samedi 16 août 2014

Note spéciale : Simon Leys

Simon Leys est mort

Simon Leys est mort le 11 août dernier. J’étais alors en voyage et la nouvelle m’a amené, pendant quelques heures, à jeter sur les paysages découverts un regard quelque peu altéré, comme si le monde n’était plus exactement pareil depuis que cette haute figure morale l’avait déserté. Qui dira encore son indignation face à la bêtise de certains engagements politiques ? D’autres, bien sûr. Mais la diront-ils aussi bien que lui ?

Le dernier de ses livres que j’avais lu, c’était son Orwell ou l’horreur de la politique qui a été tout récemment réédité (1). Leys lisant Orwell, quoi de mieux ? Quoi de mieux en effet que quelqu’un qui croit qu’« il faudrait quand même que le frivole et l’éternel passent avant le politique » (2) pour comprendre ce rapport si intelligent qu’Orwell entretenait avec le pouvoir ? « Si la politique doit mobiliser notre attention, c’est à la façon d’un chien enragé qui vous sautera à la gorge si vous cessez un instant de le tenir à l’œil » (3), affirme Leys d’une façon qui, d’une certaine manière, traduit au mieux la pensée d’Orwell. Dans ce livre, il dresse même de ce dernier un portrait dont certains traits nous en apprennent beaucoup sur lui. Ainsi, lorsqu’il relève que « Orwell avait toujours fait sereinement face à ses nombreux ennemis, mais on se demande s’il aurait pu garder son sang-froid devant certains de ses admirateurs. » (4) Ou encore lorsqu’il épingle cette phrase d’Orwell : « La plupart des gens n’ont jamais l’occasion de voir leur sens moral inné mis à l’épreuve par l’exercice du pouvoir - en sorte qu’on est presque obligé de tirer cette conclusion cynique : les hommes ne sont décents que dans la mesure où ils sont impuissants. » (5)
 
Simon Leys n’était pas un homme paisible. L’exaspération qu’il laissait deviner lors de ses dénonciations le rendait émouvant. Qui a oublié son affrontement avec Maria Antonietta Macciocchi le 27 mai 1983 lors de l’émission Apostrophes sur l’A2, sorte de revanche sur le silence dont la critique l’avait accablé lors de la parution des Habits neufs du président Mao en 1971 et surtout sur la vilenie de Michelle Loi qui révéla en 1975 sa véritable identité - Pierre Ryckmans - pour lui rendre impossible tout nouveau séjour en Chine ?

Simon Leys est mort. Au-delà de ses travaux littéraires, de son amour de la mer, de sa juste conception de l’université, fasse que nous n’oubliions pas sa lucidité sur les faiseurs de bonheur, lui qui reprenait volontiers à son compte les sarcasmes que Orwell proféra « à l’égard d’une certaine mystique socialiste qui, disait-il, avait le don d’“attirer par une attraction magnétique tous les buveurs-de-jus-de-fruit, les nudistes, les illuminés en sandales, les pervers sexuels, les Quakers, les charlatans homéopathes et les féministes d’Angleterre” (*)  » (6).

(1) Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique [1984], Flammarion, Champs essais, 2014.
(2) Op. cit., p. 50.
(3) Ibid.
(4) Op. cit., p. 71.
(5) Op. cit., pp. 85-86.
(*) Te Road to Wigan Pier (Penguin), p. 152.
(6) Op. cit., pp. 22-23.

Autres notes sur Simon Leys :
Le studio de l’inutilité
L’humeur, l’honneur, l’horreur
La mort de Napoléon

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