Le sens pratique
de Pierre Bourdieu
Sur la place publique que constituent désormais les médias, deux sortes d’opinions se disputent le souvenir de Pierre Bourdieu. Il y a ceux qui, ne l’ayant pas lu ou mal lu, ne lui reconnaissent que des défauts. Et puis, il y a ceux qui, ne l’ayant pas lu davantage, ni mieux, n’en finissent pas de lui trouver des qualités. Heureusement, il existe aussi des lieux moins courus où l’on persiste à se laisser inspirer par son meilleur, sans renoncer à s’en démarquer à l’occasion. Je ne désignerai d’exemples ni de ceux-là, ni de ceux-ci, car autant je ressens nettement ces contrastes lorsque je pense à leur mouvement d’ensemble, autant je reste incertain sur quelque jugement particulier que ce soit, faute de la compétence pointue qui le rendrait pertinent et que je suis bien loin de posséder.
Bourdieu n’est pas un monolithe. Le temps est synonyme d’évolution, pour lui comme pour quiconque. Il est donc de bonne méthode, lorsqu’on se penche sur les idées d’un disparu, de ne pas négliger les changements qui ont pu les affecter, serait-ce à son insu. Évidemment, il importe de le faire avec la plus grande prudence, particulièrement lorsqu’on limite sa recherche à ce qu’il a publié. Tout au plus reste-t-il possible, à ce niveau de superficialité, d’échafauder des hypothèses. Celles-ci auront peut-être le mérite de témoigner du stade actuel de ma propre évolution dans la compréhension de Bourdieu, serait-ce même en tentant de me remémorer des compréhensions antérieures. Elles auront aussi le grave défaut de faire l’impasse sur un examen approfondi des éléments susceptibles d’en justifier la formulation.
Un des moments qui permet de construire l’hypothèse d’une évolution dans le modus operandi de Bourdieu me semble depuis longtemps correspondre à la publication, en 1980, de ce livre mi-ethnologique mi-philosophique qu’il a appelé Le sens pratique (1). Celui-ci s’inscrit bien sûr dans l’ensemble des travaux qui lui ont été inspirés par son séjour en Algérie, et plus particulièrement en Kabylie. (2) Il constitue aussi, me semble-t-il, l’aboutissement d’une réflexion qu’il a entamée dans les années 1962, 1963 ou 1964, lorsqu’il perçut l’incomplétude de la démarche politique - voire quelque chose comme son inanité - (3) et qu’il mesura, probablement sous l’influence du structuralisme lévi-straussien, l’intérêt pour la science sociale d’élucider plus que jamais les causes ignorées des comportements. Il représente en outre l’acmé d’un style expressif compliqué qui n’est certes pas sans rapport avec les choses à expliciter, mais qui lui fit perdre - je crois - bien des lecteurs.
Il y aurait beaucoup à dire, bien évidemment, sur ce qui témoigne ultérieurement d’un changement, que ce soit une moindre focalisation sur l’Algérie et même sur l’ethnologie, mais aussi une moindre insistance sur l’aspect proprement philosophique de la non conscience, et aussi le retour à un style moins revêche. Pour l’essentiel, je m’en dispenserai, dès lors que l’important me semble être d’expliciter ce que je retiens personnellement du Sens pratique. Reste que Bourdieu revint tout de même sur ce qu’il appela alors sa « philosophie de la science » et sa « philosophie de l’action » dans un ouvrage qu’il espéra plus convaincant : Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action (4).
On sait combien le principe de neutralité axiologique, inspiré de Max Weber, a donné lieu à bien des controverses, tout particulièrement dans le cas de Bourdieu, car il appela quelquefois à son strict respect, comme il le transgressa hardiment à d’autres moments. Ce qui est là en cause, c’est bien sûr un rapport au politique qui oscille d’un retrait salvateur propre à mieux appréhender la réalité sociale à un engagement déclaré qu’imposerait une urgence précisément mise en évidence par la recherche. Qu’on ne puisse agir lorsqu’on cherche, qu’on ne puisse chercher lorsqu’on agit, voilà une consigne à laquelle il est très malaisé de se tenir ; le savant et le politique sommeillent en chaque esprit qui cherche, ainsi que Weber en donna lui-même l’exemple en participant aux négociations préalables au traité de Versailles. En fait, ce dilemme est étroitement lié à celui que posent théorie et pratique, ce dernier ouvrant la porte à une réflexion aux dimensions philosophiques autrement vertigineuses.
Quelle est l’ambition du Sens pratique, ce livre qui suivit de peu La distinction (5), un ouvrage où le principe de la non conscience et celui de l’illusion de la transparence ont guidé la recherche et en ont assuré la pertinence ? Il s’attache à distinguer (encore et toujours) la théorie et la pratique jusque dans leurs caractéristiques les plus méconnues et jusque dans leurs fondements les plus philosophiques. C’est la pratique qui s’offre d’abord à voir et, pour mieux faire comprendre l’intérêt de la distinction, il me paraît utile de partir d’un exemple, un exemple que je puiserai dans le chapitre 7 du livre 1, un chapitre intitulé “Le capital symbolique” (pp. 191-207).
Partons d’une des différences entre la société occidentale, qu’une économie régulée rationnellement porte au calcul intéressé, et la société archaïque - en l’occurrence la société traditionnelle kabyle -, où une part essentielle de l’économie repose sur des échanges motivés par le choix du don et du contre-don. Que voit l’ethnologue lorsqu’il observe ces échanges (tels qu’ils ont pu être observés au début des années 60) ? Au départ, il voit ce que lui permet de voir son propre rapport à l’économie, c’est-à-dire ce que lui dicte une certaine propension à l’économisme. Je cite :
« L’économisme est une forme d’ethnocentrisme : traitant les économies précapitalistes, selon le mot de Marx, “comme les Pères de l’Église traitaient les religions qui avaient précédé le christianisme”, il leur applique des catégories, des méthodes (celle de la comptabilité économique, par exemple) ou des concepts (comme les notions d’intérêt, d’investissement ou de capital, etc.) qui, étant le produit historique du capitalisme, font subir à leur objet une transformation radicale, semblable à la transformation historique d’où ils sont issus. Ainsi, parce qu’il ne connaît pas d’autre espèce d’intérêt que celui que le capitalisme a produit, par une sorte d’opération réelle d’abstraction, en instaurant un univers de relations fondées sur “le froid paiement au comptant”, et plus généralement en favorisant la constitution de champs relativement autonomes, c’est-à-dire capables de poser leur axiomatique propre (par la tautologie originaire, “les affaires sont les affaires”, sur laquelle se fonde l’“économie”), l’économisme ne peut intégrer dans ses analyses et moins encore dans ses calculs aucune des formes de l’intérêt “non économique” : comme si le calcul économique n’avait pu s’approprier le terrain objectivement livré à la logique impitoyable de “l’intérêt tout nu”, comme dit Marx, qu’en abandonnant un îlot sacré, miraculeusement épargné par “l’eau glaciale du calcul égoïste”, asile de ce qui n’a pas de prix, par excès ou par défaut. » (p. 192)
Or, ce que l’ethnologue a à voir, c’est tout autre chose, quelque chose qui reste invisible à qui baigne dans l’économisme, quelque chose dont la théorisation implique de lier son fonctionnement à l’ignorance des conditions de ce fonctionnement. Je cite :
« La construction théorique qui projette rétrospectivement le contre-don dans le projet du don n’a pas pour effet seulement de transformer en enchaînements mécaniques d’actes obligés l’improvisation à la fois risquée et nécessaire des stratégies quotidiennes qui doivent leur infinie complexité au fait que le calcul inavoué du donateur doit compter avec le calcul inavoué du donataire, donc satisfaire à ses exigences en ayant l’air de les ignorer. Elle fait disparaître, dans la même opération, les conditions de possibilité de la méconnaissance institutionnellement organisée et garantie,qui est au principe de l’échange de dons et, peut-être, de tout le travail symbolique visant à transmuer, par la fiction sincère d’un échange désintéressé, les relations inévitables et inévitablement intéressées qu’imposent la parenté, le voisinage ou le travail, en relations électives de réciprocité et, plus profondément, à transformer les relations arbitraires d’exploitation (de la femme par l’homme, du cadet par l’aîné ou des jeunes par les anciens) en relations durables parce que fondées en nature. » (p. 191) (6)
Cet exemple emprunté à une pratique kabyle a pour lui de montrer à la fois la difficulté que représente toute théorie qui se prive de prendre en compte la logique de la pratique, mais aussi la difficulté de toute connaissance savante de la pratique. Bourdieu n’hésite pas, à ce sujet, à montrer du doigt Platon et Nietzsche, comme si le premier avait installé la théorie sur un socle dont le second aurait tenté de la faire tomber. Je cite :
« L’analyse de la logique de la pratique serait sans doute plus avancée si la tradition scolaire n’avait toujours posé la question des rapports entre la théorie et la pratique en termes de valeur. C’est ainsi que, dans le passage fameux du Théétète, Platon fausse d’emblée le jeu lorsque, au travers d’une description toute négative de la logique de la pratique (*1) qui n’est que l’envers d’une exaltation de la skolé, liberté à l’égard des contraintes et des urgences de la pratique qui est donnée pour la condition sine qua non de l’accès à la vérité (“nos propos sont à nous comme des domestiques”), il offre aux intellectuels une “théodicée de leur propre privilège”. À ce discours justificateur qui, dans ses formes les plus extrêmes, définit l’action comme “impuissance à contempler” (astheneia théorias), la philosophie (s’agirait-il de la philosophia plebeia que l’aristocratisme platonicien constitue négativement) n’a jamais opposé qu’une inversion de signe, un renversement de la table des valeurs, comme dans ce texte idéaltypique où Nietzsche conclut la critique la plus aiguë de la connaissance “pure” en revendiquant pour le mode de connaissance qu’il lui préfère les vertus mêmes qu’elle professe, comme l’objectivité : “Tenons-nous dorénavant mieux en garde, messieurs les philosophes, contre cette fabulation de concepts anciens et dangereux qui a fixé un ‘sujet de connaissance, sujet libre, sans volonté, sans douleur, libéré du temps’, gardons-nous des tentacules de notions contradictoires telles que ‘raison pure’, ‘esprit absolu’, ‘connaissance en soi’ : − ici l’on demande de penser à un œil qui ne peut pas du tout être imaginé, un œil dont, à tout prix, le regard ne doit pas avoir de direction, dont les fonctions actives et interprétatives seraient liées, seraient absentes, ces fonctions seules qui donnent son objet à l’action de voir, on demande donc quelque chose d’insensé et d’absurde. Il n’existe qu’une vision perspective, une ‘connaissance’ perspective ; et plus notre état affectif entre en jeu vis-à-vis d’une chose, plus nous avons d’yeux, d’yeux différents pour cette chose, et plus complète sera notre ‘notion’ de cette chose, notre ‘objectivité’.” (*2) Le difficile est sans doute qu’on ne peut sortir du jeu des préférences inversées pour produire une véritable description de la logique de la pratique sans mettre en jeu la situation théorique, contemplative, solaire, à partir de laquelle se tiennent tous les discours, y compris les plus acharnés à valoriser la pratique. » (pp. 47-48)
Ai-je besoin de dire que l’exemple choisi, parce qu’il évoque une pratique sociale qui réclama énormément de perspicacité pour que soit entrevue sa logique - je vise là l’extrême acuité de Claude Lévi-Strauss -, rend bien mal compte de la fréquence des interprétations erronées auxquelles donnent lieu les pratiques du quotidien, y compris lorsqu’elles balancent entre une théorisation amputée des aspects pratiques de la pratique et une pratique dont aucun effort de généralisation n’éclaire les enjeux ? Le dire ainsi, c’est encore succomber, bien sûr, aux travers dénoncés, puisqu’il y a, du côté de la pratique, comme un indicible que la culture et le langage érigent tel.
Comme pour d’autres livres de Bourdieu, l’ouvrage intitulé Le sens pratique a été précédé d’une analyse approfondie qui trouva place dans les Actes de la recherche en science sociale. Il s’agit d’un article intitulé lui aussi “Le sens pratique” (7). C’est là que Bourdieu, après de longs développements relatifs à la mise en relation des pratiques rituelles et techniques avec les conditions d’existence du monde social kabyle, tente de circonscrire les problèmes philosophiques auxquels se heurte toute verbalisation relative aux pratiques. Une pratique est un acte qui s’épargne un discours, ce qui donne à penser qu’aucun discours ne peut vraiment en rendre compte. Il est très significatif, à cet égard, que la revue fondée en 1975 par Bourdieu ait pris le nom d’Actes, comme s’il s’agissait de marquer la tentative de sauter le fossé quasi infranchissable qui sépare théorie et pratique.
Là, dans cet article de 1976, est hasardée une mise en cause radicale de toute la philosophie occidentale. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer l’effet Platon, mais de pointer du doigt ce qui a conduit l’anthropologie elle-même à souffrir de cette incapacité à distinguer ce que l’objet possède et que le discours ne peut traduire. Je cite (une note en bas de page) :
« Faute d’avoir su apercevoir dans la logique mythico-rituelle un cas particulier de la logique pratique dont les sociétés archaïques n’ont pas le monopole et qui doit être analysée en tant que telle, en dehors de toute référence normative à la logique logique, faite pour la détruire et non pour la décrire, l’anthropologie s’est enfermée dans l’antinomie indépassable de l’altérité et de l’identité, de la “mentalité primitive” et de la “pensée sauvage” dont Kant livrait déjà le principe dans l’Appendice à la Dialectique Transcendantale : selon les intérêts qui l’animent, la “raison” obéit soit au “principe de spécification” qui la conduit à rechercher et à accentuer les différences, soit au “principe de l’agrégation” ou de l’“homogénéité”, qui la porte à retenir les ressemblances, et, par une illusion qui la caractérise, elle situe le principe de ces jugements non en elle-même mais dans la nature de ses objets. » (8)
Comment mieux dire que, au-delà de l’ethnocentrisme - du racisme même -, il y a cette barrière qui se dresse devant le dire lorsqu’il veut caractériser une pratique et qui, lorsqu’il s’agit de juger une autre culture, ajoute une incompréhension fondamentale à toutes les démangeaisons de juger les différences à son profit ?
L’intérêt d’une pareille mise en cause de notre capacité au discernement - et particulièrement de notre confiance en la démarche scientifique - n’est pas contestable. Il y va d’un refus de toute forme d’aveuglement. Mais la question qui s’impose alors est : qu’est-ce qu’on fait de cette lucidité dernière ? On se trouve en quelque sorte devant la même impression d’impuissance que celle que procure la pensée de Ludwig Wittgenstein, lorsqu’il ébranle la confiance à accorder aux mots, par exemple lorsque ceux-ci ne traduisent pas un constat de fait. Si demeure le désir d’agir, toute voie sans issue, fût-elle aperçue, doit être délaissée.
Je me demande si ce n’est pas cet accul qui est à l’origine du tournant que je crois apercevoir dans les préoccupations de Bourdieu : sa motivation politique - qui le conduira à l’arborer de plus en plus - réclame qu’il agisse, ce qui en quelque sorte pourrait le mettre à l’abri des apories dont pâtit toute théorie de la pratique, mais qui réclame aussi qu’il en théorise l’urgence, ne serait-ce qu’a minima. Et alors, à quoi bon saper ce qui plaide en faveur de ses aspirations ?
J’avais déjà tenté d’émettre un avis sur les embûches que réserve la distinction entre théorie et pratique. (9) Il n’est pas impossible que là comme ici - et aussi entre là et ici - des contradictions puissent être dépistées. Ai-je besoin d’encore insister sur la fragilité de mon bagage, non pour réclamer la moindre indulgence, mais pour circonscrire les idées que j’ose défendre à une opinion possible que son existence ne valide pas ?
(1) Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Éd. de Minuit, 1980.
(2) Cf. Sociologie de l’Algérie, PUF, 1961 ; The Algerians, Beacon Press, Boston, 1962 ; Le déracinement, Éd. de Minuit, 1964 (en coll. avec A. Sayad) ; Travail et travailleurs en Algérie, Mouton, 1964 (en coll. avec A. Darbel, J.-P. Rivet et C. Seibel) ; Esquisse d’une théorie de la pratique, précédée de trois études d’ethnologie kabyle, Droz, Genève, 1972 ; Algérie 60, Éd. de Minuit, 1977.
(3) Pour l’inclination politique dont il s’est affranchit quelque peu, cf. “Révolution dans la révolution”, Esprit, n° 1, janvier 1961, pp. 27-40 ; “De la guerre révolutionnaire à la révolution” in Algérie de demain, PUF, 1962, pp. 5-13.
(4) Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Seuil, 1994.
(5) Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Éd. de Minuit, 1979.
(6) Bourdieu reviendra ultérieurement sur ce qu’il appelle l’économie symbolique et sur le bond qu’avait représenté l’analyse du don et du contre-don que Claude Lévi-Strauss avait opposée à celle de Marcel Mauss, « structure de réciprocité transcendante aux actes d’échange » plutôt que « suite discontinue d’actes généreux » (in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, PUF, 1950, cf. “Introduction” et “Deuxième partie”). À propos de ce qu’en avait dit Lévi-Strauss, il précisa alors : « Mais cette vérité structurale est comme refoulée, collectivement. On ne peut comprendre l’existence de l’intervalle temporel que si l’on fait l’hypothèse que celui qui donne et celui qui reçoit collaborent, sans le savoir, à un travail de dissimulation tendant à dénier la vérité de l’échange, le donnant-donnant, qui représente l’anéantissement de l’échange de dons. On touche là un problème très difficile : la sociologie, si elle s’en tient à une description objectiviste, réduit l’échange de dons au donnant-donnant et ne peut plus fonder la différence entre un échange de dons et un acte de crédit. Ainsi, ce qui est important dans l’échange de dons, c’est le fait qu’à travers l’intervalle de temps interposé les deux échangeurs travaillent, sans le savoir et sans se concerter, à masquer ou à refouler la vérité objective de ce qu’ils font. Vérité que le sociologue dévoile, mais avec le risque de décrire comme un calcul cynique un acte qui se veut désintéressé et qu’il faut prendre comme tel, dans sa vérité vécue, dont le modèle théorique doit aussi prendre acte et rendre compte. » (Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, p. 180)
(*1) À travers l’évocation des intellectuels “pratiques”, Platon dégage deux des propriétés les plus importantes de la pratique, cette “course pour la vie” (péri psychés o dromos), à savoir la pression de l’urgence temporelle (“l’eau de la clepsydre se hâte de couler”) qui interdit de s’arrêter aux problèmes intéressants, de les reprendre plusieurs fois, de revenir en arrière, et l’existence d’enjeux pratiques, parfois vitaux (Théétète, 172c-173b).
(*2) F. Nietzsche, La généalogie de la morale, trad. H. Albert, Mercure de France, 1948, p. 206.
(7) Pierre Bourdieu, “Le sens pratique” in Actes de la recherche en science sociale, février 1976, n° 1, pp. 43-86.
(8) Pierre Bourdieu, Op. cit., p. 85, n. 104. Ce que Bourdieu vise lorsqu’il évoque l’Appendice à la dialectique transcendantale de Kant, c’est notamment ce type de développement : « Je soutiens donc que les idées transcendantales n’ont jamais d’usage constitutif qui fournisse à lui seul des concepts de certains objets, et que, dans le cas où on les entend ainsi, elles sont simplement des concepts sophistiques (dialectiques). Mais, en revanche, elles ont un usage régulateur excellent et indispensablement nécessaire : celui de diriger l’entendement vers un certain but qui fait converger les lignes de direction que suivent toutes ses règles en un point qui, pour n’être, il est vrai, qu’une idée (focus imaginarius), c’est-à-dire un point d’où les concepts de l’entendement ne partent pas réellement, - puisqu’il est entièrement placé hors des bornes de l’expérience possible, - sert cependant à leur procurer la plus grande unité avec la plus grande extension. Or, il en résulte pour nous, à la vérité, une illusion telle que toutes ces lignes nous semblent partir d’un objet même situé en dehors du champ de la connaissance empirique possible (de la même façon que l’on aperçoit les objets derrière la surface du miroir) ; mais cette illusion (que l’on peut cependant empêcher de tromper) n’en est pas moins inévitablement nécessaire, si, outre les objets qui sont devant nos yeux, nous voulons voir en même temps ceux qui sont loin derrière nous, c’est-à-dire si nous voulons, dans le cas présent, pousser l’entendement au-dessus de toute expérience donnée (faisant partie de toute l’expérience possible) et le dresser ainsi à prendre l’extension la plus grande possible et la plus excentrique. » (Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, PUF, Quadrige, 1984, pp. 453-454.)
(9) Cf. ma note du 18 mars 2022.
Autres notes sur Bourdieu :
À propos d’une analogie
Critique de Pierre Bourdieu de Verdrager
Le chapitre "Les fondements historiques de la raison" des Méditations pascaliennes
L’ordre du discours de Foucault et La leçon sur la leçon
"Avant-propos" in Les règles de l’art
Sur l’État - Première note
Sur l’État - Deuxième note
Sur l’État - Troisième note
Sur l’État - Quatrième note
Bourdieu, Pascal, la philosophie et l’“illusion scolastique” de Jacques Bouveresse
Manet. Une révolution symbolique
À propos du désarroi de Pierre Bourdieu
À propos de Bourdieu et Finkielkraut
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