mardi 24 septembre 2019

Note d’opinion : Greta Thunberg

À propos de Greta Thunberg

Le 20 septembre dernier, alors qu’il était interviewé dans La matinale de France Inter, Alain Finkielkraut s’en est pris à Greta Thunberg (1).
« Je trouve lamentable, a-t-il dit, que des adultes s’inclinent devant une enfant. Je crois que l’écologie mérite mieux. Et il est clair qu’une enfant de seize ans, quel que soit le symptôme dont elle souffre, est évidemment malléable et influençable et nous avons mieux à faire pour sauver ce qui peut l’être… » Là, il fut interrompu par Ali Baddou, l’animateur de l’émission, qui lui objecta notamment qu’elle « demande de prendre en compte les données scientifiques du GIEC […] ». Mais Finkielkraut poursuivit : « … nous avons mieux à faire pour sauver ce qui peut l’être de la beauté du monde que de nous mettre au garde-à-vous devant Greta Thunberg et d’écouter les abstraites sommations de la parole puérile. L’écologie, c’est les poètes qui ont été les premiers à nous en parler, les ambassadeurs du monde muet, comme disait Francis Ponge. Pourquoi est-elle célèbre, Greta Thunberg ? Parce qu’elle a demandé la grève des cours : nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres ! Que font les professeurs normalement constitués ? Ils donnent des mots, comme le dit Denis Kambouchner, et nous avons besoin de mots pour savoir ce que nous perdons. Et sinon, en écoutant seulement certains scientifiques, on demandera toujours davantage d’éoliennes, c’est-à-dire que l’écologie majoritaire participera à la dévastation à laquelle elle croit pouvoir porter remède. Redonnons leur place à ceux qui préconisent une écologie poétique et laissons les enfants être des enfants. »

S’il y a quelque chose de lamentable - pour reprendre ce mot si souvent dévoyé -, ce me paraît être de semblables propos. Qu’est-ce donc qui motive autant de naïveté à l’égard de l’efficacité de la poésie, autant de suffisance quant au pouvoir des mots, autant d’ignorance vis-à-vis des urgences planétaires, autant de mépris pour la jeunesse ?

Greta Thunberg est une adolescente de 16 ans qui - comme beaucoup d’adolescents aujourd’hui (j’ai des petits-enfants qui sont du nombre) - nourrit de fortes inquiétudes à propos de l’avenir qui lui est réservé. Diverses circonstances, parmi lesquelles les raisons qui expliquent ces inquiétudes, lui ont valu une grande notoriété, ce qui ne va pas sans de nombreux inconvénients, tant pour elle que pour ceux qui cherchent à comprendre l’exacte portée de ce qui est rapporté de ses déclarations. Cette notoriété lui vaut en outre des célébrations et des accusations qui, comme toujours, brouillent sa propre position par des assertions d’allégeance malaisément contrôlables.

Il me semble qu’il importe, au sujet de cette affaire de prendre en considération les points suivants :
- L’ensemble des alertes données par diverses institutions scientifiques et politiques à propos du réchauffement climatique laissent suffisamment supposer que, d’ici deux ou trois décennies, la vie des humains, comme celle de la plupart des être vivants, sera à ce point bouleversée qu’il est compréhensible que les plus jeunes générations - de même que ceux qui se soucient d’elles - en ressentent de fortes inquiétudes.
- Le message de Greta Thunberg - outre son côté quelque peu apocalyptique - se résume à inviter les dirigeants du monde à prendre en considération les conclusions des scientifiques qui ont travaillé sur l’évolution du climat.
- La façon dont elle a acquis sa notoriété semble bien davantage liée à l’opportunité du combat qu’elle mène qu’à un désir malsain de célébrité.
- L’affection dont elle souffre ne paraît pas la conduire à dire des bêtises ; tout au plus peut-elle éventuellement expliquer son style un peu inhabituel.
- Il serait très malaisé de contester que - dès lors que les prévisions pessimistes relatives à l’évolution du climat seraient correctement fondées - les autorités politiques ne s’en préoccupent pas dans une mesure qui correspond à l’importance de la menace.

Personnellement, je me réjouis que Greta Thunberg ait pu conférer un certain poids à l’opinion qui juge insuffisants les efforts faits dans le but d’enrayer le réchauffement climatique. L’idée que les prévisions du GIEC ou d’autres chercheurs allant dans le même sens soient infondées ou exagérées réclame de balayer un tel nombre d’informations concordantes qu’il serait très probablement déraisonnable de s’y rallier. Quant aux critiques visant Greta et qui ne sont pas fondées sur cette idée-là, on est en droit de s’interroger : à quel ressentiment les doit-on ?

Quand Alain Finkielkraut « trouve lamentable que des adultes s’inclinent devant une enfant », que diable cela signifie-t-il, sinon que la vérité serait réservée aux grands ? Quand le même ajoute « qu’une enfant de seize ans, quel que soit le symptôme dont elle souffre, est évidemment malléable et influençable », n’évoque-t-il pas de manière euphémique le symptôme pour mieux convaincre de la vulnérabilité de Greta Thunberg, sans pour autant nous désigner ceux qui œuvreraient à la manipuler ? Quand il dit que ce qu’il y aurait à sauver, c’est « ce qui peut l’être de la beauté du monde », place-t-il l’enjeu là où il mérite d’être ? Quand il affirme que « nous avons mieux à faire […] que de nous mettre au garde-à-vous devant Greta Thunberg et d’écouter les abstraites sommations de la parole puérile », ne succombe-t-il pas davantage à l’exagération que ne peut le faire Greta ? Quand il confond l’écologie avec la poésie, ne commet-il pas un déni de réalité ? Quand il nous parle de « professeurs normalement constitués » … ? Dois-je poursuivre ? Y a-t-il dans cette diatribe un seul mot qui sauvent les autres ? Je crains que non.

Je n’ai guère le goût de m’engager. Mais, en l’occurrence, je suis affligé par la gratuité des attaques dont cette adolescente fait l’objet. Et cela, alors même que le message qu’elle propage à sa manière n’est rien d’autre que ce que les chercheurs les plus fiables ont défini comme étant les dangers qui guettent l’humanité, à la fois dans ses modes de vie, dans ses ressources et - qui sait ? - dans ses cultures.

Cela vaut bien que je la défende d’agressions aussi mesquines.

(1) Il est loin d’être le seul à l’avoir pris pour cible. Ainsi, par exemple, Sébastien Chenu - exprimant le point de vue de l’extrême droite - a combattu l’accueil qui lui avait été fait en juillet dernier par l’Assemblée nationale française ; peu après, Michel Onfray l’a éreintée sur son site ; début août, c’était au tour de Raphael Enthoven de faire de même sur Twitter ; et à la fin du même mois, c’était Nicolas Sarkozy qui, devant les membres du MEDEF, ironisait à son propos.

6 commentaires:

  1. Il y a sans doute au moins une chose que l’on peut reprocher à Greta Thunberg, c’est son catastrophisme. Cela, vous devriez en tout cas l’admettre.

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    1. Le mot “catastrophisme” a deux sens bien différents. L’un désigne une théorie phylogénétique qui attribue à des catastrophes courtes et violentes un effet décisif dans l’évolution des espèces vivantes. L’autre évoque la tendance à exagérer les dangers encourus. Ce dernier sens est par exemple le fait de personnes qui évoquent avec une sorte de complaisance morbide la fin prochaine de l’humanité, voire - très improprement - la fin de la planète. Greta Thunberg, quant à elle et selon ce que j’en sais, n’a fait que renvoyer aux constats faits par les milieux scientifiques, et plus particulièrement par les membres du GIEC. Quand on parle de son catastrophisme, on cible uniquement l’angoisse qu’elle exprime à propos de l’avenir et le ton grave qu’elle ne cesse d’adopter. Il ne s’agit pas selon moi de catastrophisme, mais bien d’une inquiétude parfaitement compréhensible de la part de jeunes qui entrevoient de vivre suffisamment longtemps que pour subir les périls objectifs que les recherches citées révèlent. J’ajouterai que l’affection dont elle souffre - et dont il serait odieux de lui faire grief, d’autant qu’elle ne paraît avoir aucune influence sur sa lucidité - peut peut-être lui valoir une apparence un peu déroutante. Quant aux manipulations dont les mêmes qui dénoncent son catastrophisme l’accusent également, on aurait presque envie de dire qu’il est bien malheureux que tant de dirigeants politiques ne puissent être “manipulés” de la même façon.
      Merci pour votre commentaire.

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  2. Merci Jean. Tout à fait d'accord avec ton analyse et ton qualificatif de "lamentable" des propos de Finkielkraut. J'écoute toujours avec plaisir son émission Répliques sur France Culture, même si parfois, comme dans ce cas, son jugement me parait effectivement "lamentable". Merci !

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  3. En lisant votre analyse, si pertinente, je me demandais ce que pense Alain Finkielkraut, l'amateur de Péguy, de Jeanne d'Arc, qui avait à peu près l'âge de Greta Thunberg...

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    1. Il se serait pris pour Madame Gervaise, en plus mûr, probablement.

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  4. Plus j'entends cette fille être dénigrée et traitée de gamine qui devrait aller voir un bon film comme lui conseille cette sommité intellectuelle de Trump plus je m'inquiète et partage ton avis.

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