jeudi 10 novembre 2011

Note d’opinion : la parrhèsia

À propos de la parrhèsia

L’intérêt des commentaires formulés sur un blog, c’est d’ouvrir le débat. Ce n’est guère aisé, ni pour le commentateur, ni pour l’auteur commenté. Car le débat, si l’on en attend beaucoup, est malaisé ; je vais m’efforcer d’expliquer pourquoi. Il est malaisé, mais souhaitable. Ce qui force à affronter la difficulté et, par conséquent, à la cerner le mieux possible.

Au bas d’une note du présent blog du 4 avril 2010 consacrée à un livre de Pierre Verdrager, un lecteur anonyme a placé plusieurs commentaires - au moins deux sont de sa plume, sans nul doute possible, celui du 6 novembre 2011 à 11 h 56 et celui du 7 novembre 2011 à 19 h 5 -, des commentaires qui m’ont décidé à rédiger la présente note.

La censure, l’anonymat, la violence, la raison, le politique, tout cela a été évoqué dans les échanges cités d’une façon qui place en leur centre la question du débat et de la sincérité dans le débat, question que j’identifie comme étant en rapport étroit avec celle de la parrhèsia. Le mot donne lieu à plusieurs définitions et il a été utilisé dans des sens assez différents, notamment par des hommes eux-mêmes aussi différents que Jean-Paul II et Michel Foucault. Convenons que je l’emploie dans son sens de franc-parler.

Le débat parrhèsiastique

Il y a de cela environ cinq ans, au cours d’un débat entre amis précisément consacré à l’art du débat entre amis, un de ceux-ci - que je ne nommerai que par son prénom : Stéphane - avait souhaité préciser en ces termes ce que selon lui la parrhèsia est et n’est pas :
« La parrhèsia n’est pas l’expression du n’importe quoi parce que j’ai envie de le dire, même si c’est injuste. La parrhèsia n’est pas la réclamation du consommateur jamais satisfait. La parrhèsia n’est pas : “j’ai le droit d’être impoli et de revendiquer n’importe quoi à n’importe quelle heure”. On ne peut rien construire avec ce type de franchise mal placée. Si je me trompe, tant pis ; au moins c’est de bonne foi.
Pour moi, la
parrhèsia est la parole libre d’hommes raisonnables et droits ; la parrhèsia est le panache d’hommes qui s’engagent et s’exposent ; la parrhèsia est une technique exigeante qui demande un apprentissage long et difficile et relève d’une véritable maîtrise. » Et Stéphane en concluait que, le franc-parler de Diogène de Sinope (1) étant celui d’un solitaire, il valait mieux en pratiquer un autre, plus propice au débat. « Car les cyniques, disait-il, font voler en éclats toutes les divisions qui nous structurent et nous rassurent : le noble et le vulgaire, le public et le privé, le terrestre et le divin, et surtout l’ami et l’ennemi. »

Nous voici au cœur du problème : comment pratiquer le franc-parler ? Plus précisément : à quel fin user du franc-parler et, une fois la fin précisée, comment le pratiquer ? Car il ne s’agit pas de nier que Diogène inventa une forme de parrhèsia, du moins si on se rapporte à ce qu’on nous en a dit. Ni que son franc-parler fut d’une radicalité exemplaire. Mais ce franc-parler est aussi celui d’un homme qui désespérait de ses semblables, sauf à les renvoyer à leur animalité (2). Si l’on veut encore miser sur la sociabilité de l’homme, il faut se tourner, comme le suggère Stéphane, vers une autre forme de Parrhèsia. Laquelle ?

Lors du débat déjà évoqué, Stéphane avait cité Montaigne, plus particulièrement certains des propos qu’il tient dans le chapitre VIII du Livre III des Essais, « L’art de conférer », tels ceux-ci :
« Quand on me contrarie, on esveille mon attention, non pas ma cholère : je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit. La cause de la vérité devrait être la cause commune de l’un et de l’autre : Que respondra-t-il ? la passion du courroux lui a déjà frappé le jugement : le trouble s’en est saisi, avant la raison. Il serait utile qu’on passa par gageure la décision de nos disputes : qu’il y eut une marque matérielle de nos pertes : afin que nous en tinssions état et que mon valet me put dire : il vous en coûta l’année passée cent écus, à vingt fois, d’avoir été ignorant et opiniâtre. » (3)
Ou ceux-ci :
« J’entre en conference et en dispute, avec grande liberté et facilité : d’autant que l’opinion trouve en moi le terrein mal propre à y penetrer, et y pousser de hautes racines : Nulles propositions m’estonnent, nulle creance me blesse, quelque contrarieté qu’elle aye à la mienne. » (4)
Ou encore ceux-ci :
« Je me sens bien plus fier, de la victoire que je gaigne sur moy, quand en l’ardeur mesme du combat, je me faits plier soubs la force de la raison de mon adversaire : que je ne me sens gré, de la victoire que je gaigne sur luy, par sa foiblesse » (5)
Et ce ne sont là que quelques-unes des voies que Montaigne nous suggère d’emprunter pour se mesurer à l’art de débattre. Comme on le voit, l’affaire n’est pas simple, parce que, si elle postule la vérité (6), elle réclame davantage encore, à savoir une forme que l’énoncé de cette vérité doit prendre afin de rendre le débat possible. « Autant peut faire le sot, nous dit Montaigne celuy qui dit vray, que celuy qui dit faux : car nous sommes sur la manière, non sur la matiere du dire. » (7)

Approche théorique du débat parrhèsiastique

L’enjeu de l’aspect formel du débat, c’est de permettre à ceux qui y participent de tous progresser dans leur propre recherche du vrai. Il ne s’agit donc en aucun cas de faire triompher une cause ou un parti, moins encore de convaincre à tout prix, mais plus simplement de s’inscrire dans une démarche qui vise à améliorer les capacités de chacun à démêler le vrai du faux. Ce qui est visé, c’est la vertu heuristique du débat. C’est à cela que concourt le franc-parler. « J’ayme entre les galans hommes, nous dit Montaigne, qu’on s’exprime courageusement : que les mots aillent où va la pensée. » (8) Pour l’occasion, il faut être « galans hommes ».

À cet égard, Montaigne ne nous est pas seulement utile lorsqu’il évoque l’art de conférer, mais aussi - entre autres - lorsqu’il explique ce que c’est que ne « dire qu’à demy » (9). Dans le chapitre IX du Livre III des Essais, « De la vanité », là où il parle de sa façon d’écrire, il précise :
« Par ce que la coupure si frequente des chapitres, dequoy j'usoy au commencement, m'a semblé rompre l'attention, avant qu'elle soit née et la dissoudre : dedaignant s'y coucher pour si peu, et se recueillir : je me suis mis à les faire plus longs : qui requierent de la proposition et du loisir assigné. En telle occupation, à qui on ne veut donner une seule heure, on ne veut rien donner. Et ne fait on rien pour celuy, pour qui on ne fait, qu'autre chose faisant. Joint, qu'à l'adventure ay-je quelque obligation particuliere, à ne dire qu'à demy, à dire confusement, à dire discordamment. » (10)
Qu’est-ce donc que cette idée de « ne dire qu’à demy » ? Bien mieux encore : « à dire confusement, à dire discordamment » ? C’est que, pour être bien entendu, il faut contraindre l’autre à un effort personnel de complément, de correction ou d’adaptation. L’autre demi est à combler par cet autre, d’une façon qui, d’ailleurs, doit permettre au premier locuteur de compléter, de corriger ou d’adapter la deuxième moitié qu’il a tue. Dans le chapitre XIII du même Livre III, « De l’expérience », Montaigne est davantage explicite à cet égard :
« Ce n'est rien que foiblesse particuliere, qui nous faict contenter de ce que d'autres, ou que nous-mesmes avous trouvé en cette chasse de cognoissance : un plus habile ne s'en contentera pas. Il y a tousjours place pour un suivant, ouy et pour nous mesmes, et route par ailleurs. […] Ce que declaroit assez Apollo, parlant tousjours à nous doublement, obscurement et obliquement : ne nous repaissant pas, mais nous amusant et embesongnant. C'est un mouvement irregulier, perpetuel, sans patron et sans but. Ses inventions s'eschauffent, se suivent, et s'entreproduisent l'une l'autre. » (11)
Pour débattre, il faut laisser à l’autre de quoi débattre.

Mais, on l’aura compris, cette façon de débattre se trouve à l’opposé de celle qui n’a d’autre objectif que de déterminer qui vainc et qui succombe dans un débat, peu importe la sincérité, la connaissance, la vérité, lesquelles sont de fait ainsi négligées. Ce genre de joute, qui est toujours liée à des questions de pouvoir, se cantonne d’autant plus facilement à ce classement des performances personnelles qu’elle se donne l’allure de chercher néanmoins la sincérité, la connaissance, la vérité. Celui qui se risquerait, dans un débat où il faut vaincre, à « ne dire qu’à demy », celui-là serait sûr de succomber.

Il y a donc débat et débat. Souhaiter débattre pour rencontrer la contradiction, pour progresser dans ses propres idées, pour ne se soucier que de vérité, pour abandonner toute autre ambition que de maîtriser son propre esprit, voilà qui s’écarte radicalement de tout débat commun. Et si le débat parrhèsiastique promet d’être fécond, c’est parce que la solitude et le loisir ne sont guère propices à l’exercice de la raison. Montaigne lui-même en a fait l’expérience :
« Dernierement que je me retiray chez moy, deliberé autant que je pourroy, ne me mesler d'autre chose, que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie : il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oysiveté, s'entretenir soy-mesmes, et s'arrester et rasseoir en soy : Ce que j'esperois qu'il peust meshuy faire plus aysément, devenu avec le temps, plus poisant, et plus meur : Mais je trouve, […] qu'au rebours faisant le cheval eschappé, il se donne cent fois plus de carriere à soy-mesmes, qu'il ne prenoit pour autruy : et m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre, et sans propos, que pour en contempler à mon ayse l'ineptie et l'estrangeté, j'ay commencé de les mettre en rolle : esperant avec le temps, luy en faire honte à luy mesmes. » 

Les lumières - si tant est qu’elles soient accessibles - ne sont pas uniquement à espérer du côté de ce type de débat, fondé sur le franc-parler. Le rapport de maître à élève peut aussi avoir ses vertus. Qu’est-ce donc, sinon ce genre de rapport, dont use Diogène dans l’anecdote du saperde (12) ?
« Quelqu’un désirait philosopher avec lui. Diogène lui donna un saperde et lui demanda de le suivre. L’autre, pris de honte, jeta le saperde et s’éloigna. À quelque temps de là, Diogène le rencontra et lui dit en riant : "L’amitié que nous avions l’un pour l’autre, un saperde l’a rompue". » (13)
La leçon est rude, mais elle peut être profitable. Le problème tient au nombre de gens qui se prennent facilement pour Diogène, sans qu’ils aient ce qui fait un maître.

Approche pratique du débat parrhèsiastique

La théorie du débat parrhèsiastique esquissée ci-dessus est certes intéressante, mais elle a aussi tout l’air d’une de ces utopies vertueuses qui contient sa vertu dans son inaptitude à quelque mise en pratique que ce soit. Les interminables digressions que l’on doit à Michel Foucault sur la parrhèsia (14) ont la saveur de cette bien-pensance propre au milieu politico-intellectuel auquel appartenait la majorité de ses adeptes, mais elles voguent dans un ciel antique d’autant plus stratosphérique qu’elles n’ouvrent aucune perspective autre que celle d’un relèvement moral personnel. Or, si l’on s’en rapporte à l’usage de la parrhèsia dans le cadre du débat et si l’on s’inspire de ce que Montaigne nous dit sur la meilleure façon de « frotter et limer sa cervelle contre celle d’aultruy » (15), on doit bien admettre que l’ambition n’est pas morale, n’est pas prioritairement morale en tout cas. Elle est d’abord et avant tout heuristique. Morale, ludique, amicale peut-être, mais dans une bien moindre mesure.

C’est donc d’une méthode qu’il est question. Et il s’agit de s’interroger sur sa praticabilité et sur sa fécondité. J’ignore si le débat parrhésiastique est possible, autrement que l’espace d’un moment de grâce. On peut en douter parce que son organisation pratique, tout comme sa pérennité, sont fragiles.

Tout le monde n’est pas apte à y participer, non seulement parce qu’il faut sans doute disposer d’un bagage intellectuel et culturel minimal, plus ou moins commun aux participants, mais aussi parce qu’il faut renoncer à ses intérêts personnels, l’intérêt pour la compréhension des choses excepté. Il est également indispensable d’accepter de présenter ses opinions dans ce qu’elles ont de vulnérable, sans arguments tactiques surajoutés, autrement dit à l’écart de tout esprit partisan. Et il convient encore de supporter la violence objective que représente une mise en cause radicale des idées que l’on avance. Tout cela sont autant de conditions qui peuvent aisément manquer, même dans le chef de ceux qui avaient au départ sincèrement enfourchés la démarche parrhésiastique.

Personnellement, je doute aussi de la pérennité de la méthode pour une autre raison. Je suis enclin à croire que la pensée réflexive réclame, pour se déployer, de s’interdire tout projet d’action. Max Weber a clairement montré combien la recherche scientifique était peu compatible avec l’action politique (16). Plus généralement, n’en va-t-il pas de même de la compatibilité entre la réflexion et l’action ? Or, le débat est une forme d’action, ne serait-ce qu’au niveau de sa mise en œuvre, ce qui représente déjà un péril quant au respect de la méthode parrhésiastique. De façon très concrète, les enjeux de la vie commune peuvent aisément, à l’occasion des aspects opératoires du débat, s’y insinuer de telle sorte que la parrhèsia y devienne davantage un vœu qu’une pratique. Cette contamination insidieuse peut toucher tout le monde, même les plus enthousiastes. Je pense ici à ces merveilleuses phrases de Descartes qui clôturent la Première méditation et où il cherche à conjurer ce penchant peu conscient qui le détournerait de suspendre son jugement : « [...] ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse m’entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu’un esclave qui jouissait dans le sommeil d’une liberté imaginaire, lorsqu’il commence à soupçonner que sa liberté n’est qu’un songe, craint d’être réveillé, et conspire avec ces illusions agréables pour en être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions, et j’appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui succéderaient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m’apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir les ténèbres des difficultés qui viennent d’être agitées. » (17) Ainsi, ce que la vie ordinaire a d’étranger à la posture parrhésiastique peut-il insensiblement réinvestir le débat et le faire insensiblement basculer vers un débat ordinaire.

La contenance parrhèsiastique

Au-delà de ces difficultés, au-delà de ce que le débat parrhèsiastique peut avoir d’utopique, de naïvement volontariste, il s’en dégage un état d’esprit qui peut justifier une certaine contenance, une certaine manière d’être, voulue, précise, une façon de dire et d’écouter placée sous surveillance.

Cette contenance n’est évidemment pas constante, heureusement. Mais sa nature même lui permet de dicter quand elle doit être mise à l’épreuve. Elle devra alors son éventuelle efficacité à la rencontre de ce que révèle la théorie de la parrhèsia et les enseignements pratiques du débat parrhèsiastique, fusse celui-ci voué à avorter.

Ce qui distingue cette contenance du débat parrhèsiastique, c’est qu’elle peut être unilatérale et faire varier ses exigences au gré de la réceptivité des interlocuteurs. La complicité n’est plus requise et, lorsqu’elle survient spontanément, elle a alors le charme de ce qu’on peut appeler une communauté d’esprit.

Il y a peut-être un peu de cette contenance, au moins à l’occasion, dans mes notes et mes commentaires sur le présent blog. Et c’est peut-être ce qui a poussé certains commentateurs à y voir tantôt du formalisme, tantôt du fatalisme. Peut-être. Oui, peut-être y a-t-il réellement, dans cette contenance, quelque chose qui favorise le formalisme et le fatalisme. C’est bien possible. En tout état de cause, nous sommes loin, le commentateur anonyme du 4 avril 2010 et moi, d’être d’accord sur tout (et je m’en réjouis) : je suis personnellement réticent à l’intrusion des sentiments dans le débat d’idées, tout autant qu’à celle de l’outrance ou de la déraison. J’entends bien qu'il ne les recommande pas en ces circonstances, mais qu’il en rappelle la force et l’omniprésence. Mais voilà précisément pour moi ce qui réclame de placer la contenance sous surveillance.

Il n’y a guère d’intérêt à parler de soi. J’y vois même un danger. Aussi vais-je m’arrêter là sans avoir la certitude d’avoir ainsi répondu aux commentaires évoqués. Peut-être même était-ce déjà trop d’expliquer cette conception de la parrhèsia qui a des allures de bonnes manières. Comme toutes les méthodes, l’appliquer vaut souvent mieux qu’en discourir.

(1) Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Librairie générale française, La Pochothèque, p. 736 (VI 69).
(2) Cioran, qui doit beaucoup à Diogène, donne un exemple de ce à quoi conduit quelquefois la radicalité lorsqu’il dit ceci : « J’ai toujours pensé que Diogène avait subi, dans sa jeunesse, quelque déconvenue amoureuse : on ne s’engage pas dans la voie du ricanement sans le concours d’une maladie vénérienne ou d’une boniche intraitable. » (Syllogismes de l’amertume, Gallimard, 1952, p. 37.) Que puissent exister des personnalités aptes à pratiquer avec talent un franc-parler brutal de cette sorte, tel Karl Kraus par exemple, c’est bien possible. Mais l’impact - certes intéressant - de semblable parole à un prix : elle muselle le débat. Il faut que celui qui la pratique soit certain de la vérité de ce qu’il prétend exprimer, fût-ce par le biais d’un mensonge ou d’une galéjade.
(3) Montaigne, Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, p. 968.
(4) Montaigne, op. cit., p. 967.
(5) Montaigne, op. cit., p. 969.
(6) Une distinction importante s’impose ici, celle qui sépare deux sens du mot vérité. Il y a d’abord la vérité qui n’est que l’absence de mensonge. C’est d’elle dont je parle, c’est d’elle qu’il est le plus souvent question lorsqu’on use du concept de parrhèsia. Puis, il y a la vérité telle qu’elle se déprend du faux, de l’erreur, une vérité bien distincte de la sincérité (je peux sincèrement dire quelque chose de faux), une vérité objective (si je puis dire…). Dans le débat, la première favorise l’émergence de la seconde ; du moins, on peut l’espérer.
(7) Montaigne, op. cit., p. 973.
(8) Montaigne, op. cit., p. 968.
(9) Sur cette question, je renvoie à Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour l’esprit, PUF, « Philosophie d’aujourd’hui », 2007. Je vais reproduire là des extraits de Montaigne que j’ai déjà cités ailleurs.
(10) Montaigne, op. cit., p. 1042.
(11) Montaigne, op. cit., pp. 1114-1115.
(12) Le saperde était un poisson salé, sans doute commun et bon marché.
(13) Diogène Laërce, op. cit., p. 715 (VI, 36).
(14) Voir Michel Foucault, Le gouvernement de soi et des autres I et II : le courage de la vérité, Gallimard, 2008 et 2009.
(15) Montaigne, op. cit., p. 158.
(16) Voir notamment Max Weber, Le savant et le politique, Plon, 1959
(17) René Descartes, « Méditations touchant la première philosophie dans lesquelles l’existence de Dieu et la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme sont démontrées » in « Œuvres et Lettres, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1953, pp. 272-273.

Autres notes sur des thèmes proches :
Montaigne. Des règles pour l’esprit de Bernard Sève
À propos de Diogène de Sinope

2 commentaires:

  1. Bonjour Jean,
    Voici quelques jours déjà que j'ai lu ta note d'opinion sur la parrhesia et les commentaires, avant d'enfin identifier précisément ce qui me pose question.
    La parrhesia, écris-tu, est cette démarche qui vise à améliorer les capacités de chacun à démêler le vrai du faux. Tu poursuis en indiquant que tout le monde n'est pas apte à y participer, parce qu'il faut sans doute posséder un certain bagage intellectuel et culturel, mais aussi renoncer à ses intérêts personnels.
    Tu l'auras compris, c'est sur cette opposition du "chacun vs pas tout le monde" que j'ai du mal à te suivre. 
    N'es-tu pas prétentieux de réserver une démarche qui vise à améliorer les capacités de chacun aux mieux nantis (déjà pourvus d'un certain bagage) ? As-tu renoncé à convaincre les "moins capables" de démêler le vrai du faux, à combattre leurs lacunes et leur désintérêt ? Poursuis-tu le vrai en excluant du débat celles ou ceux qui sont tout à fait sincères (qui ne cherchent pas à tromper, qui n'emploient pas d'arguments fallacieux, qui n'ont pas de visées personnelles) mais ont le tort de ne s'exprimer qu'à hauteur de leurs connaissances ? Comment définirais-tu d'ailleurs la hauteur minimale requise pour débattre en toute franchise ? Conçois-tu l'élitisme autrement qu'un encouragement à toujours chercher à donner le meilleur de soi-même ?
    Amicalement,
    Sophie.

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  2. Chère Sophie,
    Cela me fait bien plaisir que tu m’interroges au sujet de ce que j’ai écrit à propos de la parrhèsia. Voilà une chance qui m’est offerte de tenter de dissiper l’un ou l’autre malentendu. 
    J’incline à croire que l’égalité pâtit beaucoup de l’égalitarisme. Prétendre qu’il faille en toute occasion mettre à égalité ceux qui ne sont pas égaux est souvent le meilleur moyen pour creuser les inégalités. Et refuser de voir des différences pour mieux affirmer l’égalité de tous participe évidemment du même travers. Il est curieux que, en sport, nul ne doutera de la nécessité de faire jouer entre eux des compétiteurs de forces sensiblement égales, alors que la même précaution dans le domaine des échanges intellectuels prend immédiatement des allures de prétention élitiste. Imaginons une discussion sur les nouveautés en mathématiques : serait-il absurde ne n'y convier que ceux qui disposent de connaissances d'un certain niveau en mathématiques ?
    Loin de moi l’idée qu’il faille établir quelque barrière que ce soit pour échanger des idées ou pour croiser des opinions. La parrhèsia n’est assurément pas recommandée pour des échanges quelconques. Mais dès lors que des amis veulent tenter un exercice périlleux de franchise visant à donner à chacun une chance de mieux maîtriser sa propre pensée, ce serait condamner d’avance la tentative que de mettre en présence des amis inaptes à l’exercice. Ce n’est pas qu’une question de bagage intellectuel et culturel, loin s’en faut. Mais des différences trop prononcées à cet égard aboutiraient - il faut en convenir - à des inégalités de moyens nuisibles au débat parrhèsiastique. Cela ne signifie pas que l’exercice doit être réservé « aux mieux nantis », mais bien plutôt qu’il conviendrait que, sur ce plan intellectuel et culturel, de trop grands écarts soient évités. Quelle est la bonne mesure de cet écart ? J’avoue n’en trop rien savoir, faute d’expérience. Comment trier les participants sur la base de cette exigence ? Je le sais bien moins encore. 
    Cela dit, la plus grande difficulté ne vient pas de cette exigence d’égalité relative au niveau du bagage intellectuel et culturel. Elle vient plutôt de cette nécessité de renoncer à ses appartenances, à ses adhésions, à ses convictions partisanes. Là se trouve l’obstacle majeur à une forme d’exercice dont il reste à démontrer qu’elle soit possible. 
    Ce qui me paraît faisable, c’est - à l’occasion - d’en adopter l’esprit, fût-ce unilatéralement. C’est ce que j’ai appelé la contenance parrhèsiastique
    La hantise de l’élitisme - qui trouve sa source dans des formes d’élitisme détestables (naissance, richesse, cuistrerie, etc.) - conduit aujourd’hui bien des gens à refuser de voir la réalité et d’admettre notamment des différences dont il est indispensable qu’elles soient prises en compte si l’on espère des améliorations pour tous. L’enseignement d’aujourd’hui - qui refuse les classements, les échecs, les différences de capacité - en souffre énormément.
    Amicalement.

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