non.
(1) « L'après-DSK : pour une séduction féministe », publié à la page 21 du journal Le Monde du 30 juin 2011.
(2) Pour bien comprendre de quoi il s'agit, il n'est pas inutile de prendre connaissance d'articles et commentaires parus dans le journal Libération et sur son site les 9, 17 et 22 juin. Voici les liens qui y mènent : http://www.liberation.fr/politiques/01012342214-feminisme-a-la-francaise ; http://www.liberation.fr/politiques/01012343730-feminisme-a-la-francaise-la-parole-est-a-la-defense ; http://www.liberation.fr/societe/01012344782-feminisme-a-la-francaise-ou-neoconservatisme ; http://www.liberation.fr/societe/01012344781-la-reponse-de-joan-scott.
Je les complète d’un lien vers le blog Textes et prétextes. Notes et lectures d’une Bruxelloise de Tania, où celle-ci nous parle du livre de Mona Ozouf Les mots des femmes. Essai sur la singularité française (Fayard, Coll. L’esprit de la cité, 1995) : http://textespretextes.blogs.lalibre.be/archive/2011/06/29/mots-des-femmes.html.
Note antérieure sur le même sujet :
À propos du journalisme
Note postérieure sur le même sujet :
À propos de l'exemplarité
Jean JADIN: "Autant il importe de s’en solidariser lorsqu’ils sont persécutés ou simplement discriminés, autant je ne pourrai accepter l’idée que leur combat est le paradigme de la lutte contre l’oppression et le modèle des avancées démocratiques."
RépondreSupprimerExactement. Ce courant quasi autoritaire des gender studies (je ne dis pas que tout les gender studies le sont) dans le champ des sciences humaines et sociales ne propose pas mais impose à grand coup de moraline une norme (pour lutter contre... l'"hétéronormativité", j'adore ce mot...) pour les interactions hommes-femmes qui par ailleurs stigmatise (quand elle ne criminalise pas tout bonnement) toute rapport éventuel de séduction comme tentative de domination masculine. Evidemment cela ne fonctionne pas dans l'autre sens...
Jean JADIN: "Apporte-t-il quelques précisions sur la place qu’occupent les études de genre, et sa figure de proue Joan W. Scott, dans l’intelligentsia américaine ? Bref, nous parle-t-il autrement que comme le ferait n’importe quel citoyen soucieux de défendre ses opinions ? Je crains que non."
Constat que j'avais établi de mon petit côté après quelques lectures des papes et papesses de ce courant des "gender studies", et qui finit de me convaincre que ses avatars postmodernes sont bien plus dans le militantisme que dans un paradigme académique, qui pourtant est requis par leur statut de sociologues ou anthropologues...
Je connais très mal les gender studies ; elles ne m’ont jusqu’à présent guère attiré. Pour le peu que j’en sais, elles ne sont d’ailleurs pas homogènes ; on y trouve sans doute du bon et du moins bon. J’ignore donc s’il convient de généraliser les critiques que je me suis permis de formuler à l’égard de certains homosexuels (ceux qui idéalisent le juste combat qu’ils ont dû livrer pour échapper un peu à l’opprobre général). Vous avez raison de préciser que, chez ceux-là, il y a du militantisme, c’est-à-dire un état d’esprit peu compatible avec les exigences méthodologiques de la recherche.
RépondreSupprimerIl est vrai que de prime abord mon premier commentaire du passage de votre note que j'ai cité peut apparaitre comme une extrapolation abusive. Mais il y a bien un lien entre militantisme (homo) antihéteronorme et gender studies: tous deux -du moins façon Fassin pour le premier et Butler-Scott aux US pour le second- considèrent que l'homme hétérosexuel impose nécessairement sa domination masculine et l'autorité de son statut social, s'il en a un, dans toute interaction homme-femme... La femme est nécessairement victime, et l'homme nécessairement virilo-machiste ect...
RépondreSupprimerC'est ce viatique, pas forcémment apparent et ces présupposés, que je voulais passer au crible d'une rapide théorie critique inversée (ce que les tenants de la sociologie critique seraient mal venus de nous reprocher..)
Affirmer que « l’homme hétérosexuel impose nécessairement [c’est moi qui souligne] sa domination masculine et l’autorité de son statut social » n’est pas nécessairement faux. Croire que les homosexuels sont nécessairement innocents de ce type de domination est probablement assez naïf.
RépondreSupprimerJe m’en prenais personnellement à ceux qui imaginent aisément que le combat qu’ils mènent – fût-ce pour de très bonnes raisons – les exonèrent définitivement des torts qu’ils dénoncent et représente la pointe avancée d’une lutte générale et finale, émancipatrice de toutes les dominations.