À propos de l’euthanasie
Une femme de 38 ans prénommée Eluana agite l’Italie. Elle est plongée dans un coma très profond depuis dix-sept ans et il n’y aurait aucun espoir qu’elle en sorte. Nourrie artificiellement depuis lors, sa famille a souhaité interrompre cette assistance qui ne fait que prolonger un état végétatif irréversible.
Les tribunaux italiens ont accueilli favorablement la demande de la famille et ont autorisé en conséquence l’interruption des artifices maintenant cette femme en vie. Or, voici que le Gouvernement de Berlusconi souhaite contrecarrer la décision judiciaire et, répondant aux vœux exprimés par la hiérarchie catholique, cherche à contraindre les médecins d’Eluana à poursuivre son alimentation. Le président de la République Giorgio Napolitano ayant refusé son concours à une décision de l’Exécutif qui porterait atteinte à l’autorité de la chose jugée, l’équipe de Berlusconi cherche à présent à faire voter une loi qui permettrait d’aboutir au même résultat.
Sans partager leurs idées, je comprends parfaitement ceux qui souhaitent que la vie soit respectée dans toutes ses formes. Et je comprends même que ceux qui pensent ainsi déplorent profondément que d’autres ne partagent pas le même type de respect (1). C’est incontestablement un problème très complexe, dès lors que ceux qu’on a coutume d’appeler les partisans de l’euthanasie ou de l’avortement (et qui, bien sûr, n’admettent qu’il n’y soit recouru que dans des circonstances très précises) sont mus par des sentiments aussi humainement généreux que leurs adversaires. Pour le dire simplement, ceux-là défendent un cas particulier dans ses spécificités pendant que ceux-ci soutiennent un principe de façon absolue. Et, bien évidemment, la défense d’un principe suppose une universalité de son champ d’application qu’un projet adapté à un cas particulier ne réclame pas.
Il est cependant des cas dont les particularités sont à ce point exceptionnelles que l’invocation du principe ressemble avant tout à une forme d’entêtement qui dessert très probablement la cause que ce principe incarne. En effet, après dix-sept ans d’un coma que l’on dit irréversible, on peut se demander si ce n’est pas la prolongation de soins techniquement très compliqués qui constitue une atteinte à l’évolution naturelle des choses et, pour ceux qui croient en Dieu, une entrave à ses desseins.
Je suis en la circonstance profondément indigné par l’extrémisme d’une position qui, face à un cas très particulier, pousse sa logique jusqu’à l’absurde. Ce n’est certes pas la première fois que la logique principielle du respect absolu de la vie conduit certains à renverser d’autres principes pour imposer leur point de vue. Encore pouvaient-ils parfois se prévaloir du caractère général des questions à trancher, comme ce fut par exemple le cas lorsque, récemment, le grand-duc de Luxembourg refusa de sanctionner une loi relative à l’euthanasie, au mépris de l’obligation légale qui était sienne.
En l’occurrence, il y a une femme dont l’état de vie prolongée ressemble à tout, sauf à la vie ; et il y a une famille qui attend qu’on interrompe ce qu’elle juge être un supplice. L’acharnement que l’on ne peut même plus qualifier de thérapeutique est patent.
Que certains satisfassent ainsi leurs conceptions au mépris de ce que toute personne honnête ressent face au cas d’espèce ressemble fort au mépris criminel que le pouvoir soviétique manifestait à l’égard de ses propres citoyens au nom du peuple que ceux-ci constituaient.
(1) Ce refus d’attenter à la vie, par exemple par le biais de l’avortement, n’est pas le fait des seuls catholiques. D’autres croyants, mais également des athées, partagent cette conception, comme c’est le cas par exemple du philosophe Marcel Conche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire