dimanche 26 mai 2024

Note de lecture : Montaigne et le repentir

Le chapitre “Du repentir” des Essais
de Montaigne


Prenons le temps d’approfondir quelque peu ce chapitre des Essais, “Du repentir” (1), dans lequel Montaigne expose des idées qui sont peut-être - qui sait - parmi les plus importantes qu’on lui doit. Pour ce faire, je vais me permettre de découper le chapitre quatre parties, précisément dans le but de montrer combien elles forment ensemble un tout très cohérent.

Je renvoie ici à deux éditions de l’ouvrage, de telle sorte que ceux qui ne sont pas accoutumés à la langue de Montaigne puissent le lire en français moderne et les autres juger l’adaptation. La version originale figurera en bas de page.

Première partie

Cette première partie va du début du chapitre à ces mots « … que la mémoire me secourût mieux » (b. p. 976) (2)

Le début du chapitre est très connu. Il est souvent cité pour reconnaître à Montaigne le mérite d’avoir compris que rien n’est immuable, rien n’est immobile. Le plus souvent, on cite ainsi ces quelques phrases :
« Le monde n’est qu’une balançoire perpétuelle. Toutes choses y sont sans cesse en mouvement : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte, et sous l’effet du mouvement général et en vertu de leur propre agitation. La constance elle-même n’est pas autre chose qu’un mouvement plus languissant. » (b. p. 974) (3)
Mais si Montaigne attire ainsi l’attention sur la vacillation des choses, c’est parce qu’il se propose d’expliciter la façon dont il les comprend, compréhension qui implique qu’il parle de lui, tel qu’il comprend, au moment où il comprend et dans le contexte où il comprend :
« [Ce que je fais,] c’est un examen d’événements divers et variables et de pensées indécises et, la cas échéant, contraires, soit que je sois moi-même autre, soit que je saisisse les sujets dans d’autres circonstances ou avec d’autres considérations. Ce qui fait qu’il m’arrive bien de me contredire, mais la vérité, je ne la contredis pas […] » (b. p. 974) (4)

On pourrait déplorer ce besoin qu’éprouve Montaigne de parler de lui. Mais, s’il faut se méfier de ce goût si répandu de parler de soi, c’est parce qu’il coïncide très généralement avec l’envie de s’attribuer de l’importance. Or, chez Montaigne, le projet est quasi inverse. C’est en soi que l’on dispose des ressources permettant de comprendre à quel point on a peu, sinon aucune importance :
« J’expose une vie humble et sans gloire ; cela n’a pas d’importance : on attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie ordinaire et privée qu’à une vie de plus riche étoffe : chaque homme porte [en lui] la forme entière de la condition humaine. » (b. p. 975) (5)

Et Montaigne d’expliquer que bien des gens écrivent sur des sujets précis, alors que lui ne se revendique d’aucune science. Il parle de lui sans qu’aucune règle ne s’applique au sujet, sinon seulement d’être fidèle à lui-même. Il y a bien des gens plus savant que lui, mais aucun ne s’est penché sur lui-même comme lui le fait.
« Un personnage savant n’est pas savant en tout, mais l’homme de talent est capable en tout, même dans l’ignorance.
Ici, nous allons en conformité et d’une même allure, mon livre et moi.
 » (b. p. 976) (6)

Voilà ce qui explique que le chapitre commence par ces mots : « Les autres [écrivains] façonnent l’homme ; moi, je le raconte […] » (b. p. 974) (7)

Il est indispensable de ne jamais perdre de vue que Montaigne amende son livre en y plaçant des ajouts, mais sans jamais rien supprimer, comme si redresser ce qu’il disait antérieurement revenait à trahir ce qu’il fut, c’est-à-dire ce qui - pour le comprendre - est autant lui que ce qu’il est devenu. Il s’en explique dans le chapitre IX du livre III (“De la vanité”). Il ne me paraît pas inutile de préciser que le contexte dans lequel Montaigne s’exprime évolue aussi au fur et à mesure que passent les années et que la pertinence de ce qu’il dit doit également s’apprécier en en tenant compte, si tant est que cela soit possible.

Deuxième partie

La deuxième partie va de ces mots « Excusons ici ce que je dis souvent […] » (b. p. 976) (8) à ces mots « […] si vous la supprimez, tout est par terre.] » (b. p. 978) (9)

Se penchant donc sur lui, Montaigne raconte. Et par exemple ce qu’il en est du vice et de la vertu. Non pas pour les définir ; les cerner, tout au plus.
« […] il n’est conduite louable qui ne réjouisse une nature bien née » (b. p. 977) (10) écrit-il.
Oui, mais à quoi reconnaît-on une conduite louable ? On pourrait penser que c’est par un alignement sur des consignes, qu’elles soient d’origine surnaturelle, ecclésiale ou sociale. Non, pour Montaigne - il parle de lui et de son expérience propre -, c’est la satisfaction de soi-même, la bonne conscience, qui renseignent sur le chemin choisi. Bien sûr, il pourrait y avoir méprise, mais, en toute hypothèse, bien moins que lorsqu’on se fie au jugement d’autrui.
« Dieu me préserve d’être homme de bien selon la description que je vois tous les jours faire de soi par chacun pour se faire valoir. Quae fuerant vitia, mores sunt. [Les vices d’autrefois sont les mœurs de ce temps] » (b. p. 977) (11)
« J’ai mes lois et mon tribunal pour juger de moi, et je m’y adresse plus qu’à d’autres. Je restreins bien mes actions selon les autres, mais je ne les étends que selon moi. » (b. p. 978) (12)

Et puis, il y a surtout ce qui nous fait discerner le vice. Et, là aussi, c’est le sentiment personnel qui sert de boussole.
« Il n’y a pas de vice véritablement vice qui ne blesse pas et qu’un jugement intègre ne blâme pas : il y a, en effet, des traits de laideur et d’importunité si apparents que peut-être ceux-là ont raison qui disent qu’il est principalement produit par la bêtise et l’ignorance, tant il est difficile d’imaginer qu’on le connaisse sans le haïr. L’humeur malfaisante absorbe la plus grande partie de son propre venin et s’en empoisonne. Le vice laisse, comme un ulcère dans la chair, une repentance dans l’âme, qui toujours s’égratigne et s’ensanglante elle-même. » (b. p. 976) (13)
Voilà qui ne nous dit pas ce qui fait que le vice est vice. Et bien, cela peut se savoir de sources variables.
« Je considère comme vices (mais chacun selon son degré de grandeur) non seulement ceux que la raison et la nature condamnent, mais aussi ceux que l’opinion des hommes, même fausse et erronée - a créés [comme tels], si les lois et l’usage lui donnent autorité. » (b. p. 977) (14)

Voilà bien un exemple du penchant relativiste de la pensée de Montaigne. La raison peut nous guider, bien que nous sachions qu’elle est loin d’être toujours fiable - ou en tout cas repérable comme telle. La nature peut nous fournir des indications. Mais le monde social, aussi variable soit-il, aussi porté à se tromper soit-il, peut également inspirer nos actes, car en transgresser les règles reconnues fourvoie. Même Antigone s’est positionnée face la règle du lieu et de l’époque et la question morale que son attitude a soulevé n’a d’universel que l’écart vécu entre la norme et la probité choisie. Certains dirons que Montaigne se montre là bien conservateur, mais c’est que les nouvelletés que la Réforme a apportées - même celles rationnellement opportunes - ont conduit à la guerre.

Troisième partie

La troisième partie va de ces mots « Mais ce que l’on dit […] » (b. p. 978) (15) à ces mots « […] ils ne s’abaissent pas jusqu’à vivre » (b. p. 981) (16)

Ici, Montaigne aborde la question du repentir. Et elle va innover de deux manières : une fois par l’évocation d’une sorte nouvelle de conscience de soi ; une autre fois par une refus personnel du repentir.
« […] ce que l’on dit, [à savoir] que la repentance suit de près le péché, ne semble pas concerner le péché qui est bien armé, qui loge en nous comme en son propre domicile. » (b. p. 978) (17)

C’est là que commence un extraordinaire exemple de ce que Robert Ellrodt a appelé une nouvelle forme de la conscience de soi. (18) Montaigne se pose la question : comment se fait-il que certains hommes transgressent les consignes morales les plus évidentes sans le moindre remord ? C’est, avant la lettre, cette interrogation qui hante les générations postérieures à Auschwitz : comment ont-ils pu commettre semblables crimes ? Si la question se pose, c’est qu’une sorte de dialogue interne est imaginé, dialogue qui voit le “je” s’interpeller de telle sorte qu’il rende compte du comportement révolu ou de la pensée aboutie.

Le plus important n’est pas que Montaigne limite le repentir à ceux-là dont les vices les surprennent et vers lesquels leurs passions les emportent, et bien sûr que les autres, ceux chez qui les vices sont enracinés et ancrés en raison d’une longue habitude, ne soient pas sujets au repentir (encore que cela soit justement vu). C’est surtout qu’il parle du rôle variable que joue cette instance très personnelle à laquelle, sans trop s’en apercevoir, le “je” se soumet et qui sécrète ou non la repentance. Il n’a pas découvert le repentir ; il s’avise qu’il est déterminé lui aussi par un certain repli de la conscience. Et rester à l’écoute de ce repli, si ce n’est pas la clé du bonheur, c’est du moins « le point important. » (b. p. 979) (19) Personnellement, j’interpréterais ce propos comme le moyen de bien dormir, dès lors que le repentir ne vous condamne pas à l’insomnie.
« C’est une vie rare que celle qui se maintient en ordre jusque dans son intimité. » (b. p. 978) (20)
(Qu’il me soit permis de dire ma préférence pour l’« exquise » de la version originale par rapport au « rare » de la traduction de Lanly.)

La vertu qui ne se montre pas, celle dont l’auteur est le seul témoin, voilà ce qui demeure sans avarie.
« Emporter une brèche, conduire une ambassade, administrer un peuple, ce sont des actions éclatantes. Réprimander, rire, vendre, payer, aimer, haïr et avoir commerce avec les siens et avec soi-même avec douceur et équité, ne pas se laisser aller, ne pas se contredire par ses actes, c’est une chose plus rare, plus difficile et moins remarquable. Les vies retirées remplissent par là, quoi qu’on dise, des devoirs aussi rudes ou plus et demandant autant ou plus d’efforts que ne font les autres vies. Et les hommes privés, dit Aristote, servent la vertu plus difficilement et plus hautement que ne font ceux qui occupent les hautes charges. Nous nous préparons aux occasions éminentes plus par [désir de] gloire que par conscience. La plus sûre façon d’arriver à la gloire, ce serait de faire par conscience ce que nous faisons pour la gloire. » (b. p. 980) (21)

Je ne résiste pas à l’envie de relever que Montaigne n’évoque jamais le regard de Dieu, sous lequel regard - à son époque - la vertu reste surveillée chez celui qui fait le bien sans témoin. Tout au plus accorde-t-il qu’il supplie Dieu « pour [son] entière réformation et pour qu’il excuse [sa] faiblesse naturelle » (b. p. 985) (22). C’est bien la vertu ignorée de tous, Dieu compris si j’ose dire, qui vaut ce qu’elle peut alors offrir à la vie. Le lien entre la vertu discrète et la félicité est direct, sans aucun intermédiaire. Voilà pourquoi il n’y a que celui qui cache sa vertu, juste ce qu’il faut pour qu’elle soit louée parce que cachée, qui pousse le vice plus loin encore que celui qui exhibe vaniteusement la sienne.

Quatrième partie

La quatrième partie va de ces mots « De même que les âmes vicieuses […] » (b. p. 981) (23) à la fin du chapitre.

C’est là qu’apparaît l’opinion très personnelle que Montaigne se fait de son propre rapport à la vertu et à la repentance, une opinion qui ne peut que déplaire aux théologiens de l’époque et quelquefois encore à ceux d’aujourd’hui.
« Quant à moi je peux désirer d’une manière générale être autre [que je ne suis] ; je peux blâmer ma façon générale d’être et supplier Dieu pour mon entière réformation et pour qu’il excuse ma faiblesse naturelle. Mais cela, je ne dois pas l’appeler repentir, me semble-t-il, pas plus que le déplaisir de n’être ni un ange ni Caton. Mes actions sont bien réglées et conformes à ce que je suis et à ma condition. Et le repentir ne concerne pas proprement les choses qui ne sont pas en notre pouvoir, mais c’est le regret qui les concerne. J’imagine une infinité de natures plus hautes et mieux réglées que la mienne ; je n’améliore pas pour cela mes facultés, de la même façon que ni mon bras ni mon esprit ne deviennent plus vigoureux parce qu’ils en conçoivent d’autres qui le soient. Si imaginer et désirer une façon d’agir plus noble que la nôtre produisait la repentance de la nôtre, nous aurions à nous repentir de nos actions les plus innocentes parce que nous jugeons très bien que chez l’être d’une nature plus éminente que la nôtre elles auraient été conduites avec une plus grande perfection et une plus grande dignité ; et nous voudrions faire de même. Lorsque je réfléchis sur les comportements de la jeunesse en les comparant avec ceux de ma vieillesse, je trouve que je les ai ordinairement conduits avec ordre, selon mes capacités : c’est tout ce que peut ma résistance. Je ne me flatte pas : dans des circonstances pareilles, je serais toujours le même. Ce n’est pas une tache, c’est plutôt une teinture générale qui me tache. Je ne connais pas de repentir superficiel, de repentir moyen et de repentir de cérémonie. Il faut qu’il m’atteigne de toutes parts avant que je le nomme ainsi et qu’il pince mes entrailles et les affecte aussi profondément que Dieu me voit, et aussi complètement. » (b. p. 985) (24)

Pourquoi Montaigne n’accepte-t-il pas de se repentir ?

Il n’exclut pas le regret, mais un regret sans repentir. C’est qu’il entretient avec sa conscience un rapport étroit, ancien et global qui le conduit à refuser d’en réviser les jugements successifs. Après tout, dès lors que le tribunal personnel reste continûment sur le qui-vive, il n’y a pas de raison de croire qu’une révision différée du verdict puisse être mieux en adéquation avec le contexte, tel qu’il est appréhendé au moment des faits. De la même manière que Montaigne n’envisage pas de modifier ce qu’il écrivit en des temps où il pensait différemment - ce qui serait trahir ce qu’il fut -, il n’envisage pas davantage de corriger l’appréciation morale du comportement qui fut précédemment le sien. Et si, à l’occasion, il a transgressé ce qu'il aurait été vertueux de faire, les raisons qui l’y ont conduit au moment d’agir seraient trop facilement ignorées alors que l’enjeu est rétréci, sinon passé.

On peut évidemment penser que Montaigne manifeste là une sorte d’outrecuidance. Pourtant, s’il en est, c’est uniquement dans cette conviction que le tribunal personnel vaut mieux que tout. Et cette conviction ne doit rien à l’idée qu’ego surpasse autrui, mais plutôt à l’idée que le cœur de chacun - si limité soit-il - en sait plus que quiconque. Le repentir affecte ceux qui ont à gagner à sa manifestation, mais aussi ceux qui imaginent des moments d’irréflexion qui méritent d’être désavoués. Les premiers contreviennent par leur imposture à la morale dont ils prétendent se réclamer ; les seconds ne parlent que de ces « vices qui nous surprennent et vers lesquels les passions nous emportent. » (b. p. 978) (25)

Il y a encore autre chose qui incline Montaigne à ne pas se flageller, une chose importante à mes yeux, même si elle passe inaperçue aux yeux de beaucoup. Je sais qu’il serait anachronique d’en tirer des conclusions trop appuyées quant à la philosophie de Montaigne. Mais je reste cependant convaincu qu’elle éclaire sa conduite et sa manière de vivre et de penser sa conduite, tout comme elle permet de mieux comprendre le rapport qu’il entretient avec Dieu. Cette chose, c’est l’idée de l’inéluctabilité de ce qui nous détermine.
« Dans toutes les affaires, quand elles sont passées, et quelle que soit la façon dont cela s’est fait, j’ai peu de regret. L’idée qui m’ôte, en effet, toute peine, c’est qu’elles devaient ainsi se passer : les voilà dans le grand cours de l’univers et dans l’enchaînement des causes stoïciennes : votre pensée ne peut, par souhait et par imagination, en changer un seul point sans que tout l’ordre des choses en soit bouleversé, et le passé et l’avenir. » (b. p. 987) (26)
Être conscient des déterminations, c’est placer dans le plus complet inconfort le fait de juger, et notamment de se juger soi-même. Cette position, qui peut parfois prendre une allure dogmatique, s’épargne pareille dérive lorsqu’elle est conjointe à tout ce que Montaigne a dit et a fait, qui nous est connu et qui lui confère une portée pratique clairement circonscrite. On peut juger ses actes pour en agir mieux, sans pour autant renier ce qui fut fait. C’est la simple continuation de cette vigilance de la conscience à laquelle n’échappent que ceux dont « le péché est bien armé » et loge en eux « comme en son propre domicile ».

Cela dit, Montaigne ne croit guère au perfectionnement constant. Il est même très sévère à l’égard de la vieillesse, d’autant qu’il ne vécut que jusqu’à 59 ans, âge qui n’étonnera pas à son époque, mais âge auquel les atteintes du temps restent encore mesurées, même à son époque.

« Nous appelons “sagesse” nos caractères difficiles, le dégoût des choses présentes. Mais, à la vérité, nous n’abandonnons pas autant les vices que nous les changeons et, à mon avis, en pire. Outre une sotte et fragile fierté, un bavardage ennuyeux, ces caractères désagréables et insociables et la superstition et un souci ridicule des richesses alors qu’on en a perdu l’usage, je trouve dans la vieillesse plus d’envie, d’injustice et de méchanceté. Elle nous attache plus de ride dans l’esprit que sur le visage ; et on ne voit pas d’âmes - ou elles sont fort rares - qui en vieillissant ne sentent l’aigre et le moisi. L’homme marche tout entier vers sa croissance et [puis] vers son déclin. » (b. p. 990) (27)

Peut-être Montaigne parle-t-il ainsi de la vieillesse afin de s’assurer que, l’âge venant, il garde une conscience vigilante. Peut-être moi-même formulé-je cette hypothèse pour m’assurer que l’âge n’attache pas trop de rides à mon esprit. Tout se tient dans ce qui nous détermine, si dur pourtant à deviner.

(1) Montaigne, “Du repentir”, chapitre II du livre III des Essais [1588] ; a. édition établie par Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnin-Simonin, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, pp. 844-859 ; b. adaptation en français moderne d’André Lanly, Gallimard, Quarto, 2009, pp. 974-990.
(2) « … que la mémoire me secourust mieux » (a. p. 846).
(3) « Le monde n’est qu’une branloire perenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Ægypte : et du branle public et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. » (a. pp. 844-845)
(4) « C’est un contrerolle de divers et muables accidens, et d’imaginations irresolues, et quand il y eschet, contraires : soit que je sois autre moy-mesme, soit que je saisisse les subjects, par autres circonstances, et considerations. Tant y a que je que me contredis bien à l’adventure, mais la vérité, comme disoit Demades, je ne la contredy point. » (a. p. 845)
(5) « Je propose une vie basse, et sans lustre : C’est tout un. On attache aussi bien toute la philosophie morale, à une vie populaire et privée, qu’à une vie de plus riche estoffe : chaque homme porte la forme entiere, de l’humaine condition. » (a. p. 845)
(6) « Un personnage sçavant n’est pas sçavant par tout : Mais le suffisant est par tout suffisant, et à ignorer mesme. Icy nous allons conformément, et tout d’un train, mon livre et moy. » (a. p. 846) À noter cette traduction de Lanly du mot suffisant par l’expression homme de talent que je trouve malheureuse. Le suffisant, pour Montaigne, ce n’est évidemment pas le prétentieux, imbu de sa personne, mais bien celui qui se contente de n’être rien d’autre que ce qu’il est.
(7) « Les autres forment l’homme, je le recite […] (a. p. 844).
(8) « Excusons icy ce que je dy souvent » (a. p. 846).
(9) « […] qua sublata, iacent omnia » (a. p. 848).
(10) « Il n’est […] bonté, qui ne resjouysse une nature bien née. » (a. p. 847) Traduire bonté par conduite louable me semble en l’occurrence justifié.
(11) « Dieu me garde d’estre homme de bien, selon la description que je voy faire tous les jours par honneur, à chacun de soy. Quae fuerant uitia, mores sunt. » (a. p. 847) La citation est de Sénèque, Lettres à Lucilius, XXXIX.
(12) « J’ay mes loix et ma cour, pour juger de moy, et m’y adresse plus qu’ailleurs. Je restrains bien selon autruy mes actions, mais je ne les estends que selon moy. » (a. p. 848)
(13) « Il n’est vice veritablement vice, qui n’offense, et qu’un jugement entier n’accuse : Car il a de la laideur et incommodité si apparente, qu’à l’adventure ceux-là ont raison, qui disent, qu’il est principalement produict par bestise et ignorance : tant est-il mal-aisé d’imaginer qu’on le cognoisse sans le haïr. La malice hume la pluspart de son propre venin, et s’en empoisonne. Le vice laisse comme un ulcere en la chair, une repentance en l’âme, qui tousjours s’esgratigne, et s’ensanglante elle mesme. » (a. pp. 846-847)
(14) « Je tiens pour vices (mais chacun selon sa mesure) non seulement ceux que la raison et la nature condamnent, mais ceux aussi que l’opinion des hommes a forgé, voire fauce et erronée, si les loix et l’usage l’auctorise. » (a. p. 847)
(15) « Mais ce qu’on dit […] » (a. p. 848)
(16) « Il nous semble que de ces hauts thrones ils ne s’abaissent pas jusques à vivre. » (a. p. 850)
(17) « […] ce qu’on dit, que la repentance suit de près le peché, ne semble pas regarder le peché qui est en son haut appareil : qui loge en nous comme en son propre domicile. » (a. p. 848)
(18) Cf. Robert Ellrodt, Montaigne et Shakespeare. L’émergence de la conscience moderne, José Corti, 2011, plus particulièrement le chapitre I (pp. 13-43). Je suis loin d’adhérer à tout ce qu’il y dit de Montaigne, mais je suis totalement d’accord avec l’idée d’une « mise en question du moi ». Là où il y voit une source éventuelle de liberté (Sartre, Todorov), j’y verrais plutôt la conscience de déterminations profondes.
(19) « […] c’est le point. » (a. p. 848)
(20) « C’est une vie exquise, celle qui se maintient en ordre jusques en son privé. » (a. p. 848)
(21) « Gaigner une bresche, conduire une ambassade, regir un peuple, ce sont des actions esclatantes : tancer, rire, vendre, payer, aymer, hayr, et converser avec les siens, et avec soy-mesme, doucement et justement : ne relascher point, ne se desmentir point, c’est chose plus rare, plus difficile, et moins remerquable. Les vies retirées soustiennent par là, quoi qu’on die, des devoirs autant ou plus aspres et tendus, que ne font les autres vies. Et les privez, dit Aristote, servent la vertu plus difficilement et hautement, que ne font ceux qui sont en magistrat. Nous nous preparons aux occasions eminentes, plus par gloire que par conscience. La plus courte façon d’arriver à la gloire, ce seroit faire pour la conscience ce que nous faisons pour la gloire. » (a. pp. 849-850)
(22) « […] supplier Dieu pour mon entiere reformation, et pour l’excuse de ma foiblesse naturelle […] » (a. pp. 854)
(23) « Comme les ames vicieuses sont incitées […] » (a. p. 850)
(24) « Quant à moy, je puis desirer en general estre autre : je puis condamner et me desplaire de ma forme universelle, et supplier Dieu pour mon entiere reformation, et pour l’excuse de ma foiblesse naturelle : mais cela, je ne le doibs nommer repentir, ce me semble, non plus que le desplaisir de n’estre ny Ange ny Caton. Mes actions sont reglées, et conformes à ce que je suis, et à ma condition. Je ne puis faire mieux : et le repentir ne touche pas proprement les choses qui ne sont pas en nostre force : ouy bien le regret. J’imagine infinies natures plus hautes et plus reglées que la mienne : Je n’amende pourtant mes facultez : comme ny mon bras, ny mon esprit, ne deviennent plus vigoureux, pour en concevoir un autre qui le soit. Si l’imaginer et desirer un agir plus noble que le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à nous repentir de nos opérations plus innocentes : d’autant que nous jugeons bien qu’en la nature plus excellente, elles auroyent esté conduictes d’une plus grande perfection et dignité : et voudrions faire de mesme. Lors que je consulte des deportemens de ma jeunesse avec ma vieillesse, je trouve que je les ay communement conduits avec ordre, selon moy. C’est tout ce que peut ma resistance. Je ne me flatte pas : à circonstances pareilles, je seroy tousjours tel. Ce n’st pas macheure, c’est plustost une teinture universelle qui me tache. Je ne cognoy pas de repentance superficielle, moyenne et de ceremonie. Il faut qu’elle me touche de toutes parts, avan que je la nomme ainsin : et qu’elle pinse mes entrailles, et les afflige autant profondement, que Dieu me voit, et autant universellement. » (a. p. 854)
(25) « On peut desavouer et desdire les vices, qui nous surprennent, et vers lesquels les passions nous emportent » (a. p. 848)
(26) « En tous affaires quand ils sont passés, comment que ce soit, j’y ay peu de regret : Car cette imagination me met hors de peine, qu’ils devoyent ainsi passer : les voylà dans le grand cour de l’univers, et dans l’encheineure des causes stoïques. Vostre fantasie n’en peut, par souhait et imagination, remuer un poinct, que tout l’ordre des choses ne renverse et le passé et l’advenir. » (a. p. 856)
(27) « Nous appellons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes : mais à la vérité, nous ne quittons pas tant les vices, comme nous les changeons : et, à mon opinion, en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des richesses, lors que l’usage en est perdu, j’y trouve plus d’envie, d’injustice et de malignité. Elle nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage : et ne se void point d’ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l’aigre et le moisi. L’homme marche entier, vers son croist et vers son décroist. » (a. p. 858)

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