dimanche 25 mai 2025

Note de lecture : Laurent Perreau

Bourdieu et la phénoménologie
de Laurent Perreau


Voilà un livre auquel je ne me serais sans doute pas intéressé si je n’avais eu l’occasion de discuter avec Daniel Giovannangeli de la place que la phénoménologie occupe dans le cursus intellectuel de Pierre Bourdieu. (1) Et j’aurais eu tort, car il recèle bien des choses dignes d’intérêt.

Bourdieu et la phénoménologie de Laurent Perreau (2) est un ouvrage qui, à première vue, cherche à déterminer la dette que Bourdieu doit à la phénoménologie. Et l’on pourrait se dire - comme je fus tenté a priori de le penser - que la démarche ne méritait même pas d’être entreprise. D’abord parce que l’on peut croire que l’œuvre de Bourdieu est à ce point distante de la phénoménologie que la tentative ressemble à un projet désespéré ; ensuite parce qu’il est difficile d’imaginer quel profit peut en être retiré, sinon celui d’accorder à la phénoménologie le mérite de n’être pas pour rien dans les acquis de la sociologie bourdieusienne.

Lecture faite, il me faut admettre que le livre éclaire plusieurs aspects importants de la carrière et de l’œuvre de Bourdieu, mais aussi qu’il ouvre un certain nombre de questions qui méritent sans nul doute réflexion. Lorsqu’un livre dissipe au moins en partie les préjugés qui nous avaient d’abord conduits à le juger inintéressant, je crois qu’il n’est pas inutile de réfléchir à l’origine de ces préjugés. En l’occurrence, ce que je croyais savoir de Pierre Bourdieu, mais aussi les écarts qui séparaient selon moi sa façon de penser de la mienne et qui sont peut-être à l’origine de ma première réaction.

Deux convictions anciennes me semblent susceptibles d’avoir joué un rôle dans la manière dont j’ai progressivement cru ne pas pouvoir accepter totalement les prises de position et les raisonnements de Pierre Bourdieu. Et ce ne sont ni ses engagements politiques, ni ses entorses à la neutralité axiologique, divergences beaucoup plus récentes qui portent essentiellement sur la recherche en sociologie. Les deux convictions dont je parle, je vais les appeler le rejet de la métaphysique et le déterminisme.

Le rejet de la métaphysique

Adolescent élevé dans la foi catholique, j’ai perdu celle-ci dans un contexte - c’était à la fin des années 50 - où le clergé dominait la vie sociale d’une façon telle qu’il était tentant d’abjurer d’une même ruade la croyance en Dieu, les politiques de droite, le capitalisme et la vie bourgeoise. C’était à ce point naïf et opiniâtre que je comprenais mal comment on pouvait être chrétien de gauche ou athée libéral. Je n’ai pas mis longtemps à tempérer tout cela, jusqu’à admettre que rien n’était simple, sinon les convictions idéologiques. De l’assimilation de la métaphysique à la croyance en Dieu, il m’est resté une méfiance impénitente envers le concept de spiritualité.

De nos jours encore, je n’arrive pas à distinguer ce qui, dans la pensée, mérite d’être qualifié de spirituel. Ceux qui usent de ce mot ne le comprennent évidemment pas comme un adjectif qui renvoie simplement à ce qui est de l’ordre de l’esprit, mais en évoque un contour à la fois plus large et plus étroit. Plus large en ce qu’il dépasse les limites du cerveau, par exemple en se référant à l’âme ou mieux encore à des connexions entre la pensée et des choses surnaturelles. Plus étroit en ce qu’il exclut le corps et même la corporéité de la pensée, choisissant ainsi de faire de celle-ci une singularité immatérielle prodigieuse. Il arrive même souvent que le sens du mot soit réduit à ce qui, dans l’esprit, ne regarde que les valeurs morales et intellectuelles (3). Et je me garderai de citer ce sens qui ramène le mot au goût pour l’humour.

Venons-en à la métaphysique.

J’ai bien sûr révisé depuis longtemps mes préventions d’adolescent. Mais cela s’est surtout traduit par un approfondissement de la question qui a abouti à quelque chose comme une réhabilitation des sens. Le choc que Bacon, Galilée et Descartes ont fait subir à la philosophie au début du XVIIe siècle comporte deux versants. Le premier indique une manière nouvelle d’user des sens et des perceptions qu’on leur doit pour construire des connaissances nouvelles : la science. Le second investigue la métaphysique avec l’espoir d’y obtenir des progrès comparables à ceux que promet la science. Comment juger aujourd’hui ces deux versants ? Le premier a été efficace quant à l’accumulation de connaissances, mais en grande partie dommageable pour l’homme en ses effets. Le second a été fort stérile, en ce compris eu égard à l’ambition de penser mieux.

Comment considérait-on les choses juste avant ce choc ? Montaigne, qui est mort trois ans et demi avant la naissance de Descartes, a écrit :
« Quiconque me peut pousser à contredire les sens, il me tient à la gorge, il ne me sçauroit faire reculer plus arrière. Les sens sont le commencement et la fin de l’humaine cognoissance […] » (4)
Mais, dira-t-on, ce qui est perçu par les sens est néanmoins soumis à l’entendement, lequel en peut mesurer les limites et les incertitudes. Seulement voilà :
« Pour juger des apparences que nous recevons des subjets, il nous faudrait un instrument judicatoire ; pour verifier cet instrument il nous y faut de la demonstration ; pour verifier la demonstration, un instrument : nous voilà au rouet. Puis que les sens ne peuvent arrester nostre dispute, estant pleins eux-mêmes d’incertitude, il faut que ce soit la raison ; aucune raison ne s’establira sans une autre raison : nous voylà à reculons jusques à l’infini. Nostre fantasie ne s’applique pas aux choses estrangeres, ains elle est conceue par l’entremise des sens ; et les sens ne comprennent pas le subjet estranger, ains seulement leurs propres passions ; et par ainsi la fantasie et apparence n’est pas du subjet, ains seulement la passion et souffrance du sens, laquelle passion et subjet sont choses diverses : parquoy qui juge par les apparences, juge par chose autre que le subjet. » (5)
Ce qui est là en cause, c’est évidemment notre rapport à l’être. Et là, Montaigne se veut clair :
« Nous n’avons aucune communication à l’estre, par ce que toute humaine nature est tousjours au milieu entre le naistre et le mourir, ne baillant de soy qu’une obscure apparence et ombre, et une incertaine et debile opinion. Et si, de fortune, vous fichez vostre pensée à vouloir prendre son estre, ce sera ne plus ne moins que qui voudroit empoigner l’eau : car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule par tout, tant plus il perdra ce qu’il voulait tenir et empoigner. Ainsin, estant toutes choses subjectes à passer d’un changement en autre, la raison, y cherchant une reelle subsistance, se trouve deceue, ne pouvant rien apprehender de subsistant et permanent, par ce que tout ou vient en estre et n’est pas encore du tout, ou commence à mourir avant qu’il soit nay. » (6)

Je voudrais ici me risquer à caractériser en quelques mots l’histoire de la philosophie occidentale, d’un certain point de vue bien évidemment. C’est téméraire, j’en suis conscient, et cela serait en outre bien prétentieux si je ne précisais d’emblée qu’il s’agit là d’un jeu que mon incompétence autorise, ou du moins explique.

Durant l’Antiquité, la philosophie devait pratiquement tout à une libre approche des questions, libre dans la mesure où elle ne reposait sur aucun principe premier, sinon sur ceux qu’elle pensait découvrir dans le rapport que l’homme entretenait avec le monde. La métaphysique, telle que désignée par exemple dans l’ouvrage du même nom d’Aristote (7), se bornait au domaine de la logique et à des notions telles la forme et la substance, comme en contient l’hylémorphisme. Bien sûr, on citera sans doute Plotin pour contester mon propos. Pourtant, le mysticisme de ce dernier était essentiellement ascensionnel, son Dieu restant pratiquement muet ; là réside ce qui le distingue des mystiques chrétiens et surtout d’Augustin, celui qui, un siècle et demi plus tard, bousculera la philosophie.

Il me semble utile ici de citer Ernst Cassirer. Partant de deux citations d’Augustin (8), il en arrive à écrire ceci :
« La raison abandonnera son indépendance et son autonomie. Elle cessera de posséder une lumière propre pour ne luire que par le biais d’une autre lumière qu’elle réfléchira. Quand cette lumière viendra à manquer la raison humaine perdra et son efficacité et sa puissance.
C’est dans le
De Magistro d’Augustin que l’on trouve la plus claire expression de cette profonde métamorphose de la pensée grecque. On y voit là ce dernier réfuter l’idée même d’une sagesse purement humaine ainsi que le concept d’un enseignement spécifiquement humain, Dieu étant, pour le christianisme, le seul maître en matière de pensée comme en matière de conduite à tenir. C’est en lui et en lui seul que l’on trouve le vrai magister. Toute connaissance, qu’il s’agisse du monde sensible, des mathématiques ou de la dialectique, se fonde sur une révélation provenant de sa lumière éternelle. Tout processus de pensée ou de discussion rationnelles ne relève que d’une illumination et par là même d’un acte de grâce. Dieu est le “pater veritatis, pater sapientiae, […] pater inetelligibilis lucis”, “pater evigilationis atque illuminationis nostrae” : le père de la lumière intelligible et le père de nos lumières. » (9)

Voilà donc la philosophie empêtrée dans la parole de Dieu. Et pour longtemps. C’est dire ce que peut avoir de singulier la pensée de Montaigne, d’abord lorsqu’elle restaure une raison autonome et en touche les limites, ensuite lorsqu’elle traite de ce qui, trois siècles et demi plus tard, préoccupera tant les phénoménologues. Car comment mieux dire (ou plutôt rendre plus immédiatement compréhensible) ce que je citais supra à propos des « choses estrangeres », sinon peut-être en en donnant une version en français moderne :
« Notre conception n’est pas ajustée aux choses étrangères, mais elle est conçue par l’entremise des sens, et les sens n’embrassent pas l’objet étranger, mais seulement leurs propres impressions, et, par conséquent, la conception et l’image ne sont pas celles de l’objet, mais seulement celles de l’impression subie par le sens : cette impression et l’objet sont des choses différentes : c’est pourquoi celui qui juge par les apparences juge par autre chose que par l’objet. » (10)

Il serait fou d’affirmer après cela que la philosophie aurait été dévoyée à partir du début du XVIIe siècle par une métaphysique compromise, même si diverses tentatives de réhabilitation, telle celle de Claudine Tiercelin (11), incite à n’en pas rejeter totalement l’idée. Elle réclame d’accepter que l’histoire de la philosophie n’est pas caractérisée par un progrès constant - dont on voit mal d’ailleurs sur quelle base il pourrait être décrété -, mais qu’elle pourrait, comme tout, être sujette à un déclin ou à tout le moins à des éclipses. C’est pourquoi je cultive toujours une certaine méfiance vis-à-vis des courants qui privilégient l’intériorité, le sujet et des formes spiritualistes de la métaphysique.

Le déterminisme

Je serai très bref sur cet aspect de mes convictions, que j’ai déjà justifié plus d’une fois. (12)

On peut argumenter contre la causalité. Non pas simplement en raison de la confusion qui peut naître de la corrélation et de l’analogie. Pas même à partir de l’ignorance que Pascal évoque lorsqu’il parle des Raisons des effets (13). Tout simplement au nom du caractère trop axiomatique de la causalité.

Si l’on accepte la causalité, alors on voit mal ce qui pourrait y échapper, pas même la plus éphémère et plus petite des idées qui nous traversent l’esprit. Ce qui exige d’admettre que la cause ou la cause de la cause nous en dépossède. (14) « Car si nous supposons qu’il se trouve quelque chose dans l’idée, qui ne se trouve pas dans la cause, il faut donc qu’elle tienne cela du néant » écrit Descartes (15), ce qui est fort logique. S’il en conclut que ce quelque chose vient de Dieu, s’en tirant par ce que j’appellerais une pirouette augustinienne, il signifie bien que, sans le concours de Dieu, rien ne peut naître dans l’esprit qui soit créé ex nihilo.

Le simple fait que Bourdieu prétend que la connaissance de nos déterminations peut quelquefois nous en libérer suffit à écorner la causalité, car l’effort de les connaître est tout autant déterminé que ce qui pousse à les méconnaître, y compris lorsqu’on s’entend dire ce qu’elles sont.

* * *

C’est donc avec ces convictions relatives à la métaphysique et au déterminisme que j’ai lu aussi bien Bourdieu que Laurent Perreau. Ses convictions, il convient bien sûr de les mettre sans cesse à l’épreuve et, pour cela, d’écouter et de lire ceux qui argumentent dans un sens différent. C’est là une hygiène intellectuelle qui modère l’emprise des préjugés. Pour la même raison, il convient d’éviter de regarder les croyances des autres autrement que l’on ne se sent capable de regarder ses propres croyances, surtout lorsqu’on s’illusionne sur la véridicité des ces dernières.

Je dois au livre de Laurent Perreau trois choses : d’abord, des informations nouvelles pour moi et relatives à Bourdieu ; ensuite, des citations de Bourdieu que je ne connaissais pas ou qui s’éclairaient d’être ainsi isolées d’un sens à côté duquel j’étais passé ; ensuite, une manière de tirer Bourdieu vers la phénoménologie qui, à certains égards, m’apparaît désormais intéressante.

Ce que j’ai ainsi appris à propos de Bourdieu va de faits importants - telle par exemple la nature précise de ses préoccupations philosophiques avant qu’il parte en Algérie en 1955 - jusqu’à des paroles ignorées ou mésestimées à propos de la phénoménologie, comme à propos du déterminisme. Le simple fait d’apprendre qu’il ait envisagé d’écrire une thèse de nature phénoménologique avec Georges Canguilhem m’a conduit à tempérer mon inclination à juger étrange l’objectif général que Laurent Perreau s’était assigné. Quelques exemples s’imposent.

Ainsi, à propos de ce que seraient, chez Bourdieu, les rapports entre la phénoménologie et la liberté. Dans Raisons pratiques, Bourdieu a écrit ceci :
« Cela dit, il ne faut pas oublier que cette croyance politique primordiale, cette doxa, est une orthodoxie, une vision droite, dominante, qui ne s’est imposée qu’au terme de luttes contre les visions concurrentes ; et que l’“attitude naturelle” dont parlent les phénoménologues, c’est-à-dire de l’expérience première du monde du sens commun, est un rapport politiquement construit, comme les catégories de perception qui la rendent possible. Ce qui se présente aujourd’hui sur le mode de l’évidence, en deçà de la conscience et du choix, a été, bien souvent, l’enjeu de luttes et ne s’est institué qu’au terme d’affrontements entre dominants et dominés. » (16)
Ce passage - que Laurent Perreau cite comme significatif (p. 125) -, je l’avais lu et je l’avais même épinglé d’un repère marginal. Pourtant, je n’avais pas compris alors l’importance qu’avait pour Bourdieu le fait d’évoquer « l’“attitude naturelle” dont parlent les phénoménologues ». Ce qui m’apparaît à présent (et peut-être est-ce aujourd’hui que je me trompe le plus), c’est la réduction de la doxa à ce qui est nécessairement erroné, sauvant par là-même le savoir, ou en tout cas un certain savoir, de l’emprise des déterminations. Le rapport doxique au monde se limiterait ainsi à l’évidence, « en deçà de la conscience et du choix ». En me focalisant sur les luttes et les rapports de domination évoqués, je suis peut-être passé à côté de quelque chose d’une importance tout aussi grande. Un autre extrait cité (p. 273) renforce fortement ce que j’ai cru ainsi découvrir. Je le reproduis :
« […] la sociologie des déterminants sociaux de la pratique sociologique est le seul fondement possible d’une liberté possible par rapport à ces déterminations. Et c’est seulement à condition qu’il s’assure le plein usage de cette liberté en se soumettant continuellement à cette analyse que le sociologue peut produire une science rigoureuse du monde social qui, loin de condamner les agents à la cage de fer d’un déterminisme rigide, leur offre les moyens d’une prise de conscience potentiellement libératrice. » (17)
J’ai bien du mal à m’interdire de voir dans ce passage une étrange manifestation de naïveté. Pourquoi diable l’accès aux « moyens d’une prise de conscience potentiellement libératrice » ne serait-il pas moins déterminé que l’adhésion à la doxa ? Et cette libération envisagée ne serait-elle pas moins illusoire que l’assentiment au sens commun ? Ces questions ne mériteraient-elles pas d’être posées ?

Entendons-nous bien. Mes interrogations ne me rapprochent évidemment pas de la phénoménologie, ni de Laurent Perreau. Mais elles trouvent leur source dans cet éclairage nouveau de l’œuvre de Bourdieu que le livre de Perreau m’a permis de découvrir. Et je ne puis contredire celui-ci lorsqu’il écrit :
« Alors même que Bourdieu s’oppose frontalement et globalement à la conception phénoménologique du sens comme sens de l’expérience vécue, sa propre conception du sens de la pratique ne cesse de mobiliser des termes, des analyses et des concepts qui sont empruntés à la phénoménologie. » (p. 115)

Un autre exemple concernerait les critiques que Bourdieu adresse au structuralisme. Ce qui est visé là, c’est l’objectivation première, celle qui néglige de s’objectiver elle-même. Perreau cite ( p. 102) un petit extrait du Sens pratique ainsi libellé :
« Se situer dans l’ordre de l’intelligibilité comme le fait Saussure, c’est adopter le point du vue du “spectateur impartial” qui, attaché à comprendre pour comprendre est porté à mettre cette intention herméneutique au principe de la pratique des agents, à faire comme s’ils se posaient des questions qu’il se pose à leur propos. » (18)
En lisant ceci dans le contexte du livre de Perreau, il m’est apparu d’abord que prétendre que « faire comme s’ils se posaient des questions qu’il se pose à leur propos » est tout à fait excessif et rend bien mal justice de la position de Saussure, ensuite que toute la séquence que constitue le chapitre 1 du Sens pratique, “Objectiver l’objectivation”, mérite d’être relue avec un regard nouveau. La distance prise là vis-à-vis de Lévi-Strauss répète d’une certaine manière l’analyse faite ailleurs de la skholè - du temps libre comme de l’école - et des biais importants qu’elle peut entraîner. Je pense là, par exemple, à la valeur du regard porté par un chercheur soucieux de rigueur scientifique qui prétend savoir sur une population primitive bien plus que ce que peuvent en savoir les membres de cette population. Pourtant, il serait inconséquent de négliger le fait que cette attitude de « spectateur impartial » a décisivement affranchi le chercheur des préjugés qui lui auraient fait voir les choses autrement. D’autant que l’objectivation de l’objectivation pourrait anéantir en pareil cas tout savoir minutieux, surtout si elle consiste à s’inspirer des analyses phénoménologiques dont la pratique peut être l’objet. Ce qui revient en quelque sorte à choisir entre deux pis-aller.

J’ai quasi honte de ce que je viens de dire du livre de Laurent Perreau, d’autant que je l’ai très subjectivement regardé à la lumière de ma propre histoire. Et cela, sans me garder des simplifications outrancières et des raisonnements à l’emporte-pièce. C’était ça, je l’avoue, ou alors un livre plein de nuances et de précautions… que je n’ai pas le courage d’écrire.

(1) Cf. les commentaires au bas de ma note du 15 avril 2025.
(2) Laurent Perreau, Bourdieu et la phénoménologie. Théorie du sujet social, CNRE Éditions, 2019.
(3) Par exemple, il y a à mon sens quelque chose comme une imposture dans la manière dont Gabriel Ringlet a parlé des « grands enjeux spirituels contemporains » (Cf. ma note du 10 août 2014 sur la spiritualité).
(4) Montaigne, Les Essais, édition Villey-Saulnier, PUF, Quadrige, 2013, p. 588.
(5) Montaigne, Op. cit., pp. 600-601.
(6) Montaigne, Op. cit., p. 601. Pour une bonne compréhension de ces citations de Montaigne, il s’impose de lire un passage complet du chapitre XII du Livre II des Essais, passage débutant page 587 avec les mots « Ce propos m’a porté sur la considération des sens » et s’achevant à la fin de la page 601.
(7) Le titre de Métaphysique a été assigné à l’ouvrage d’Aristote par Andronicos de Rhodes au Ier siècle avant Jésus-Christ.
(8) « Ne va pas à l’extérieur de toi, mais rentre en toi-même ; c’est dans l’essence intime de l’homme que réside la réalité. » ; « Transcende-toi […] et tourne-toi vers ce qui est à la source de la lumière de la raison. » (Saint Augustin, “La vraie religion” in Œuvres complètes, vol. 8, trad. de J. Pegon, pp. 129-131.
(9) Ernst Cassirer, Le mythe de l’État [1946], trad. par Bertrand Vergely, Gallimard, Tel, 1993, pp. 120-121.
(10) Montaigne, Les Essais en français moderne, adaptation par André Lanly, Gallimard, Quarto, 2009, p. 733. Les choses étrangères sont bien entendu ce qui n’est pas “intérieur” à l’homme, donc le réel capté par les sens. Le passage cité est inspiré du chapitre 7 du Livre II des Esquisses pyrrhoniennes, “Le critère ‘selon lequel’”, de Sextus Empiricus (trad. par Pierre Pellegrin, Seuil, Essais, 1997, pp. 239-245), ce qui n’autorise pas selon moi d’affirmer que Montaigne fut sceptique en tout ce qu’il écrivit.
(11) Cf. Claudine Tiercelin, Le ciment des choses, Éd. d’Ithaque, 2011.
(12) Cf. notamment mes notes des 3 juillet 2013 et 23 janvier 2020.
(13) Pascal, Pensées, établies par Louis Lafuma, Seuil, 1962, fr. 80 à 104, pp. 57-64.
(14) Que nous puissions faire naître nos idées par la volonté, voilà qui suscite en permanence l’illusion d’un libre arbitre dont nous ne pouvons nous déprendre. Mais si notre esprit s’emplit des causes utiles à la conscience de cette illusion, nous avons la capacité de la regarder pour ce qu’elle est, sans avoir pour autant le moyen de nous en libérer. Lichtenberg a dit ça mieux que quiconque : « Qu’une hypothèse fausse soit parfois préférable à la bonne se voit dans la doctrine de la liberté de l’homme. L’homme n’est pas libre, assurément, mais il faut une étude très profonde de la philosophie pour ne pas se laisser induire en erreur par cette idée ; une étude pour laquelle, parmi mille qui n’ont ni le temps, ni la patience et parmi cent qui les ont, il s’en trouve à peine un qui ait l’esprit nécessaire. La liberté est au fond la forme la plus commode de concevoir la chose, et restera toujours la plus commune tant elle a l’apparence pour elle. » (Cité par Jean-François Billeter in Lichtenberg, Éd. Allia, 2014, p. 89.
(15) Descartes, “Méditation troisième” in Œuvres et Lettres, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1953, p. 290.
(16) Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Seuil, 1994, pp. 128-129.
(17) Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Seuil, 1992, p. 273.
(18) Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Éd. de Minuit, 1980, p. 53.

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