Sur son blog, David Violet a placé deux notes - l’une le 15 juin 2019, l’autre le 6 juillet 2019 (et il en annonce une éventuelle troisième) - en vue de répondre à ma propre note du 15 mai 2019 consacrée à la morale. Cette dernière ne faisait d’ailleurs que poursuivre un débat entamé dès le mois de février, débat que je me propose de poursuivre ici.
D’emblée, il me faut dire que j’ai été frappé par ce qui différencie la note du 6 juillet de celle du 15 juin. Au début de celle-ci, David Violet annonçait d’ailleurs qu’il s’y consacrait à rectifier « un certain nombre de malentendus », « avant d’en arriver à ce [qu’il] juge le 'vif du sujet’ ». Peut-être cette différence a-t-elle un rapport avec ce qui m’apparaît comme un glissement à propos de la question débattue ; encore formulée « Y a-t-il une connaissance morale » le 15 juin, elle porte, le 6 juillet, sur « les fondements d’une connaissance morale ». Suis-je en train d’accorder une importance excessive à cette nuance ? Peut-être, mais j’ai l’impression que David Violet a lui-même souhaité que j’en tienne compte. J’y reviendrai.
Compte tenu de cette différence - sinon effective, du moins perçue -, je commenterai les deux notes séparément.
1. La note du 15 juin 2019
Je m’en voudrais de donner l’impression que je passe à une sorte de métadiscours (procédé qu’utilisent parfois ceux qui ne veulent plus répondre aux arguments qu’on leur oppose et qui consiste à reprendre les choses d’un point de vue plus global dans l’espoir d’y trouver, sinon de quoi convaincre, du moins de quoi vaincre). Je suis d’autant moins tenté de le faire (mais je vais de me livrer à quelque chose qui y ressemble), que tout l’intérêt des échanges auxquels je me livre avec David Violet réside, selon moi, dans le fait que nous livrons chacun ce qu’il nous semble possible de penser des questions débattues, sans durcir l’exercice par de trop copieux savoirs techniques empruntés. J’entends bien, donc, répondre à ses arguments, même si je souhaite préalablement faire état d’idées personnelles qui, à ce stade de la discussion, me paraissent mériter d’être exposées.
La hiérarchie des savoirs et des savants
En ce qui me concerne - je l’ai souvent dit -, je ne suis pas philosophe et je ne me sens pas capable de porter le débat jusqu’à un niveau où il pourrait embrasser tout ce que la philosophie “professionnelle” élucide (et dont le niveau de complexité dépasse ce que je puis suivre aisément). Je ne voudrais surtout pas être mal compris, mais il me paraît utile de faire ici état d’une conviction que j’entretiens depuis longtemps et qui concerne une hiérarchie des savoirs et des savants. Quel que soit le domaine abordé, on peut supposer qu’existent différents niveaux de débat ; depuis le sens commun le plus élémentaire, jusqu’à l’expertise la plus pointue, en passant par divers degrés d’information, les échanges d’arguments prennent des tournures très variées (1). Or, si des différences de niveau entre contradicteurs sont trop grandes, apparaissent des risques de domination, d’intimidation, voire de cuistrerie.
Le fait serait presque banal si l’on pouvait admettre que les mieux lotis en savoirs sont nécessairement ceux qui approchent au plus près la vérité des choses. Mais tel n’est pas toujours le cas. Au risque de paraître me consoler un peu vite de mes ignorances, je suis plutôt porté à supposer que la vérité des choses est à l’occasion mieux approchée par un niveau qui n’est pas le plus supérieur. C’est que la compétence se paie quelquefois d’un prix qui équivaut à une sorte d’enfermement dans ce que l’on peut appeler les controverses de spécialistes. Sans parler bien sûr des positions statutaires qui reconnaissent souvent au savant connu un droit de dire plus conforme, plus juste, plus vrai.
Je crois que, à cet égard, un exemple éclaircira peut-être ce que je veux dire. Partons d’un livre de philosophie (c’est le terrain sur lequel nous débattons), d’un livre consacré à la philosophie de la connaissance (c’est le domaine où nous nous aventurons), un livre relativement récent et émanant d’une philosophe qui a, entre autres, bénéficié de l’influence de Jacques Bouveresse (nous le citons volontiers) et qui a le mérite de faire le point sur un maximum d’antécédents aux questions actuelles que posent la réalité, le rationalisme, la connaissance et la métaphysique. Je veux parler du Ciment des choses de Claudine Tiercelin (Éd. d’Ithaque, 2011).
Il me faut admettre que je suis très loin d’en avoir tout compris. Il est probable qu’une pleine compréhension de l’ouvrage réclamerait au moins d’avoir lu et compris les auteurs cités et surtout d’avoir pleinement assimilé la position précise des divers courants qui permettent à Tiercelin de dresser des inventaires d’avantages et d’inconvénients en rapport avec chacun d’eux. Reste que je n’ai pas le sentiment qu’elle ait bluffé (ce qui arrive quelquefois) et moins encore qu’elle ait tracé une ligne de conduite (il s’agit de la “métaphysique scientifique réaliste”) qui ne soit pas conforme à ses convictions. Si je cite ce livre, c’est parce qu’il participe, me semble-t-il, aux tentatives actuelles visant à endiguer l’irrationalisme et à accorder à la démarche scientifique l’attention que selon moi elle mérite. Mais c’est aussi parce que l’auteure me paraît avoir opéré in fine des choix (je pense plus précisément aux voies que représentent pour elle la métaphysique - comprise notamment comme le recours à l’abduction des mondes possibles ou à l’usage théorique des inobservables, voire aux expériences de pensée) qui ne sont peut-être pas mieux justifiés, en définitive, que ceux que feraient de bien moins savants sur des bases intuitives. Rien ne permet d’écarter l’hypothèse que ce qui me fait parler ainsi est la profondeur de ma méconnaissance des arguments déployés, ce que je confesse très volontiers. Mais pour que j’en rabatte vraiment au sujet des mérites éventuels d’une conviction fondée sur un niveau de savoir plus modeste, il ne suffirait pas d’établir que je parle de choses que je connais mal - ce qui est incontestable -, mais bien de prouver que les choix posés par Claudine Tiercelin sont effectivement décisifs, au point par exemple, que ceux qui en sauraient autant qu’elle se rallient à ses convictions.
Bien entendu, cette légitimité des “moins sachants” est très relative et il ne faudrait pas en déduire que savoir et ignorer se valent. La démarche scientifique exige de savoir autant que cela est possible et s’inquiéter de savoir est en tout cas plus profitable à ceux qui tentent de démêler le faux du vrai que ne peut l’être de se satisfaire d’ignorer. Croire savoir est par contre un sérieux handicap, dont une dose de relativisme et de scepticisme permet peut-être de se protéger.
Si j’ai cru bon d’évoquer ici cette question de la hiérarchie des savoirs et des savants, c’est parce que - j’ose le dire - je n’ai aucune difficulté à affirmer tout l’intérêt que présentent pour moi les arguments échangés avec David Violet - lequel est souvent mieux éclairé que moi -, même si je suis par ailleurs conscient que d’autres, sur ces mêmes questions, pourraient raffiner fortement les concepts et les références. Il y a ceux qui défendent des opinions sans être conscients que d’autres détiennent un savoir qu’il ne serait pas inutile de détenir. Il y a ensuite ceux qui renoncent à défendre leurs opinions, conscients qu’ils sont qu’elles pourraient être mieux justifiées. Et puis, il y ceux qui sont conscients de leurs limites et qui ne renoncent pas pour autant à défendre leurs opinions, au moins jusqu’à ce qu’ils découvrent de quoi les réviser ; je suis plutôt de ceux-ci. Or, le fait est que la question de la connaissance morale, comme celle du fondement de cette connaissance, n’a encore été définitivement tranchée par personne.
Et l’aspect sociologique de la question ?
J’ai suivi une formation en sciences sociales dans les années 60 et j’ai conservé depuis lors pour ces disciplines un intérêt permanent. Pour autant, je ne suis évidemment pas sociologue et je n’ai même aucun titre et aucune expérience (sinon de façon très éphémère celle de l’enseignement) à faire valoir pour m’attribuer quelque compétence particulière que ce soit en ce domaine. Reste que j’ai suivi d’assez près quelques auteurs notoires, parmi lesquels Pierre Bourdieu. Et j’ai beaucoup apprécié les méthodes qu’il a utilisées et les concepts qu’il a forgés au fil de sa carrière. Pourtant, il est un point sur lequel j’ai fortement divergé de son propre parcours, c’est celui de l’engagement politique et de la neutralité axiologique.
À cet égard, j’ai plutôt suivi l’évolution qui fut celle de Jean-Claude Passeron, telle qu’il en fait état dans un texte très intéressant intitulé “Le sociologue en politique et vice versa : enquêtes sociologiques et réformes pédagogiques dans les années 60” (2). Il y rappelle - ce que Bourdieu a pu parfois sembler oublier après le tournant de l’année 1992 - le sens du principe wébérien de neutralité axiologique, et il le fait en ces termes :
« Sociologue et épistémologue des sciences sociales, Weber a inlassablement analysé, et lui-même pratiqué, cette association, à première vue paradoxale et pourtant très réfléchie, entre, d’une part, la suspension de tout jugement de valeur sur les valeurs qui commandent les actes des individus, groupes ou civilisations - c’est la “neutralité axiologique” (Wertfreiheit) à laquelle s’oblige le sociologue - et, d’autre part, l’implication intellectuelle, mais aussi affective, parfois passionnelle, qu’il doit introduire dans l’analyse des valeurs quand il veut en “comprendre” le sens pour décrire et imputer à des causes leurs orientations et leurs effets historiques. C’est cette implication heuristique, et seulement heuristique, que Weber nommait le “rapport aux valeurs” (Wertbeziehung). Elle caractérise l’attitude du chercheur quand il prend comme objet d’étude le rôle actif que jouent, en tout processus historique, les valeurs d’une culture - leur “légitimité” aux yeux de ceux qui les reconnaissent comme telles. Entendons bien : non pas le rapport du chercheur à ses propres valeurs, dont il doit oublier, dans son métier de savant, la légitimité qu’il leur reconnaît personnellement, mais le rapport aux valeurs, propre à d’autres hommes ou d’autres civilisations, dont il ne pourrait comprendre le sens s’il ne s’appuyait sur son expérience de ce qu’est toute expérience des valeurs, indépendamment du contenu variable de celles-ci. Le sociologue comme l’historien ne peuvent en effet “expliquer” leurs faits, toujours solidaires des “configurations” socioculturelles où ils les observent, qu’en faisant “comprendre” à la fois le sens de leur cohérence interne et la “force” de leurs liens avec des corrélants externes. » (3)
En fait, le principe de neutralité axiologique pose deux problèmes bien différents : d’une part, il s’agit d’affronter la difficulté que représente pour un chercheur la nécessité de faire taire sa subjectivité ; de l’autre, il s’agit de ne pas interpréter le produit de la recherche ainsi menée comme un jugement de valeur prenant éventuellement parti pour certaines des valeurs étudiées. De ce deuxième problème, Bourdieu lui-même a bien défini le malentendu qu’il génère souvent :
« Les gens confondent cette proposition que Weber appelait “proposition inspirée par la référence aux valeurs” avec un “jugement de valeur”. Il y a, dans la réalité, des valeurs auxquelles le sociologue se réfère et qu’il enregistre : ne pas connaître et reconnaître cette hiérarchie des valeurs rendrait la réalité absurde. Confondant la référence aux valeurs avec les jugements de valeur, on attribue au sociologue des jugements de valeur, alors qu’il n’opère que par référence aux valeurs [qui existent dans la réalité]. » (4)
Si j’évoque ainsi ces questions, c’est parce qu’il me semble que les arguments qu’avance David Violet au sujet du fondement de la connaissance morale sont formulés - c’est presque toujours le cas lorsqu’on aborde un problème de façon philosophique - comme si le sujet disposait du libre-arbitre le plus complet. Je m’empresse de dire que j’ai sans doute fait de même jusqu’à présent. Pourtant, ma position vis-à-vis du relativisme n’est pas totalement étrangère à une conception plus déterministe, à laquelle incline quelquefois l’intérêt pour l’aspect sociologique des choses. Les principes moraux auxquels obéissent les hommes sont véhiculés par le monde social auquel ils appartiennent, et s’il arrive que certains s’en démarquent, c’est encore parce que leur propre histoire contient les déterminations qui les ont incliné à évoluer.
À certaines époques, dans certaines sociétés, ces principes contenaient les idées qu’il était indispensable de tuer ceux qui ne les respectaient pas, ou encore d’asservir ceux dont notre bien-être dépendait, ou encore de réunir dans un même mépris et une même sujétion animaux et hommes d’aspect différent. Il serait naïf de croire que ces idées étaient empreintes de la moindre culpabilité. Elles étaient au contraire vécues comme le meilleur des biens choisis. Et leur légitimité fut défendue dans le passé par des philosophes comme par exemple Aristote, Augustin, Descartes, Voltaire, ou encore Heiddeger. Le relativisme historique voudrait que nous examinions l’expression de ces idées en les replaçant dans leur contexte et en nous abstenant de les juger comme si elles étaient prônées aujourd’hui. Y a-t-il, par exemple, démarche plus stupide que celle qui consiste à vouloir faire interdire la vente de l’album d’Hergé Tintin au Congo, sous le prétexte que les propos racistes que l’on y trouve ne devraient pas être prononcés aujourd’hui ? Doit-on condamner tous les philosophes de l’Antiquité au motif qu’ils ne s’insurgèrent guère contre l’esclavage ? Tout cela relève d’une conception qui confère à la morale une valeur universelle et intemporelle, peu compatible avec ce que les sciences sociales nous apprennent.
Il ne faudrait pas, bien sûr, en déduire que toutes les conceptions morales se valent, ne serait-ce que parce qu’il existe peut-être hic et nunc une sorte d’adéquation entre les valeurs les plus estimées et l’état du monde social. Peut-être aussi parce que - je ne suis pas en mesure de prouver le contraire - il existe une morale dont le fondement est à ce point humain qu’il transcende toutes les particularités historiques et sociales. Ce qui est constant, en tout cas, y compris chez ceux dont nous jugeons qu’ils agissent de façon très immorale, c’est la conviction qu’un bien justifie leur comportement et qu’un mal vaut d’y être sacrifié.
Les arguments de David Violet
La lecture de la note du 15 juin 2019 de David Violet m’est apparue très intéressante, notamment parce que c’est la première fois que je mesure combien son point de vue sur la connaissance morale domine très fortement l’opinion qu’il se fait de tout ce qui gravite autour du comportement humain. Et son “projet scientifique” dans lequel compétences mathématiques, littéraires et informatiques seraient non seulement sollicitées, mais idéalement mêlées et mises en interaction les unes avec les autres dans le but d’esquisser une solution au problème de l’objectivation d’une “connaissance morale”, m’intrigue beaucoup. Non pas que tout ne puisse faire l’objet d’une recherche scientifique - c’est-à-dire d’une tentative rigoureuse d’objectivation des pulsions morales -, mais parce que je ne vois pas trop bien ce que peut être “l’objectivation d’une connaissance” - fût-elle “morale” - et surtout pour quel motif il conviendrait de n’appeler à participer à cette recherche que les compétences mathématiques, littéraires et informatiques, trio qui me semble insolite dès lors que la question concerne le comportement humain et sollicite plutôt les compétences psychologiques et sociologiques.
Venons-en au malentendu évoqué par David Violet. Quant à la nature de la “connaissance morale” dont il parle, je ne pense pas m’être jamais mépris. Si j’ai parlé de préceptes premiers, ce n’est certes pas avec l’idée d’un catéchisme qui les contiendrait, mais parce qu’il me semble aisé de caractériser de la sorte l’orientation d’une “loi d’humanité” qui, non autrement spécifiée, souffre d’un flou préjudiciable à sa compréhension. Qu’aux yeux de David Violet, je puisse avoir imprudemment choisi de parler de préceptes, je le comprends et il m’en excusera. Reste que cette “loi d’humanité” se présente, me semble-t-il, comme une tendance de fond qui résiderait en l’homme et ne serait contrecarrée que par de regrettables accidents qui, à force, la rendraient peu visible. C’est ainsi que j’avais déjà compris l’idée de David Violet, ne serait-ce qu’au travers des extraits qu’il cite une nouvelle fois. Tout cela, je dois le dire sans détour, ne me paraît pas pour autant convaincant.
Et j’en viens à présent au relativisme, lequel serait selon David Violet le principal obstacle à un éventuel rapprochement. « Le relativisme n’est-il pas de manière générale le reflet d’une sournoise imposture ou d’une attitude excessive ou inconséquente ? » demande-t-il. Je pense que non. Ceux que rassemble le combat contre le relativisme sont variés et presque toujours campés sur des positions qu’il leur est impératif de défendre. Ce fut le cas de Benoît XVI, lorsqu’il dénonça le relativisme de certains catholiques, lesquels succombèrent à la vogue de l’ouverture d’esprit au point d’admettre volontiers que les religions, comme les philosophies ou les médecines, se valaient toutes. Un peu de la même façon, dans le camp des défenseurs de la rationalité groupés autour de Jacques Bouveresse, on crut bon de caractériser le post-modernisme par le relativisme de ses adeptes, alors même que ceux-ci se montraient le plus souvent incapables de relativiser leur propre point de vue (5), notamment au regard de l’effet de mode qu’il a suscité. Claude Lévi-Strauss et Pierre Bourdieu furent, selon moi, des relativistes modérés et conséquents - si tant est que le titre de relativiste puisse être décerné sans tromper et sans appauvrir des œuvres autrement complexes. À l’issue d’une deuxième question qui suppose que je sois victime d’un “effet d’allodoxia”, David Violet cite une phrase de Bourdieu que, personnellement, je juge assez regrettable, une phrase qui est censée définir ce qu’est l’“effet d’allodoxia” : « Le fait de prendre une opinion pour une autre, comme de loin on prend une personne pour une autre (l’équivalent de ce qui, dans le domaine alimentaire, conduit à prendre des golden pour des pommes, du skai pour du cuir ou des valses de Strauss pour de la musique classique). » Était-il nécessaire de fournir des exemples à ce point caractéristiques du goût vulgaire pour une expression a priori vouée aux malentendus philosophiques (6), alors même qu’il avait précisément démonté, dans La distinction (7), le mécanisme social qui condamnait certaines catégories sociales à ce genre de méprise ? (8)
Ce qui me permet d’en arriver à ce concept de “repère” que l’usage que je me permis d’en faire - « le relativisme ne s’identifie pas à une perte définitive de repères » - suscita chez David Violet l’idée que je concédais ainsi quelque chose à cet humain réaliste et objectivable dont il proclame et défend l’existence. Toute subjective qu’elle soit, la morale se forge des repères ; ils sont en quelque sorte un matériau permettant de cerner cette réalité que constituent les jugements de valeur, alors même qu’il est seulement question de les analyser et non de choisir ceux qui auraient notre préférence. Que serait donc ce relativisme qui prétendrait qu’il n’existe pas de repères moraux ou, pire encore, qu’il conviendrait que n’existât aucun d’eux ? Ce serait comme prétendre que le droit existe indépendamment de toute idée de justice sous le curieux prétexte que toute idée de justice est illusoire et que ce ne serait que la force qui, en réalité, fonderait le droit. (9). Constater l’existence du droit ou des repères moraux - c’est-à-dire de topoï, imprécis, subjectifs et diffus -, ce n’est pas y adhérer, même si par ailleurs il apparaitrait utile de marquer l’une ou l’autre préférence dès lors que ceux-ci jouent un rôle dans l’évolution sociale. Ce qui mérite, en pareil cas, d’entretenir une certaine vigilance relativiste, c’est précisément le fait que la notion de droit ou les repères moraux constatés doivent toujours quelque chose au contexte dans lequel ils ont surgi ou dans lequel ils survivent. Et ce lieu-là est bien réel, même s’il n’est pas toujours identifiable.
C’est ici qu’il me semble utile d’ouvrir une parenthèse à propos d’une question qui n’est pas directement en rapport avec le problème débattu, mais qui me semble de nature à permettre un meilleur éclairage de ma position. Les convictions que l’on peut entretenir au sujet des attitudes subjectives ne mettent personne - suis-je tenté de croire - en capacité de s’en abstraire complètement. Par exemple, si je suis convaincu que le libre-arbitre n’existe pas, qu’il s’agit d’une illusion et que c’est l’inconscience de ce qui nous détermine qui incline à y croire, cela ne me permettra pas pour autant de vivre tel un fataliste absolu ; en pareil cas, je me comporterai néanmoins comme si je posais de véritables choix et comme si je jouissais effectivement de la liberté de penser et d’agir que l’opinion commune reconnaît à tous. C’est un déterminisme de plus que celui qui nous conduit à ne pouvoir nous libérer de l’illusion du libre-arbitre. De même, je puis être convaincu que les orientations morales sont relatives et conditionnées par le contexte social, sans pour autant être en mesure d’esquiver toute manifestation de préférence morale, car ce qui me détermine à juger précède ce qui me permet d’élucider. Évidemment, on peut alors vivre des dilemmes déchirants. Ainsi, si tout nous conduit a priori à condamner l’excision en raison des souffrances qu’elle provoque, de l’injustice dont elle témoigne et du manque de respect de l’intégrité physique des femmes qu’elle trahit, il n’est pas saugrenu de tenter de comprendre ce qui a amené plusieurs sociétés africaines à la pratiquer et, surtout, à considérer son accomplissement comme un devoir moral. On vit à cet occasion une de ces contradictions dont David Violet admire l’aveu fait, mais qu’il aurait pu juger moins digne d’éloges s’il avait deviné que je les crois souvent irréductibles et très universellement répandues, y compris chez ceux qui s’en croient exempts.
David Violet trouve exagérée « la thèse selon laquelle la valeur et le sens de nos institutions morales peuvent être modifiées à peu près sans limite et en arriver à subir des inversions de signe par simple passage d’un point de vue humain à un autre. » Si pareille thèse a ses adeptes, je n’en suis pas. En effet, il n’est pas nécessaire de pousser la variabilité des conceptions morales jusque-là pour contester l’existence d’une connaissance morale. Je puis même facilement admettre qu’il existe peut-être des constantes statistiques dans la distribution des actes moralement approuvés et désapprouvés, sans pour autant être contraint d’adhérer à l’idée d’une évidence morale objectivable. (10)
Dans le même esprit, je comprends mal qu’il puisse être tiré argument du fait que j’aie évoqué une préférence qui pouvait « au moins préserver du pire » pour en déduire que je me mettais « tout à coup à jouer la carte de l’“évidence” axiologique » que je reproche à David Violet de jouer. La façon dont celui-ci aperçoit dans l’évocation du pire le signe « d’un principe essentiel et consubstantiel à l’esprit de l’homme » me paraît céder beaucoup au “mythe de l’intériorité” (11) L’homme est aussi peu stable que ne l’est la nature, laquelle connaît « un branle pérenne », serait-il quelquefois « languissant », comme disait Montaigne.
Savoir si je suis relativiste ou non n’a selon moi guère d’intérêt. La question est plutôt de savoir s’il existe réellement une forme de relativisme qui aide à démêler le faux du vrai et si, surtout, l’absence de perspective relativiste ne conduit pas souvent à sous-estimer l’importance du point de vue - du lieu d’où l’on voit les choses - lorsqu’il est question du comportement humain. Le propos de Lichtenberg auquel David Violet voudrait pouvoir s’en tenir (« Ne pas juger les hommes selon leurs opinions, mais d’après ce que les opinions font d’eux ») illustre selon moi la nécessité de relativiser l’opinion proclamée au regard de ce qu’elle conduit à faire, autrement dit de la façon dont celui qui s’en revendique l’interprète ; il ne s’agit pas là de distinguer seulement les actes des paroles, mais avant tout d’élucider ce que des paroles, quelquefois semblables, entraînent comme actes différents.
« La conception consacrée que notre époque » se ferait, selon David Violet, du relativisme ne me paraît en fait qu’une manière de cibler les relativistes propre à certains philosophes. Dans le monde social, le relativisme est perçu de façon beaucoup moins précise et le mot sert à désigner des conceptions variées et quelquefois contradictoires. Encore que ce que ciblent les philosophes en question n’est pas toujours clairement caractérisé par l’accusation de relativisme. À partir de l’extrait de l’entretien que Jacques Bouveresse a accordé récemment à Marie Hermann et Sylvain Laurens, David Violet semble assimiler tout relativiste à quelqu’un qui méconnaît les vérités objectives et les faits objectifs. Mais ceux auxquels s’en prend vraiment Bouveresse, ce sont les déconstructionnistes, lesquels ont selon moi très souvent dépassé - et de beaucoup - ce qu’un certain relativisme peut avoir d’heuristique. En outre, dans ce même extrait, Bouveresse se concentre sur une question éminemment politique, à savoir ce qui pourrait encourager les masses à se détourner de personnages tels Trump. L’idée que l’attitude des philosophes soit d’un certain poids dans pareille influence me paraît incertaine ; peut-être est-il moins douteux que la doxa du monde social pèse de quelque façon sur le positionnement des philosophes. Pour le reste, je ne puis évidemment qu’approuver tout ce que David Violet dit et cite à propos du nécessaire respect des faits et de l’indispensable départage du faux et du vrai.
En ce qui concerne ce que David Violet dit à propos de l’insuffisance du langage à caractériser la moralité à lui seul, je reste très sceptique. Car enfin, si l’on campe sur l’idée que le langage ferait obstacle en la matière à tout accès à une connaissance au sens strict - la connaissance en question se trouvant « au-delà des mots pour la dire » -, on en revient une nouvelle fois à l’intériorité comme source d’un certain savoir, là même où il me semble qu’une connaissance clairement énoncée est possible. Il ne faut pas confondre ce que la pudeur ou l’impudeur invite à taire, lorsqu’il s’agit de la morale dont on se réclame, de l’information qu’il est possible de recueillir à propos des différentes morales et de ce qui les distingue. Lorsque Max Weber analyse les différentes formes prises par les religions du salut (12), il livre beaucoup de faits propres à construire une connaissance des morales, telles qu’elles influent sur la vie sociale et économique, une connaissance qui nous permet de relativiser notre propre rapport à la moralité. Et lorsque David Violet fait valoir la supériorité de la pratique sur la théorie et prône une morale plus “mostrative” que démonstrative, il me donne l’impression - peut-être erronée - d’être plus proche de la dévotion que de la recherche et plus proche du langage des théologiens que des chercheurs ; à moins qu’il ne soit sous l’influence de Peirce ? Quand à dire que l’« on peut voir un degré de liberté supplémentaire accordé à l’acte de langage par rapport à l’acte de penser » - pour en déduire que « le pouvoir de dire ce qui n’est pas l’égal de ce qui est » -, cela me semble relever d’une curieuse confusion entre le fait que l’homme puisse évidemment dire autre chose que ce qu’il pense (la chose dite étant par ailleurs vraie ou fausse) et le fait de ne pouvoir autrement penser qu’en usant du langage. Il y a de nouveau là quelque chose qui me paraît proche d’une capucinade invitant l’homme “humain” à ne dire que la vérité. En fait, le rapport entre le langage et la pensée qu’évoque Jacques Bouveresse dans l’extrait de Bourdieu, savant et politique (13) cité par David Violet illustre précisément le fait que, ne pensant qu’au moyen du langage, celui-ci pèse sur notre pensée, notamment par le truchement de mécanismes et d’automatismes qui affaiblissent notre capacité à démêler le faux du vrai.
2. La note du 6 juillet 2019
Je serai beaucoup moins long à propos de la deuxième note de David Violet. En effet, celle-ci - peut-être parce qu’elle ambitionne de s’attacher aux fondements de la connaissance morale - révèle un ton différent, propice à l’évocation de l’ineffable, voire du sublime. Et les citations qu’elle recèle me conduisent à penser que David Violet et moi-même ne lisons pas la même chose lorsque nous nous penchons sur Wittgenstein, sur Bouveresse, sur Lichtenberg, sur Musil, voire sur Marcel Aymé. Par contre, il n’est pas impossible que nous lisions Tolstoï de la même façon.
Il me semble que le paragraphe le plus révélateur de cette note, c’est cette sorte de déclaration d’intention par laquelle David Violet définit son projet principal :
« Au fond, la tâche que je voudrais ici me fixer n’est pas tant de célébrer ou d'absolutiser la connaissance morale, ni d'ailleurs de la minimiser, encore moins de la prêcher, ou - au contraire - de la dénier ; non l'idéal que je poursuis par le truchement de cet échange est plutôt de réussir à expliquer pourquoi en tant qu'êtres humains nous avons un besoin essentiel du concept de "connaissance morale" et ce que cela signifie d'être en possession de celui-ci, étant entendu qu'un tel concept s'applique déjà à travers une multitude d'usages ordinaires que nous faisons dans la vie de tous les jours sans que cela nous pose des difficultés particulières et des problèmes insurmontables. »
L’ambition de démontrer que l’homme a besoin d’un concept - en l’occurrence celui de “connaissance morale” - me paraît personnellement très étrange. Et l’idée de définir ce que signifie le fait de le posséder, davantage encore. C’est peut-être là que nos divergences trouvent leur racine la plus coriace.
J’ai souvent pensé que bien des gens puisaient une force (que je leur enviais) dans leur capacité à se bercer d’un a priori idéaliste qui n’avait d’autre justification que l’efficacité de la foi qu’il suscitait. Pour reprendre les mots de David Violet, il y a là, pour moi, « une certitude de trop ». Il mesure pourtant les dangers que comporte « la position [qu’il voudrait] idéalement tenir dans cette discussion, et [qu’il prend], malgré tout, le risque d'occuper avec un souci "toxique" de justesse ; car une telle position, aussi prometteuse soit-elle, n'en comporte pas moins tous les pièges possibles qu'il faudrait justement pouvoir éviter, en particulier ceux de l'assurance ferme et indiscutable, de la foi, du sentimentalisme ou encore de la ferveur teintée de mysticisme auxquels [il] espère faire tout ce qu'il faut pour ne pas être associé. » Soyons donc le plus précis possible : ce qui, pour moi, comporte un aspect idéaliste, c’est ce postulat implicite de l’existence d’une connaissance morale, préalable à toute théorisation et même à tout constat. « Le "sens de l'humain" - de l'humanité commune ("loi d'humanité") - relève d'un niveau de réalité suffisamment fondamental et autonome pour qu'il ne soit pas inféodé aux services "fondateurs" du philosophe. » écrit-il ; ou encore : « Je pense […] que les faits d'humanité se soutiennent eux-mêmes et qu'en ce sens “ils sont eux-mêmes la théorie” ». Les “faits d’humanité” dont il est question là ne sont cependant rien d’autre que des jugements de valeurs exprimés par des actes ou des actes motivés par des jugements de valeur, ce qui ne permet de les qualifier de faits que s’ils traduisent un « être de l’étant », comme aurait dit Heidegger.
Plus révélatrice encore me semble cette interrogation :
« Existe-t-il une frontière réelle - je veux dire qui ne soit pas uniquement le produit d'une appréciation subjective de tel ou untel, ni le résultat arbitraire d'un jeu de conventions entre les uns et les autres (groupes, époques, cultures différentes...) -, une frontière, donc, susceptible de distinguer, sur une base objective, entre des faits "humains" et des faits qui ne le sont pas, ou qui le sont significativement moins ? »
Il y aurait des faits et seul le partage entre ceux qui sont “humains” et ceux qui ne le sont pas devrait encore être fait. Vraiment, sincèrement, je ne puis adhérer à ce déni de subjectivité.
Il m’est malaisé de poursuivre beaucoup plus loin la discussion de la suite de la note, car elle se donne alors un peu comme une homélie qu’oblige cette position de nature idéaliste et je ne pourrais donc que me répéter. Un mot encore, cependant, à propos du “concept épais”. David Violet écrit :
« C'est ici qu’intervient selon moi l'enchevêtrement inextricable du fait et de la valeur, ainsi que la notion de « concept épais » (par opposition à celui de « concept fin ») en matière d'humanité. Il est des "faits d'humanité" qui sont indissociablement et simultanément des faits et des valeurs, c'est-à-dire des faits où la fonction descriptive et la fonction prescriptive sont impossibles à départager. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que le caractère « épais » ou « fin » ne dépend pas du concept lui-même, mais de la situation à laquelle il s’applique. Il y a des contextes où « humain » est un concept fin, et d’autres où il est un concept épais. Dans ce dernier cas, il est impossible de décrire la situation (il va sans dire de façon précise et objective) sans la faire apparaitre du même coup comme objectivement préférable. J’appelle "faits d'humanité" ces faits où il est impossible d’être axiologiquement neutre dans la description, car toute tentative de neutralisation (voire d’inversion) de la valeur se ferait immanquablement au détriment de la description exacte du fait en question. »
Si je le comprends bien, il propose donc d’appeler épais non plus un concept, mais bien un fait, lequel aurait cette qualité en raison de l’interprétation subjective qu’il imposerait de par son épaisseur. Et il cite après cela comme exemple le célèbre passage de l’Hommage à la Catalogne de George Orwell où celui-ci raconte qu’il renonça à tirer sur un homme en partie à cause du fait qu’il retenait son pantalon des deux mains. Il n’est pas contestable que nos émotions ont une influence sur nos actes. Faut-il pour autant qualifier de “fait humain” celui de ces actes que l’émotion a influencé, dès lors qu’il a abouti à un comportement que la morale pourrait ou devrait approuver ? Je n’aperçois vraiment pas pourquoi. De même, l’interprétation que David Violet donne du récit de Boccace me semble souffrir d’une projection des préférences morales actuelles sur un contexte très différent et je me demande si l’ironie dont est empreint le commentaire de CéCédille ne lui a pas échappé.
Je suis loin de croire que la bêtise et la méchanceté soient les ennemis de la moralité. Qualifier quelqu’un ou plusieurs de bête ou de méchant (voire des deux), c’est formuler un jugement de valeur que bien des émotions et des ressentiments peuvent expliquer, avant d’admettre qu’il s’agirait d’un simple constat. Là, plus que jamais, s’impose une prudence en laquelle la relativité des choses mérite d’être prise en compte. Si bien qu’il pourrait sembler que David Violet et moi-même ayons bouclé la boucle. Mais c’est sans nul doute une nouvelle illusion de ma part, le débat n’étant peut-être pas près de s’achever.
En répondant à David Violet, j’ai le sentiment d’avoir été confus, et même quelque peu agressif. Qu’il me le pardonne. Je ne parviens pas à organiser les arguments comme il le fait, ni à entretenir comme lui un climat permanent de bienveillance. La fermeté que je mets à défendre mes convictions ne doit pas être comprise comme le signe de leur solidité. Je puis douter de ce que je pense dans l’instant même où je le pense et mon ton décidé ne sert alors qu’à éviter l’épochè fatal au débat.
Pour être franc, je dois admettre que je suis plus ferme dans mes refus que dans mes approbations. Peut-être parce qu’il me semble plus facile de dénicher ce qui est faux que ce qui est vrai. Et la position défendue par David Violet me paraît fausse. Ce qui n’enlève rien au plaisir que je prends à le lire, non seulement en raison de son bagage et de sa force de raisonnement, mais aussi et surtout à cause de l’émotion que suscitent ses convictions et le talent avec lequel il les défend.
(1) C’est sans doute un des problèmes les plus ardus que pose la place qu’occupe la démarche scientifique dans la société contemporaine que celui du fossé qui se creuse sans cesse entre un savoir dont l’expression précise passe par une complexité croissante (pensons aux avancées actuelles en mathématiques, en physique quantique et astronomique ou en biologie moléculaire, pour ne parler que de sciences dures) et le bagage commun des non spécialistes.
(2) Ce texte a été publié dans un ouvrage collectif : sous la direction de Jacques Bouveresse et Daniel Roche, La liberté par la connaissance. Pierre Bourdieu (1930-2002), Odile Jacob, 2004, pp. 15-104. Je ne commenterai pas ici le titre et les ambitions de cet ouvrage, même si l’envie m’en démange.
(3) Op. cit., p. 17.
(4) Pierre Bourdieu, Sur l’État, Raisons d’agir/Seuil, 2012, p. 364. Il n’est pas impossible du tout que Bourdieu ait quelquefois entretenu lui-même la confusion qu’il dénonce ; le titre de la maison d’édition à la création de laquelle il a participé est assez révélateur d’un désir militant peu conforme à la neutralité axiologique.
(5) Le cas de Michel Foucault, dont j’avais tenté d’analyser l’ambiguïté dans cinq notes ( 25, 26, 28, 31 mars et 2 avril 2009) issues de la lecture de ses cours sur le courage de la vérité et que, ultérieurement, Jacques Bouveresse épingla dans son Nietzsche contre Foucault (Agone, 2016), est à cet égard exemplaire.
(6) Pour une définition habituelle de l’allodoxia, cf. Platon, Théétète, 189b10, c1 : « Nous affirmons que l’opinion est fausse lorsque c’est une certaine “allodoxia” : quand on affirme que l’une des choses qui sont est une autre d’entre elles, parce qu’on les a permutées dans la pensée. »
(7) Éd. de Minuit, 1979.
(8) Il me paraît toujours salubre de chercher de façon quelque peu systématique chez les auteurs que l'on préfère des raisons d'être en désaccord avec eux.
(9) Cf. ma note du 4 février 2015 relative aux faits et aux valeurs.
(10) Cela dit en passant, les phrases de Wittgenstein que David Violet cite à l’appui de ce qu’il estime compris lorsqu’il s’agit d’être humain ou d’être inhumain, à savoir « les propositions qui sont fixes pour moi, je ne les apprends pas expressément. Je peux les trouver après coup comme l’axe de rotation d’un corps qui tourne. Cet axe n’est pas fixe en ce sens qu’il est tenu fixe, mais le mouvement qui a lieu autour de lui le détermine comme n’étant pas mu. » (Ludwig Wittgenstein, De la certitude, Gallimard, Tel, p. 60, § 152) m’apparaissent personnellement comme une invitation à ne jamais oublier la relativité des choses.
(11) Un des premiers livres de Jacques Bouveresse s’intitulait Le Mythe de l'intériorité : Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein (Éd. de Minuit, 1976). Je ne l’ai pas lu et serait donc bien en mal de dire si le mythe dont il parlait correspond vraiment à ce que je désigne moi-même de la sorte.
(12) Il s’agit du §10 du chapitre V (“Les types de communalisation religieuse”) du volume 2 de Économie et société (Plon, Agora, 1995, pp. 294-346), mieux traduit par Jean-Pierre Grossein in Sociologie des religions sous le titre “Les voies du salut-délivrance et leur influence sur la conduite de vie”, Gallimard, Tel, 1996, pp. 177-240. Weber - alors qu’il évoque l’“élection divine” - y écrit notamment ceci : « On trouve le pendant non religieux - sur la base d’une déterminisme orienté vers l’ici-bas - de la valorisation religieuse de cette croyance dans cette espèce particulière de “honte” et, pour ainsi dire, de sentiment athée du péché qui sont propres aussi à l’homme moderne, quand il se livre à une systématisation éthique dans le sens d’une éthique de l’intériorité, quel que soit le soubassement métaphysique de cette systématisation. » (p. 240)
(13) Agone, 2003.
CherJean,
RépondreSupprimerJe me suis permis de déposer sur mon blog une réaction à votre note, accessible sur le lien suivant:
https://davidviolet.blogspot.com/2019/08/en-attendant-la-suite.html
La suite est pratiquement bouclée et ne saurait donc tarder...
Que toutes ces lectures ne vous soient pas trop fastidieuses!
Au plaisir de vous retrouver ici même au plus haut de votre forme,
David V.