La démocratie contre les experts
de Paulin Ismard
Flaubert n’aimait pas la démocratie. Dans une lettre qu’il adressa à George Sand le 30 avril 1871 - alors que Paris en insurrection avait proclamé la Commune -, il écrivait ceci :
« Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité.
La Commune réhabilite les assassins, tout comme Jésus pardonnait aux larrons, et on pille les hôtels des riches, parce qu’on a appris à maudire Lazare, qui était, non pas un mauvais riche, mais simplement un riche (1). “La République est au-dessus de toute discussion” équivaut à cette croyance : “Le pape est infaillible !” Toujours des formules ! toujours des dieux !
L’avant-dernier dieu, qui était le suffrage universel, vient de faire à ses adeptes une farce terrible en nommant “les assassins de Versailles”. À quoi faut-il donc croire ? À rien ! c’est le commencement de la sagesse. Il était temps de se défaire “des principes” et d’entrer dans la science, dans l’examen. La seule chose raisonnable (j’en reviens toujours là), c’est un gouvernement de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose et même qu’ils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé, mais il importe infiniment que beaucoup d’hommes comme Renan ou Littré puissent vivre et soient écoutés ! Notre salut n’est maintenant que dans une aristocratie légitime, j’entends par là une majorité qui se composera d’autre chose que de chiffres. » (2)
Il le dit assez : il ne croit en rien. Pourtant, il a bien en tête une solution pour résoudre la question politique, « un gouvernement de mandarins ». Bertrand Russel pensait pour sa part que la méthode scientifique et la démocratie allaient de pair, ce qui n’est pas une idée tellement éloignée de celle de Flaubert (3). Cette illusion ne vaut-elle pas celle qui consiste à faire confiance au peuple ?
En supposant que l’on puisse fixer les critères de ce que l’on appelle de nos jours une bonne gouvernance, convient-il pour y parvenir de s’en remettre aux voeux du peuple (pour autant qu’il existe une méthode qui en permette l’expression véritable), ou bien faut-il soumettre les décisions à l’avis des savants, des experts comme on dit aujourd’hui ? Et que signifie une démocratie qui préfère l’avis des experts à celui du peuple ?
Si l’on veut en savoir davantage sur cette question, il est fort utile de prendre de la distance et de se pencher sur la façon dont elle a été discutée et mise en application dans un passé lointain. C’est ce que l’on peut faire en lisant le dernier ouvrage de Paulin Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne (4).
Dans le très intéressant chapitre IV de ce livre, un chapitre dont l’épigraphe est précisément la citation de Flaubert (à peine raccourcie) par laquelle j’ai commencé ma note, Ismard ne manque pas de rappeler la discussion qui met aux prises l’un des plus célèbres sophistes et Socrate dans le Protagoras de Platon. Cela commence par un mythe que raconte Protagoras et dont voici l’épilogue :
« […] les hommes , au début, vivaient dispersés : il n’y avait pas de cités ; ils étaient en conséquence détruits par les bêtes sauvages, du fait que, de toute manière, ils étaient plus faibles qu’elles ; et, si le travail de leurs arts leur était d’un secours suffisant pour assurer leur entretien, il ne leur donnait pas le moyen de faire la guerre aux animaux ; car il ne possédait pas encore l’art politique, dont l’art de la guerre est une partie. Aussi cherchaient-ils à se grouper, et, en fondant des cités, à assurer leur salut. Mais, quand ils se furent groupés, ils commettaient des injustices les uns à l’égard des autres, précisément faute de posséder l’art d’administrer les cités ; si bien que, se répandant à nouveau de tous côtés, ils étaient anéantis. C’est alors que Zeus, craignant pour la disparition totale de notre espèce, envoie Hermès porter aux hommes le sentiment de l’honneur et celui du droit, afin que ces sentiments fussent la parure des cités et le lien par lequel s’unissent les amitiés. Sur ce, Hermès demande à Zeus de quelle manière enfin il donnera aux hommes ce sentiment du droit et de l’honneur : “Faut-il que, cela aussi, j’en fasse entre eux la distribution de la même façon qu’ont été distribuées les disciplines spéciales ? Or, voici comment la distribution s’en est faite : un seul individu, qui est un spécialiste de la médecine, c’est assez pour un grand nombre d’individus étrangers à cette spécialité ; de même pour les autres professions. Eh bien ! le sentiment du droit et celui de l’honneur, faut-il que je les établisse de cette façon dans l’humanité ? ou faut-il que je les distribue indistinctement à tous ? - À tous indistinctement, répondit Zeus, et qu’ils soient tous au nombre de ceux qui participent à ces sentiments ! Il n’y aurait pas en effet de cités, si un petit nombre d’hommes, comme c’est par ailleurs le cas avec les disciplines spéciales, participait à ces sentiments. De plus, institue même, en mon nom, une loi aux termes de laquelle il faut mettre à mort, comme s’il constituait pour le corps social une maladie, celui qui n’est pas capable de participer au sentiment de l’honneur et à celui du droit. » (5)
« […] le récit de Protagoras offre ainsi une assise légendaire à une valeur cardinale de l’idéologie démocratique athénienne, l’isonomia (le “partage égal” des charges politiques) » (p. 149), en conclut Paulin Ismard. Et il ajoute :
« L’enseignement de la vertu répond ainsi, selon Protagoras, à des conditions en tout point différentes de celles qui président aux technai [savoirs instrumentaux : NDR] du monde artisanal. Alors que ces dernières nécessitent le savoir d’un maître qui inculque à ses disciples les rouages d’une maîtrise, l’enseignement de la vertu se réalise “d’une manière diffuse et répétée à tous les niveaux possibles de la vie d’un homme (*1)”. Tandis que l’acquisition des dêmiourgikai technai [savoirs des esclaves publics ; NDR] procède de la transmission verticale d’un savoir établi une fois pour toutes, l’apprentissage de la vertu résulte au contraire d’une circulation horizontale, entre égaux, se déployant tout au long de l’existence. L’apprentissage du langage sert de modèle à Protagoras pour penser cette étrange compétence qui peut se dispenser d’un maître : “C’est comme si tu cherchais le maître qui nous a enseigné à parler le grec ; tu ne le trouverais pas. (*2)”, lance-t-il à Socrate. Ainsi, de la même façon que l’apprentissage d’une langue maternelle ne nécessite pas l’enseignement du meilleur des linguistes, l’acquisition de la vertu relève d’un apprentissage socialisé auprès de l’ensemble des membres de la communauté qui disposent, à des degrés divers, de cette qualité.
L’imperfection de la vertu de chacun des citoyens ne constitue en ce sens une faiblesse que dans la mesure où ses propres capacités cessent de s’enrichir du contact continu avec ses égaux. Surtout, aucune définition de l’essence de la vertu ne saurait constituer un préalable à l’intense mouvement de circulation et d’échange par lequel cette qualité s’actualise dans la communauté civique. La réflexion de Protagoras promeut ainsi une épistémologie sociale qui valorise la circulation de savoirs, même incomplets, entre égaux. Des demi-savants enseignent à des plus ignorants qu’eux pour le plus grand bien de la cité : tel est le cœur de cette épistémologie démocratique, qui défend une théorie associationniste de la compétence politique. » (pp. 150-151)
Socrate est bien sûr d’un avis très différent :
« Alors que Protagoras pensait le politique en rupture avec les dêmiourgikai technai, Platon l’inscrit au contraire dans la continuité directe de ces savoirs spécialisés, en établissant que l’homme politique authentique devrait d’abord faire la preuve de sa compétence dans des domaines de spécialité délimités avant de prétendre pouvoir jouer un rôle de premier plan dans la cité (*3). » (p. 156)
Cette opposition entre un Protagoras démocrate et un Socrate anti-démocrate suggère à Paulin Ismard une nouvelle interprétation de la théorie de la réminiscence, telle qu’on la trouve dans le Ménon de Platon (6) :
« De nombreux historiens de la philosophie ont fait de cette scène le lieu de naissance d’une philosophie platonicienne enfin émancipée de la tutelle socratique. La théorie de la réminiscence, reprise et développée dans le Phédon et surtout dans le Phèdre, porterait l’empreinte du jeune Platon sous le masque de Socrate. Tachons pourtant de ne pas envisager d’emblée cette première formulation de la théorie de la réminiscence du point de vue de son grandiose achèvement au sein de la métaphysique platonicienne. Bien au contraire, la scène mérite d’être interrogée alors qu’elle surgit dans le cadre d’une controverse portant sur le statut des différents savoirs dans la cité. » (p. 157)
« L’intervention de l’esclave, en ce moment crucial du dialogue, est souvent interprétée sous l’angle de l’universalisme de la connaissance. L’interrogatoire socratique démontrerait que le statut personnel ou la condition sociale ne déterminent en rien l’accès à la connaissance et certains historiens de la philosophie n’ont pas hésité à invoquer ce qui serait un “égalitarisme socratique” (*4). L’hypothèse est en réalité bien hasardeuse et l’on peut suivre ici Jacques Rancière, qui voit surtout dans la scène le lieu fondateur du rapport conflictuel que noue, dès ses origines, la philosophie avec l’univers du travail et de la multitude démocratique. La figure de l’esclave, qui vient jouer le temps d’une expérience “l’élu de la science suprême” avant d’être renvoyé à son néant, est en effet destinée à témoigner contre le faux savoir de “l’homme de la multitude” qu’est l’artisan et lever l’hypothèque d’un “socratisme populaire”. Loin d’offrir un horizon universel à la dialectique socratique, l’esclave de Ménon, parce qu’il n’est pas “un sujet social ou un personnage de la République”, tient lieu avant tout d’antithèse de cette figure de la multitude démocratique qu’est l’artisan citoyen et son “omniscience virtuelle” permet de disqualifier par avance l’hypothèse d’une philosophie populaire ou démocratique qui aurait partie liée avec le monde du travail artisanal (*5).
À la lumière de l’épistémologie civique que nous avons mise au jour, l’ensemble de la scène est surtout susceptible de recevoir une autre signification que celle que les historiens du platonisme lui attribuent traditionnellement. L’épisode attesterait moins l’universalisme de l’accès à la connaissance qu’il ne viserait à contester radicalement l’épistémologie démocratique d’un Protagoras, dont le paradoxe de Ménon porte indirectement la trace. En faisant comparaître un homme dépourvu d’identité propre, interdit de parole dans la cité et qui, pourtant, peut accéder à la connaissance dont procède la réminiscence, il s’agirait pour Socrate d’opposer à l’épistémologie sophistique un savoir qui ne doit rien à l’ordre civique et à son dialogisme - autre manière de démontrer que le savoir authentique n’a pas sa place dans la cité démocratique. » (pp. 159-160)
Il y a dans tout cela matière à réflexions. Ne serait-ce que parce que l’on découvre dans ces théories combien est ancienne l’idée que pourrait exister une compétence à gouverner, peut-être avant même que ne puissent être définis les actes auxquels il est éventuellement possible de reconnaître un bon gouvernement. Et l’idée que les citoyens devraient tous, d’une manière ou d’une autre, participer à la gestion de la cité confère une dimension nouvelle à la question de cette compétence à gouverner.
Tout cela est également bien loin d’épuiser la question des différences entre la démocratie antique et la démocratie contemporaine. Celles-ci sont si nombreuses qu’il apparaît trompeur d’user du même mot pour des régimes politiques à ce point dissemblables. Le livre de Paulin Ismard approfondit un des aspects importants de la démocratie athénienne, directement lié à la question de la compétence à gouverner, à savoir le rôle de ceux qu’il appelle les experts, plus particulièrement celui à Athènes des esclaves publics. Ceux-ci, les dêmosioi, occupent une position particulière, tant à l’égard des citoyens que vis-à-vis des esclaves privés. Ils gèrent la monnaie, surveillent le respect des lois, vérifient les dépenses des magistrats, conservent les archives, etc., toutes tâches réclamant des compétences techniques, toutes tâches jugées également indigne d’un citoyen et susceptibles même de mettre sa liberté en péril.
Dans les décrets de la cité, on découvre deux expressions bien distinctes : la politikê leitourgia, service de la cité, expression utilisée pour désigner l’action d’un magistrat ou d’un citoyen en faveur de la communauté, et l’eleutheria leitourgia, service public, action utile à cette même communauté. À propos de cette eleutheria leitourgia, Paulin Ismard écrit :
« Loin d’être anodine, l’expression laisse dès lors entrevoir l’archéologie singulière qui noue dans la cité antique le statut du citoyen, l’homme libre par excellence, et l’ordre du public. Yan Thomas a superbement éclairé cette articulation au fondement de la cité antique, grecque et romaine. La liberté, pour les Anciens, n’était pas conçue comme un fait de nature que le droit aurait pour fonction de protéger. Rien n’est plus étranger au monde des cités antiques que notre conception naturaliste de la liberté, qui en fait un droit individuel ancré dans l’ordre naturel du monde, antérieur à la formation de toute communauté politique. “L’homme est né libre et partout il est dans les fers” : le célèbre incipit du premier chapitre du Contrat social de Rousseau aurait été incompréhensible à un contemporain de Socrate ou de Cicéron. Bien au contraire, la liberté du citoyen était pensée comme le produit de l’existence même de la cité, le résultat d’un ensemble d’institutions et de pratiques constitutives de la vie civique. En termes juridiques, la liberté du citoyen était identifiée aux choses publiques dont nul dans la cité ne pouvait s’emparer : de la même manière que les biens publics ou sacrés étaient inappropriables, un citoyen ne pouvait se vendre au profit d’un tiers et aliéner sa liberté. Au fondement de toute cité, écrivait Cicéron, se trouvent “les choses d’utilité commune que nous appelons choses publiques (*6) ”. Ces choses d’utilité commune étaient l’ensemble des lieux et biens publics dont l’usage définissait les contours du cercle des citoyens. En d’autres termes, au statut de citoyen était avant tout attaché l’usage commun des choses publiques, et non une qualité individuelle fondée en nature et que le droit de la cité aurait eu la charge de protéger. En ce sens, écrit Yan Thomas qui offre à cet axiome un horizon contemporain aussi inattendu que fécond, “la citoyenneté n’est pas séparable de certains services collectifs, appelés aujourd’hui services publics mais dont on voit bien qu’à l’origine ils définissaient la cité en ce qu’elle avait d’irréductible et de permanent (*7) ”. Si le public et le libre s’équivalent, c’est en définitive que le cercle des citoyens n’est autre que celui des ayants droit à la chose commune.
Mais la formule, en assimilant le travail de l’esclave public à un “service libre”, éclaire aussi, sous la forme du lapsus, la singularité de sa condition : elle condense en effet le paradoxe qui réside au cœur du “miracle grec”, celui d’une expérience de la liberté politique dont le propre fut de reposer sur le travail des esclaves. Pour qu’advinssent ces choses publiques sans lesquelles la citoyenneté ne saurait se concevoir, il fallut aussi qu’il y eût des esclaves. Ce simple fait place les dêmosioi dans une situation paradoxale, celle du tiers exclu, garant de l’ordre civique. Qu’ils vérifient les monnaies en circulation, qu’ils assurent l’ordre dans la cité, contrôlent les dépenses des magistrats en campagne ou veillent dans le Metrôon sur les archives civiques, ces esclaves, placés au service de la cité, étaient les dépositaires de la liberté commune. » (pp. 91-93)
Il n’est pas possible de rendre compte ici des multiples analyses et digressions dont le livre de Paulin Ismard est riche. Les traces du rôle joué dans l’Antiquité par les esclaves publics sont rares et, même si la fonction d’expert qu’ils ont rempli n’est pas contestable, pas plus que les prérogatives que cette fonction leur a valu et que les esclaves privés ne partageaient en rien, Ismard explore subtilement, dans des textes fondateurs, l’ombre que les esclaves publics y ont projeté. Ainsi dans l’Œdipe de Sophocle avec le berger de Laïos, dans le Phédon de Platon avec l’esclave qui, dans la prison, accompagne Socrate jusqu’à sa mort, dans les Actes des Apôtres encore avec l’eunuque éthiopien, premier gentil baptisé.
Mais l’idée majeure de La démocratie contre les experts, c’est l’importance de l’esclavage dans ce que la démocratie antique a de spécifique, dès lors qu’on la compare avec la démocratie contemporaine et notamment qu’on confronte l’État moderne et la cité grecque.
« L’État n’a jamais existé dans la cité grecque que sous la forme négative de ses esclaves publics, […], en faisant du dêmosios le “héros secret” de l’État grec. L’hypothèse emprunte à première vue la forme d’un chiasme : les dêmosioi incarnaient l’administration de la cité et furent en ce sens ses uniques fonctionnaires, d’une part ; le recours aux esclaves témoignait de la résistance de la part de la communauté civique à l’avènement d’un État conçu comme une instance séparée de la société, d’autre part. En rendant invisibles ceux qui avaient la charge de son administration, la cité conjurait l’apparition d’un État qui puisse se constituer en instance autonome et, le cas échéant, se retourner contre elle ; la polis entendait ainsi maintenir toute forme de pouvoir dans l’immanence de sa propre existence communautaire. L’esclave public est en ce sens la figure dans laquelle la cité, d’un même mouvement, éprouve la limite de son auto-institution et la refoule. » (p. 210)
Est-il possible de conclure un tant soit peu ?
Paulin Ismard écrit notamment ceci :
« La thèse du “miracle grec” est, certes, un manteau usé que plus personne ne veut revêtir. Pourtant, il est peu de discussions au sujet de la crise contemporaine de la démocratie représentative au cours desquelles ne s’invite l’ancienne Athènes, ce qui semble donner raison à Kostas Axelos lorsqu’il écrit que la polis est “un prototype jamais encore égalé, qui marque le temps passé, présent, à venir”, ajoutant dans une formule à la fois tranchante et obscure que “les Grecs inaugurent cette époque qui contient virtuellement son avenir” (*8) L’Athènes classique offre par exemple un modèle édifiant pour ceux qui prétendent reconstruire, dans le sillage de Hannah Arendt, une conception du bien commun et du public qui serait menacée par l’individualisation démocratique, comme elle est une source d’inspiration pour concevoir, au présent, ce que serait une authentique démocratie directe, fondée sur l’extension de la pratique délibérative et le recours au tirage au sort (*9). » (p. 214)
C’est là que je doute. Ne serait-ce que parce que la dimension de la cité et celle de l’État moderne sont à ce point dissemblables que toute inspiration puisée chez celle-là pour réformer celui-ci a quelque chose de labile.
(1) L’allusion à Lazare et au mauvais riche semble ici incorrectement formulée, car dans la parabole évoquée (Évangile de Luc, 16, 19-31) Lazare est le pauvre. (NDR)
(2) George Sand et Gustave Flaubert, Correspondance. 1863-1876, Éditions Paléo, 2011, pp. 243-244.
(3) Sur l’opinion de Russel, cf. notamment mes notes du 8 décembre 2011 et du 19 décembre 2014.
(4) Paulin Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Seuil, 2015. Paulin Ismard a fait un exposé (en anglais) sur le même sujet au Center for Hellenic Studies (Harvard University) à Washington en 2013, exposé que l’on peut écouter ici.
(5) Platon, “Protagoras” in Œuvres complètes I, trad. par Léon Robin, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1950, pp. 90-91.
(*1) Voir les remarques de F. Ildefonse dans Platon, Protagoras, Paris, Flammarion, “GF”, 1997, p. 30-31.
(*2) Platon, Protagoras, 323,c. [in Œuvres complètes I, trad. par Léon Robin, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1950, p. 98 ; NDR.]
(*3) Platon, Gorgias, 514a-b [in Œuvres complètes I, trad. par Léon Robin, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1950, p. 470 ; NDR] : « Si nous nous engageons les uns les autres, Calliclès, à agir dans le domaine des affaires politiques et à exercer une charge publique en nous occupant par exemple de chantiers de construction - oui, de chantiers considérables pour construire des fortifications, des arsenaux, des temples -, ne faudrait-il pas que nous subissions nous-mêmes un examen, que nous nous mettions à l’épreuve pour savoir d’abord si nous connaissons ou non l’art de la construction et s’il y a un maître auprès de qui nous avons appris cet art ? »
(6) Cf. ma note du 19 août 2013 sur ce dialogue.
(*4) D. Scott, Plato’s Meno, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 106-108.
(*5) J. Rancière, Le philosophe et ses pauvres, Paris, Fayard, 1983, p. 63-65.
(*6) Cicéron, Pro Sestio, 91.
(*7) Y. Thomas, “L’indisponibilité de la liberté en droit romain”, Hypothèses, 2006, p. 379-389, p. 387.
(*8) K. Axelos, Lettres à un jeune penseur, Paris, Minuit, 1996, p. 57-58.
Autre note sur Ismard :
L’événement Socrate
Voici une série de réflexions pénétrantes sur les deux livres de Paulin Isnard. J'étais allé l'écouter lorsqu’il est passé présenter son livre à Bordeaux sur « L'évènement Socrate ». J'ai eu, comme vous, le sentiment qu'il ne fallait pas appliquer nos concepts juridictionnels et judiciaires modernes à cet étrange procès. Nos règles juridiques sont venues plus tard, et plutôt par les romains. Même si l'on peut trouver la naissance du concept du « contradictoire » chez les sophistes, comme le disait Jacqueline de Romilly.
RépondreSupprimerLa démocratie contre les experts mettrait donc en valeur le rôle des esclaves publics et leur compétence à gouverner. Une sorte de fonction publique servile. L'empire ottoman pratiquait ainsi et n’hésitait pas à appeler aux plus hautes fonctions des esclaves compétents. Comme l'intendance, l'administration est seconde et doit suivre. Et la nôtre, pour moderne qu'elle soit, n'est guère différente.
Plus intrigante est la thèse du refus de l’État, que la « polis » voudrait garder servile de cette manière. Alain disait quelque chose comme cela avec son citoyen contre les pouvoirs.
En suivant l'actualité en Grèce, on peut se demander si le combat ne se poursuit pas encore aujourd’hui entre des exigences de nature étatique, reformulées par exemple par une « troïka » oublieuse de son statut servile, et l'affirmation du pouvoir politique (celui de la « polis ») prenant la forme soudaine d'un referendum à l'obscure question, mais trempé dans une légitimité de démocratie directe fondatrice...
Mais laissons là les élucubrations : je rajoute le livre à ma pile !
Encore merci !
Je ne suis pas sûr qu’il soit adéquat de parler du « refus de l’l’État ». Car un refus suppose que le choix préexistait. Or, l’État-personne-morale, comme nous disons de nos jours, n’était sans doute alors ni conçu, ni concevable. Ce qui faisait la polis, c’était l’idée partagée que des dieux, des biens, des intérêts et des idées étaient communs.
SupprimerCe qui permet à une croyance collective d’exister, c’est le fait que l’idée que chacun se fait de celle-ci comporte la conviction que les autres l’éprouvent pareillement. Ce qui peut parfaitement être illusoire ; l’illusion suffit.
Il est donc possible (mais par certain) que la création d’un État-personne-morale ait permis la perpétuation d’une communauté où plus aucune croyance collective n’était unanimement partagée. Possible aussi que des nations regroupant des millions d’individus aient pu ainsi s’affirmer telles.
Ce que le cas de la Grèce d’aujourd’hui semble illustrer, c’est - je crois - l’étrange paradoxe qui veut que l’on persévère à appeler démocratiques des structures qui décident pour des dizaines, voire des centaines de millions de personnes, qui obéissent à une logique imperméable aux débats et aux alternatives et qui, pour le dire d’un mot, oblitèrent tout ce qui fait la démocratie, quelle qu’en soit la définition.
Vous n’élucubrez pas, cher Cécédille, vous tentez fort légitimement d’apercevoir ce qui meut les hommes, au point de se porter tort à eux-mêmes si vaillamment. Et votre pile comme la mienne s’enfoncent au fur et à mesure que nous y déposons de nouveaux volumes, comme si notre rage de savoir n’avait d’égale que celle que Sisyphe mettait, dit-on, à rouler sa pierre vers le sommet.
Merci pour votre commentaire.