Le chapitre « De l’utile et de l’honneste » des Essais
de Montaigne
« En ce peu que j’ai eu à négocier entre nos Princes » (p. 831) nous dit Montaigne, alors qu’il souhaite insister sur le fait que, en semblables circonstances, il « aime mieux faillir à l’affaire, qu’à » (p. 831) lui-même. Il évoque ainsi une certaine expérience du politique, tandis qu’il parle de l’utile et de l’honnête (1).
Le hasard a voulu que, d’une façon bien plus modique encore, j’aie moi-même quelque peu trempé dans de petites négociations politiques où j’avais été appelé en dépit de mon insignifiance en la matière. Cette expérience fut courte et limitée ; elle m’a néanmoins suffit pour mesurer combien ce milieu faisait toujours primer l’utile sur l’honnête et combien aussi il était malaisé de n’y pas faillir à soi-même. Au point que l’on peut rester perplexe devant l’affirmation de Montaigne : a-t-il vraiment pu agir « d’une façon ouverte, aisée à s’insinuer, et à se donner credit aux premières accointances » comme il le dit, au point d’oser affirmer que la « naïfveté et la vérité pure, en quelque siècle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et leur mise. » (p. 831)
Revenons au chapitre entier - “De l’utile et de l’honeste” - tant il convient de se garder d’isoler un propos si l’on veut approcher la pensée de Montaigne. Il importe au contraire de recueillir tout ce qu’il dit, sachant que l’ordre des idées n’est pas nécessairement réfléchi et que les contradictions ne sont pas à bannir, dès lors qu’elles témoignent d’un rapport au réel dont l’incertitude est une des principales dimensions.
La première phrase du chapitre n’est pas à négliger : « Personne n’est exempt de dire des fadaises » (p. 829). C’est que le sujet est scabreux et rien ne permet d’être certain d’en traiter sans s’abuser. Parce que, ainsi que Montaigne le remarque d’emblée, « la confession de la vertu, ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hayt : d’autant que la verité la luy arrache par force, et que s’il ne la veult recevoir en soy, aumoins il s’en couvre, pour s’en parer. » (p. 829) C’est là - à mon sens - un des aspects les plus affligeant de la vertu, à savoir qu’elle sert davantage les menteurs que les sincères. Et la politique est évidemment le domaine où ce travers reste le plus exploité et le plus exploitable.
Montaigne s’en trouve moins affligé que moi. C’est qu’il pense que la nature est ainsi faite et que ses imperfections mêmes ne sont pas sans utilité :
« Nostre bastiment et public et privé, est plein d’imperfection : mais il n’y a rien d’inutile en nature, non pas l’inutilité mesmes, rien ne s’est ingeré en cet univers, qui n’y tienne place opportune. Nostre estre est simenté de qualitez maladives : l’ambition, la jalousie, l’envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d’une si naturelle possession, que l’image s’en recognoist aussi aux bestes » (p. 830)
On pense évidemment à Leibniz et à son idée de compossibilité entre bien et mal, si ce n’est que Montaigne ne se prononce pas sur le meilleur possible. Mieux encore : il ne tranche pas de façon radicale et définitive entre le bien et le mal. Il préfère le bien, encore est-ce un bien personnel, discutable, mouvant. Mais il accepte le mal comme une voie possible, en certaines circonstances, vers l’utilité. Car l’utilité, c’est le bien.
Reprenons tout cela plus en détails. En commençant par l’une des multiples anecdotes que Montaigne a puisées dans ses lectures. Celle-ci, il l’a trouvée dans l’Histoire des rois et princes de Pologne publiée en 1573 par Herburt Fulstin et traduite en français par François Baudouin en 1588 (2) :
« Jaropelc Duc de Russie, practiqua un gentilhomme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy-ci s’y porta en galant homme : s’addonna plus que devant au service de ce Roi, obtint d’estre de son conseil, et de ses plus feaux. Avec ces advantages, et choisissant à point l’opportunité de l’absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité : qui fut entierement saccagée, et arse par eux, avec occision totale, non seulement des habitans d’icelle, de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu’il y avait assemblé à ces fins. Jaropelc assouvy de sa vengeance, et de son courroux, qui pourtant n’estoit pas sans tiltre (car Boleslaus l’avoit fort offensé, et en pareille conduite) et saoul du fruit de cette trahison, venant à en considérer la laideur nue et seule, et la regarder d’une veue saine, et non plus troublée par sa passion, la print à un tel remors, et contre-cœur, qu’il en fit crever les yeux, et couper la langue, et les parties honteuses, à son executeur. » (pp. 837-838)
Suis-je quelque peu berné par la langue du XVIe siècle ? Toujours est-il qu’il me semble que Montaigne raconte ces faits avec une certaine quiétude, sans rien laisser paraître en tout cas de l’émotion dont il ne manque pas de faire état à l’occasion lorsqu’il évoque semblables horreurs. Il est vrai que le chapitre comporte une multitude d’anecdotes aussi effroyables les unes que les autres et qu’il s’agit principalement d’illustrer combien nombreux sont ceux qui punirent ceux-là dont la trahison a pourtant servi les intérêts. Méfiance, remord, place nette, contre-trahison, bien des choses peuvent expliquer pareil comportement. Mais au-delà des motifs, il y a tout simplement les mœurs qui ont cours dans le champ politique. Et ce qu’il faut en penser.
« Je ne veux pas priver la tromperie de son rang, ce seroit mal entendre le monde : je sçay qu’elle a servy souvent profitablement, et qu’elle maintient et nourrit la plus part des vacations des hommes. Il y a des vices legitimes, comme plusieurs actions, ou bonnes, ou excusables, illegitimes. » (pp. 835-836)
Que diable faut-il comprendre ?
Si l’on s’en tient au politique, une des questions qu’il inspire, c’est de savoir si l’exercice de la politique condamne à être déshonnête ou si plutôt il est ainsi fait qu’il attire à lui les vicieux. « Montaigne admet […] que le Prince manque exceptionnellement à l’honneur » écrit André Lanly dans un commentaire du chapitre. (3) C’est un peu là ce qui sépare Montaigne de Machiavel. Car le premier insiste beaucoup sur le fait qu’il n’est lui-même à l’aise que lorsqu’il n’a pas à commettre de vilénies - ce qui le conduit à dire qu’il n’est pas fait pour la politique et que les politiques les moins déshonnêtes lui plaisent -, alors que Machiavel désigne une fatalité, celle que résume son propos : « Un homme qui veut être parfaitement honnête au milieu de gens malhonnêtes ne peut manquer de périr tôt ou tard. » (4)
Ce n’est cependant peut-être pas aussi simple. Lisons Montaigne :
« Le Prince, quand une urgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident, du besoing de son estat, luy fait gauchir sa parolle et sa foy, ou autrement le jette hors de son devoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité, à un coup de la verge divine : Vice n’est-ce pas, car il a quitté sa raison, à une plus universelle et puissante raison : mais certes c’est malheur. De maniere qu’à quelqu’un qui me demandoit : Quel remede ? nul remede, fis-je, s’il fut veritablement gehenné entre ces deux extremes (sed videat ne quaeratur latebra perjurio (5)) il le falloit faire : mais s’il le fit, sans regret, s’il ne luy greva de le faire, c’est signe que sa conscience est en mauvais termes. Quand il s’en trouveroit quelqu’un de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d’un si poisant remede, je ne l’en estimerois pas moins. Il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouvons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut-il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduite du ciel. À quelle plus juste necessité se reserve il ? Que luy est-il moins possible à faire que ce qu’il ne peut faire, qu’aux despens de sa foy et de son honneur ? choses, qui à l’aventure luy doivent estre plus cheres que son propre salut, et que le salut de son peuple. Quand les bras croisez il appellera Dieu simplement à son aide, n’aura-t-il pas à esperer, que la divine bonté n’est pour refuser la faveur de sa main extraordinaire à une main pure et juste ? Ce sont dangereux exemples, rares, et maladifves exceptions, à nos règles naturelles : il y faut ceder, mais avec grande moderation et circonspection. Aucune utilité privée, n’est digne pour laquelle nous facions c'est effort à nostre conscience : la publique bien, lors qu’elle est et très-apparente, et très-importante. » (pp. 968-969)
Bien des choses troublent dans ce passage. À commencer par ces « règles naturelles » dont témoignerait la vertu, alors même qu’« il n’y a rien d’inutile en nature, non pas l’inutilité mesmes » et que « nostre estre est simenté de qualitez maladives » ! Je suis tenté de supposer que Montaigne - ainsi que je le pense en protégeant mon sommeil par une conduite la moins déshonnête possible - incline pour son aise vers la vertu, sans oser prétendre qu’elle s’impose à tous en toutes circonstances. Il est somme toute assez naturel, assez simple, assez facile de distinguer le bien du mal, mais il est aussi assez naturel de choisir le mal. Surtout lorsque, en politique, l’utilité emprunte ce chemin. L’utilité est donc un bien pour la recherche duquel un moyen vicieux peut être utilisé à l’occasion. On n’est pas là si loin que ça de Machiavel.
Il y a pourtant un autre aspect du propos qui mérite réflexion. Car ne serait-ce pas faire preuve de naïveté que de supposer qu’il y ait tant de circonstances en lesquelles « une plus universelle et puissante raison », supérieure aux intérêts personnels du Prince, « le jette hors de son devoir ordinaire » ? C’est ici que, très probablement, l’époque intervient. Montaigne écrit en des temps de guerre, des temps où les troubles l’incitent à regarder les lois comme dignes de respect et malaisées à changer, des temps où le rétablissement de la paix se présente comme la plus universelle et la plus puissante des causes à défendre, des temps où bien des politiques œuvrent ou semblent œuvrer malgré tout à cette paix. Au cours de la dernière guerre mondiale, n’a-t-on pas fait de la lutte contre le nazisme une raison universelle et puissante en appui de laquelle Churchill, Roosevelt et même Staline étaient censés travailler sans relâche ? Et qui aurait alors jeté l’opprobre sur celui d’entre ceux-là qui se serait attaché à tromper Hitler et ses affidés ? Notre époque vit à l’inverse à l’heure de régimes politiques qui se veulent les bienfaiteurs des peuples et où la prévarication ne peut servir que des intérêts privés. Ce qui différencie ces situations, ce n’est pas tant le comportement des politiques que le jugement dont ils font l’objet. Nous sommes tous et toujours enclins à bien juger celui qui semble réellement servir une cause qui nous tient à cœur. Et quand le bien collectif se fait indistinct, le bien personnel surnage.
Voilà qui pousse à distinguer ce qu’il peut y avoir de facile - de facilement trompeur - à énoncer les vertus sous la forme d’un catéchisme. Peut-être convient-il d’adapter nos exigences morales aux contraintes rencontrées, ainsi que le faisaient (souvent complaisamment) les jésuites contre lesquels Pascal a tant tempêté. Les mots sont raides, les situations molles.
« La justice en soy, naturelle et universelle, est autrement reglée, et plus noblement, que n’est cette autre justice speciale, nationale, contrainte aux besoins de nos polices : Veri juris germanaeque justitiae solidam et expressam effigiem nullam tenemus : umbra et imaginibus utimur (6). Si que le sage Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras, Diogenes, les jugea grands personnages en toute autre chose, mais trop asservis à la reverence des loix : Pour lesquelles auctoriser, et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle : et non seulement par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu, mais encores à leur suasion. Ex Senatusconsultis plebisque scitis scelera exercentur. (7) Je suy le langage commun, qui fait difference entre les choses utiles, et les honnestes : si que d’aucunes actions naturelles, non seulement utiles, mais nécessaires, il les nomme deshonnestes et sales. » (p. 836)
Horreur de la politique et des politiques, donc, mais avec la conscience que ce mouvement n’est pas totalement justifié et qu’il faut savoir gré à ceux - si rares soient-ils et si impures soient leurs motivations premières - qui font pencher les choses vers le bien public. Et se garder en conséquence de porter des jugements radicaux sur des actes politiques qu’engendrent des situations complexes.
Je ne résiste pas à l’envie d’ajouter un mot au sujet de la démographie. Telles ces espèces animales dont la prolifération - souvent la conséquence d’un déséquilibre écologique - finit par porter atteinte à leur propre comportement et à leur propre destin, il n’est pas exclu que le pullulement humain n’ait lui aussi engendré des changements comportementaux qui rendent assez précaire le recours à la notion de nature. Qu’il soit naturel de s’indigner comme il est naturel de provoquer l’indignation, on peut aisément l’admettre, dès lors que la vie en société réclame depuis très longtemps déjà de résoudre des problèmes dont les principales caractéristiques sont liées au nombre d’individus qu’elle rassemble. Rousseau a parlé d’un contrat social dont il imaginait qu’il s’applique à la population d’une cité comprenant moins de trente mille habitants. Et c’est encore beaucoup. Que dire alors de sociétés de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millions d’habitants ? Un seul exemple : que penser d’un régime politique qui confie l’essentiel de la direction d’une semblable société à un monarque unique ? ou encore, que penser de cet autre régime qui prévoit de désigner au suffrage universel l’unique personne investie de grands pouvoirs ? Dans des entités aussi peuplées, y a-t-il quelque chose d’étonnant à ce que l’accord au sein d’associations rassemblant quelques dizaines de personnes devienne là aussi si malaisé à trouver ? Il fut un temps où l’espace était trop grand, les rencontres trop rares, les groupes réduits et condamnés à s’entendre. La faim alors régnait. Mais le vice… ?
(1) Montaigne, Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, pp. 829-844.
(2) Cet ouvrage est disponible sur Internet à cette adresse
(3) Montaigne, Les Essais en français moderne, Gallimard, Quarto, 2009, p. 968.
(4) Nicolas Machiavel, Le Prince, suivi de l’Anti-Machiavel de Frédéric II, trad. de Raymond Naves, Garnier, 1968, p. 55.
(5) “mais qu’il se garde bien de chercher des prétextes à son parjure”, Cicéron, De officiis, III, 29.
(6) “Nous ne possédons pas de modèle solide et précis d’un véritable droit et d’une justice authentique ; nous usons d’images et d’une ombre”, Cicéron, De officiis, III, 17.
(7) “Des crimes sont commis en vertu de sénatus-consultes et de plébiscites”, Sénèque, Lettres à Lucilius, XCV.
Autres notes sur Montaigne :
Le chapitre "Des Boyteux" des Essais
Le chapitre « Des coches » des Essais
Le chapitre « De la liberté de conscience » des Essais
Les chapitres « Des vaines subtilités » et « De l’art de conférer » des Essais
Le chapitre « De l’aage » des Essais
Montaigne. Des règles pour l’esprit de Bernard Sève
Le chapitre « De mesnager sa volonté » des Essais
Montaigne et son temps de Géralde Nakam
Le chapitre « Des mauvais moyens employez à bonne fin » des Essais
Le chapitre « De trois bonnes femmes » des Essais
Montaigne de Stefan Zweig
« Témoin de soi-même ? Montaigne et l’écriture de soi » de Bernard Sève
Le chapitre « De ne contrefaire le malade » des Essais
« Montaigne, les cannibales et les grottes » de Carlo Ginzburg
Le chapitre “Sur des vers de Virgile” des Essais
Le chapitre “Sur la solitude” des Essais
Le chapitre “De juger de la mort d’autruy” des Essais
Le chapitre “Sur la physionomie” des Essais
De Montaigne à Montaigne de Lévi-Strauss
Le chapitre “Nos affections s’emportent au delà de nous” des Essais
Le chapitre “Apologie de Raimond de Sebonde” des Essais de Montaigne
Le chapitre “Sur la ressemblance des enfants avec leurs pères” des Essais
Le chapitre “Du repentir” des Essais
Excellente synthèse -- je vous en remercie! Surtout que le langage n'est pas toujours facile d'accès.
RépondreSupprimerJe rajouterais que pour Montaigne, l'objectif est de réconcilier l'homme avec soi-même afin d'atteindre une paix intérieure, comme Augustin et Aristote le firent avant lui. Dans l'idéal, pour accomplir ceci, il faut être soit 'utile', soit 'honnête', sinon "je ne le trouve ny beau ny honneste" ... mais certainement aucun des deux à moitié. Pour ne pas se trahir et pour croître en harmonie avec l'environnement, avec la société, il faut être un seul et même.
Si ce n'est pas grave d'être malhonnête, selon lui, ce n'est pas non-plus loisible: c'est plutôt le propre des basses âmes. Or, Montaigne n'est pas une 'basse âme', il préfère ne pas transiger sur la probité quand il en a le luxe. "Si j’ay volé ou desrobé quelqu’un, envoyez moy plustost en gallere!" (p.774, Pléiade)
-Un étudiant en Histoire à l'université Columbia
Merci pour votre commentaire, que je ne puis qu’approuver.
SupprimerVous citez la page 774 de La Pléiade, sans préciser quelle édition. En fait, c’est celle de 1962 que l’on doit à Albert Thibaudet et Maurice Rat. Gallimard a sorti une nouvelle édition des Essais dans la collection La Pléiade en 2007. Elle a été établie par Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin.
Je suis très admiratif d’un étudiant qui, à New York, fait l’effort de lire Montaigne dans le texte d’origine. Bien des Français (ou des Belges) parmi les plus cultivés renoncent à le faire.
Si vous éprouviez des difficultés auxquelles vous pensiez que je puis apporter quelque remède que ce soit, n’hésitez pas à me contacter, par exemple par e-mail (cf. mon profil).
Cordialement.
Cher Monsieur,
SupprimerPardonnez-moi de ne vous avoir pas répondu plus tôt, je n'avais pas reçu de message signalant votre commentaire.
En effet, vous avez tout à fait raison: j'aurais dû préciser que je citais la Pléiade de 1962 éditée par Albert Thibaudet! Celui-ci dresse un portrait remarquable de la guerre de religion qui conditionnait l'époque de Montaigne, une guerre dont Montaigne ne parle pas mais qui figure partout de façon tacite dans ses Essais.
J'ai également beaucoup apprécié votre Note de Lecture sur Notre jeunesse de Charles Péguy, car celle-ci, comme celles sur Montaigne, approche les idées de Péguy telles qu'elles le sont, sans porter un jugement sur ses intentions ni surévaluer l'importance du contexte historique. Péguy, comme Montaigne, apparait comme un immense monument existant hors de son temps. Seuls contre leurs contemporains, les deux se retirèrent dans leur solitude pour prendre du recul et puiser directement dans une France ancienne, sachant que leur oeuvre serait appréciée cent ans, voire deux cents ans plus tard.
Dans une France violemment clivée entre protestants et catholiques, la sérénité et la modernité de Montaigne sont une anomalie; dans une France clivée autour de Dreyfus, Péguy échappe remarquablement à la frénésie. Je pense à cette belle citation dans Notre jeunesse: “Il faut toujours dire ce que l'on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit..."
Je vous souhaite de très joyeuses fêtes, -Elias (email: epf2116@columbia.edu)