dimanche 30 novembre 2008

Note de lecture : Colette

Claudine à Paris
de Colette


Je pense qu’il ne faut pas craindre de le dire : Claudine à Paris (1) n’est pas un très bon livre. Les contributions de Colette et de Willy restent à deviner et on peut difficilement s’empêcher – peut-être à tort – de rejeter vers ce dernier ce que le livre a parfois de vulgairement racoleur.

Je n’ose croire que les pages consacrées à l’entrée en scène – l’expression est parfaitement adéquate – de Maugis ne sont pas de Willy. Maugis, c’est Willy, assurément, même si le caractère biographique du livre poussera à admettre finalement que le mari de Colette se confond avec le personnage de Renaud. La description qui est faite de Maugis (pp. 288 et ss) – un homme assez antipathique, hâbleur, adepte de la formule assassine et du verbe haut – est bien dans les manières de Willy, tellement sûr de son jugement qu’il pouvait être sans pitié pour lui-même.

Reste que des choses se dessinent qui devraient gagner en profondeur au fil de l’œuvre. Il y a notamment le rapport de Colette à la nature.

Claudine doit quitter Montigny et elle mesure ce qu’elle va perdre :
« J’errai donc dans les chemins pattés [boueux], dans les bois rouillés, parfumés de champignons et de mousses mouillées, récoltant des girolles jaunes, amies des sauces crémeuses et du veau à la casserole. Et peu à peu, je compris que cette installation à Paris sentait la folie de trop près. […] Un jour, à la lisière du bois des Vallées, comme je regardais Montigny au-dessous de moi, et les bois, les bois qui sont ce que j’aime le plus au monde, et les prés jaunes, et les champs labourés, leur terre fraîche presque rose, et la tour sarrasine, au-dessus, qui baisse tous les ans, je vis si nettement, si clairement la bêtise, le malheur de partir, que je faillis courir et dévaler jusqu’à la maison, pour supplier, pour ordonner qu’on déclouât les caisses de livres et qu’on désentortillât les pieds des fauteuils. » (p. 225)

La nature que Colette aime, ce n’est pas cette réalité abstraite faite de cette part du monde qui aurait été épargnée par l’homme, moins encore ces lieux préservés de la civilisation vers lesquels une inclination morale pourrait nous guider. C’est d’abord et avant tout l’environnement de son enfance. Et c’est aussi, dans cet environnement, ce qu'il lui offre – à elle et peut-être rien qu’à elle –, ce qui fait la saveur de la vie. Les champignons qui parfument les bois, ce sont ceux qu’il est possible de récolter et auxquels on doit le fumet du veau à la casserole ; les paysages admirés, ce sont aussi les champs que l’homme a rainurés de ses labourages. Somme toute, Colette est attirée par la nature d’une façon véritablement animale, sans aucune autre pensée ou arrière-pensée que le constat de son irrépressible attraction. C’est le même mouvement qui, lorsqu’elle découvre Paris, la porte à accorder tant d’importance aux odeurs :
« J’ai surtout fait une étude des odeurs diverses, au Louvre et au Bon Marché. À la toile, c’est enivrant. Ô Anaïs ! Toi qui mangeais les échantillons de draps et de mouchoirs, ta demeure est ici. Cette odeur sucrée des cotonnades bleues neuves, est-ce qu’elle me passionne, ou bien si elle me donne envie de vomir ? Je crois que c’est les deux. Honte sur la flanelle et les couvertures de laine ! Ça et les œufs pourris, c’est quasiment. Le parfum des chaussures neuves a bien son prix, et aussi celui des porte-monnaie. Mais ils n’égalent pas la divine exhalaison du papier bleu gras à travailler les broderies, qui console de la poisserie écœurante des parfums et des savons… » (p. 240).

Autre chose qui, sans vraiment se dessiner, pointe en tout cas le bout du nez : le rapport de Colette au mensonge. On sait combien l’œuvre de Colette – de même que tout ce qu’elle écrira et dira de sa vie – est parsemé de contrevérités, d’inexactitudes, ne craignons pas le mot : de mensonges. Mais Colette ment peut-être sincèrement. Alors que Claudine a accusé une servante de cracher dans les tasses du déjeuner et de se moucher dans les serviettes afin de la contraindre à cesser de battre son chien, ce qu’elle ne l’avait jamais vue faire : « Est-ce que ce n’est pas ça qu’on appelle un ‘généreux mensonge’ ? » (p. 236) Il est vrai que la vérité – surtout celle des choses humaines – est insaisissable. Repensant à Marcel, si peu contrariant, mais aussi si apte à juger les atours féminins, Claudine balance : « De sorte que m’étant endormie cette nuit en l’admirant à bouche ouverte, ce petit de qui les pantalons ne font pas un pli, je me réveille ce matin avec l’envie de lui coller des gifles… » (p. 246) C’est qu’elle s’observe et se contente le plus souvent de faire le constat de ses idées, de ses goûts, de ses penchants. Les autres, eux, devront plier ; elle, elle se soumet… à elle-même. Et puis, les souvenirs restent-ils fiables ? Ils le sont si peu qu’il existe un sortilège qui permet d’en préserver certains de l’oubli : l’empicassement. « Pour ceux qui ignorent le sortilège d’empicassement, voici : Vous posez à terre l’objet o, à empicasser, vous l’enfermez entre deux parenthèses dont les bouts rejoints [dessin] se croisent et où vous inscrivez, à gauche de l’objet, une croix. Après ça, vous pouvez être tranquille, l’empicassement est infaillible. On peut aussi cracher sur l’objet, mais ce n’est pas absolument indispensable » (p. 226) Vous doutez ? Essayez : pour peu que vous y recourriez peu (et il est peu probable que vous vous y livriez souvent), il y a de forte chance pour que vous en gardiez le souvenir, et donc celui de l’objet.

Deux petites remarques en passant.

Il est étonnant pour nous qui n’avons pas vécu la Belle Époque de découvrir que Claudine regarde l’Art nouveau comme un goût étrange pour la blancheur et pour la clarté, attachée qu’elle reste aux côtés sombres et ténébreux du style néogothique.

Et puis, dans un tout autre domaine, celui du style de l’écrivaine, on note encore ici l’usage qu’elle fait des phrases sans verbe, un usage on ne peut plus opportun : « Les adieux, les à bientôt, et la rue froide, après la tiédeur enfermée du salon. » (p. 274) Ce n’est pas seulement une phrase sans verbe ; c’est carrément un paragraphe sans verbe. Mais dès lors que tout est dans le nom des choses…

(1) Colette, Œuvres I, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, éd. dir. par Claude Pichois, 1984, pp. 219-376.

Autres notes sur Colette :
Claudine à l’école
Claudine en ménage
Claudine s’en va
L’ingénue libertine
La retraite sentimentale
Les vrilles de la vigne

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