vendredi 21 février 2020

Note d’opinion : l’engagement

À propos de l'engagement

À la suite de quelques réactions qu’a provoquées ma note du 12 février 2020, je voudrais préciser quelque peu ce qui, selon moi, devrait nous guider lorsqu’il s’agit de s’engager ou ne pas s’engager.

S’engager - je veux dire adhérer à un mouvement collectif visant à influencer le futur du monde social - est quelque chose qui, depuis bien longtemps, me semble de nature à mettre en péril l’indépendance d’esprit. J’ai eu l’occasion de m’en expliquer à bien des reprises, plus particulièrement dans une note du 9 juin 2010 relative à la solitude et une autre du 22 décembre 2016, plus spécialement consacrée à l’indépendance d’esprit. Il est assez probable que mon attitude à cet égard soit la conséquence d’influences subtiles en rapport avec ce que le monde social induit dans l’habitus de chacun, et cela, même si semblable conséquence reste peu fréquente. Autrement dit, je ne me dois pas d’être attaché à l’indépendance d’esprit, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Cette réticence à adhérer se fait d’autant plus forte que l’adhésion envisagée serait politique. En effet, je suis convaincu que la sphère politique comporte des caractéristiques qui en font un lieu qui altère très profondément les souhaits, les choix et les modes de raisonnement, d’une manière qui inféode tout au seul objectif que tous les acteurs politiques ont en commun, à savoir la prise et la conservation d’un pouvoir, pour ne pas dire du pouvoir. L’histoire de l’opinion que l’on peut avoir du politique nous montre des périodes de grande illusion durant lesquelles l’espérance politique motive très fortement l’engagement, quitte à générer des révoltes propices à des évolutions et aussi à des maux considérables, et des périodes de relative lucidité où la nature du politique se fait plus visible (pensons à la publication du Prince de Machiavel) et qui correspondent à des chaos et des zizanies cyniques. L’adhésion religieuse est quelquefois bien moins délétère, sauf lorsqu’elle nourrit la haine des autres.

J’ai eu quelquefois l’occasion d’être en relation, dans le milieu politique, avec des membres de partis politiques écologistes (ou dit tels). C’était à une époque où j’occupais des fonctions directement subordonnées à des ministres et à leurs cabinets. Et ceci m’a conduit à les juger très sévèrement. En effet, ils m’apparaissaient comme ces néophytes en politique qui font tout pour intégrer ce que l’activité politique a de plus blâmable à mes yeux, au point de déformer, corrompre et falsifier les objectifs qu’aurait dû s’assigner un véritable programme écologiste. Leur posture visait à convaincre de leur souci d’un rapport équilibré entre les humains et la nature, dans la mesure - et seulement dans la mesure - où celle-ci leur permettait d’attirer les suffrages dont leur attrait pour le pouvoir avait besoin. On me dira sans doute très dur à leur égard. C’est que, selon moi, l’écologie est d’abord et avant tout une science et qu’il ne convient donc pas de lui faire dire ce qu’elle ne dit pas, ni de taire ce qu’elle justifie de dire. Somme toute, il m’a semblé depuis longtemps que l’écologie politique nuisait à l’écologie d’une façon assez comparable à la façon dont le socialisme politique a pu nuire au socialisme et le libéralisme politique au libéralisme.

Tout ceci n’infirme d’aucune façon l’extraordinaire déséquilibre écologique que l’humanité fait subir à la faune et à la flore terrestres. La conscience de ce déséquilibre-là remonte au milieu du XXème siècle, même si l’importance du désastre n’a cessé depuis lors d’être réévaluée à la hausse. La prise de conscience de la menace climatique - alors même que cette menace est loin d’être la plus dangereuse - a fait l’objet, durant plusieurs décennies, de débats politiques consternants, mieux faits pour alimenter un négationnisme intéressé ou un catastrophisme bilieux que pour informer des causes et des conséquences des évolutions les plus dévastatrices. Et les comportements vertueux que ces stéréotypes ont générés se sont révélés propices à des formes de consommation nouvelles bien davantage adaptées à l’apparition de nouveaux profits qu’à la correction des dérives dénoncées.

Il y a des moments où l’importance de l’action réclame de faire fi des réticences à l’adhésion. Car c’est d’un mouvement collectif - et seulement d’un mouvement collectif - que l’on peut espérer un certain salut. Ce dont il me paraît qu’il faille se préserver, c’est d’abord et avant tout de l’extrême sauvagerie dont les rapports humains risquent d’être affectés lorsque la catastrophe se précisera pour tous. Et c’est probablement en prenant pleinement conscience de la nécessité de formes de lutte les mieux adaptées au danger que l’on pourra peut-être conjurer cette menace de sauvagerie. Tenant compte du fait que cette organisation se déclare apolitique et non-violente, j’ai récemment choisi d’adhérer à Extinction Rebellion. Il m’a semblé important de le dire, même si cela me conduit à trop parler de moi.

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