À propos de la fin de vie
Ce 10 mars commence à l’Assemblée nationale française le débat relatif à un nouveau projet de loi sur la fin de vie. À cette occasion, cinq responsables importants des religions catholique, protestante, orthodoxe, juive et musulmane ont publié dans le journal Le Monde un texte commun intitulé “L’interdit de tuer doit être préservé” (1).
Ce texte comprend six paragraphes.
Le premier affirme que les questions qu’aborde le projet de loi réclament « un débat serein, démocratique et respectueux de la personne humaine et de sa dignité ». Or, les crises politique, économique, financière et morale actuelles n’y préparent pas. Sous-entendu : le débat devrait être reporté. Le deuxième rappelle que la loi de 2005 avait été votée à l’unanimité, ce qui ne fut obtenu que parce qu’elle ne portait pas atteinte au principe du « caractère inviolable de la vie humaine », et évoque l’abondance des condamnations de l’euthanasie. Sous-entendu : notre opinion est très majoritaire. Le troisième établit un lien entre un projet acceptable et son caractère civilisateur ; faute de quoi « la moindre équivoque en ce domaine générera, à terme, la mort d’innombrables personnes sans défense ». Sous-entendu : l’euthanasie est assassine. Le quatrième - le plus remarquable - dénonce un jeu de mots : le projet présenterait une sédation qui provoque la mort comme une sédation qui soulage. « La démocratie elle-même ne peut que souffrir de la manipulation de concepts aussi sensibles ». Sous-entendu : ceux qui proposent une nouvelle loi sont hypocrites. Le cinquième - le plus idéologique - fait écho, sans le dire, à l’idée que c’est Dieu qui a donné la vie et que c’est donc à Lui de la reprendre. Mais elle accorde à cette loi divine une valeur humaine : « C’est au regard porté sur ses membres les plus fragiles qu’on mesure le degré d’humanisation d’une société. » Sous-entendu : c’est notre point de vue qui exprime la vraie compassion. Le dernier se décerne un certificat de hauteur morale, puisque ce qui est visé n’est rien d’autre que « la grandeur de la médecine, l’esprit de la civilisation, et notre plus grande humanité ».
Je ne souhaite pas discuter des propositions de loi faites en ce domaine, ni même des lois déjà adoptées, pas plus la française du 12 avril 2005 que la belge du 28 mai 2002. La difficulté à légiférer sur cette question est selon moi incommensurable, principalement parce qu’elle porte sur des contextes où les rapports entre deux ou quelques personnes atteignent un degré à ce point dramatique que les règles sociales n’y sont plus d’aucun secours. En pareilles circonstances, la conscience de chacun est seule et ne peut se réfugier dans un principe ou une règle que pour fuir ses propres responsabilités. Il est affreusement lourd de rendre la vie d’un autre dépendante de l’accueil que l’on réserve à sa demande d’en finir et davantage encore d’une décision que l’on doit prendre sans son assentiment ; c’est pourtant quelquefois la seule manière de faire preuve de compassion.
Par contre, je ne peux que m’insurger contre la raideur avec laquelle les religions monothéistes prétendent dicter à tous un comportement qui ne peut selon moi s’assimiler qu’à de la non-assistance à personne en danger. Heureusement, nombre de leurs fidèles, lorsqu’ils sont confrontés à la souffrance définitive et inutile, trouvent en eux-mêmes les ressources propres à agir avec bonté.
Les reproches que les signataires du texte adressent à ceux qui proposent - peut-être assez vainement et assez maladroitement - une nouvelle solution légale sont bien mal fondés. Car enfin, l’histoire des religions monothéistes exhibent tant et tant de circonstances au cours desquelles l’exception au principe proclamé a prévalu que la décence devrait les inciter au silence.
J’ai sur la question de la fin de vie une opinion que je ne souhaite imposer à personne. Que puisse m’être reconnu le droit de l’avoir sans que je sois assimilé à un assassin potentiel ou simplement à un sans-cœur est-il trop demander ? Personnellement, je ne conteste pas aux religions le droit de donner des consignes à leurs fidèles.
Quant à imaginer que les circonstances dont il est question dans pareil débat soient propices à susciter des meurtres déguisés, je n’ose croire que certains s’en inquiètent sérieusement. Dès lors que le problème est de conscience, et rien que de conscience, il ne peut être exclu que certains jugent mal ; d’ailleurs, qui peut alors croire bien juger ? Mais dès lors que la règle est hors de propos - ce que je crois -, s’y plier est sans doute courir le risque de bien plus mal juger encore.
Il y a une question tout autre que je me pose et dont je n’ai pas la réponse. Comment s’explique, au sein des religions monothéistes, cette convergence vers une opinion aussi absolue, aussi catégorique, à propos de circonstances aussi affligeantes, alors même que le respect de la vie perd quelquefois ces caractères lorsqu’il est question de combattre ou de punir ? J’entrevois des pistes explicatives, mais aucune n’est totalement convaincante.
(1) Le Monde du mardi 10 mars 2015, p. 14. Le texte est signé Philippe Barbarin, cardinal, archevêque de Lyon, François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, Emmanuel Adamakis, métropolite de France et président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, Haïm Korsia, grand rabbin de France, et Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France et président d’honneur du Conseil français du culte musulman.
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